D
ans la cour de l’académie Theo-
Remmertz, située à Münners-
tadt en pleine campagne bava-
roise (Allemagne), Saskia
Schneider, 20 ans, se dépêche
pour ne pas arriver en retard en
classe. « Pardon, mais j’ai cours
dans cinq minutes », s’excuse la
jeune fille. De maths, d’histoire-
géo ou de physique ? « Non
non, de décoration de cercueils et préparation
de funérailles. » On aurait presque pu le deviner
en voyant la mine de circonstance des élèves,
tout de noir vêtus, qui attendent de rentrer en
cours de psychologie du deuil.
Fondé en 2005, l’établissement forme chaque
année plus de cinq cents apprentis croque-morts
âgés entre 18 et 40 ans. Durant trois ans, entre
stages en entreprise et cours à l’école, ils vont ap-
prendre les techniques traditionnelles funéraires
comme fabriquer des cercueils, creuser des
tombes dans un cimetière d’apprentissage, net-
toyer et embaumer des corps, organiser des ob-
sèques, rédiger des avis de décès ou accompagner
des familles endeuillées. « Avant l’ouverture de
cette académie, il n’y avait pas de formation spé-
cifique, à part celle dispensée dans les entreprises,
explique la directrice Rosina Eckert. Le métier
est très réglementé, en Allemagne. Il y a des
normes à connaître. Nous donnons à nos élèves
les moyens de réussir. La plupart trouvent
d’ailleurs du travail après leur formation. »
Dans un pays vieillissant où le taux de mor-
talité dépasse celui de la natalité (863 000 décès
en 2012 pour 671 000 naissances), la profession,
forte d’environ cinq mille sociétés, a su traver-
ser la crise même si « la concurrence dans le
secteur a entraîné des fermetures d’entreprises,
confie la directrice. Mais la demande en per-
sonnel est croissante et il y a peu de chômage.
Les gens continueront quoi qu’il arrive de mou-
rir », ironise-t-elle devant une collection im-
pressionnante de cercueils. Dans l’atelier où l’on
apprend à les fabriquer, une quinzaine d’étu-
diants écoutent leur professeur dans un silence
de mort. L’ambiance y est studieuse, on lève le
doigt avant de parler et on va au
tableau pour réciter la leçon sur
les différents matériaux funé-
raires. L’exercice du jour : capi-
tonner, sceller et poser les poignées d’un cer-
cueil. « Agrafe plus fermement ton ruban sur le
bois pour qu’il n’y ait pas de pli et tapisse mieux
le tissu sur les parois », conseille le professeur
Steffen Queitsch à Katharina, 30 ans. « C’est la
première fois que je fais ça, sourit cette ancienne
assistante dentaire. Je tente cette reconversion
professionnelle car je recherche un métier avec
des perspectives d’avenir. Je sais que je trouve-
rai un emploi dans ce secteur après », dit-elle.
Inscrite en deuxième année, Saskia rejoint son
cours de décoration à la chapelle de l’établisse-
ment. L’endroit, austère avec ses murs gris et ses
bancs d’église, a été créé pour simuler des céré-
monies. Pas de quoi mettre la jeune fille mal à
l’aise : « Mon grand-père a été croque-mort et je
suis aussi pompier volontaire. J’ai donc l’habi-
tude de côtoyer la mort et la douleur des gens »,
avoue l’apprentie. Pour elle et ses camarades, le
travail du jour consiste à réaliser un décor de
funérailles. « Vous avez quarante minutes pour
créer une atmosphère en rapport avec la person-
nalité du défunt, un footballeur de 22 ans. Soyez
créatifs », demande leur ensei-
gnante, Bianca Nicklaus. Par
groupes de cinq, les étudiants se
ruent sur le matériel, stocké dans
une salle attenante à la chapelle. À l’intérieur
d’une véritable caverne mortuaire d’Ali Baba, ils
se servent en cercueils, chandeliers, cierges, bé-
nitiers, angelots et couronnes de fleurs artifi-
cielles. « C’est quand même mieux d’apprendre
ça que de rester derrière un bureau ! s’exclame
Saskia. Notre métier est complet : on prépare les
défunts, on aide les familles à surmonter cette
épreuve, on les écoute et on les réconforte. On a
un rôle social qui nous rend utiles. »
À la pause de midi, certains élèves ont gardé
leur tenue de croque-mort pour déjeuner. À
table, on se raconte les potins du matin, on parle
musique, cinéma et sorties du week-end. S’il n’y
avait pas, accrochés aux murs, des diplômes en
techniques de crémation et des trophées en forme
de crucifix, on pourrait se croire dans n’importe
quelle cantine scolaire. Apprentis depuis trois ans,
Damon, 21 ans, et Maximilian, 22 ans, ont passé
la matinée dans la salle d’hygiène de l’école, une
pièce aux fenêtres opaques, à l’intérieur de la-
quelle les élèves manipulent des défunts ayant fait
don de leur corps à la science. Sans cadavre ce
jour-là, ils se sont exercés sur un mannequin pour
apprendre à le porter, le déshabiller, le laver et le
maquiller. Parmi les spécialités de l’académie, il
y a la thanatopraxie, ou l’art d’embaumer les
morts. Une dizaine d’étudiants repartent avec ce
diplôme chaque année. « Je n’ai plus peur de tra-
vailler avec des morts, confie Damon. La pre-
mière fois, ça fait bizarre : le corps est raide et
froid, il dégage une odeur forte. Mais on s’habi-
tue. Il faut prendre du recul. On vit des moments
parfois très durs, d’où l’importance d’évacuer en
sortant ou en faisant du sport », poursuit-il.
7 h 45, le lendemain matin. La pluie de ces
derniers jours a détrempé le cimetière d’ap-
prentissage de l’école. Unique en Europe, selon
l’académie, il permet aux élèves de s’initier au
creusement de tombes, à manœuvrer des en-
gins de terrassement ou à maçonner des pierres
tombales. « L’objectif est de leur apprendre les
techniques d’excavation, les règles de sécurité
ainsi qu’à travailler vite et proprement », sou-
ligne le professeur Wilhelm Lautenbach. Laissée
la veille à son cours de décoration, Saskia s’en-
traîne aujourd’hui à creuser une fosse et à y ins-
taller une benne pour entreposer la terre. « C’est
physique, reconnaît-elle. Mais cette partie du
cérémonial est importante car la tombe est le
dernier endroit où la famille pourra se recueillir.
Autant qu’elle soit bien réalisée. » Dans cette
nécropole factice où toutes les sépultures sont
fausses, des épitaphes jusqu’aux caveaux, gisent
des morts imaginaires. Saskia le sait : bientôt
elle organisera des enterrements pour de vrai.
J
‘‘Quoi qu’il arrive,
les gens continueront
de mourir’’ La directrice
Diplôme obligatoire
En France
Les temps de formation pour travailler dans
les pompes funèbres ont été revus à la hausse.
N° 1888 49
Depuis le 1erjanvier 2013, la formation
pour devenir employé ou dirigeant de pompes
funèbres en France est plus réglementée.
Un diplôme, et non plus une attestation, est
désormais nécessaire. Selon la loi, «l’exercice des
professions du secteur funéraire est subordonné
à la détention d’un diplôme comprenant une
formation théorique et une évaluation pratique».
La durée de l’enseignement –dispensé par
des professionnels– a été rallongée: de 70heures
pour un maître de cérémonie jusqu’à 140heures
pour un conseiller funéraire, voire 182heures
pour
un futur dirigeant. Les élèves sont ensuite
notés par un jury (hygiène, législation, psychologie
du deuil, conception et animation d’une
cérémonie…). Près de dix-huit millesalariés
travailleraient dans le secteur.
J A. G.
TP du jour: créer
une atmosphère
personnalisée
pour le défunt, un
jeune footballeur
Factice L’académie dispose de son
propre cimetière d’apprentissage où les
étudiants peuvent manœuvrer
l’engin de terrassement et s’entraîner
au creusement de sépultures.
Vocation Saskia, 20ans, a abandonné
ses études de biologie pour les pompes
funèbres. «Ma reconversion a
surpris mes amis. Maintenant, ils sont
curieux de savoir ce que je fais.»
Simulation En cours de psychologie du
deuil (en haut), Björn incarne un vendeur de
cercueil face à un père inconsolable. Dans
la chapelle, l’exercice consiste à recréer des
funérailles plus vraies que nature.