de comprendre la plasticité, le jeu des formes ? Cas échéant, toutes les formes, tous
les objets visuels (ou audiovisuels) sont-ils susceptibles d’être ressaisis au moyen d’un
seul et unique appareil conceptuel, ou bien l’esthétique est-elle contrainte de se re-
spécifier en fonction des exigences inhérentes à tel ou tel objet ? C’est que, pour le
dire brutalement, une chose est de parler d’esthétique, une autre, d’esthétique des
images, une autre encore, d’esthétique du cinéma.
On pourrait, au demeurant, se demander dans quelle mesure l’esthétique peut encore
s’étalonner sur un médium, ou sur un dispositif corrélé à ce médium. Plus largement,
quels sont (ou peuvent être) les objets de l’esthétique ? Sans doute, au temps présent,
l’idée d’esthétique du cinéma ne peut avoir ni le même sens, ni la même pertinence
que dans les années 1920, dès lors qu’elle ne coïncide plus qu’en partie avec l’état
contemporain des images en mouvement – l’image filmique étant désormais, ainsi
qu’on le sait, à la fois au-dedans et au-dehors du cinéma (ici identifié au dispositif selon
lequel il s’est majoritairement établi).
Questions de disciplines
Se demander « ce que permet l’esthétique » implique aussi de revenir sur certaines
découpes structurantes qui informent nos tentatives d’élaboration de savoirs vis-à-vis
du cinéma. Au premier chef, celle-ci : Histoire, esthétique. Quoique communément
énoncée, cette articulation ne va pas de soi et mérite, à ce titre, d’être réexaminée :
« Comment faire l’histoire de ces images ? comment faire l’histoire des dispositifs dans
lesquels elles ont été produites ? et l’histoire des conceptions de l’image dont elles
relèvent2 ?» Si, ainsi que le suggère Jacques Aumont, ce qui concerne le cinéma en
tant qu’image (ou ensemble d’images hétérogènes) et les singularités formelles des
films ne se laisse guère agencer sans difficulté selon la raison historienne, comment
articuler, malgré tout, histoire et esthétique ? Selon quelles modalités ou sous quelle(s)
forme(s) ? Les modèles en vigueur dans le champ de l’histoire de l’art, par exemple,
l’usage régulier de périodisations conçues en termes de styles, peuvent-ils être de
quelque secours, s’agissant du cinéma ?
L’interaction disciplinaire, par laquelle l’esthétique trouve à se redéfinir, ne s’arrête
évidemment pas là. Quoique rapportable, en premier lieu, à l’histoire et à la philosophie
de l’art, la théorie esthétique se nourrit aussi bien, et c’est particulièrement visible
aujourd’hui, des acquis de l’anthropologie ou de la biologie. Voilà une dizaine
d’années, un colloque au Fresnoy intitulé Plasticité, signes des temps avait ainsi
regroupé, autour d’une même table, un biologiste, un philosophe et un historien d’art.
Aujourd’hui, l’exposition sur La Fabrique des images, présentée au Musée du Quai
Branly, repense le territoire du figurable à partir de quatre modèles, dressés sur des
catégories d’ordre anthropologique.
Rappelons que les théories esthétiques ont aussi, tout au long de leur histoire, joué
d’autres articulations disciplinaires, en empruntant des outils théoriques aux
mathématiques (la géométrie, les algorithmes, la théorie des catastrophes) et à la
physique (les lois de la relativité, de la physique quantique). Ces modèles ont permis
2 Jacques Aumont, « L’histoire du cinéma n’existe pas » in Cinémas, vol. 21, n° 2-3, Des procédures
historiographiques en cinéma, à paraître.