Migros Magazine 5, 26 janvier 2009 entretien STÉPHANE UDRY |27
juste au bon endroit. Nos
mesures ne nous fournis-
sent cependant que la masse de la
planète et la séparation entre
l’étoile et la planète, ce qui n’est
pas suffisant pour se prononcer
sur la présence d’une forme de
vie. Nous n’avons pas encore accès
à des informations comme la taille
ou la composition de l’atmosphè-
re. On ne sait pas par exemple si
sur telle planète idéalement pla-
cée il n’y aurait pas un effet de
serre très fort (comme sur Vénus)
qui ferait monter la température
à plusieurs centaines de degrés,
ou si elle est faite de glace plutôt
que de roche. Dans les cas les
plus favorables, de telles informa-
tions pourront être obtenues par
des mesures effectuées depuis
l’espace.
Ces planètes semblables à la Terre
sont à des distances qui découra-
gent quand même tous les fantas-
mes…
Gliese par exemple est une des étoi-
les les plus proches du Soleil, à une
vingtaine d’années-lumière. L’étoile
la plus proche étant située à un peu
plus de trois années-lumière. Pour
donner une comparaison entre la
taille des étoiles et leurs distances,
si notre Soleil est une balle de ping-
pong, ici, l’étoile la plus proche est
une balle de ping-pong à Londres,
alors que les planètes du système
solaire resteraient dans notre voisi-
nage immédiat. Même si nous
améliorons nos moyens de propul-
sion et qu’on puisse aller au mil-
lième, voire au centième de la vi-
tesse de la lumière, ça ne suffirait
évidemment pas.
Et envoyer des messages dans
l’espace ou écouter l’espace,
comme cela se fait depuis des
années?
Chercher directement des traces
d’intelligence dans l’univers, c’est
un peu brûler les étapes, comme
jouer à la loterie plutôt que de tra-
vailler tous les jours pour gagner
de l’argent. Les chances de réus-
site me paraissent minces.
Quelqu’un qui écoute la Terre
maintenant perçoit des ondes ra-
dio, mais deux cents ans plus tôt,
il n’aurait rien capté, et dans cent
ans il n’y aura peut-être plus rien,
tout sera enterré.L’échelle tempo-
relle pendant laquelle une civili-
sation utilise ce genre de commu-
nication peut être assez courte.
En plus, les civilisations disparais-
sent. Pour communiquer il fau-
drait déjà qu’elles soient contem-
poraines. Au vu des connaissances
que nous avons de la physique,
entrer en relation avec des civili-
sations extraterrestres pourrait
prendre des centaines, voire des
milliers d’années. Oui les extra-
terrestres existent, mais chez
eux.
Il n’y a même pas d’observation
directe possible… Ces planètes
personne ne les a jamais vues...
Une planète est un milliard de fois
moins brillante que son étoile,
donc on ne peut pas la voir, du
moins pas encore. Ce que l’on va
chercher à observer, c’est l’effet
perturbateur de la planète sur
l’étoile. Plus la planète est proche
ou massive, plus l’étoile va tourner
très vite autour du centre de gra-
vité du système et révéler ainsi la
présence de la planète. C’est la mé-
thode dite des vitesses radiales.
Et c’est tout?
Non, pour certaines configura-
tions particulières, la planète
passe entre l’observateur et l’étoi-
le et cache ainsi une partie de sa
lumière. C’est ce qu’on appelle la
méthode des transits qui nous in-
forme sur la taille de la planète.
Plus la planète est grosse, plus elle
cache une grande partie du disque
de l’étoile. Les mesures de vitesse
quant à elles nous renseignent sur
la masse de la planète, la combi-
naison des deux donne ainsi accès
à sa densité.
Tout cela ne dit encore pas si une
planète est habitable...
Pour être capable de dire quelque
chose sur l’habitabilité d’une pla-
nète, il faut trouver des traceurs de
vie. Si on regarde de loin la Terre,
on remarque dans sa lumière la
signature d’éléments chimiques
contenus dans son atmosphère: du
gaz carbonique, des traces d’eau, et
de l’oxygène qui n’y apparaît en
grande quantité que parce que le
vivant, par la photosynthèse, relâ-
che beaucoup d’oxygène dans l’at-
mosphère. Le défi est donc pour
nous maintenant de voir la lumière
qui viendrait d’une planète pour
avoir accès à la composition chimi-
que de son atmosphère.
Et comment?
Nous avons besoin de grands téles-
copes, d’un grand pouvoir de réso-
lution, et d’être capables de cacher
l’étoile: pour voir la planète juste à
côté, il faut «éteindre» l’étoile. On
peut soit mettre un masque devant
l’étoile –ce sont les techniques de
coronographie –ou alors combi-
ner la lumière de plusieurs télesco-
pes, plutôt dans l’espace pour ne
pas avoir les effets perturbateurs
de l’atmosphère. C’est ce genre de
projets qui peuvent prendre vingt
à trente ans à être mis en place.
Supposons justement que l’on an-
nonce dans vingt ou trente ans avoir
la preuve d’une vie extraterrestre.
Qu’est-ce que cela changerait?
Des sociologues commencent à se
pencher sur cette question. L’im-
pact serait profond si l’on détectait
une vie un peu évoluée. Mais avec
la science-fiction, le cinéma, une
grande partie des gens ont déjà in-
tégré cette notion. Il est assez hal-
lucinant de voir certains sondages
aux Etats-Unis où 70% des gens
affirment croire à l’existence des
extraterrestres, sur la base de séries
de science-fiction. La simple dé-
tection d’une vie élémentaire sur
une autre planète éliminerait au
moins, une fois pour toutes, cette
idée que nous sommes quelque
chose d’unique n’ayant pas pu se
reproduire ailleurs. Cette vision
orgueilleuse de la place de l’hom-
me dans le cosmos va disparaître.
Dans l’histoire de notre vision du
monde, nous avons d’abord enlevé
la Terre du centre de l’univers, puis
le Soleil. La prochaine révolution
copernicienne consistera à en reti-
rerl’homme. Je pense que nous
sommes proches d’y arriver.
Propos recueillis par Laurent Nicolet
Photos Mathieu Rod
«Une planète est un milliard de fois
moins brillante que son étoile»
www.migrosmagazine.ch
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