24 |Migros Magazine 5, 26 janvier 2009
«Les extraterrestres
existent»
Professeur au département d’astronomie de l’Université de Genève, Stéphane Udry
prédit l’imminence de la prochaine révolution copernicienne: apporter la preuve
que nous ne sommes pas seuls dans l’univers.Explications.
Pourquoi, en tant qu’astronome,
êtes-vous tellement sûr que
d’autres terresexistent et que la
vie s’est développée ailleurs?
Parce que la formation des planè-
tes est intrinsèquement liée à la
formation des étoiles. Lors de ce
qu’on pense avoir été le début de
l’univers le Big Bang il y a eu
création surtout d’hydrogène et
d’hélium. La plupart des autres
éléments ont été fabriqués, en-
suite, par fusion nucléaire, àl’in-
térieur des étoiles. Une étoile
brille parce qu’il y a fusion d’hy-
drogène, qui donne de l’hélium,
puis, par fusions successives, du
carbone, de l’oxygène, etc., jusqu’au
fer. Tous les éléments constitutifs
de la vie carbone, azote, oxygène
sont fabriqués par les étoiles, et
existent donc partout. On trouve
des molécules organiques même
dans le milieu interstellaire.
N’empêche, pour le développement
d’une vie évoluée, il a fallu tellement
de coïncidences: cela peut-il vrai-
ment se reproduire ailleurs?
Dans les mêmes conditions exac-
tement que sur la Terre probable-
ment pas. Pourtant, même sur
terre, dans des lacs sous la ban-
quise en Antarctique, ou dans les
points chauds du fond des océans,
on trouve des bactéries. La vie est
capable de s’adapter à des condi-
tions extrêmes. Elle se développe
facilement autour du carbone
parce que cet élément permet des
combinaisons multiples pour for-
mer des molécules. La vie sur
terre n’en utilise qu’une partie. Il
existe toute une gamme de possi-
bilités non explorées pour le déve-
loppement du vivant, surtout que
le carbone est un des éléments les
plus abondants dans l’univers.
Bien sûr on parle là de formes de
vie élémentaires. Pour une évolu-
tion jusqu’à une vie intelligente, il
faut des étapes supplémentaires.
Certains pensent que cette évolu-
tion vers la complexité est natu-
relle, d’autres font intervenir des
forces supérieures.
Votre spécialité, c’est la détection
de planètes hors du système
solaire, les exoplanètes. Avec
l’idée de trouver des jumelles de la
Terre. Où en est cette quête?
Nos derniers sultats montrent
que 30% des étoiles abriteraient
ce genre de planètes. En fait, plus
nous découvrons de planètes, plus
nous approchons de l’idée que
pratiquement chaque étoile pos-
sède une planète semblable à la
Terre.Il y a 200 milliards d’étoiles
dans notre galaxie et il existe des
milliards de galaxies… On pour-
rait trouver l’univers bien vaste
mais tout cela reste en même
temps très proche de l’homme.
Nous essayons de pondre à des
questions que les Grecs de l’Anti-
quité se posaient déjà. Par exem-
ple celle de la pluralité des mon-
des. Sommes-nous seuls dans
l’univers? Nous nous trouvons
aujourd’hui à un stade où la science
commence à donner des ponses
objectives à ces questions.
Comme d’affirmer, ainsi que vous
le faites, que d’ici à vingt ou trente
ans, des traces d’une vie extrater-
restre auront été trouvées…
Nous avons déjà détecté plus de 300
planètes. Au début certes surtout
des planètes massives comme Jupi-
ter parce que ce sont ces planètes
que nos mesures sont capables d’ap-
préhender le plus facilement. Nous
avons amélioré notre instrumenta-
tion, et pouvons désormais détecter
des planètes de moins de deux fois
la masse de la Terre.Nous avons
besoin maintenant d’une instru-
mentation encore plus adéquate
pour détecter des planètes sembla-
bles à la Terre, plus légères et suffi-
samment éloignées de leur étoile.
Pourquoi ça?
Pour l’apparition de la vie, il faut
d’abord que la planète soit solide.
Sur une planète comme Jupiter
faite principalement de gaz, on a
peu de chances de voir une vie se
développer. Ensuite, il y a une
question de température. Le déve-
loppement de la vie est lié à la
présence d’eau sous forme liquide,
l’eau étant un solvant très impor-
tant pour les combinaisons chimi-
ques autour du carbone. Il faut
donc une petite planète, à une dis-
tance de son étoile telle que la
température soit comprise entre
zéro et cent degrés, c’est-à-dire
environ la distance Terre-Soleil.
Pour l’instant nous trouvons des
petites planètes mais beaucoup
plus proches de leur étoile, avec
des températures de mille degrés
à la surface, ou alors des planètes
à bonne distance, mais de la taille
de Jupiter.
L’an dernier vous n’êtes pas passé
loin du jackpot…
Oui, nous avons détecté deux pla-
nètes du système Gliese 581 qui se
situent aux limites de ce que nous
appelons la zone habitable autour
de l’étoile, là où l’eau existe sous
forme liquide, une du côté froid,
une du côté chaud. Cela montre
que nous avons la précision pour
en trouver une au milieu. Nous
suivons ainsi plusieurs centaines
de petites étoiles, pour en détec-
ter une qui aurait une planète
Bio express
1961: naissance à Sion
1981: maturité au Collège des Creusets, à Sion
1986: diplôme de physique à l’Université de Genève
1992: thèse de doctorat sur la modélisation des galaxies.
Post-doctorat aux USA
1994: retour en Suisse «pour des raisons familiales». Rejoint
l’Observatoire de Genève, qui découvre cette année-là la première
exoplanète.
2007: nommé professeur ordinaire au département d’astronomie
de l’Université de Genève où il remplace Michel Mayor.
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EN PAGE 27
«Nous avons
déjà détecté
plus de 300
planètes»
entretien STÉPHANE UDRY |25
Le Valaisan Stéphane
Udry est professeur
ordinaire d’astronomie
àl’Université de Genève
depuis 2007.
Migros Magazine 5, 26 janvier 2009 entretien STÉPHANE UDRY |27
juste au bon endroit. Nos
mesures ne nous fournis-
sent cependant que la masse de la
planète et la séparation entre
l’étoile et la planète, ce qui n’est
pas suffisant pour se prononcer
sur la présence d’une forme de
vie. Nous n’avons pas encore accès
à des informations comme la taille
ou la composition de l’atmosphè-
re. On ne sait pas par exemple si
sur telle planète idéalement pla-
cée il n’y aurait pas un effet de
serre très fort (comme sur nus)
qui ferait monter la température
à plusieurs centaines de degrés,
ou si elle est faite de glace plutôt
que de roche. Dans les cas les
plus favorables, de telles informa-
tions pourront être obtenues par
des mesures effectuées depuis
l’espace.
Ces planètes semblables à la Terre
sont à des distances qui découra-
gent quand même tous les fantas-
mes…
Gliese par exemple est une des étoi-
les les plus proches du Soleil, à une
vingtaine d’années-lumière. L’étoile
la plus proche étant située à un peu
plus de trois années-lumière. Pour
donner une comparaison entre la
taille des étoiles et leurs distances,
si notre Soleil est une balle de ping-
pong, ici, l’étoile la plus proche est
une balle de ping-pong à Londres,
alors que les planètes du système
solaire resteraient dans notre voisi-
nage immédiat. Même si nous
améliorons nos moyens de propul-
sion et qu’on puisse aller au mil-
lième, voire au centième de la vi-
tesse de la lumière, ça ne suffirait
évidemment pas.
Et envoyer des messages dans
l’espace ou écouter l’espace,
comme cela se fait depuis des
années?
Chercher directement des traces
d’intelligence dans l’univers, c’est
un peu brûler les étapes, comme
jouer à la loterie plutôt que de tra-
vailler tous les jours pour gagner
de l’argent. Les chances de us-
site me paraissent minces.
Quelqu’un qui écoute la Terre
maintenant perçoit des ondes ra-
dio, mais deux cents ans plus tôt,
il n’aurait rien capté, et dans cent
ans il n’y aura peut-être plus rien,
tout sera enter.L’échelle tempo-
relle pendant laquelle une civili-
sation utilise ce genre de commu-
nication peut être assez courte.
En plus, les civilisations disparais-
sent. Pour communiquer il fau-
drait déjà qu’elles soient contem-
poraines. Au vu des connaissances
que nous avons de la physique,
entrer en relation avec des civili-
sations extraterrestres pourrait
prendre des centaines, voire des
milliers d’années. Oui les extra-
terrestres existent, mais chez
eux.
Il n’y a même pas d’observation
directe possible… Ces planètes
personne ne les a jamais vues...
Une planète est un milliard de fois
moins brillante que son étoile,
donc on ne peut pas la voir, du
moins pas encore. Ce que l’on va
chercher à observer, c’est l’effet
perturbateur de la planète sur
l’étoile. Plus la planète est proche
ou massive, plus l’étoile va tourner
très vite autour du centre de gra-
vité du système et véler ainsi la
présence de la planète. C’est la mé-
thode dite des vitesses radiales.
Et c’est tout?
Non, pour certaines configura-
tions particulières, la planète
passe entre l’observateur et l’étoi-
le et cache ainsi une partie de sa
lumière. C’est ce qu’on appelle la
méthode des transits qui nous in-
forme sur la taille de la planète.
Plus la planète est grosse, plus elle
cache une grande partie du disque
de l’étoile. Les mesures de vitesse
quant à elles nous renseignent sur
la masse de la planète, la combi-
naison des deux donne ainsi accès
à sa densité.
Tout cela ne dit encore pas si une
planète est habitable...
Pour être capable de dire quelque
chose sur l’habitabilité d’une pla-
nète, il faut trouver des traceurs de
vie. Si on regarde de loin la Terre,
on remarque dans sa lumière la
signature d’éléments chimiques
contenus dans son atmosphère: du
gaz carbonique, des traces d’eau, et
de l’oxygène qui n’y apparaît en
grande quantité que parce que le
vivant, par la photosynthèse, relâ-
che beaucoup d’oxygène dans l’at-
mosphère. Le défi est donc pour
nous maintenant de voir la lumière
qui viendrait d’une planète pour
avoir accès à la composition chimi-
que de son atmosphère.
Et comment?
Nous avons besoin de grands téles-
copes, d’un grand pouvoir de so-
lution, et d’être capables de cacher
l’étoile: pour voir la planète juste à
côté, il faut «éteindre» l’étoile. On
peut soit mettre un masque devant
l’étoile ce sont les techniques de
coronographie ou alors combi-
ner la lumière de plusieurs télesco-
pes, plutôt dans l’espace pour ne
pas avoir les effets perturbateurs
de l’atmosphère. C’est ce genre de
projets qui peuvent prendre vingt
à trente ans à être mis en place.
Supposons justement que l’on an-
nonce dans vingt ou trente ans avoir
la preuve d’une vie extraterrestre.
Qu’est-ce que cela changerait?
Des sociologues commencent à se
pencher sur cette question. L’im-
pact serait profond si l’on détectait
une vie un peu évoluée. Mais avec
la science-fiction, le cinéma, une
grande partie des gens ont déjà in-
tégré cette notion. Il est assez hal-
lucinant de voir certains sondages
aux Etats-Unis où 70% des gens
affirment croire à l’existence des
extraterrestres, sur la base de séries
de science-fiction. La simple dé-
tection d’une vie élémentaire sur
une autre planète éliminerait au
moins, une fois pour toutes, cette
idée que nous sommes quelque
chose d’unique n’ayant pas pu se
reproduire ailleurs. Cette vision
orgueilleuse de la place de l’hom-
me dans le cosmos va disparaître.
Dans l’histoire de notre vision du
monde, nous avons d’abord enlevé
la Terre du centre de l’univers, puis
le Soleil. La prochaine volution
copernicienne consistera à en reti-
rerl’homme. Je pense que nous
sommes proches d’y arriver.
Propos recueillis par Laurent Nicolet
Photos Mathieu Rod
«Une planète est un milliard de fois
moins brillante que son étoile»
www.migrosmagazine.ch
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sur les extraterrestres au cinéma
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