la nouvelle lettre Directeur de la publication : J. GARELLO Commission Paritaire 63570 N° 815 – 27 Novembre 2004 Hebdomadaire 1 € EDITORIAL LISEZ ADAM SMITH : IL DONNE LES SOLUTIONS ! Avec Nicolas Sarkozy voici la majorité présidentielle nantie d’un nouveau leader, qui a tenu à passer avec les siens un pacte fondé sur un programme qu’il a voulu clair et complet (il l’a exposé dans le Figaro du 19 novembre). Ce souci d’honnêteté intellectuelle et de respect démocratique l’honore. On a trop tendance en France depuis assez longtemps à se prononcer sur les personnes, en laissant de côté les idées et les choix de société. Encore faut-il que les idées soient bonnes, et les choix judicieux. Ce que nous propose Nicolas Sarkozy n’est ni routinier, ni révolutionnaire. Il entend rompre avec l’immobilisme qui plonge la France dans la léthargie collective, mais pour autant il ne verse pas dans l’« ultralibéralisme » échevelé. Il se dit libéral, mais pour autant il se défend de toute attache idéologique, il préfère se présenter comme un « pragmatique » : « Je ne me réveille pas chaque matin en lisant Adam Smith, Ricardo ou Hayek, mais en cherchant des solutions ». On peut se dire que cette forte confession est simplement habile, destinée à démontrer que le Président de l’UMP sait se tenir à l’écart de tout sectarisme : homme ouvert au dialogue, il n’est pas prisonnier d’un système de pensée. Dans un milieu politique et une nation qui ont perdu le goût de la doctrine, voilà bien de quoi se rendre populaire et séduire tous azimuts. Le problème, c’est que pour orienter et mieux encore diriger une nation en panne de grand projet de société, l’habileté politique et la popularité ne suffisent pas, et les solutions imaginées le matin en se rasant font nécessairement long feu. Aucun gouvernement ne peut se passer de doctrine. Keynes et Hayek ont été d’accord pour déclarer « Les idées mènent le monde ». L’un a inspiré les socialistes réformistes et les socio-démocrates ; de Roosevelt à Carter, de Blum à Delors, des planistes aux syndicalistes. L’autre a été le maître de Ludwig Erhard et du miracle allemand, ou de Margaret Thatcher et Ronald Reagan, ou de Vaclav Klaus et de la résurrection tchèque, d’Aznar en Espagne et de Balserowicz en Pologne. Tous ont reconnu leur dette à l’égard de ceux qui leur ont apporté compréhension du monde contemporain et principes conduisant aux vraies solutions. Ignorer la théorie pour ne s’intéresser qu’à la pratique c’est se condamner à des mesures de simple opportunité, c’est rejeter toute vision étendue dans l’espace et le temps. Ceux qui ont envoyé des hommes dans l’espace ont commencé par connaître les lois de Newton, et ce n’est pas un « empirisme organisateur » (Maurras) qui a guidé les premiers pas de l’homme sur la Lune. Ainsi, dans le domaine de l’économie politique, les peuples ont-ils progressivement été amenés à admettre que le bon vieil Adam Smith avait vu le monde comme il le fallait, à partir de la réalité humaine qui pousse chacun de nous à échanger avec les autres. Disciple le plus profond d’Adam Smith, Frédéric Bastiat nous enseigne que la vie en société n’est harmonieuse que si les uns rendent service aux autres, puisque nous nous vendons mutuellement des biens et services de nature à satisfaire nos besoins. L’économie est ainsi à base de complémentarités, elle tire sa raison d’être et de se développer de l’extrême diversité des êtres humains, de leurs goûts et de leurs capacités. Voilà en quoi Adam Smith, Bastiat ou Hayek nous montrent la solution des problèmes contemporains, qui sont en fait des problèmes récurrents. 1 PDF created with pdfFactory trial version www.pdffactory.com EDITORIAL Au problème de la stagnation et du chômage, il faut répondre par la liberté d’entreprendre et d’échanger. C’est l’élargissement de l’espace d’échange qui fait la richesse des nations, qui développe l’esprit d’entreprise, et toute politique d’inspiration nationaliste et mercantiliste est à proscrire. Au problème de la mondialisation et de la concurrence internationale, il faut répondre par la compétitivité, la créativité, et non par des charges et des impôts étouffants ou par des privilèges et des monopoles publics. Au problème de la couverture des risques sociaux il faut répondre par des mécanismes d’assurances, ou par la solidarité communautaire, et non par une pseudo-solidarité obligatoire, ruineuse et inefficace. Au problème de l’éducation et de l’enseignement il faut répondre par la pluralité des systèmes, par la mise en responsabilité des familles et leur libre choix des établissements et des métiers. Au problème de l’environnement il faut répondre par la propriété privée des ressources naturelles. S’il a quelque loisir ces prochaines semaines, que notre nouveau Président (de l’UMP) prenne quelques heures pour lire « La Constitution de la Liberté » d’Hayek, je lui promets qu’il y trouvera toutes les réponses qu’il cherche, car je ne mets pas en doute son désir de trouver les réponses. Et s’il veut se détendre en même temps que s’instruire, qu’il parcoure quelques « Sophismes » de Bastiat qui lui en diront beaucoup sur le travail, sur le chômage, sur le protectionnisme, sur la vie politique, sur les fonctionnaires, sur l’Etat, sur l’impôt, sur la loi, sur la réglementation, sur la Sécurité Sociale – dont Bastiat avait annoncé la faillite avant même qu’elle n’existât. Notre Président est assez doué pour faire son profit immédiat de ces saines lectures matinales. Il sera vite persuadé qu’il existe des lois intemporelles et universelles de l’économie, des lois dont on ne peut s’affranchir puisqu’elles procèdent de la nature même de la personne humaine. Jacques Garello Conjoncture FAUT-IL SOUTENIR LE DOLLAR ? Manifestement, Européens et Américains n’ont pas le même point de vue sur l’évolution actuelle du dollar, qui vient de franchir un nouveau record à la baisse (1,30 dollar pour un euro). Alors que les Européens veulent intervenir sur les marchés des changes, voilà que les Américains, par la bouche du John SNOW, Secrétaire au Trésor, écartent le principe d’une intervention concertée des banques centrales pour soutenir le dollar. Pour lui, c’est le marché qui doit déterminer le taux de change. Qui a raison ? Faut-il faire confiance aux interventions des banques centrales ou au marché ? Aux changes fixes ou aux changes flottants ? C’est la banque centrale qui défend les parités fixes Nous avons connu pendant longtemps un système de taux de change fixes, à partir de la conférence de Bretton Woods en 1944. Chaque pays déterminait un taux de change officiel (qui ne pouvait varier que dans d’étroites marges de fluctuations de + ou – 1%), et s’engageait à défendre cette parité à tout prix. Mais comment défendre une parité fixée arbitrairement, alors que depuis la fin du contrôle des changes chaque jour des milliers d’opérateurs interviennent sur le marché des changes pour acheter ou vendre telle ou telle devise ? Et ils ont de bonnes raisons de le faire, par exemple à la suite d’une exportation ou d’une importation. Mais qui défend la parité fixe ? C’est évidemment la banque centrale, qui doit tenter d’inverser l’évolution du marché. Si une devise a tendance à monter contre le dollar par exemple, elle doit vendre cette devise et acheter du dollar. Et si c’est l’inverse, si une devise a tendance à baisser contre le dollar, la banque centrale du pays concerné doit racheter cette devise faible -pour la faire monter- et vendre du dollar -pour le faire baisser. En apparence, c’est simple : il suffit à la banque centrale de faire le contraire du marché. 2 PDF created with pdfFactory trial version www.pdffactory.com Conjoncture Oui, mais en réalité, cela s’est révélé à l’usage beaucoup plus complexe. D’abord parce que les sommes en jeu, qui s’échangent tous les jours sur les marchés des changes, sont fabuleuses et qu’aucune banque centrale, si riche soit-elle, ne peut contrarier durablement un mouvement de fond du marché. Même en jetant dans la bataille toutes ses réserves, cela n’y suffirait pas. Ce n’est donc guère possible en pratique de manière durable et les pays étaient conduits à revenir régulièrement à des parités plus réalistes plus faibles (dévaluation) ou plus élevées (réévaluation). Mais qu’est-ce que des changes fixes que l’on ne peut empêcher à terme de varier, si ce n’est que par à-coups beaucoup plus dommageables qu’une évolution lente et régulière du marché. Les parités fixes sont source de déséquilibres Ensuite, ces interventions sur les marchés des changes ne sont pas sans conséquences intérieures. Prenons dans l’après-guerre le cas de l’Allemagne : le redressement de ce pays, la faible inflation, la confiance dans la monnaie ont conduit à des pressions de plus en plus fortes à la hausse du mark. Pour l’empêcher de monter, la Bundesbank devait sans cesse vendre des marks (pour le faire baisser) et acheter d’autres devises (pour les faire monter). Or cette vente de mark entraînait une création immédiate de monnaie, ce qui fait que la masse monétaire augmentait, ce qui menaçait à terme la stabilité des prix que l’Allemagne, pour des raisons diverses et notamment historiques, tenait à tout prix à préserver. Résultat concret : le mark n’a cessé de se réévaluer -en dépit des changes fixes- et les autres monnaies de perdre de la valeur par rapport à lui. Faut-il avoir la cruauté de rappeler qu’en 1958 un franc valait un mark et qu’à la veille de la création de l’euro il fallait 3,35 francs pour acheter un mark ? L’Allemagne devait en permanence choisir entre réévaluer régulièrement sa monnaie -ce qui revient à nier à terme les changes fixes- ou accepter, au nom de la défense des parités fixes, de voir l’inflation s’installer chez elle. Rien d’étonnant à ce qu’elle ait, comme d’autres pays, choisi dans les années 70 la liberté en passant aux changes flottants. Quant au cas inverse d’une monnaie fixe attaquée à la baisse (comme cela a souvent été le cas du franc français), il fallait utiliser nos réserves de changes officielles pour défendre le franc en achetant du franc et en vendant des devises. Or celles-ci n’étaient pas illimitées et à chaque fois nous avons vite épuisé nos réserves de changes, comme le montre la situation du début 1958 ou même celle des années 81-83 où nous étions revenus en changes fixes par rapport au mark dans le cadre du SME (avec trois dévaluations à l’actif du tandem Mauroy-Delors !). La seule boussole, c’est celle du marché libre La défense d’une parité est donc à la fois nuisible et irréaliste. Rien d’étonnant à cela, comme FRIEDMAN l’avait montré dès 1960, alors que nous étions encore dans le monde entier en changes fixes. Les changes fixes ne sont rien d’autre qu’un prix bloqué et ils ont tous les inconvénients du contrôle des prix et du faux prix qu’ils engendrent. Voilà pourquoi, grâce à ces analyses, mais aussi à la cruauté des réalités, les mentalités ont évolué et on a choisi dans les années 70 de passer aux changes flottants, ce qui a été officiellement confirmé par le nouveau Système Monétaire International le 1er avril 1978. Voilà qui éclaire le débat sur le prix actuel du dollar. Est-il trop haut ? Est-il trop bas ? Il est à son bon prix, qui est le prix du marché (à condition que le marché ne soit pas manipulé ou influencé par des taux d’intérêt artificiels, mais ceci est un autre débat). Ceux qui veulent que la BCE (ou la Fed) soutienne le dollar -et fassent baisser l’euro- ont donc choisi les faux prix. C’est un énorme retour en arrière, qui nous ramène à l’époque des changes fixes. Avec un défaut de plus : en changes fixes, on savait qu’elle était la valeur « officielle ». Ici, c’est pire car on joue en aveugle, puisqu’on ne sait pas quel est l’objectif fixé par les banques centrales (1,3 ou 1,2 ou 1 pour 1, qui le sait ?), ce qui rend le système encore plus instable et artificiel. Finalement, une intervention de la BCE pour faire monter le dollar ne servirait à rien (puisqu’elle n’aurait pas assez de munitions pour lutter durablement contre le marché), serait inflationniste (car elle conduirait à une création d’euros) et aboutirait à un faux prix, ne correspondant pas aux réalités économiques. A ces artifices, nous préférons la boussole du marché, car elle indique la bonne direction. Une direction sans doute sensible à la dette publique et extérieure des Etats-Unis (ce qui pousse le dollar à la baisse) mais aussi à la conjoncture mondiale et aux incertitudes européennes (ce qui permettrait au dollar de remonter). 3 PDF created with pdfFactory trial version www.pdffactory.com SPECIAL Université d'Eté I. KIRZNER : QUEL ESPRIT D’ENTREPRISE POUR QUELLE EUROPE ? Troisième matinée de l’Université d’Eté (Aix, Mardi 31 août 2004) : le Professeur Israël KIRZNER, présenté par Pierre GARELLO, prononce la conférence tant attendue, puisque cet éminent économiste de New York University doit sa renommée à sa théorie de l’entrepreneur. Son élargissement offre à l’Europe des perspectives tout à fait nouvelles. Depuis Adam Smith, on sait que l’ouverture des marchés est une bonne chose parce qu’elle permet une division du travail plus poussée, une plus grande circulation des capitaux et des ressources productives, bref une disparition de toutes les barrières au commerce. Pourtant, ce n’est pas l’élargissement des marchés qui, en lui-même et de façon automatique, crée les conditions de la croissance et de la richesse des nations. La croissance ne sera effective que si le talent et l’esprit d’entreprise passent par là. La vraie question qui se pose aujourd’hui est donc celle-ci : la future Europe sera-t-elle propice à l’art d’entreprendre ? Quelle est la mission des entrepreneurs ? Pour répondre à cette question il faut évidemment savoir ce que l’on attend d’un entrepreneur, et comment il contribue à la croissance économique. Dans mon esprit, il ne fait pas de doute que l’art d’entreprendre consiste à être vigilant aux indications du marché, ce qui se concrétise par le fait qu’un entrepreneur a un talent pour lancer des affaires, pour prendre des initiatives créatives. Mais par contraste l’opinion des économistes sur ce sujet est assez ambiguë. On constate par exemple que toute la théorie économique des néo-classiques, quand ils veulent expliquer le marché, est bâtie sans référence aucune à l’entrepreneur. Pour eux, l’important dans la vie économique est de faire les bons choix en matière d’affectation des ressources productives. C’est le concept de Lionel Robbins, qui indique que pour des buts et des moyens donnés il y a une manière et une seule d’optimaliser la production. Il s’oppose à l’approche de Ludwig von Mises, qui prend en considération l’action humaine, dans laquelle il y a toujours un élément entrepreneurial puisque ce sont les individus qui déterminent quels sont les buts et les moyens qui lui conviennent. Cette opposition est lourde de conséquences. En effet à partir de la conception de Robbins on débouche facilement sur une organisation socialiste de l’économie, le système économique étant bâti autour d’un projet social donné. Si cette conception devait être dominante demain en Europe, cela signifierait que l’on devrait s’attendre à ce que l’élargissement du marché et tout le bienfait que l’on pourrait en retirer soient plus que compensés par une extension du champ des interventions politiques en vue de réaliser un « projet social » impliquant une affectation des ressources, placée sous contrôle des pouvoirs publics – une perspective bien moins propice à la croissance économique. Voilà donc les deux questions décisives : 1- L’élargissement va-t-il provoquer une « offre de talent d’entreprendre » (cette expression ne me plaît qu’à moitié car il n’existe pas de véritable « marché » de la vigilance entrepreneuriale) ? 2- L’intégration économique européenne sera-t-elle ou non propice à cette éclosion entrepreneuriale, y aura-t-il liberté d’entrée sur les marchés ou dirigisme centralisé en vue de réglementer et de mieux « répartir » l’activité économique ? L’Europe, un marché ouvert ? Commençons par nous rappeler qu’historiquement les premières initiatives entrepreneuriales, les plus innovantes et les plus importantes, ont été prises dans ce qui était alors « l’aventure marchande 4 PDF created with pdfFactory trial version www.pdffactory.com SPECIAL Université d'Eté internationale ». Ce sont ces initiatives qui, progressivement, ont fondu le commerce national dans les échanges mondiaux. De façon paradoxale, l’élargissement de l’Europe aujourd’hui est l’héritage des marchands entrepreneurs des siècles passés. Mais nous devons aussi comprendre les leçons de cette histoire de la mondialisation. Il y a une raison pour laquelle le commerce international a fourni à l’esprit d’entreprise les premières occasions de s’exprimer : c’est qu’à l’époque il n’y avait aucune autorité susceptible d’interdire l’entrée de produits étrangers (ce qui pouvait contraster avec la réglementation qui pesait sur le commerce domestique). Il est d’ailleurs à remarquer qu’au XX° siècle, au plus haut des régimes socialistes planifiés, ce sont les maigres échanges internationaux qui ont pu sauvegarder des espaces de liberté – même si ces w2 ( ) Tj-0.456 Tc (m) Tj-0.048 Tc ( ) Tj0 Tc (d) Tj-0.456 Tc (i) Tj-0.396 Tc ( ( ) Tj-0.10Tj-0.-0.456 Tc (i) Tj-t) T 5 l'actualité qui nous fait réfléchir MISE A L’ETUDE DE LA TVA SOCIALE Les gouvernants préfèrent « ce qui se voit » à « ce qui ne se voit pas » : on sait cela depuis Bastiat. En matière de cotisations sociales, ce qu’on voit c’est leur croissance exponentielle et leur poids exorbitant. Ce qu’on ne voit pas c’est que cette situation résulte de l’ineptie d’un système de protection sociale qui a rejeté les règles de la libre assurance et de la concurrence. Nicolas Sarkozy n’échappe pas à sa destinée d’homme politique. Juste avant de quitter ses fonctions de ministre de l’économie pour celles de Président de l’UMP, il a accepté, à l’occasion du débat sur les prélèvements obligatoires, une mise à l’étude de ce que l’on appelle la TVA sociale : en clair, fautil remplacer une partie des cotisations sociales actuelles par une augmentation de la TVA sur les produits de consommation ? Il est vrai que le système actuel de financement par les cotisations sociales présente au moins trois défauts. Le premier, c’est l’ignorance dans laquelle sont entretenus les Français du coût réel de leur protection sociale : combien sont-ils à savoir que sur la valeur de leur travail, l’entreprise doit retenir (pour un SMIC par exemple) près de 55% en charges salariales et patronales ? Quant ils touchent 100, ils pourraient avoir 180 ! Combien de Français accepteraient le système actuel d’AssuranceMaladie ou de retraite s’ils savaient ce qu’il leur en coûte ? Le second, c’est que la cotisation est proportionnelle au revenu, ce qui, dans certains cas, est anormal, par exemple en matière d’Assurance-Maladie (même s’il y a heureusement un plafond) : alors que chacun est remboursé de la même façon, est-il normal que l’on paie d’autant plus cher son assurance que son revenu est élevé ? Que penserait-on d’un tel système pour l’assurance automobile, si on l’indexait sur le niveau des revenus ? Le troisième, c’est qu’un tel système joue à plein contre l’emploi, puisqu’il intègre dans le coût du travail une protection sociale obligatoire hors de prix. A coûts supérieurs, le travail est moins demandé et l’embauche est moindre, surtout en milieu concurrentiel. Il suffit pour le comprendre de comparer le système français (80% de charges en sus du salaire net) et le système anglais (20% de charges en tout) : qui va embaucher ? Les entreprises françaises ou les entreprises anglaises ? Le système français actuel crée massivement du chômage. Il est donc légitime d’envisager un système de substitution. La TVA règle-t-elle ces trois problèmes ? On a l’impression que le troisième pourrait être satisfaisant : cela permettrait de diminuer massivement les charges pesant sur le coût du travail et donc d’améliorer l’embauche. Pour les deux autres, on peut en douter. Une TVA sociale serait proportionnelle sinon aux revenus, en tous cas aux dépenses de consommation. Elle serait donc tout aussi éloignée d’un système d’assurance véritable. Et une TVA est quasiment invisible aux yeux des consommateurs, qui ne feraient sûrement pas le lien avec le financement de la protection sociale, dont le coût serait toujours ignoré. En revanche, les partisans du système font valoir qu’elle s’appliquerait à tous les produits (même importés) et pas seulement aux produits fabriqués en France. Et ils ajoutent que le système est appliqué au Danemark, avec succès en ce qui concerne l’emploi. Mais si les prix à la consommation augmentent, le pouvoir d’achat général diminuera, et la hausse de la fiscalité aura des effets désastreux pour l’emploi, que l’on veut pourtant stimuler avec cette même mesure. En réalité, la TVA sociale est un cautère sur une jambe de bois. La jambe de bois, ce que l’on veut cacher ou feindre d’ignorer, c’est l’explosion de la Sécurité Sociale. Le gouvernement, comme ceux qui l’ont précédé, ne sait plus où donner de la tête. Si les cotisations sociales ne cessent d’augmenter, rien ne sert de bricoler, il faut aller à la racine du mal. Commençons par rendre aux Français la liberté d’information : qu’ils sachent ce qui leur est prélevé, et pour cela qu’on commence par leur verser leur plein salaire, sans aucune retenue. La liberté d’information doit ensuite se prolonger par la liberté de s’assurer –quitte, comme pour l’automobile à imposer une assurance minimale obligatoire, et quitte à prévoir un « chèque-assurance » comparable au « chèque-éducation » pour les familles qui n’ont pas les ressources nécessaires. La liberté de l’assurance conduit à la liberté de choisir son assurance, et l’ouverture de ce secteur à la concurrence (ce qui est prévu par les textes européens, mais systématiquement rejeté par les autorités françaises). 6 PDF created with pdfFactory trial version www.pdffactory.com l'actualité qui nous fait réfléchir Bien évidemment, à part les mutuelles qui resteraient peut-être attachées à la répartition, les assureurs privés utiliseraient la technique de la capitalisation. En conclusion, aujourd’hui, ce qu’on voit c’est l’acharnement thérapeutique sur un système moribond. Ce qu’on ne voit pas, c’est la possibilité de garantir sérieusement aux Français une couverture sociale de meilleure qualité et pour un coût inférieur des deux tiers. La TVA n’est pas sociale. Aucun impôt n’est social. QUAND NOS MINISTRES DECOUVRENT LE MODELE SUEDOIS Décidemment, nos ministres voyagent beaucoup et cherchent à s’informer sur ce qui se passe à l’étranger. Il n’y a rien à redire à cela et si nos ministres pouvaient tirer quelques leçons des réformes entreprises à l’étranger, nous ne nous en plaindrions pas. Après avoir étudié le modèle danois en matière de lutte contre le chômage, puis le modèle canadien de réduction des dépenses publiques, les voilà qui passent à l’étude du modèle suédois. Certes, s’ils en étaient restés au « modèle socialdémocrate suédois » des années 60-70, ils ont du être étonnés par les changements intervenus dans ce pays. C’est le secrétaire d’Etat à la Réforme de l’Etat, Eric WOERTH, qui s’est chargé de cette mission et il a été étonné de ce qu’il a vu, au point de s’exclamer aussitôt par prudence que ce modèle n’était « pas transposable en tant que tel, même si la culture de transparence et d’évaluation suédoise doit trouver des applications en France ». Chaque fois qu’un ministre découvre qu’il y a autre chose dans le monde que le colbertisme à la française, il précise que c’est très intéressant, mais pas transposable. Certes, le système suédois a des limites évidentes et en particulier celle d’un coût exorbitant : les prélèvements obligatoires sont sensiblement plus élevés qu’en France, ce qui est tout dire (52% du PIB). Cela dit, les comptes publics sont même en excédent, après avoir connu des déficits records. Mais dans les années 90, on n’a juré que par « l’efficacité et la performance ». Résultat : le nombre de fonctionnaires publics est passé de 400 000 à 220 000 et le statut des agents publics est aujourd’hui identique à celui des employés du secteur privé. Dans les 13 ministères centraux, il n’y a plus que 4 000 agents. Mais qui fait alors le travail de l’administration ? Ce sont des agences indépendantes, au nombre de 300, employant des salariés de droit privé et avec une direction révocable à merci. Ces agences ont une très large autonomie d’action et de gestion. Et elles sont strictement contrôlées par une autre agence. Mais ce qui a étonné plus encore le ministre, c’est que cette transformation s’est faite sous l’œil bienveillant des syndicats et sans grève des Suédois. Comme l’a déclaré à Eric WOERTH le directeur général de l’agence de la gestion et de la rationalisation publique : « Ces derniers sont syndiqués à 80%. Les syndicats connaissent donc leur propre force et savent jusqu’où ils peuvent aller. Ils ne comptent pas sur le gouvernement ou la loi pour avancer, mais sur le fruit des négociations qu’ils mènent ». On a donc curieusement en même temps ce que le Figaro appelle un Etat « poids léger, géré comme une entreprise » et des prélèvements obligatoires élevés. Mais cette réforme de l’Etat ne défavorise pas l’emploi, au contraire, puisqu’il y a 5,2% de chômeurs contre 9,9% en France. Et l’objectif fixé par le gouvernement est de 4% seulement, avec un nombre de chômeurs de longue durée de 36 000 à peine ! Car l’agence nationale du travail suédoise s’emploie véritablement à rapprocher les chômeurs et les entreprises, avec des annonces en ligne où l’on peut déposer son CV et être mis en contact direct avec un recruteur. Tout d’ailleurs ne nous a pas emballés dans ce système et si les officiels suédois semblent fiers du fait que les services fiscaux ont accès, grâce à un numéro personnel unique attribué à chacun dès sa naissance, à l’ensemble des revenus salariaux et sociaux et même aux comptes bancaires des particuliers, on nous permettra de ne pas partager cet enthousiasme. 7 PDF created with pdfFactory trial version www.pdffactory.com l'actualité qui nous fait réfléchir Eric WOERTH, s’il n’en n’a pas retiré l’idée d’un modèle applicable clefs en main et s’il est sceptique devant la possibilité d’appliquer chez nous le système des agences, n’en revient pas moins avec la conviction qu’il faut faire changer les choses en France ; « impulser une méthode permanente de réforme » ; améliorer la productivité de l’administration, la qualité des services rendus ; suivre les engagements pris ; avoir une transparence sur les résultats. « La transparence est essentielle, car elle créé la confiance », affirme le ministre, tout émerveillé de voir qu’en Suède « les citoyens font confiance à l’Etat ». Notre ministre est donc plein de bonnes résolutions, et il veut mettre en place un baromètre de la réforme de l’Etat. Il reste encore au ministre deux efforts à faire : visiter quelques pays encore plus réformateurs, comme le Royaume-Uni, et convaincre ses collègues du gouvernement qu’il est possible de faire bouger les choses, même en France, même contre la volonté des dirigeants des syndicats accrochés à leurs privilèges. Ce dernier point sera sans doute le plus difficile, mais il ne faut pas décourager les bonnes volontés. UKRAINE : PREMIER TEST POUR L’EUROPE ELARGIE Les affrontements ukrainiens ont fatalement pris une dimension mondiale, à cause de l’intervention personnelle de Vladimir Poutine avant, pendant et après les élections et de l’enjeu pour la démocratie que représente le résultat du match Louchtchenko, anti-communiste et libéral, contre Ianoukovitch séide de la grande Russie et du KGB. Un match dans lequel les arbitres sont les Américains et les Européens. Le département d’Etat s’inquiète du comportement de Poutine : veut-il reconstruire la grande Russie au mépris de la démocratie, par des coups de force dont il a le secret ? Déclare-t-il la guerre à l’Occident ? Quant aux Européens, comme on l’a senti à La Haye, ils sont partagés entre les sympathies dont Poutine jouit en Allemagne et en France, et la détermination des nouveaux venus. Baltes (et notamment Estoniens), Polonais et Hongrois ne veulent pas permettre que l’Ukraine soit coupée de l’Europe libre à laquelle elle aspire. La suite vous dira si les pressions sur Poutine auront été suffisantes et si l’Union européenne est mûre pour se donner une diplomatie commune, comme le suggère la création d’un poste de ministre européen des affaires étrangères dans le projet de Constitution. Craignons que pour sauver les apparences d’un consensus, les dirigeants des 25 pays de l’Union s’arrêtent à de simples pétitions de principe, autant de vœux pieux face aux nouveaux envahisseurs. L’Irak avait divisé, l’Ukraine va-t-elle unir ? _________________________________________________________________________________ AU SOMMAIRE DU N°815 : EDITORIAL : Lisez Adam Smith : il donne les solutions ! pp. 1-2 CONJONCTURE : Faut-il soutenir le dollar ? pp. 2-3 SPÉCIAL UNIVERSITÉ D'ÉTÉ : I. Kirzner : quel esprit d’entreprise pour quelle Europe ? pp. 4-5 ACTUALITÉ QUI NOUS FAIT RÉFLÉCHIR : Mise à l’étude de la TVA sociale p. 6-7 – Quant nos ministres découvrent le modèle suédois p. 7-8 – Ukraine : premier test pour l’Europe élargie p. 8. ABONNEMENT DE 1 AN (40 Numéros) : € 35.00. ABONNEMENT DE SOUTIEN (UN AN) : € 95.00. LIBERTE ECONOMIQUE ET PROGRES SOCIAL 35 Avenue Mac Mahon - 75017 PARIS - Tél. : 01 43 80 55 18 8 PDF created with pdfFactory trial version www.pdffactory.com www.libres.org