INTRODUCTION Les élus ruraux s`impliquent de plus

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LES
MAIRES
RURAUX
ET
LES
UN MOYEN POUR PREVENIR LES CONFLITS
INTERVENTIONS
PAYSAGERES
:
Jacqueline Candau*, Patrick Moquay**
*Cemagref, Bordeaux
**Engref
Email : [email protected], [email protected]
Résumé
Les élus locaux s’impliquent de plus en plus fréquemment dans les politiques publiques
paysagères, au point d’être bien souvent à l’initiative d’interventions locales dans ce domaine. Il
s’agit ici de questionner comment ces protagonistes s’approprient la notion de paysage dans une
logique d’intervention publique, sachant que les projets sont construits en partenariat avec d’autres
acteurs institutionnels. On fait l’hypothèse que le registre d’exercice de la fonction de maire induit
une spécificité dans la mise en œuvre des actions publiques en faveur du paysage. L’univers de
croyances, de valeurs et de représentations attaché à cette fonction, que ce soit par les élus euxmêmes, leurs partenaires ou leurs électeurs, dote d’une spécificité les actions paysagères où les
maires s’investissent. Cette réflexion s’appuie sur l’examen de deux interventions locales : la
charte paysagère et architecturale de Sancy-Artense (Puy-de-Dôme) et le Contrat pour le paysage
du Pays des Feuillardiers (Haute-Vienne).
Notre communication montre que les élus locaux jouent un rôle central au sein des relations
partenariales dans la territorialisation des problèmes paysagers, c’est-à-dire la déclinaison des
problèmes généraux, comme la fermeture du paysage par exemple, en problèmes locaux. Un
déficit d’implication des maires dans la préparation du projet (cas sur l’un de nos terrains) rend
difficile cette phase cruciale, au point de mettre en péril la phase de programmation.
Elle montre de surcroît que les maires parlent peu souvent en leur nom propre pour justifier les
problèmes paysagers à résoudre, mais convoquent certains usagers. Ici tient leur véritable
spécificité : construire leur discours autour d’une dynamique polyphonique en se faisant les porteparole d’attentes de leurs administrés. Dans cette dynamique, ils endossent le rôle du juge pour
prévenir les conflits qui pourraient survenir avec l’évolution des usages en espace rural et
construisent une communauté d’autochtones utopique. Certes, cette construction symbolique
gomme conflits et différences sociales ; notre étude révèle cependant qu’elle paraît indispensable à
l’élaboration d’actions concrètes car elle en précise la dimension sociale.
INTRODUCTION
Les élus ruraux s’impliquent de plus en plus fréquemment dans les politiques publiques
paysagères, au point d’être bien souvent à l’initiative d’interventions locales dans ce domaine.
Pour la même période, plusieurs enquêtes révèlent qu’ils voient dans le tourisme et l’arrivée
de résidents secondaires des facteurs de développement local, en substitution de l’activité
agricole stationnaire voire déclinante (Bages, 1997 ; Robert, 2001). La conjonction de ces
deux phénomènes est fréquemment interprétée dans une perspective économique : le paysage
rural serait une ressource locale dont la valorisation peut avantageusement améliorer
l’attractivité du territoire en matière touristique ou résidentielle1.
1
On peut notamment se reporter à Vollet et Guérin (2002)
1
Ce lien entre la prise en compte du paysage et le développement économique n’épuise pas les
raisons qui poussent les élus locaux à s’impliquer dans les actions paysagères. Il s’agit ici de
questionner plus largement comment ces protagonistes s’approprient la notion de paysage
dans une logique d’intervention publique, sachant que les projets sont construits en partenariat
avec d’autres acteurs institutionnels. On fait l’hypothèse que le registre d’exercice de la
fonction de maire induit une spécificité dans la mise en œuvre des actions publiques en faveur
du paysage. L’univers de croyances, de valeurs et de représentations attaché à cette fonction,
que ce soit par les élus eux-mêmes, leurs partenaires ou leurs électeurs, dote d’une spécificité
les actions paysagères où les maires s’investissent. Si l’on suit Y. Le Bart (2003) qui
caractérise le rôle de maire par deux finalités –agir pour régler des problèmes locaux et
rassembler des citoyens-, on peut affiner l’hypothèse en précisant que cette spécificité
tiendrait à la qualité des relations entre les différents usagers présents sur le territoire.
Autrement dit, intervenir au nom du paysage ne signifierait pas (uniquement) pour les élus
locaux valoriser une ressource économique, mais constituerait aussi un moyen pour intervenir
sur les relations entre les usagers de l’espace rural.
Notre analyse développe une approche cognitive en trois temps, à partir d’interviews menées
auprès des acteurs impliqués dans des interventions localisées. Dans un premier temps, nous
rendrons compte du contexte d’interaction dans lequel les projets ont été élaborés : les acteurs
impliqués, le dispositif d’intervention publique choisi, l’évolution des relations de
collaboration et le système d’action localisé ainsi constitué. Ceci permettra dans un second
temps de présenter le contenu du projet d’intervention : les problèmes locaux affichés en
précisant si nécessaire les débats qu’ils ont suscités entre les acteurs pour savoir s’ils devaient,
et sous quelle forme, les inscrire dans le projet. Nous analyserons enfin la logique
argumentative que développent les maires pour justifier les problèmes que eux entendent
résoudre de la sorte, et qu’ils qualifient de problèmes paysagers. A ce stade, les acquis de la
théorie de la polyphonie en linguistique nous permettront de déconstruire le discours des
maires de façon à éprouver notre hypothèse.
Cette réflexion s’appuie sur l’examen de deux interventions locales : la charte paysagère et
architecturale de Sancy-Artense (Puy-de-Dôme) et le Contrat pour le paysage du terroir des
Feuillardiers (Haute-Vienne)2. Ces deux expériences ont plusieurs caractéristiques communes
qui rendent leur comparaison intéressante : elles se situent dans une zone que l’on peut
qualifier de rural isolé, et elles ont été lancées sous l’impulsion d’élus locaux, qui ont choisi
un dispositif incitatif et participatif. Pourtant, l’évolution des discussions dans la phase
d’élaboration s’est soldée par une implication des élus très différente dans l’un et l’autre cas.
1 - Une implication spécifique des maires dans un projet élaboré en partenariat
Les interventions locales analysées répondent à trois caractéristiques relatives au dispositif
d’élaboration et de mise en œuvre : elles sont territorialisées ; elles laissent place à
l’expression et à la participation de nombreux partenaires ; elles prennent place à un niveau
intercommunal, où les élus municipaux gardent néanmoins un rôle déterminant pour
l’appropriation et la réussite du processus.
2
Ce travail reprend des éléments de la recherche collective « Acteurs locaux et initiatives publiques dans le
domaine du paysage » (Candau et al., 2003) du programme « Politiques publiques et paysage » lancé par le
MEDD. Les interviews ont été réalisées en 2000 sur la zone de Sancy-Artense (40 au total, dont 25
intégralement transcrits) et en 2001 sur celle du Pays des Feuillardiers (19 au total, tous transcrits). A ce
matériau s’ajoute les compte-rendus ou le suivi direct des réunions de préparation pour chacun des projets.
L’annexe 1 présente la situation géographique de ces deux terrains.
2
Conformément à la territorialisation des politiques publiques, un projet d’intervention dans le
domaine du paysage doit prendre en compte les spécificités du contexte local (notamment le
système d’acteurs qui y œuvre) et les caractéristiques du territoire. La nature des actions qui
seront finalement menées peut donc différer selon les sites, en fonction des enjeux pris en
compte et des priorités retenues par les acteurs impliqués. Ce traitement circonstancié est
d’autant plus nécessaire que les dispositifs choisis obligent à la mise en place d'une démarche
participative pour l’élaboration du projet. C’est le cas pour les Chartes paysagères et
architecturales ou les Contrats de Paysage.
Plusieurs facteurs concourent à ce que le niveau intercommunal soit privilégié pour la mise en
œuvre de tels programmes paysagers locaux. D’un point de vue administratif, on peut
souligner le lien entre les préoccupations paysagères et les compétences d’aménagement et de
planification dorénavant exercées à l’échelon intercommunal. Un raisonnement de type
fonctionnel conduit par ailleurs certains spécialistes à recommander de travailler à l’échelle
d’entités paysagères suffisamment larges. Même si les découpages administratifs et paysagers
ne concordent jamais, le niveau intercommunal paraît de ce point de vue offrir suffisamment
de recul pour identifier les grandes caractéristiques paysagères du territoire et, le cas échéant,
énoncer des priorités cohérentes. Il offre un compromis entre la proximité du terrain, gage
d’une bonne connaissance et prise en compte du contexte d’intervention, et un certain recul
permettant une vision plus large, une agrégation des informations et des aspirations et une
concentration des moyens d’intervention.
Comme toutes les problématiques d’aménagement et de développement, les enjeux paysagers
impliquent des acteurs socioprofessionnels, sur lesquels reposera pour partie la mise en œuvre
des actions. Les interventions paysagères supposent donc a minima une concertation ou mieux
l’établissement d’un partenariat. Des relations plus ou moins équilibrées vont s’établir entre
acteurs privés et publics, tout comme, au sein de la sphère publique, entre différentes
collectivités locales, administrations ou organismes parapublics. Notons à ce propos que le
niveau municipal reste très présent dans les institutions intercommunales, qui sont gérées par
des délégués des communes.
Dans l’un et l’autre de nos cas d’étude, l’implication finale des élus municipaux diffère très
sensiblement. Dans le Pays des Feuillardiers, l’initiative a été lancée par une chargée de
mission « paysage » de la Direction Régionale du ministère de l’environnement qui a sollicité
le syndicat mixte de développement local (le Codeso) afin d’engager une action visant à
freiner l’enrésinement de la zone et à restaurer les taillis de châtaigniers où se produisaient des
feuillards3 il y a encore quelques années. Les deux institutions ont proposé à l’équipe
administrative du futur PNR de prendre en charge ce projet, le paysage étant le champ
d’intervention privilégié de ces institutions régionales depuis la promulgation de la loi
Paysage en 1993. Ce qu’elle a accepté. L’élaboration du Contrat a duré cinq années (19952000). Chacun des 17 maires a été contacté individuellement par le cabinet d’études chargé de
faire le diagnostic paysager pour savoir quels problèmes lui paraissaient les plus cruciaux sur
sa commune. Mais collectivement, ils n’ont ni réfléchi ni discuté du projet, notamment parce
que le dispositif de discussion mis en place ne le permettait pas4. Le comité technique
responsable du suivi ne comptait pas d’élu (il était composé de l’animateur du PNR, de
l’animateur du Codeso et de l’agent de la Diren) ; la présidente du comité de pilotage, une
3
Le feuillard est une repousse de châtaignier fendue sur sa longueur, qui sert au cerclage traditionnel des
barriques de vin. Ils sont encore quelque peu utilisés dans le Bordelais pour les barriques dites de transport. Le
feuillardier désigne le métier, toujours saisonnier, des personnes qui les fabriquent.
4
Voir l’annexe 2 pour une présentation synthétique du dispositif de discussion mis en place pour l’élaboration de
chacun des deux projets.
3
conseillère régionale, n’y était pas systématiquement invitée. Quant au comité de pilotage, le
nombre et la diversité des participants ainsi que la nouveauté du sujet ont mis les maires en
situation de quête d’informations plus qu’en situation d’acteur, et ce d’autant que l’animation
a été confiée officieusement au cabinet d’étude. Les prises de parole des uns et des autres ont
surtout concerné les résultats du diagnostic et les compétences de chacune des institutions à
propos desquelles une concurrence entre le Conseil Général et le PNR a vu le jour en ce qui
concerne l’aménagement des bourgs. En fin de compte, les maires se sont peu engagés dans le
projet, à l’exception de deux d’entre eux qui l’ont suivi de façon plus attentive dans la mesure
où ils y voyaient la possibilité de programmer le « re-lookage » de leur place de village.
En Sancy-Artense par contre, les élus locaux ont fortement participé à la définition du projet.
L'idée d'une action concertée concernant le paysage est née à l'issue de la formation organisée
en 1991, par le Parc Naturel Régional des Volcans d’Auvergne, à l'intention des élus du
Syndicat Intercommunal à Vocation Multiple de Sancy Artense. En réponse à l’intérêt
témoigné sur la thématique de l’architecture et de l’urbanisme abordée alors, les intervenants
du Conseil en Architecture Urbanisme et Environnement (CAUE) et du PNR ont organisé une
exposition et proposé la mise en place d’une Charte Paysagère et Architecturale pour
préserver le patrimoine bâti. Parallèlement des études réalisées dans la zone à propos de la
déprise ont fait prendre conscience de l’impact des activités agricoles sur le paysage. Les élus
se sont mobilisés pour mettre en place un dispositif de préservation de leur richesse paysagère
dans une logique de lutte contre le dépeuplement dont la déprise est pour eux le symbole. En
raison du caractère pionnier de la démarche, la réflexion autour de la charte paysagère dont
l’élaboration dura près de 4 ans (1992-1996) a suscité une forte mobilisation des réseaux
institutionnels. Il n’est peut être pas exagéré de dire que le paysage de Sancy-Artense est
devenu une sorte d’enjeu institutionnel, que les élus ont entretenu par leur recherche d’appuis
extérieurs. Malgré la participation de nombreux acteurs institutionnels, les élus ont cependant
gardé la maîtrise de l’élaboration. Le président de la Communauté de communes a présidé et
animé le comité technique tout comme le comité de pilotage. De plus, le projet a fortement été
discuté à chaque étape de son élaboration au sein du bureau de la communauté de communes
composé de l’ensemble des maires.
Même si le projet de Charte en Sancy-Artense a largement été contrôlé par le président de la
communauté de communes, on ne peut pas dire qu’il en a l’entière paternité, bien que son
discours d’auto-imputation (Le Bart, 1992) suggère le contraire. L’élaboration au sein d’un
réseau d’acteurs et la collaboration avec des experts paysagistes installés dans un bureau de la
Communauté de Communes délite quelque peu l’idée d’une décision prise par une seule
personne, à un moment précis. C’est plus un projet élaboré progressivement, pour lequel les
partenaires ne se sont pas désengagés, voire ont renforcé leur engagement au fur et à mesure
de son avancement. De surcroît, il n’y pas eu d’événement marquant le lancement et donc la
reconnaissance officielle de la Charte par une quelconque séance de signature publique sous
la rampe des médias. Il y a simplement eu des articles dans la presse locale annonçant ses
objectifs.
Cette décision en miettes ne doit pas laisser penser que l’implication des élus municipaux
importe peu. L’exemple du Pays des Feuillardiers montre au contraire l’effet néfaste d’un tel
désistement, même si bien sûr, ce n’est pas l’unique raison de l’avortement du projet (la
dégradation des relations entre le PNR et le Codeso, ainsi qu’entre le PNR et le Conseil
Général a également eu un impact très fort). Cette importance tient au rôle spécifique joué par
ces élus au sein du partenariat.
4
Leur implication est centrale dans la territorialisation des problèmes paysagers, c’est-à-dire la
déclinaison des problématiques officielles5 –la fermeture du paysage, la déprise agricole, etc.en problèmes observables sur le territoire. Cette déclinaison se fait sous deux formes
complémentaires. D’une part les problématiques sont précisées en autant de problèmes
techniques dont la dimension matérielle donne le support aux solutions inscrites dans la
programmation. D’autre part, il doit être démontré que la zone est particulièrement concernée
par ces problèmes techniques : ce sont des problèmes locaux. Cette dynamique, défaillante
dans le Pays des Feuillardiers, a par contre eu pleinement cours en Sancy-Artense.
2 - La construction des problèmes paysagers locaux : récents enjeux sur l’espace en
Sancy-Artense
La déclinaison des problématiques officielles en problèmes techniques par les acteurs locaux
a pour préalable l’objectivation d’une situation qualifiée d’inacceptable, et pour laquelle une
lecture en termes paysagers ouvre des pistes de solutions (ainsi que l’accès à des sources de
financement).
En Sancy-Artense un diagnostic de l’ensemble des neuf communes construit par touches
successives lors de la formation des élus municipaux, a fait apparaître un territoire victime
d’une dépopulation difficile à enrayer, dont l’éloignement des centres économiques et urbains
le contraint à ne compter que sur ses ressources propres : l’agriculture –peu dynamique mais
cependant active- et son architecture rurale. C’est alors que l’idée de lancer un projet en
faveur du paysage est né, avec l’objectif suivant : « Sauvegardons l’existant : le charme et le
caractère de nos constructions rurales sont un attrait touristique. Cela fait partie du décor. »6
Les discussions se sont attardées sur le bâti. Non sur le patrimoine rural comme cette première
formulation le laissait supposer, mais sur les bâtiments agricoles et plus encore sur la
construction de résidences. Des normes architecturales proposées par le CAUE ont été
adoptées et vulgarisées auprès des particuliers grâce à un service gratuit de conseil en
architecture relayé par chaque mairie. Le point le plus litigieux du débat a concerné le lieu
d’implantation des nouvelles habitations. Les représentants de la DDE et celui du CAUE ont
déploré pour des raisons esthétiques la dynamique du mitage qu’ils voyaient se développer sur
la zone. Les maires, par contre, soucieux de faciliter le plus possible l’arrivée de nouveaux
résidents, sont poussés à être plus conciliants, et à rejeter toute réglementation trop stricte ; en
terme de réalisation, ils n’ont voulu par exemple ni s’engager dans un projet de ZPPAUP ni
dans l’établissement de cartes communales7.
Les discussions se sont également attardées sur l’activité agricole, suite notamment à la
réalisation de plusieurs études pilotées par un enseignant de l’ENITA de Clermont Ferrand
qui ont rendu visible l’évolution de l’occupation du sol ainsi que les difficultés de l’élevage.
Un consensus a très vite émergé sur la reconnaissance de la progression de l’enfrichement de
certaines zones et la nécessité d’agir pour tenter de maîtriser cette dynamique à défaut de ne
5
Nous paraphrasons P. Bourdieu (1992) lorsqu’il parle de problèmes légitimes ou de problèmes garantis par
l'Etat à propos des objets analysés par la recherche scientifique. Dans le domaine du paysage, ces
problématiques officielles sont portées au sein du partenariat par les représentants de l’administration, la DIREN
ici, et relayées par les experts paysagistes. Les agents des PNR ont une posture intermédiaire (et diversifiée selon
les Parcs), entre celle des élus municipaux et celle des agents des services déconcentrés ; cette diversité
mériterait d’être analysée.
6
Cf. Rapport rédigé par le Parc Naturel Régional des Volcans d’Auvergne et le SIVOM de Sancy-Artense
présentant le bilan de la formation des élus.
7
Les ZPPAUP (Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager) et les cartes communales
délimitent des zones constructibles sur le cadastre communal. Suite à l’établissement de tels documents qui ont
une qualité réglementaire, les permis de construire ne peuvent être attribués que sur ces zones là.
5
pouvoir l’enrayer. Ainsi, la charte prévoit de mettre à jour la réglementation des boisements
pour préserver les terres agricoles, et d’encourager des projets collectifs qui facilitent la
reprise agricole des parcelles ; un Contrat territorial d’exploitation collectif a été réfléchi sur
Cros, commune la plus touchée par ce phénomène.
Le rôle structurant des nombreux chemins ruraux a par ailleurs été relevé par le diagnostic
paysager. La nécessité ou non de les restaurer n’apparaît pas dans les compte-rendus de
réunions durant l’élaboration de la charte, mais a spontanément été abordée par les élus
municipaux lors de notre enquête par entretiens. Ils mènent des actions en ce sens (ou
prévoient d’en mener), en étant partagés cependant entre la nécessité de les élargir afin qu’ils
puissent à nouveau servir de chemins agricoles, et la nécessité de les conserver en l’état,
bordés de murets ou de haies, pour qu’ils soient empruntés pour randonner.
Ce temps de discussion et de réflexion a finalement abouti à la formulation de quatre objectifs
généraux et hiérarchisés : maintenir l’activité agricole, maîtriser la déprise agricole, améliorer
la gestion de l’urbanisme et valoriser les paysages8. Des uniques constructions rurales à
sauvegarder, une multitudes d’éléments matériels (constructions neuves agricoles ou
résidentielles, friches agricoles, forêt, chemins) ou immatériels (formation, sensibilisation) ont
été identifiés. Du simple développement touristique souhaité alors, on est face à une véritable
problématique en 1996 et qui a encore continué à évoluer. Le paysage a ici été utilisé pour
problématiser cognitivement une évolution de l’occupation de l’espace jugée négative, qu’il
s’agisse de la progression de la déprise agricole, de la dégradation des chemins ruraux ou de
la qualité architecturale des nouvelles constructions.
Certains de ces problèmes spatiaux, plus que d’autres, ont été pris en charge par les maires qui
ont justifié de leur acuité locale grâce à une logique argumentative spécifique.
3 - Des enjeux spatiaux aux enjeux sociaux : la voix polyphonique des usagers dans le
témoignage des maires de Sancy-Artense
Pour convaincre de l’acuité de ces enjeux spatiaux, voire pour renforcer leur position face à
des partenaires qui ne partagent pas leur point de vue, les maires ne s’expriment pas à la
première personne mais convoquent les usagers dans leur discours. Ils se placent de la sorte
en porte parole, non seulement de leurs habitants-électeurs, mais aussi de toute autre personne
présente sur leur commune, ce qu’autorise leur responsabilité élective. Ils sont leur
représentant légal et peuvent donc parler en leur nom. Ici tient la véritable spécificité des
maires face à leurs partenaires : utiliser la voix des usagers pour argumenter leur discours.
Leur témoignage ressemble alors à une mise en scène où des personnages apparaissent, ou
plutôt des figures stylisées, telle que celle de l’agriculteur, de l’habitant, du randonneur… Ce
ne sont pas des personnes précises (Monsieur ou Madame Untel). Ces figures apparaissent
parce que les maires évoquent leur positionnement à propos d’un problème spatial à résoudre.
La métaphore théâtrale de la mise en scène de personnages montre que le témoignage de ces
acteurs se compose de plusieurs voix, phénomène à la base de la théorie polyphonique d’O.
Ducrot (1984). Elle pose une distinction essentielle : celle du locuteur et de l’énonciateur. Le
locuteur est au discours polyphonique ce que l’auteur est à la pièce de théâtre, et l’énonciateur
est ce que sont les personnages. Le maire, ici locuteur oral, compose un discours en
empruntant une série de voix (de masques) différentes en plus de la sienne propre. D’un point
de vue méthodologique, l’analyse de contenu repère les passages où un énonciateur apparaît.
Soit il est nommé (« les agriculteurs », « les éleveurs », « le marcheur », « les visiteurs », « le
8
L’analyse détaillée de ce processus cognitif a fait l’objet d’un rapport (Candau, 2003).
6
propriétaire »…), soit il est simplement évoqué (« quelqu’un qui veut construire une
résidence secondaire », « pour passer avec des engins agricoles »), soit enfin il prend une
figure peu identifiable (« on », « les gens »). Les traces de la voix du locuteur sont plus nettes
par contre, repérables avec des locutions attachées à la première personne : « je »
(éventuellement « nous »), « mes », « les miens »…
Les maires ne justifient pas tous les problèmes paysagers de la sorte, seulement ceux qui sont
les plus difficiles parce que récents ou controversés. La restauration du petit patrimoine par
exemple est un problème partagé par toutes les institutions impliquées dans la Charte. Nul
besoin de l’argumenter pour convaincre. Il faut également que des solutions soient entrevues
au problème en question. La gestion des sectionnaux par exemple, sans piste de solution
notamment parce que les maires eux mêmes ont des opinions diverses, reste dans le non-dit.
Quatre problèmes spatiaux ont fait l’objet de cette rhétorique argumentative : la progression
des friches, les bâtiments agricoles, la construction de résidences et la restauration des
chemins ruraux. Attardons nous quelque peu sur les deux derniers à titre d’illustration. Les
maires évoquent les demandes qui leur sont adressées en matière de terrain viabilisé ou de
demande de permis de construire, qu’elles émanent de nouveaux résidents ou de résidents
secondaires. Ils font tout ce qui est en leur pouvoir afin de répondre favorablement :
« Quelqu’un qui veut construire sa résidence secondaire dans son village natal, j’ai du mal à
admettre qu’on l’en empêche » (maire de Bagnols) « On a une, deux constructions neuves par
an. Et bien nous, commune, c’est notre devoir de pouvoir mettre à disposition de ces gens là
des terrains lotis pour pouvoir s’installer. » (maire de La Tour d’Auvergne). Les maires
s’opposent de la sorte aux règles défendues notamment par la DDE et le CAUE en ce qui
concerne le lieu d’implantation de résidences, car elles les amèneraient à refuser des permis,
ce qu’ils s’interdisent de faire car pour eux l’accueil de nouveaux résidents prime sur les
dommages provoqués par la construction d’une habitation à l’extérieur des bourgs. En
rapportant des attentes de futurs résidents, ils consolident leur position face à ces deux
partenaires institutionnels.
L’aménagement ou la restauration des chemins ruraux est présenté par les élus en tenant
compte à la fois des agriculteurs et des randonneurs qui auraient des souhaits différents. Les
agriculteurs voudraient les élargir pour circuler avec leurs engins : « Les agriculteurs
rouspètent tous qu’ils n’ont pas de chemins pour aller dans les parcelles. Il y a beaucoup de
chemins qui ne sont pas assez larges, systématiquement il y a un mur de chaque côté, ils
étaient faits pour passer avec un char à bœuf à l’époque » (Maire de Cros). Les randonneurs,
par contre, apprécieraient ceux qui sont bordés de haies ou de murets : « Ça [garder les vieux
murs] pose pas de problèmes pour les touristes, parce qu’ils apprécient je crois. » (conseiller
municipal, commune d’Avèze).
Dans le discours des maires, on voit de la sorte apparaître trois principales figures d’usagers l’agriculteur-habitant, le résident secondaire et le randonneur- aux attentes parfois difficiles à
concilier. Grâce à cette dynamique argumentative, ils légitiment, bien sûr, la pertinence du
problème technique à résoudre, mais en plus ils lui donnent une dimension sociale. La
dramaturgie de leur récit ainsi construite dote les problèmes matériels à traiter au nom du
paysage d’une acuité nouvelle : ils recouvrent des enjeux sociaux.
Il est alors intéressant de se demander comment le maire se situe par rapport à ces attentes.
Autrement dit, le locuteur partage-t-il le point de vue des énonciateurs qu’il convoque dans
son discours ?
Face aux intérêts contradictoires, les maires ne prennent pas partie, mais se construisent une
figure de magistrat. Ils endossent le rôle du juge qui se repère très nettement dans leur
témoignage, parce qu’ils parlent alors à la première personne du singulier : « Si on doit élargir
7
un chemin, qu’est-ce qu’on fait du vieux mur? Le vieux mur, l’agriculteur veut s’en
débarrasser. Mais enfin, au niveau de notre patrimoine de chemins de randonnée, c’est quand
même intéressant de le conserver. Alors il faudrait trouver un juste milieu entre les
satisfactions. C’est moi qui vais faire l’arbitre. » (maire d’Avèze)
On voit alors combien cette imputation sociale donne aux problèmes paysagers plus d’acuité :
ils deviennent plus précis techniquement et ils sont reliés à des enjeux sociaux. Le territoire
est rendu vivant, décrit au moyen des pratiques qui sont en train d’évoluer et qui entraînent
des conflits potentiels entre les usagers. Les maires assurent cette déclinaison territoriale9, et
se mettent en posture d’assumer la prévention des conflits liés à l’évolution des usages
professionnels et individuels sur leur espace communal, au nom du paysage.
CONCLUSION : le paysage, une voie des maires pour construire une communauté
d’autochtones
L’implication des élus locaux s’avère indispensable dans les initiatives volontaristes qui
s’attachent à traiter du paysage d’un territoire. L’expérience du Pays des Feuillardiers montre
en effet, en creux, qu’un déficit d’implication rend plus difficile le passage à la phase de
programmation, par défaut d’ancrage territorialisé des problèmes affichés dans le projet
d’intervention.
En même temps, la dimension sociale que les maires apportent dans les projets arrivés jusqu’à
la phase opérationnelle amène à s’interroger sur l’efficacité concrète de telles interventions.
Les politiques publiques dans le domaine du paysage seraient-elles avant tout des politiques
symboliques ? Elles ne règleraient pas grand chose en matière d’enjeux spatiaux, mais
seraient de simples constructions rhétoriques. Ch. Le Bart (2003) soutient cette thèse pour les
politiques environnementales : « Cette institutionnalisation du secteur ‘environnement’
permet non seulement de clientéliser des militants écologistes mais aussi de donner à voir un
volontarisme sincère dans un contexte en réalité marqué par l’impuissance » (p. 90-91).
Les réalisations engagées en Sancy-Artense peuvent mitiger cette évaluation. Les
municipalités ont singulièrement augmenté les dépenses qu’elles consacrent à ce domaine si
l’on en croit leur investissement en matière de services environnementaux (Aznar, 2002).
Certes, la Charte a débouché sur des actions somme toute assez limitées (conseil gratuit en
urbanisme, sensibilisation des scolaires). Mais sa préparation a cependant permis de
consolider des partenariats, et elle a surtout permis d’avancer dans une réflexion collective en
ce qui concerne les enjeux sociaux actuels.
Parce que le paysage est un assemblage d’éléments matériels de l’espace dont l’évolution tient
à l’usage social qui en est fait, il permet d’intervenir un tant soit peu sur ces dynamiques
sociales à l’œuvre. L’engagement des maires dans un projet collectif vise spécifiquement ces
dynamiques sociales. Ils entendent prévenir les conflits et faciliter la co-existence d’usages
diversifiés. Dans le rôle qu’ils s’assignent de magistrat public ils entendent œuvrer à la
sociabilité des usagers. Ce rôle, décliné plus spécifiquement ici dans les communes rurales,
est identifié par Ch. Le Bars (2003) pour l’ensemble des maires : « Il s’agit pour lui [le maire]
de gommer les clivages internes à la commune pour ne faire exister que le groupe
communautaire des habitants de la commune. » (p. 103). Cette posture de rassembleur, ou
9
Ce qui n’a pas été possible pour les maires du Pays des Feuillardiers vu leur faible participation à la préparation
du projet.
8
plus exactement d’incarnation d’une communauté locale, correspond à un registre ancien
d’expression et de positionnement des élus ruraux (Kesselman, 1967). Ce travail des élus
évolue pourtant, à la mesure des transformations sociales du monde rural.
Quel est donc ce groupe communautaire d’habitants ? Cette utopie communautaire se joue
dans les fêtes locales, telle cette fête du pain organisée depuis quelques années à Cros autour
du vieux four, petit patrimoine restauré au nom du paysage. Les résidents secondaires
demandent à y travailler, bénévolement bien sûr, aux côtés des « gens de la commune ». « Ils
sont un peu de Cros » affirme le maire satisfait, en faisant remarquer qu’ils portent le même
badge que les habitants.
Au-delà du lien entre le passé et le présent qu’assure le patrimoine, le paysage permet aux
élus municipaux de re-lier les différents habitants. Habitants stricts ou habitants moins
réguliers que sont les résidents secondaires10, tous sont des autochtones pour les maires : des
« gens d’ici ». A l’extrême, il semble que ce statut puisse s’étendre aux habitants si peu
permanents que sont les visiteurs, dont le maire intègrera les intérêts à sa charge.
Parce qu’ils se mobilisent pour revitaliser socialement leurs communes, les maires
s’investissent dans les projets paysagers qui les aident à construire cette communauté
d’autochtones. Certes c’est une construction symbolique largement utopique qui gomme
conflits et différences sociales. Cette étude révèle cependant qu’elle paraît indispensable à
l’élaboration d’actions concrètes.
10
A ce propos, M. Perrot et M. de La Soudière (1998) estiment que « De plus en plus de résidents secondaires
vivent leur second logement comme une seconde résidence, alternante, et non plus secondaire, alternative. Ce
processus invite à les considérer dans des cas de plus en plus nombreux comme des villageois permanents ».
9
BIBLIOGRAPHIE
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l'économie des services. Faculté de sciences économiques et de Gestion, Université de
Bourgogne, Dijon.
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A.-M. (Eds), Comment les ruraux vivent-ils et construisent-ils leur(s) territoire(s)
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économique. Cemagref, Clermont-Ferrand.
10
Annexe 1
Situation des terrains d’étude
11
Annexe 2 :
Configuration du dispositif de discussion dans le Pays des Feuillardiers et en
Sancy-Artense
Lieux de
discussion
Comité technique
Pays des Feuillardiers
(Contrat pour le paysage)
Composition :
- chargé de mission du PNR
- animateur du syndicat mixte local
de développement
- agent de la DIREN
- cabinet d’étude
Animation : par le chargé de mission
PNR
Comité de pilotage Composition :
Plus d’une vingtaine d’institutions,
impliquées dans la gestion des
communes à un titre ou à un autre :
élus, organisations professionnelles
agricoles et forestières, agents des
services décentralisés de l’Etat,
associations d’usagers…
Présidence : une conseillère régionale
Animation : laissée au cabinet d’étude
Autres lieux
Sancy-Artense
(Charte Paysagère et architecturale)
Composition :
- président de la CC et son
animateur
- 3 experts : architecte du CAUE,
agent de développement du PNR,
cabinet d’étude
Animation : par le président de la CC
Composition :
Identique à celle du Pays
des Feuillardiers
Présidence : le président de la CC
Animation : le président de la CC
Le bureau de la CC : composé par
l’ensemble des maires. C’est un lieu
de discussion, de réflexion, et de
décision.
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