la nouvelle lettre
Directeur de la publication : J. GARELLO
Commission Paritaire 63570
N° 815 27 Novembre 2004 Hebdomadaire 1
EDITORIAL
1
LISEZ ADAM SMITH : IL DONNE LES SOLUTIONS !
Avec Nicolas Sarkozy voici la majorité présidentielle nantie dun nouveau leader, qui a tenu à passer
avec les siens un pacte fondé sur un programme quil a voulu clair et complet (il la exposé dans le
Figaro du 19 novembre). Ce souci dhonnêteté intellectuelle et de respect démocratique lhonore.
On a trop tendance en France depuis assez longtemps à se prononcer sur les personnes, en laissant
de côté les idées et les choix de société.
Encore faut-il que les idées soient bonnes, et les choix judicieux. Ce que nous propose Nicolas
Sarkozy nest ni routinier, ni révolutionnaire. Il entend rompre avec limmobilisme qui plonge la
France dans la léthargie collective, mais pour autant il ne verse pas dans l« ultralibéralisme »
échevelé. Il se dit libéral, mais pour autant il se défend de toute attache idéologique, il préfère se
présenter comme un « pragmatique » : « Je ne me réveille pas chaque matin en lisant Adam Smith,
Ricardo ou Hayek, mais en cherchant des solutions ».
On peut se dire que cette forte confession est simplement habile, destinée à démontrer que le
Président de lUMP sait se tenir à lécart de tout sectarisme : homme ouvert au dialogue, il nest pas
prisonnier dun système de pensée. Dans un milieu politique et une nation qui ont perdu le goût de la
doctrine, voilà bien de quoi se rendre populaire et séduire tous azimuts.
Le problème, cest que pour orienter et mieux encore diriger une nation en panne de grand projet de
société, lhabileté politique et la popularité ne suffisent pas, et les solutions imaginées le matin en se
rasant font nécessairement long feu.
Aucun gouvernement ne peut se passer de doctrine. Keynes et Hayek ont été daccord pour déclarer
« Les idées mènent le monde ». Lun a inspiré les socialistes réformistes et les socio-démocrates ; de
Roosevelt à Carter, de Blum à Delors, des planistes aux syndicalistes. Lautre a été le maître de
Ludwig Erhard et du miracle allemand, ou de Margaret Thatcher et Ronald Reagan, ou de Vaclav
Klaus et de la résurrection tchèque, dAznar en Espagne et de Balserowicz en Pologne. Tous ont
reconnu leur dette à légard de ceux qui leur ont apporté compréhension du monde contemporain et
principes conduisant aux vraies solutions.
Ignorer la théorie pour ne sintéresser quà la pratique cest se condamner à des mesures de simple
opportunité, cest rejeter toute vision étendue dans lespace et le temps. Ceux qui ont envo des
hommes dans lespace ont commen par connaître les lois de Newton, et ce nest pas un
« empirisme organisateur » (Maurras) qui a guidé les premiers pas de lhomme sur la Lune.
Ainsi, dans le domaine de léconomie politique, les peuples ont-ils progressivement été amenés à
admettre que le bon vieil Adam Smith avait vu le monde comme il le fallait, à partir de la réalité
humaine qui pousse chacun de nous à échanger avec les autres. Disciple le plus profond dAdam
Smith, Frédéric Bastiat nous enseigne que la vie en société nest harmonieuse que si les uns rendent
service aux autres, puisque nous nous vendons mutuellement des biens et services de nature à
satisfaire nos besoins. Léconomie est ainsi à base de complémentarités, elle tire sa raison dêtre et
de se développer de lextrême diversité des êtres humains, de leurs goûts et de leurs capacités. Voilà
en quoi Adam Smith, Bastiat ou Hayek nous montrent la solution des problèmes contemporains, qui
sont en fait des problèmes récurrents.
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EDITORIAL
2
Au problème de la stagnation et du cmage, il faut répondre par la liberté dentreprendre et
déchanger. Cest lélargissement de lespace déchange qui fait la richesse des nations, qui
développe lesprit dentreprise, et toute politique dinspiration nationaliste et mercantiliste est à
proscrire. Au problème de la mondialisation et de la concurrence internationale, il faut répondre
par la compétitivité, la créativité, et non par des charges et des imts étouffants ou par des
privilèges et des monopoles publics. Au problème de la couverture des risques sociaux il faut
répondre par des mécanismes dassurances, ou par la solidarité communautaire, et non par une
pseudo-solidarité obligatoire, ruineuse et inefficace. Au problème de léducation et de
lenseignement il faut répondre par la pluralité des systèmes, par la mise en responsabilité des
familles et leur libre choix des établissements et des métiers. Au problème de lenvironnement il faut
répondre par la propriété privée des ressources naturelles.
Sil a quelque loisir ces prochaines semaines, que notre nouveau Président (de lUMP) prenne
quelques heures pour lire « La Constitution de la Liberté » dHayek, je lui promets quil y trouvera
toutes les réponses quil cherche, car je ne mets pas en doute son désir de trouver les réponses. Et
sil veut se détendre en même temps que sinstruire, quil parcoure quelques « Sophismes » de
Bastiat qui lui en diront beaucoup sur le travail, sur le cmage, sur le protectionnisme, sur la vie
politique, sur les fonctionnaires, sur lEtat, sur limt, sur la loi, sur la réglementation, sur la
Sécurité Sociale dont Bastiat avait annon la faillite avant même quelle nexistât. Notre
Président est assez doué pour faire son profit immédiat de ces saines lectures matinales.
Il sera vite persuadé quil existe des lois intemporelles et universelles de léconomie, des lois dont on
ne peut saffranchir puisquelles prodent de la nature même de la personne humaine.
Jacques Garello
Conjoncture
FAUT-IL SOUTENIR LE DOLLAR ?
Manifestement, Européens et Américains nont pas le même point de vue sur l’évolution actuelle
du dollar, qui vient de franchir un nouveau record à la baisse (1,30 dollar pour un euro). Alors que
les Européens veulent intervenir sur les marcs des changes, voilà que les Américains, par la
bouche du John SNOW, Secrétaire au Trésor, écartent le principe dune intervention concertée
des banques centrales pour soutenir le dollar. Pour lui, cest le marc qui doit terminer le taux
de change. Qui a raison ? Faut-il faire confiance aux interventions des banques centrales ou au
marc ? Aux changes fixes ou aux changes flottants ?
Cest la banque centrale qui défend les parités fixes
Nous avons connu pendant longtemps un système de taux de change fixes, à partir de la
conférence de Bretton Woods en 1944. Chaque pays terminait un taux de change officiel (qui
ne pouvait varier que dans détroites marges de fluctuations de + ou 1%), et sengageait à
fendre cette parité à tout prix. Mais comment fendre une parité fixée arbitrairement, alors que
depuis la fin du contrôle des changes chaque jour des milliers dopérateurs interviennent sur le
marc des changes pour acheter ou vendre telle ou telle devise ? Et ils ont de bonnes raisons de
le faire, par exemple à la suite dune exportation ou dune importation.
Mais qui fend la parité fixe ? C’est évidemment la banque centrale, qui doit tenter d’inverser
l’évolution du marc. Si une devise a tendance à monter contre le dollar par exemple, elle doit
vendre cette devise et acheter du dollar. Et si cest l’inverse, si une devise a tendance à baisser
contre le dollar, la banque centrale du pays concer doit racheter cette devise faible -pour la faire
monter- et vendre du dollar -pour le faire baisser. En apparence, cest simple : il suffit à la banque
centrale de faire le contraire du marc.
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Conjoncture
3
Oui, mais en réalité, cela sest révélé à l’usage beaucoup plus complexe. D’abord parce que les
sommes en jeu, qui séchangent tous les jours sur les marcs des changes, sont fabuleuses et
quaucune banque centrale, si riche soit-elle, ne peut contrarier durablement un mouvement de
fond du marc. Même en jetant dans la bataille toutes ses réserves, cela ny suffirait pas. Ce
nest donc guère possible en pratique de manière durable et les pays étaient conduits à revenir
régulièrement à des parités plus réalistes plus faibles (valuation) ou plus élevées (réévaluation).
Mais quest-ce que des changes fixes que l’on ne peut emcher à terme de varier, si ce nest que
par à-coups beaucoup plus dommageables quune évolution lente et régulière du marc.
Les parités fixes sont source de déséquilibres
Ensuite, ces interventions sur les marcs des changes ne sont pas sans conséquences
intérieures. Prenons dans l’après-guerre le cas de l’Allemagne : le redressement de ce pays, la
faible inflation, la confiance dans la monnaie ont conduit à des pressions de plus en plus fortes à
la hausse du mark. Pour l’emcher de monter, la Bundesbank devait sans cesse vendre des
marks (pour le faire baisser) et acheter dautres devises (pour les faire monter).
Or cette vente de mark entraînait une création immédiate de monnaie, ce qui fait que la masse
monétaire augmentait, ce qui menaçait à terme la stabilité des prix que l’Allemagne, pour des
raisons diverses et notamment historiques, tenait à tout prix à préserver. Résultat concret : le mark
na cessé de se réévaluer -en dépit des changes fixes- et les autres monnaies de perdre de la
valeur par rapport à lui. Faut-il avoir la cruauté de rappeler quen 1958 un franc valait un mark et
quà la veille de la création de l’euro il fallait 3,35 francs pour acheter un mark ? LAllemagne
devait en permanence choisir entre réévaluer régulièrement sa monnaie -ce qui revient à nier à
terme les changes fixes- ou accepter, au nom de la fense des parités fixes, de voir l’inflation
s’installer chez elle. Rien détonnant à ce quelle ait, comme dautres pays, choisi dans les années
70 la liberté en passant aux changes flottants.
Quant au cas inverse dune monnaie fixe attaquée à la baisse (comme cela a souvent été le cas
du franc français), il fallait utiliser nos réserves de changes officielles pour fendre le franc en
achetant du franc et en vendant des devises. Or celles-ci nétaient pas illimitées et à chaque fois
nous avons vite épuisé nos réserves de changes, comme le montre la situation du début 1958 ou
même celle des années 81-83 nous étions revenus en changes fixes par rapport au mark dans
le cadre du SME (avec trois valuations à l’actif du tandem Mauroy-Delors !).
La seule boussole, cest celle du marché libre
La fense dune parité est donc à la fois nuisible et irréaliste. Rien détonnant à cela, comme
FRIEDMAN l’avait montré s 1960, alors que nous étions encore dans le monde entier en
changes fixes. Les changes fixes ne sont rien dautre quun prix bloqué et ils ont tous les
inconvénients du contrôle des prix et du faux prix qu’ils engendrent. Voilà pourquoi, grâce à ces
analyses, mais aussi à la cruauté des réalités, les mentalités ont évol et on a choisi dans les
années 70 de passer aux changes flottants, ce qui a été officiellement confirmé par le nouveau
Système Monétaire International le 1er avril 1978.
Voilà qui éclaire le débat sur le prix actuel du dollar. Est-il trop haut ? Est-il trop bas ? Il est à son
bon prix, qui est le prix du marc (à condition que le marc ne soit pas manipulé ou influencé
par des taux d’intérêt artificiels, mais ceci est un autre débat). Ceux qui veulent que la BCE (ou la
Fed) soutienne le dollar -et fassent baisser l’euro- ont donc choisi les faux prix. C’est un énorme
retour en arrière, qui nous ramène à l’époque des changes fixes. Avec un faut de plus : en
changes fixes, on savait quelle était la valeur « officielle ». Ici, cest pire car on joue en aveugle,
puisquon ne sait pas quel est l’objectif fixé par les banques centrales (1,3 ou 1,2 ou 1 pour 1, qui
le sait ?), ce qui rend le système encore plus instable et artificiel.
Finalement, une intervention de la BCE pour faire monter le dollar ne servirait à rien (puisquelle
naurait pas assez de munitions pour lutter durablement contre le marc), serait inflationniste (car
elle conduirait à une création deuros) et aboutirait à un faux prix, ne correspondant pas aux
réalités économiques. A ces artifices, nous préférons la boussole du marc, car elle indique la
bonne direction. Une direction sans doute sensible à la dette publique et extérieure des Etats-Unis
(ce qui pousse le dollar à la baisse) mais aussi à la conjoncture mondiale et aux incertitudes
européennes (ce qui permettrait au dollar de remonter).
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SPECIAL Université d'E
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I. KIRZNER : QUEL ESPRIT DENTREPRISE POUR QUELLE EUROPE ?
Troisième matinée de lUniversité dEté (Aix, Mardi 31 août 2004) : le Professeur Israël KIRZNER,
présenté par Pierre GARELLO, prononce la conférence tant attendue, puisque cet éminent
économiste de New York University doit sa renommée à sa théorie de lentrepreneur.
Son élargissement offre à lEurope des perspectives tout à fait nouvelles. Depuis Adam Smith, on sait
que louverture des marchés est une bonne chose parce quelle permet une division du travail plus
poussée, une plus grande circulation des capitaux et des ressources productives, bref une disparition
de toutes les barrières au commerce.
Pourtant, ce nest pas lélargissement des marchés qui, en lui-même et de fon automatique, crée les
conditions de la croissance et de la richesse des nations. La croissance ne sera effective que si le talent
et lesprit dentreprise passent par là. La vraie question qui se pose aujourdhui est donc celle-ci : la
future Europe sera-t-elle propice à lart dentreprendre ?
Quelle est la mission des entrepreneurs ?
Pour répondre à cette question il faut évidemment savoir ce que lon attend dun entrepreneur, et
comment il contribue à la croissance économique.
Dans mon esprit, il ne fait pas de doute que lart dentreprendre consiste à être vigilant aux indications
du marché, ce qui se concrétise par le fait quun entrepreneur a un talent pour lancer des affaires, pour
prendre des initiatives créatives.
Mais par contraste lopinion des économistes sur ce sujet est assez ambiguë. On constate par exemple
que toute la théorie économique des néo-classiques, quand ils veulent expliquer le marché, est bâtie
sans référence aucune à lentrepreneur. Pour eux, limportant dans la vie économique est de faire les
bons choix en matière daffectation des ressources productives. Cest le concept de Lionel Robbins,
qui indique que pour des buts et des moyens donnés il y a une manière et une seule doptimaliser la
production.
Il soppose à lapproche de Ludwig von Mises, qui prend en considération laction humaine, dans
laquelle il y a toujours un élément entrepreneurial puisque ce sont les individus qui déterminent quels
sont les buts et les moyens qui lui conviennent.
Cette opposition est lourde de conséquences. En effet à partir de la conception de Robbins on
débouche facilement sur une organisation socialiste de léconomie, le système économique étant bâti
autour dun projet social donné.
Si cette conception devait être dominante demain en Europe, cela signifierait que lon devrait
sattendre à ce que lélargissement du marché et tout le bienfait que lon pourrait en retirer soient plus
que compensés par une extension du champ des interventions politiques en vue de réaliser un « projet
social » impliquant une affectation des ressources, placée sous contrôle des pouvoirs publics une
perspective bien moins propice à la croissance économique.
Voilà donc les deux questions décisives :
1- Lélargissement va-t-il provoquer une « offre de talent dentreprendre » (cette expression ne
me plaît quà moitié car il nexiste pas de véritable « marché » de la vigilance entrepreneuriale) ?
2- Lintégration économique européenne sera-t-elle ou non propice à cette éclosion
entrepreneuriale, y aura-t-il liberté dentrée sur les marchés ou dirigisme centralisé en vue de
réglementer et de mieux « répartir » lactivité économique ?
LEurope, un marché ouvert ?
Commençons par nous rappeler quhistoriquement les premières initiatives entrepreneuriales, les plus
innovantes et les plus importantes, ont été prises dans ce qui était alors « laventure marchande
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SPECIAL Université d'E
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internationale ». Ce sont ces initiatives qui, progressivement, ont fondu le commerce national dans les
échanges mondiaux. De fon paradoxale, lélargissement de lEurope aujourdhui est lhéritage des
marchands entrepreneurs des siècles passés.
Mais nous devons aussi comprendre les lons de cette histoire de la mondialisation. Il y a une raison
pour laquelle le commerce international a fourni à lesprit dentreprise les premières occasions de
sexprimer : cest quà lépoque il ny avait aucune autorité susceptible dinterdire lentrée de produits
étrangers (ce qui pouvait contraster avec la réglementation qui pesait sur le commerce domestique). Il
est dailleurs à remarquer quau XX° siècle, au plus haut des régimes socialistes planifiés, ce sont les
maigres échanges internationaux qui ont pu sauvegarder des espaces de liberté même si ces
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