Le rôle du comité d`éthique au sein d`un hôpital universitaire

Le rôle du comité d’éthique au sein
d’un hôpital universitaire
L’éthique : de l’échec de l’institution à l’injonction
personnelle Le comité d’éthique à l’hôpital
Dr Bertrand GALICHON, Président du Centre Catholique des Médecins Français
I- Introduction
L’éthique se joue, se vit au niveau de la trivialité de nos vies. Comme cette histoire
qui a déjà plus de dix ans et pour laquelle je n’ai pas trouvé encore de réponse malgré
le fait de l’avoir rapportée et disséquée par écrit dans un ouvrage collectif
« Gyrophare éthique pour soldats en crise ». Travaillant près d’un bois célèbre de
Paris pour son commerce humain multimodal, nous recevions aux urgences des êtres
dont certains ne sont que souffrance. Comme celui-ci, homme ou femme on ne sait,
accompagné pour des crises comitiales ou des ivresses aigues plusieurs fois par jour
échappant toujours à notre surveillance, fait un jour une crise d’épilepsie plus forte
que d’habitude dans le hall de l’hôpital. On me demande d’aller le voir et je
m’entends dire non. Pourquoi cette réponse ? Pourquoi maintenir cet être dans cette
situation de survie esclave de ses addictions et de la dépravation de la société ? Ne
faisons-nous pas de l’acharnement thérapeutique ? Cet être a fini par mourir d’un état
de mal épileptique au fond d’un commissariat deux mois plus tard. Cette histoire pose
les questions suivantes : en voulant traiter cet être est-ce que je prends soin de lui ?
Est-ce que je préserve l’institution ? Est-ce que je soigne ma conscience ? Le bien
faire n’est pas obligatoirement synonyme du faire le bien.
Pour bien définir le champ de notre réflexion, il nous faut préciser les termes de
morale et d’éthique. Ces deux mots ont deux racines différentes latine pour le premier
et grecque pour le second, avec une signification identique se référant à l’origine au
domaine commun des mœurs. Aujourd’hui, de nombreux auteurs les distinguent,
moins les confondent. Je ferai référence au philosophe protestant Paul RICOEUR qui
précise bien de façon opérante cette distinction. Pour Paul RICOEUR le concept de
morale est un terme de « référence fixe » avec une double fonction d’une part de
désigner les principes du bien et du mal et d’autre part le sentiment d’obligation que
nous reprendrons en fin de notre exposé. A partir de ce « noyau dur », l’éthique se
divise en deux : « l’éthique antérieure » indiquant l’enracinement des normes
et « l’éthique postérieure » visant à insérer les normes dans le concret de nos vies.
Ainsi, l’éthique est une réflexion philosophique pratique voulant mettre en cohérence
morale et activité, mais aussi une réflexion normative distinguant le bien faire du mal
faire. Elle est ainsi un raisonnement critique sur la moralité de nos actions. Elle
permet ainsi d’ajuster la morale à des principes de réalité contingents de
l’environnement dans lequel ils doivent s’exercer. On parle ainsi d’éthique
biomédicale, d’éthique de soins, d’éthique politique,…Chacune avec ses outils
d’évaluation, de réflexion.
L’éthique indique une frontière au-delà de laquelle se pose une question. Comme
toute frontière, elle peut être par définition franchie et ce d’autant plus que l’éthique
n’est pas universelle ni éternelle. Par exemple, nous allons en France réviser pour la
troisième fois la loi LEONETTI sur la limitation des soins en fin de vie votée il y a à
peine huit ans ! Ainsi, j’attache beaucoup d’importance à l’éthique de la
transgression. Je la considère comme une posture éminemment chrétienne. Ma
vocation de chrétien, d’aimer mon prochain c’est de l’interroger sur ce qui fait la
cohérence de sa vie, ce qui fonde sa liberté d’homme donc sa responsabilité. Je dois
ainsi dépasser la loi du bien faire dessinée par l’éthique normative pour en trouver la
source. Ainsi, l’éthique vient rendre compte de l’immanence de la morale. Elle peut se
définir enfin comme une incarnation de la morale.
Un très bref rappel de l’histoire de l’exercice de l’éthique en milieu hospitalier
français nous permettra de mieux comprendre la situation dans laquelle nous
retrouvons aujourd’hui. Malheureusement peu de réflexions ont été menées sur ce
thème. Les années 70 et 80 ont vu l’éclosion multiple, diverse de comités d’éthique
avec en 1983 la création du Comité Consultatif National d’Ethique, première instance
de ce type au niveau international. En 1988, la loi crée les Comités Consultatifs de
Protection des Personnes pour la Recherche Biologique. Ces comités uniquement
orientés vers l’examen de la conformité éthique des protocoles de recherche investis
par les médecins sont à l’origine de la mort lente des comités d’éthique locaux. Une
étude produite en 1999 montrait que l’AP-HP n’avait plus que 9 (sur 17 initialement)
comités d’éthique, seulement 3 d’entre eux se réunissaient une fois par trimestre et
donner des avis cliniques de soins. Les autres se limitent à des actions de réflexion ou
de formation. En 2003, le rapport Cordier propose la création d’espaces éthique
régionaux, visant à coordonner toutes ces activités éparses et leur donner plus de
visibilité. Mais ils restent peu nombreux, organisés de façons inhomogènes avec des
productions inégales et distribués de façon disparate sur le territoire et tous liés à une
université. A Paris, quatre lieux de formation éthique : l’espace éthique de l’AP-HP,
le laboratoire éthique de l’Université Paris V, la faculté jésuite de Paris et un atypique
le Comité d’Ethique Clinique de l’hôpital Cochin le seul créé par le Ministère de la
Santé. Nous sommes bien loin de l’enthousiasme des années 70 et 80. Le comité
d’éthique qui devait donner un avis sur un cas clinique précis fait œuvre aujourd’hui
seulement de réflexion et de formation. La loi n’aurait-elle pas étouffé la créativité
éthique ?
Aujourd’hui, comment se situe l’éthique dans le monde hospitalier français ? Quelle
place lui est réservée ? Quelle est son utilité ou encore son instrumentalisation ? Pour
répondre à ces questions, je vous propose de considérer chacune des strates de
l’institution hospitalière.
II- L’institution hospitalière et l’éthique, un artifice.
L’hôpital est au centre de la vie de la cité quoique sur le plan urbanisme celui-ci se
trouve de plus en plus aux frontières de celle-ci. Ainsi, l’hôpital est traversé lui aussi
par les évolutions de notre société.
Je caractériserai la tendance générale d’évolution du contexte social d’une économie
libérale comme la nôtre par trois termes :
1-La perte de loyauté, je ne me sens absolument pas redevable de quoique se soit
envers l’institution qui m’a porté, m’a formé. Je peux la quitter sans état d’âme. Nous
avons été souvent confrontés à ce problème dans le service posé par le mercenaire qui
vous en donne pour votre argent mais pas un sous de plus. Ce dernier respecte la loi,
son attitude est légale donc à ce titre là non répréhensible. Nos relations humaines se
trouvent contractualisées entraînant une « dé-liaison ». La relation à autrui, la relation
de soin se trouve limitée par et dans le cadre du contrat. Nous passons avec certitude
du moral vers le légal, la loi devenant l’expression du moral.
2-La perte d’éthique, non seulement je m’en vais sans état d’âme mais en prenant tout
ce que je peux y compris la patientelle en ce qui concerne les médecins.
3-La radicalité de l’économie qui prend une part de plus en plus importante dans nos
vies réduisant nos temps de ressourcement intellectuel, spirituel, familial à leur plus
simple expression. Dans une journée, nous travaillons plus à ce qui nous permet de
répondre à nos désirs qu’à ce qui fonde notre humanité c'est-à-dire notre spiritualité.
Déséquilibre de vie source du « burn out » des soignants.
Dans ce contexte français actuel, quelle peut bien être la place dévolue par
l’institution hospitalière pour l’élaboration d’une réflexion éthique visant à ajuster sa
réponse au centre de la demande de soins des patients?
Pour être caricatural, lapidaire donc légèrement exagéré, nous sommes dans le « sauve
qui peut » ou le « après moi le déluge » avec une réflexion prospective très limitée
dans le temps car conditionnée par des résultats financiers immédiats, seule once
opposable, objective d’évaluation de la performance. Ceci explique la fronde de très
nombreux médecins et soignants en ce moment contre la tarification à l’acte imposée
au service public. Ainsi l’éthique est vécue par l’institution dans une immédiateté
contraire à sa nature.
Quelles sont les contraintes pour l’hôpital public comme privé? Comme partout dans
le monde dit libéral: produire plus au moindre coup, avec une bonne image de marque
donc loin des tribunaux et pour la France dans un cadre administratif extrêmement
rigide sans aucune souplesse. Donc trois juges de paix, trois outils d’évaluation :
l’économique, le juridique, l’administratif, avec le réglementaire. Tout investissement
doit générer un retour objectif, opposable à la tutelle. Mais nous savons tous que ces
tableaux de bord de gestion avec des indicateurs réducteurs masquent une réalité
humaine beaucoup plus complexe construite autour de symboles forts.
La tutelle, le politique n’ont pas répondu à la question suivante : est-il éthique de
ranger l’activité de soin dans une activité marchande ? Mais aussi, est-il éthique que
des deniers publics soient dépensés sans un contrôle strict ? Ainsi, dans cette
ambiance indéterminée, chaque acteur, chaque catégorie d’acteurs de soins doit
consolider sa place, la justifier.
Dans ce contexte de compétition, un outil de gestion acquiert une place de plus en
plus prépondérante investissant de plus en plus le monde de la santé devenu peu ou
prou un secteur marchand comme un autre, je veux parler du marketing, de la
publicité autrefois appelée la réclame. Ainsi, l’industrie pharmaceutique parle de
produits éthiques et non éthiques, ce qui laisse à penser que ces derniers seraient
moins recommandables. Je ne sais pas quels sont les critères pour définir un produit
éthique. En fait, il s’agit d’une façon publicitaire de parler du médicament. Le para
médical devient ainsi « non-éthique » ! Ainsi, pour l’hôpital le comité d’éthique,
l’espace éthique pourraient jouer ce rôle de valorisation de l’image de marque de
l’hôpital apportant une assurance de sérieux, de probité, de professionnalisme. Le très
bref rappel historique du comité d’éthique fait en introduction laisserait penser que
nous sommes dans du marketing pur et dur. Comme toujours, je pense que la réalité
est beaucoup plus sérieuse, plus diverse et complexe car c’est avant tout une histoire
d’hommes, une histoire totalement incarnée, basée pour une large part sur le
volontariat.
Aujourd’hui, nous pouvons rencontrer de façon schématique deux types de structures
travaillant sur l’éthique au sein de l’hôpital universitaire français: le CCPPRB
(Comité Consultatif pour la Protection des Personnes en Recherche Biologique) et
l’espace ou comité d’éthique. Tous les CHU n’ont pas de telles structures par exemple
mon hôpital de plus de 800 lits n’en est pas pourvu. A l’inverse, Saint Louis, hôpital
internationalement connu pour son activité de spécialité a un CCPRB justifié par une
grosse activité de recherche et accueille l’Espace éthique de l’AP-HP qui a une
importante production intellectuelle et universitaire avec une implication certaine
dans les débats législatifs de bioéthique.
Le CCPRB a donc une fonction pratique immédiate, parfaitement comprise par tout le
monde, il valide les protocoles de recherche. Il donne son imprimatur éthique, sésame
pour que le protocole puisse avoir une vie. Cette activité est planifiable,
économiquement justifiée.
Le Comité d’Ethique hospitalier avait initialement dans l’esprit de ses premiers
animateurs pour fonction d’aider les équipes de soignants à prendre des décisions
devant bénéficier à tel ou tel patient, Le bénévolat restant la pierre d’angle de cet
engagement de la part des participants, certains hôpitaux universitaires ou non comme
celui de Béziers ont pu malgré tout préserver cette activité hautement symbolique.
Malgré la persistance de quelques bastions, nous pouvons dire que globalement cette
fonction très opérationnelle a fait long feu, faute de disponibilité, de membres actifs
suffisamment motivés et formés. Ainsi, la dénomination de comité se vide peu à peu
de son sens.
Et nous glissons du Comité vers l’Espace Ethique qui a une vocation intellectuelle
devant dispenser une formation, organiser des débats, produire des articles. Cette
vocation quand elle est réellement accomplie sur la durée peut générer une dynamique
de groupe positive, mais là aussi très personne dépendante. Exemple : Hôpital Necker,
club de rencontre. A contrario, le Centre d’Ethique Clinique de l’Hôpital Cochin, le
seul créé par la volonté du Ministère de la Santé, garde une activité conforme à sa
mission avec du personnel rémunéré et des bénévoles, produisant un travail de qualité,
largement diffusé et reconnu.
III Le service hospitalier, une aide au management.
Avec le service hospitalier, l’éthique rentre dans le vif du sujet, au cœur de sa
mission. Le service, confronté directement à la pratique, l’éthique prend tout son sens,
sa place.
Quel est l’objectif d’un service ? Donner le meilleur soin ajusté à chacun des patients
grâce à une équipe totalement investie dans sa mission. Chaque service en fonction de
sa spécialité se trouve confronté à des questions éthiques différentes, une pression
différente, une incertitude différente. Mais tous se trouvent dans le même cadre :
répondre à une judiciarisation croissante, en appliquant de bonnes pratiques avec une
économie de moyens humains et matériels.
Les services en fonction de leur histoire, de leur activité, de leur environnement vont
développer des outils différents
Gestion de la dynamique de l’équipe autour d’un projet partagé par tous. Par exemple
dans notre service la mise en place d’une procédure de prise en charge des patients
relevant des soins palliatifs, avec la mise en avant de deux notions celle d’urgence
palliative avec une identification précoce de ces malades ouvrant la porte à une
deuxième notion celle de médecine palliative et non plus de soins. Nous avons pris
l’ensemble de notre équipe là où elle en était de sa connaissance de la loi LEONETTI
et les soins palliatifs, nous avons l’avons formée à plusieurs reprises et avons défini
ensemble une méthodologie de prise en charge de ces patients dits palliatifs. Cette
procédure est en cours d’appropriation et d’évaluation. Elle a permis aux esprits de se
libérer, de parler et surtout une amélioration fantastique de la qualité des soins
apportés à ces patients.
En réanimation neurochirurgicale, quotidiennement confrontée à des problèmes
éthiques graves intéressant des traumatisés crâniens jeunes devant être pris en charge
par une équipe jeune arrivant des horizons culturels, cultuels les plus divers. Quelles
procédures, quelle méthodologie mettre en place pour éviter que les réponses données
aux patients, à leurs familles ne soient pas personnes dépendantes. Quelles sont donc
les valeurs communes laïques sur lesquelles nous devons nous appuyer ? La réponse
est de mettre en place des procédures très normées régulièrement revues en équipe en
fonction des progrès accomplis.
Le protocole de soins est largement utilisé dans le service. Nous avons créé sur
smartphone une application avec plus de 300 questions de médecine d’urgence adulte
et pédiatrique. Cet outil destiné aux seniors et aux juniors permet d’harmoniser les
pratiques, de former les médecins. Cet outil est lui aussi régulièrement rediscuté, mis
à jour. Mais il n’est pas sans poser quelques questions éthiques liées à la place
octroyée par les médecins au protocole de soins : aide à la décision ou injonction
procédurale.
Dans de nombreux services sont organisés des staffs d’éthique clinique à propos de tel
ou tel malade. A Necker un service de pédiatrie générale fait appel à des personnalités
extérieures comme mon ami le Père Olivier de DINECHIN pour lire tel ou tel dossier
en réunion plénière intéressant tous les membres du service. Ainsi la parole est
libérée, chacun prend ses responsabilités, fait part de ses questionnements
Autre démarche fondamentalement éthique, la revue de Morbi Mortalité, la RMM,
il s’agit comme vous le savez d’une relecture a posteriori transversale, intéressant
plusieurs services impliqués dans la gestion d’un dossier ayant posé une difficulté.
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