XIXème siècle voit les revendications nationales se structurer en action politique et prendre
de plus en plus d'ampleur [11].
À ce jeu les Hongrois furent particulièrement habiles : ils obtinrent de partager le pouvoir
avec les Autrichiens, affaiblis par leur défaite à Sadowa [12], en 1866. Mais ils suscitèrent
l'amertume des peuples restés opprimés ; d'autant plus que les adeptes des mouvements
panslaves n'oublièrent pas que la Hongrie, par sa position géographique, séparait
physiquement les Slaves du nord de leurs "frères" du sud.
L'année des premières Danses Slaves est aussi celle du Congrès de Berlin qui concrétise le
recul de l'empire ottoman, confronté à l'alliance de neutralité bienveillante liant l'Allemagne,
la Russie et l'Autriche-Hongrie. Cette dernière intervient militairement pour contrecarrer
l'alliance des Slaves de Monténégro et de Serbie en 1878. Après s'être soulevée contre les
Turcs, la Bulgarie est libérée cette même année par les Russes [13]. L'effervescence de la
question slave trouve un écho dans l'art de Dvořák.
En réagissant au succès des musiques hongroises, Dvořák concilie son art et ses convictions
politiques : il adresse avec sa musique un fraternel salut aux peuples slaves. Cela n'est pas
pour nous surprendre : depuis longtemps, ses œuvres reflètent son militantisme - au grand
dam de cet autre nationaliste, allemand bien entendu, qu'était son ami Brahms. Dans son
troisième quatuor à cordes en ré majeur (B 18), Dvořák cite textuellement l'air
révolutionnaire Hej, Slované ! [14]. Dans l'opéra Vanda le Polonais Slavoj (le bien nommé !)
triomphe de l'Allemand Roderich. Dimitrij met en scène la succession de Boris Godounov et
aborde, au travers de la légende, un sujet d'actualité brûlant : l'opposition entre les Russes et
les Polonais [15]. Plus tard l'oratorio Svata Ludmila décrit la naissance mythologique des
Slaves.
Peu de compositeurs ont, avant Dvořák, rendu un hommage aux Slaves d'ailleurs. Les seuls
témoignages qui ont survécu jusqu'à nos jours sont la Fantaisie sur des thèmes serbes op.6 de
Rimsky Korsakov, et l'Ouverture Tchèque [16] de Balakirev. Ces œuvres furent jouées le 12
mai 1867, au Concert Slave donné à l'occasion du rassemblement de représentants des pays
slaves à Saint-Pétersbourg [17]. À cette courte liste on peut ajouter la seconde symphonie, dite
« Ukrainienne » [18], de Piotr Illitch Tchaikovsky.
Les premières Danses Slaves (op. 46)
Les huit premières Danses slaves sont réunies sous le numéro d'opus 46. La version piano à 4
mains, écrite de mars à mai 1878, porte le numéro de catalogue 78. L'orchestration occupa
Dvořák d'avril à août de la même année.
Cette série est encadrée par deux furiants. Il s'agit d'une danse de Bohême réservée aux
hommes, et par conséquent assez énergique ! Ce sont les seules danses de l'opus 46 à
commencer par un fortissimo et à être menées presto.
La n.2 est une dumka, rêverie mélancolique inspirée de mélodies ukrainiennes. Son caractère
dolent contraste agréablement avec la polka qui suit. Dans cette troisième danse, Dvořák se
souvient probablement de la Fiancée Vendue de son aîné et modèle Smetana ! Rappelons que
la polka est une danse tchèque à deux temps (le mot « polka » viendrait du tchèque « moitié »
et n'a pas de rapport avec la Pologne voisine). Retour à un rythme ternaire avec la sousedska