Conjoncture
Oui, mais en réalité, cela s’est révélé à l’usage beaucoup plus complexe. D’abord parce que les
sommes en jeu, qui s’échangent tous les jours sur les marchés des changes, sont fabuleuses et
qu’aucune banque centrale, si riche soit-elle, ne peut contrarier durablement un mouvement de
fond du marché. Même en jetant dans la bataille toutes ses réserves, cela n’y suffirait pas. Ce
n’est donc guère possible en pratique de manière durable et les pays étaient conduits à revenir
régulièrement à des parités plus réalistes plus faibles (dévaluation) ou plus élevées (réévaluation).
Mais qu’est-ce que des changes fixes que l’on ne peut empêcher à terme de varier, si ce n’est que
par à-coups beaucoup plus dommageables qu’une évolution lente et régulière du marché.
Les parités fixes sont source de déséquilibres
Ensuite, ces interventions sur les marchés des changes ne sont pas sans conséquences
intérieures. Prenons dans l’après-guerre le cas de l’Allemagne : le redressement de ce pays, la
faible inflation, la confiance dans la monnaie ont conduit à des pressions de plus en plus fortes à
la hausse du mark. Pour l’empêcher de monter, la Bundesbank devait sans cesse vendre des
marks (pour le faire baisser) et acheter d’autres devises (pour les faire monter).
Or cette vente de mark entraînait une création immédiate de monnaie, ce qui fait que la masse
monétaire augmentait, ce qui menaçait à terme la stabilité des prix que l’Allemagne, pour des
raisons diverses et notamment historiques, tenait à tout prix à préserver. Résultat concret : le mark
n’a cessé de se réévaluer -en dépit des changes fixes- et les autres monnaies de perdre de la
valeur par rapport à lui. Faut-il avoir la cruauté de rappeler qu’en 1958 un franc valait un mark et
qu’à la veille de la création de l’euro il fallait 3,35 francs pour acheter un mark ? L’Allemagne
devait en permanence choisir entre réévaluer régulièrement sa monnaie -ce qui revient à nier à
terme les changes fixes- ou accepter, au nom de la défense des parités fixes, de voir l’inflation
s’installer chez elle. Rien d’étonnant à ce qu’elle ait, comme d’autres pays, choisi dans les années
70 la liberté en passant aux changes flottants.
Quant au cas inverse d’une monnaie fixe attaquée à la baisse (comme cela a souvent été le cas
du franc français), il fallait utiliser nos réserves de changes officielles pour défendre le franc en
achetant du franc et en vendant des devises. Or celles-ci n’étaient pas illimitées et à chaque fois
nous avons vite épuisé nos réserves de changes, comme le montre la situation du début 1958 ou
même celle des années 81-83 où nous étions revenus en changes fixes par rapport au mark dans
le cadre du SME (avec trois dévaluations à l’actif du tandem Mauroy-Delors !).
La seule boussole, c’est celle du marché libre
La défense d’une parité est donc à la fois nuisible et irréaliste. Rien d’étonnant à cela, comme
FRIEDMAN l’avait montré dès 1960, alors que nous étions encore dans le monde entier en
changes fixes. Les changes fixes ne sont rien d’autre qu’un prix bloqué et ils ont tous les
inconvénients du contrôle des prix et du faux prix qu’ils engendrent. Voilà pourquoi, grâce à ces
analyses, mais aussi à la cruauté des réalités, les mentalités ont évolué et on a choisi dans les
années 70 de passer aux changes flottants, ce qui a été officiellement confirmé par le nouveau
Système Monétaire International le 1er avril 1978.
Voilà qui éclaire le débat sur le prix actuel du dollar. Est-il trop haut ? Est-il trop bas ? Il est à son
bon prix, qui est le prix du marché (à condition que le marché ne soit pas manipulé ou influencé
par des taux d’intérêt artificiels, mais ceci est un autre débat). Ceux qui veulent que la BCE (ou la
Fed) soutienne le dollar -et fassent baisser l’euro- ont donc choisi les faux prix. C’est un énorme
retour en arrière, qui nous ramène à l’époque des changes fixes. Avec un défaut de plus : en
changes fixes, on savait qu’elle était la valeur « officielle ». Ici, c’est pire car on joue en aveugle,
puisqu’on ne sait pas quel est l’objectif fixé par les banques centrales (1,3 ou 1,2 ou 1 pour 1, qui
le sait ?), ce qui rend le système encore plus instable et artificiel.
Finalement, une intervention de la BCE pour faire monter le dollar ne servirait à rien (puisqu’elle
n’aurait pas assez de munitions pour lutter durablement contre le marché), serait inflationniste (car
elle conduirait à une création d’euros) et aboutirait à un faux prix, ne correspondant pas aux
réalités économiques. A ces artifices, nous préférons la boussole du marché, car elle indique la
bonne direction. Une direction sans doute sensible à la dette publique et extérieure des Etats-Unis
(ce qui pousse le dollar à la baisse) mais aussi à la conjoncture mondiale et aux incertitudes
européennes (ce qui permettrait au dollar de remonter).
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