Convergence et disparités régionales au sein de l`espace européen

Statut institutionnel des régions
SUR QUEL STATUT INSTITUTIONNEL DES REGIONS FAUT-IL
ADOSSER LES POLITIQUES REGIONALES?
Version provisoire. Ne pas citer
Jean-Michel JOSSELIN
Université de Rennes 1 et CREM CNRS 6211
jean-michel.josseli[email protected]
et
Alain MARCIANO
Université de Reims, OMI-EDJ et GREQAM CNRS 6579
Résumé :
Les régions de l'Union Européenne ne dispose pas d'un statut institutionnel unique à partir
duquel pourraient s'élaborer des politiques régionales communes. L'article propose à partir
d'un modèle d'économie spatiale les définitions de plusieurs formes de régions. A partir de
cette approche microéconomique, il discute ensuite du statut constitutionnel pertinent pour
chacune de ces formes. On montre enfin comment peuvent s'articuler à partir de la région
les diverses formes de la subsidiarité, ce qui ne va pas sans questionner le statut des états
membres, intermédiaire entre l'échelon régional et l'échelon communautaire.
Mots clés : régions, Union Européenne, subsidiarité, Hotelling, économie politique
constitutionnelle, fédéralisme
Classification : H11 - H30 - K10 - R10
Association de Science Régionale De Langue Française
XLème Colloque de l’ASRDLF
Convergence et disparités régionales au sein de
l’espace européen. Les politiques régionales à
l’épreuve des faits
Bruxelles – 1, 2 et 3 Septembre 2004
Statut institutionnel des régions
XLème colloque de l’ASRDLF
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SUR QUEL STATUT INSTITUTIONNEL DES REGIONS FAUT-IL
ADOSSER LES POLITIQUES REGIONALES?
INTRODUCTION
La question de l’efficacité des politiques régionales dans l’Europe élargie est à
l’évidence d’une importance cruciale. Or, elle devrait pouvoir s’enrichir d’une autre question,
qui pour venir en amont de la première n’en est pas moins essentielle : Dans une Union qui
n’a pas (encore ?) choisi la voie fédérale, quel statut institutionnel donner aux régions ? Il
s’agit de comprendre à quelles prérogatives elles peuvent prétendre, et c’est à partir de ces
prérogatives que l’on pourra juger de la pertinence des politiques régionales. Autrement dit, si
l’action économique (au sens large) des régions doit être amenée à poursuivre son essor, la
question du statut constitutionnel de ces dernières ne pourra être longtemps éludée. La
« renationalisation » des politiques régionales serait alors d’autant moins à l’ordre du jour que
l’échelon national aurait par contrecoup à trouver une nouvelle place sur l’échiquier
institutionnel européen. Les états « régionaux » comme l’Espagne sont-ils ainsi en avance sur
les états unitaires ? Toutefois, le statut fédéral est-il nécessairement l’aboutissement de la
« régionalisation » de l’Europe ?
Notre objectif est de discuter du statut constitutionnel des régions, des conséquences
de ce statut tant sur l’échelon national qu’au plan de l’organisation supranationale. S’inscrit
dans cette discussion le débat sur les régions centrales et périphériques, et sur l’opportunité
d’accorder à ces dernières un statut particulier. Paradoxalement, alors que la sphère politique
s’interroge sur la « République territoriale » (Sénat, 2002), la science régionale accorde
souvent peu de poids à l’économie politique des institutions. Or, si ces institutions fournissent
les règles du jeu aux agents économiques, le niveau constitutionnel décrit la formation même
de ces règles du jeu dans lesquelles va s’inscrire l’action régionale. Le recours aux diverses
formes de subsidiarité est à cet égard souvent négligé, les traités de Maastricht puis
d’Amsterdam en ayant consacré une vision assez restreinte. Or, l’analyse économique de la
subsidiarité et des modalités institutionnelles de sa mise en œuvre fournit un éclairage qui
peut permettre de compléter les approches usuelles de la science régionale.
Nous mobiliserons ainsi les outils de l’économie politique constitutionnelle comme
ceux de la microéconomie spatiale. La première considère les règles du jeu institutionnelles
comme des variables. La seconde autorise une prise en compte explicite de l’espace dans la
modélisation économique. Cet usage simultané permet une fertilisation croisée des deux
approches. Le cadre spatial à la Hotelling (1929) permet en effet une réflexion conjointe sur la
taille et les prérogatives des gouvernements. L’organisation spatiale doit de ce fait être pensée
conjointement à l’organisation constitutionnelle. C’est dans ce cadre que nous proposons
d’évaluer la pertinence et les formes possibles d’un statut constitutionnel pour les régions
d’Europe.
L’intuition magistrale d’Hotelling, n’a certes pas tardé à porter ses fruits dans les
domaines de la science régionale, de l’économie industrielle comme de l’économie des choix
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politiques. Son application aux questions constitutionnelles est à notre connaissance plus
tardive, avec les travaux pionniers de Friedman (1977) puis Blum et Dudley (1991). Alesina
et Spolaore (1997) mais aussi Wittman (1998) ont donné un nouvel essor à une « économie
spatiale constitutionnelle » désormais établie (Alesina et Spolaore, 2003). Tandis que ce
corpus théorique se construisait, les pratiques institutionnelles ont elles aussi évolués au gré
de l’intégration européenne, pour restreindre notre champ empirique à l’Union. Or,
l’inscription déjà évoquée du principe de subsidiarité dans les traités a elle aussi tardé à
trouver une interprétation en termes d’économie politique constitutionnelle. A cet égard, les
travaux de Backhaus (1999) ont initié un courant de recherche sur les liens entre les relations
d’agence qui décrivent l’organisation (interne et externe) des états et les différentes formes de
subsidiarité aux échelons nationaux et supranationaux (Josselin et Marciano, à paraître). Nous
proposons ici de nous appuyer sur ces deux champs pour contribuer à la réflexion sur
l’économie politique du statut des régions au sein de l’Union européenne.
L’article s’organise comme suit. La première partie adopte la perspective de
l’économie spatiale afin de définir les régions et leurs liens avec les états. La seconde partie
s’appuie sur les résultats obtenus auparavant pour en discuter le statut institutionnel au regard
des diverses acceptions de la subsidiarité. Un dernier développement propose quelques
éléments de conclusion et d’ouverture.
I. ETATS ET REGIONS DANS UN MODELE D’ECONOMIE SPATIALE
CONSTITUTIONNELLE
La première étape consiste à dérouler le processus de formation d’un état unitaire dans
un modèle spatial à la Hotelling (1). La deuxième étape propose de discuter des possibles
définitions d’une région au sein de ce modèle (2).
1. Formation d’un état unitaire
Le point de départ de la formation d’un état repose sur l’existence d’entrepreneurs
constitutionnels sur la ligne d’Hotelling (1.1). Les individus également présents sur cette ligne
adhèrent à l’état au terme d’un calcul coût avantage personnel (1.2) dont l’entrepreneur doit
tenir compte pour établir simultanément l’étendue de son territoire et de ses prérogatives
(1.3).
1.1. Principe de l’entreprise constitutionnelle dans un modèle spatial
Le principe de l’entreprise constitutionnelle sur une ligne d’Hotelling remonte à
Friedman (1977) puis Blum et Dudley (1991). Cet entrepreneur, dont il va falloir examiner les
spécificités, propose un bien public qu’Alesina et Spolaore (1997) désignent comme le
« gouvernement » identifié par un panier de services administratifs, judiciaires, économiques
et de politiques publiques (Alesina et Spolaore, 1997 : 1030). Ce bien public est local au sens
où il est associé à une localisation ponctuelle sur la ligne d’Hotelling, par exemple sous la
forme d’une capitale
[]
1,0J. Cette modélisation autorise une interprétation très générale du
service collectif fourni par l’entrepreneur : ce dernier offre un discours et des symboles
d’identité qui donneront aux individus qui y adhèrent un sentiment de cohésion sociale autour
duquel se construira la nation (Imbeau, 2003).
A partir de la capitale J, l’entrepreneur constitutionnel va construire un état qu’il devra
contrôler, ce qu’exprime la coercition légale associée à tout pouvoir constitué. Présente chez
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Blum et Dudley (1991), absente chez Alesina et Spolaore (1997, note 7), la fonction de coût
de contrôle joue historiquement un rôle important (Dudley, 1990). Sa technologie est
représentée ici par la fonction de coût moyen 0'',0'),( > ccrc
r
2 représente l’étendue du
territoire contrôlé de part et d’autre de J. Face à cette contrainte, l’entrepreneur tente de
développer autant que faire se peut les prérogatives publiques, soit en se comportant en
monopoleur, soit en maximisant le surplus collectif sur son territoire.
On suppose ici que la localisation de J est exogène. Alesina et Spolaore (1997) en
autorisent une localisation endogène ce qui permet de calculer un optimum sur l’intégralité du
segment
[]
1,0 dans une perspective normative. La localisation exogène est néanmoins
cohérente avec la formation des états dans l’histoire. L’approche est donc ici positive.
L’entrepreneur constitutionnel propose aux individus d’adhérer au discours et aux symboles
qu’il propose, lesquels se matérialisent ensuite via l’organisation de l’éducation, de la défense,
du système judiciaire, etc.
1.2. De l’individu au citoyen : l’adhésion au programme de l’entreprise constitutionnelle
Dès lors que la ligne d’Hotelling représente un espace de préférences, la localisation
des individus
[]
1,0i permet d’exprimer la distance idéologique qui les sépare du discours
proposé par l’entrepreneur. La répartition des individus sur le segment est supposée uniforme.
L’utilité individuelle peut s’écrire, en reprenant la formalisation d’Alesina et Spolaore (1997)
(1) iii tyalgu
+
= )1(
iJli= , g et a sont des paramètres, y est le revenu individuel exogène et i
t la cotisation
au club dirigé par l’entrepreneur. Cette variable peut correspondre à un transfert de revenu
vers l’état ou au renoncement à des droits naturels délégués sous forme de prérogatives
constitutionnelles. Dans le deuxième cas, alors itti
=
dans la mesure où les provisions
constitutionnelles sont censées s’appliquer uniformément à tous les citoyens (on peut
également envisager que t soit un impôt forfaitaire).
De la fonction d’utilité précédente on tire la disposition individuelle à adhérer au
programme constitutionnel proposé. Il suffit pour cela de considérer 0
>g comme les
services collectifs fournis par l’état ou plus généralement comme l’identité nationale qu’il
propose, ainsi que 10 << a. Cette restriction sur le paramètre a exprime alors la réduction de
l’utilité marginale des services collectifs lorsque l’état est à une distance 0
>
i
l du point idéal
de l’individu. Pour une valeur donnée de i
t, la disposition individuelle à adhérer à l’état
s’écrit alors
(2) 0'',0(.)',)1(),0(),()(
<
=
=vvtalgyutygulv iiiiii
L’entrepreneur constitutionnel doit tenir compte tant de ces « dispositions à payer » que des
coûts de contrôle du territoire lorsqu’il va construire son état.
1.3. La taille optimale de l’état : un « calcul du consentement » sur la ligne d’Hotelling
La taille de l’état dépend de l’objectif de l’entrepreneur institutionnel. Si celui-ci
souhaite maximiser le surplus total sur son territoire (Josselin et Marciano, 1999), il résout le
programme
(3) )]([2))((2max
00
∫∫
+
rr
r
rrctdudutuv
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où sont détaillés successivement le surplus des citoyens et le surplus de l’entrepreneur. Le
programme s’écrit encore
(4) )()(max
0
r
r
rrcduuv
La condition du premier ordre donne
(5) *)('**)(*)( rcrrcrv +=
Le territoire *2*2 jJr = couvert est donc tel que la disposition à adhérer à la frontière,
représentée de part et d’autre de J par l’individu noté j* à gauche de J et j*’ à droite, est égale
au coût marginal de contrôle de ce territoire. Quant à l’étendue des prérogatives
constitutionnelles, elle est telle que
(6) *)(* rvt =
Cela dit, fort de l’absence (supposée) de concurrents sur le segment, l’entrepreneur
constitutionnel peut également se comporter en monopoliste (Blum et Dudley, 1991) auquel
cas il maximise son pouvoir discrétionnaire en résolvant le programme
(7) ))()((2max rcrvr
r
La condition du premier ordre s’écrit cette fois-ci
(8) )
~
('
~
)
~
()
~
()
~
('
~
rcrrcrvrvr +=+
Le territoire jJr
~
2
~
2= est désormais tel que la disposition marginale à adhérer de
l’individu frontière j
~
ou '
~
j est égale au coût marginal de contrôle.
En comparant les équations (5) et (8), on voit que
r
r
<
~
tandis que *)
~
(
~
trvt >= , ceci
pour une même quantité de bien public fournie. Ainsi, un gouvernement qui souhaite
maximiser le surplus collectif sur son territoire couvre une étendue plus importante mais
dispose de moins de prérogatives : son pouvoir discrétionnaire )]()([ rcrt
diminue d’autant.
Ce dernier est constitué de l’ensemble des prérogatives qui excèdent celles qui sont
nécessaires à l’exercice du contrôle du territoire. La discrétion ne signifie pas bien sûr ici
l’arbitraire. Au-delà des coûts de contrôle associés à la nature nécessairement coercitive du
pouvoir, l’état développe un ensemble d’intrusions dans les droits naturels des individus à
partir desquels il constitue l’identité commune et la cohésion collective. D’ailleurs, tous les
individus qui adhèrent à l’état en retirent par construction un surplus positif. Seuls les
individus frontières sont indifférents entre la participation à l’état et une situation d’ordre
spontané.
On voit bien à l’issue des développements précédents combien sont mêlées les
dimensions spatiale et constitutionnelle de la formation d’un état. Le calcul du consentement
sur la ligne d’Hotelling fait apparaître combien les individus doivent aménager leurs
convictions personnelles (représentées par le point idéal de leur localisation) pour adhérer à
l’état. Celui-ci leur fera bénéficier d’une cohésion sociale par ailleurs maintenue au prix de
coûts de contrôle croissant avec la distance. La conjonction de ces coûts et des prérogatives
publiques dont l’étendue décroît avec l’éloignement définit la taille de l’état. L’objectif est
maintenant de réfléchir aux diverses définitions possibles d’une région à partir de ce modèle.
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