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L’Evénement syndical
no 12/13 – 23 mars 2016
2
courrier
« Jouer, c’est s’oublier »
Comédien, metteur en scène, homme de théâtre,
Pierre-Pascal
cultive l’humour, souvent mordant. Entre deux éclats de rire...
profil
Tamedia doit s’engager
pour des CCT
arce qu’il avait peur de
traverser son exis-
tence comme un zom-
bie, «sans être vrai-
ment vivant»,
Pierre-Pascal Nan-
chen a décidé de troquer son cos
-
tume d’architecte contre celui de
comédien. Un changement de
rôle opéré à l’âge de 30 ans, contre
toute attente, et bien que ses af
-
faires roulaient. Mais son rêve, en
-
fant, de devenir clown et son
amour des planches, sur les
-
quelles il s’était déjà souvent pro
-
duit, l’ont rattrapé. Cédant à sa
passion, le Valaisan monte dans
le chariot de Thespis et suit, en
2003, l’école de théâtre Serge Mar
-
tin à Genève. Enfin, il peut s’im
-
merger totalement dans le monde
des histoires, courtiser l’imagi
-
naire, explorer l’âme humaine de
l’intérieur. Enfin, il peut embras
-
ser pleinement son désir de se dé
-
passer, sortir de son pré carré, ex
-
plorer ses multiples facettes.
«Avant, je construisais du solide.
Aujourd’hui, je vends du vent et
c’est bien plus solide», affirme
l’homme de théâtre de 43 ans qui,
depuis, a parcouru un sacré che
-
min dans le domaine. Ecriture,
dramaturgie, scénographie, créa
-
tion de spectacles, enseignement,
soutien de troupes... Le touche-à-
tout fonde de surcroît, en 2012,
avec son amie Cathy Sottas, co
-
médienne elle aussi, la compa
-
gnie l’Obsidienne. Du nom de
cette roche volcanique propre à
symboliser le feu de sa passion.
Ou encore, complète-t-il, s’amu
-
sant avec les mots, pour évoquer
l’idée de pierre et carrière...
Le feu de la passion
Une structure dans tous les cas
adaptée à l’expression des envies
de cet homme-orchestre. «J’adore
jouer mais aussi m’occuper des lu
-
mières, du décor. J’aime penser,
projeter des histoires, en écrire
aussi.» Une approche globale que
défendait déjà l’architecte. «Je ne
pouvais imaginer exercer ce mé
-
tier sans savoir poser une brique...»
Même dynamique donc mais au
travers désormais de nouvelles
constructions, le plus souvent ci
-
mentées par une bonne dose hu
-
mour. Qu’il soit noir, corrosif, dé
-
calé, relevant d’extravagances, de
situations cocasses... Pierre-Pas
-
cal Nanchen cultive cette «poli
-
tesse du désespoir», formule at
-
tribuée à différents auteurs, qu’il
qualifie de très belle. Un humour
exutoire, soupape, respiration ou
pied de nez aux paradoxes de la
société, au côté absurde de la vie.
Mais peut-on rire de tout? «Oui.
Comment pourrait-on mettre des
limites à ce réflexe», répond l’ar-
tiste qui apprécie en particulier
les histoires touchant aux rap-
ports humains et dont l’inspi-
ration, plurielle, se nourrit aussi
bien d’événements du passé que
contemporains. «Au final, depuis
la nuit des temps, on joue toujours
l’être humain. Eros et Thanatos.
L’harmonie et le chaos. On refait
le monde à chaque fois. Et, comme
au temps des Grecs, on rit. Il y a
toujours cet autre d’un autre...»
Des petites serrures
Fan de Chaplin et de Buster Kea-
ton, particulièrement à l’aise
dans la pantomime, le burlesque,
le comédien se glisse aussi vo-
lontiers dans la peau du salaud
que celle du naïf. «Il faut savoir
être méchant pour interpréter
les gentils, connaître l’ombre
pour découvrir la lumière et ses
nuances. Mais bien sûr, ces fa-
cettes résonnent différemment
en moi» précise Pierre-Pascal
Nanchen soulignant, expres-
sif, l’aspect «angélique et mons-
trueux de chacun». «Comme sur
un grand orgue, le théâtre per-
met de jouer toute une gamme
de notes, quelles qu’elles soient,
pour mieux les canaliser, les gé-
rer, regarder en nous.» Avant
de se soumettre au regard des
autres... «En montant sur les
planches, j’ai le trac, bien sûr,
mais il procure une saine exci-
tation... A l’issue du spectacle, je
suis le plus souvent en mode es-
sorage», poursuit ce gai luron, dé-
bordant d’énergie, emporté par
un flot de paroles lorsqu’il tente
d’expliquer le ressenti quasi ma-
gique de la scène et la richesse du
partage avec le public. «Quand
on joue bien, il y a comme des
choses qui s’ouvrent. On se sent
vivant. Le préfabriqué, les préju-
gés volent en éclat. Jouer, c’est
s’oublier. Au profit de soi. Des
autres. Pour qui on est autant
de petites serrures. On fait par-
tie d’un tout qui nous dépasse.»
Une intensité qui n’est certes
pas étrangère à la grande sensi-
bilité de l’acteur et à son engage-
ment total dans les pièces, physi-
quement, mentalement. Tout en
étant attentif à ne pas se mettre
trop avant, à offrir le meilleur es-
pace à ses partenaires de jeux...
Dans la foulée, Pierre-Pascal Nan-
chen évoque encore le caractère li-
bérateur du théâtre, relevant que
les rôles joués – «peut-être aus-
si une manière de me cacher de
moi» – lui donnent la possibilité
d’échapper à une seule étiquette.
«Depuis tout petit, on nous de-
mande de nous définir et après
on reste enfermé dans ce champ.
C’est peut-être pourtant l’informe
qui nous définit», lance le quadra-
génaire fourmillant d’idées, qui
a fait de la curiosité son moteur
dans l’existence et accepte volon-
tiers de se laisser bousculer, dé-
ranger, heureux d’apprendre à
tout âge. Non sans crainte, d’au-
tant plus que la voie choisie par
cet indépendant est précaire. «Je
crève de trouille mais j’agis quand
même. J’ai peur d’être statique.
D’avancer. Mais cette peur me met
en condition. Je veille à ce qu’elle
ne se transforme pas en angoisse,
alors nécrotique», confie le Va-
laisan qui se dit néanmoins heu-
reux malgré les difficultés, asso-
ciant le bonheur «à la possibilité
de goûter aux choses» et menant
l’existence désirée. Avec plusieurs
atouts en main dont son joker, le
rire, cette si précieuse distance... Et
alors qu’il se dit ému par l’image
du clown ôtant, le rideau tiré, son
maquillage. «Le masque enlevé,
c’est parfois le désert...»
Sonya Mermoud K
Davantage d’informations:
www.obsidienne-compagnie.ch
Pierre-Pascal Nanchen prépare une nouvelle pièce intitulée,
«Attention: humour!». Un spectacle inspiré de la bande dessinée
Idées noires, de Franquin.
Thierry Porchet