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Motivation
L’essai que voici n’est pas une histoire critique de l’anarchisme. Son objet est
tout autre. J’ai voulu projeter une vue sur un devenir possible de l’anarchisme tel
que je le conçois, après quelque cinquante ans de réflexions sur des constats de
carences en regard de réussites telles que le syndicalisme et le fédéralisme dont
on ignore trop les sources libertaires, sans omettre la gémination de l’école, la
maternité consciente et la contraception, issues d’un Auguste Forel, d’un Paul
Robin, d’un Havelock Ellis, d’un B. Russell et de leurs émules.
Si les vues que j’expose ont l’inconvénient de m’être en partie personnelles,
tout au moins dans leurs motivations actuelles et dans un concept de vie rationa-
liste qui tient une grande place en cette étude et qui la conclut, elles restent néan-
moins fondées sur le meilleur de ce que nous ont laissé les pionniers de
l’anarchisme et qui a résisté à l’épreuve du temps.
Acquis et rejets sont envisagés de façon globale. Ce n’est point par choix dé-
libéré que des noms sont omis à mon regret. Je répète que je n’ai pas écrit une
histoire qui serait, d’ailleurs, incomplète et fautive comme celles qui ont été ten-
tées, tant l’anarchisme est divers par nature et peu en situation de conserver des
documents trop souvent compromettants en des temps héroïques. Les noms appa-
raissent lorsqu’ils sont particulièrement significatifs du fait considéré et peuvent,
par préférence, être cités au passé afin que nul ne se tienne comme étant mis en
cause.
Je confesse volontiers que mes réflexions doivent sans doute autant à l’étude
“ réactive ” des philosophes et des sociologues étrangers à l’anarchisme qu’à
celle de nos théoriciens. Ce sont aussi les polémistes avec lesquels j’ai controver-
sé tant de fois — des prêtres en particulier — qui m’ont fait mesurer les failles et
noter certaines incompatibilités.
Dans la partie conclusive de cet essai : “ L’anarchisme et la destinée ”, et
dans l’avant-dernier chapitre : “ Vue critique des religions ”, je me suis spécia-
lement attaché à une coalescence (fusion serait trop dire) des thèses modernes de
la philosophie scientifique et de la philosophie religieuse, sensible chez un Teil-
hard de Chardin, par exemple, bien qu’il me paraisse, en dépit de ses intentions
affichées, ne concevoir les antithèses que de façon à écarter les synthèses où le
christianisme se perdrait. Les conciliations ne s’inscrivent sans doute que dans un
avenir éloigné.
Dès maintenant, les prospections pourraient s’orienter dans ce sens puisque,
de part et d’autre, les droits de la personnalité sont affirmés, ce qui implique la
réciprocité et l’ouverture du dialogue. C’est dans cet esprit que la dernière partie
du présent ouvrage considère un rationalisme de l’anarchisme, le génitif étant,
dans ma pensée, signifiant de l’antisectarisme.
Ce livre a été écrit aussi en réaction à l’opinion fausse selon laquelle
l’anarchisme ne serait pas constructif. On ne conteste pas que ce préjugé se fonde
sur des raisons, entre autres les inconséquences découlant de formules peu ou