doi:10.1684/nrp.2011.0171
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Dossier
Rev Neuropsychol
2011 ; 3 (2) : 120-6 L’amnésie pure progressive :
un «modèle pathologique »privilégié
pour l’étude des systèmes de
mémoire ?
Could pure progressive amnesia
contribute to a better understanding of
memory systems?
Mira Didic, Eve Tramoni
Service de neurologie et neuropsychologie,
Pôle de neurosciences cliniques,
CHU la Timone, CMRR PACA Ouest,
Marseille et Inserm U751, Marseille
Pour citer cet article : Didic M, Tramoni E.
L’amnésie pure progressive : un «modèle
pathologique »privilégié pour l’étude des
systèmes de mémoire ? Rev Neuropsychol
2011 ; 3 (2) : 120-6 doi:10.1684/nrp.2011.0171
Résumé Selon une première conception de l’organisation anatomo-
fonctionnelle de la mémoire déclarative, l’ensemble des
régions constituant le lobe temporal interne (LTI) contribuerait d’une manière homogène à
cette mémoire. À cette vision des bases neurales de la mémoire déclarative s’oppose une autre
vision issue de nombreux travaux conduits chez l’animal et plus récemment chez l’homme
qui apportent des arguments en faveur d’un rôle différentiel des sous-régions du LTI. Ainsi, les
structures sous-hippocampiques antérieures (cortex rhinaux) joueraient un rôle crucial dans
la mémoire sémantique/décontextualisée, alors que les structures postérieures (hippocampe
et cortex parahippocampique) contribueraient de manière prédominante à la mémoire épiso-
dique/contextualisée. Nous présentons ici des arguments selon lesquels l’étude de l’amnésie
pure progressive, également qualifiée de forme focale temporale interne de la maladie
d’Alzheimer, apporte des arguments en faveur d’une dissociation entre la mémoire décontex-
tualisée et la mémoire contextualisée. L’étude de ce syndrome pourrait s’avérer un «modèle
pathologique »particulièrement contributif pour comprendre l’organisation des systèmes de
la mémoire déclarative en complément des autres pathologies qui sont à l’origine de lésions
bilatérales des régions du LTI.
Mots clés : amnésie ·troubles de la mémoire ·mémoire sémantique ·mémoire spatiale ·mémoire
épisodique ·maladie d’Alzheimer
Abstract While one dominant view argues that the mesial temporal
lobe (MTL) contributes to declarative memory in a homo-
genous way, an alternative view that receives increasing support is that these subregions,
although strongly interlinked, play different roles. The anterior subhippocampal region is
thought to be critical for context-free memory (i.e. memory for facts), such as semantic
memory, while the hippocampus is thought to play a crucial role for context-rich memory,
such as episodic memory and spatial memory. We here present evidence for a dissocia-
tion between context-free and context-rich memory in pure progressive amnesia, the focal
temporal lobe variant of Alzheimer’s disease. This syndrome could be considered as an
additional “pathological model” leading to a better understanding of memory systems
involving the MTL.
Key words: amnesia ·semantic memory disorder ·memory disorder spatial ·episodic memory ·
Alzheimer’s disease
Correspondance :
M. Didic
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Les processus de mémorisation dépendent de
l’intégrité de réseaux neuraux fonctionnels dyna-
miques interconnectés et distribués de manière
parallèle et hiérarchique. Les travaux lésionnels soulignent
le rôle crucial du lobe temporal interne (LTI) dans la
mémoire déclarative. Cette dernière, constituée de deux
composantes – épisodique et sémantique -, est définie
comme l’ensemble des informations qui peuvent être
stockées et rappelées de fac¸on consciente et verbalisable
[1]. Bien que soient toujours discutés les rôles respectifs
des sous-composantes du LTI et le caractère unitaire ou
différentiel de leurs contributions à la mémoire déclarative,
de nombreux travaux récents sont en faveur de l’existence,
au sein de ces structures, d’une dissociation fonctionnelle
de différents aspects de la mémoire déclarative. Ainsi,
les structures sous-hippocampiques antérieures (cortex
rhinaux) joueraient un rôle crucial dans la mémoire
sémantique/décontextualisée, alors que les structures
postérieures (hippocampe et cortex parahippocampique)
contribueraient de manière prédominante à la mémoire
épisodique/contextualisée.
Les maladies dégénératives du cortex cérébral, comme
la sclérose latérale amyotrophique, l’atrophie spinocéré-
bélleuse ou la maladie de Parkinson intéressent lors de leurs
stades initiaux un seul système anatomo-fonctionnel. À ce
titre, ces maladies pourraient constituer des «modèles »
pour l’étude des contributions fonctionnelles des réseaux
neuraux atteints par le processus dégénératif. Dans la
forme la plus commune de la maladie d’Alzheimer
(MA), les dégénérescences neurofibrillaires (DNF), cor-
rélées aux signes cliniques de la maladie, apparaissent
dans la région sous-hippocampique antérieure avant de
s’étendre à l’hippocampe [2]. Si les implications respec-
tives des différentes structures du LTI dans la mémoire
déclarative différaient, la nature des déficits mnésiques
devrait être influencée par la distribution topographique
Scal
feol
ctp
cpr
cer
fh
Figure 1. Vue de la face interne du lobe temporal droit avec représentation schématique des différentes aires appartenant aux structures temporales internes
(d’après [4]).
cer : cortex entorhinal ; cpr : cortex périrhinal ; ctp : cortex temporo-polaire ; cph : cortex parahippocampique ; fcol : fissure colatérale ; fh : formation
hippocampique ; scal : scissure calcarine ; TE : cortex inféro-temporale. Les limites postérieures de la fh et du cph ne sont pas représentées.
des lésions neuropathologiques au sein du LTI.
La MA, dans ses stades initiaux, pourrait ainsi consti-
tuer un modèle d’étude privilégié des systèmes mnésiques
impliqués dans la mémoire déclarative. Après une descrip-
tion de l’organisation anatomo-fonctionnelle de la région
temporale interne et de l’organisation fonctionnelle de la
mémoire déclarative, nous présenterons ici des arguments
selon lesquels l’amnésie pure progressive (AmPP), une
forme de la MA intéressant de manière préférentielle la
région temporale interne, également qualifiée de forme
focale temporale interne de la MA [3], apporte des
arguments en faveur d’une dissociation entre la mémoire
décontextualisée et la mémoire contextualisée.
Organisation anatomo-fonctionnelle
de la région temporale interne
et de la mémoire déclarative
La région temporale interne
Le LTI se compose de l’hippocampe (HC) et d’autres
sous-composantes interconnectées. Parmi ces structures
figurent le cortex perirhinal (CPR) (aires de Brodman 35
et 36), ainsi que le cortex entorhinal (CER) (aire de Brod-
man 28), distribués autour de la partie antérieure de
la fissure collatérale sur la face ventromédiane du LTI.
La partie postérieure du gyrus parahippocampique est
qualifiée de cortex parahippocampique (CPH) (figure 1).
Les études chez le singe et des rongeurs montrent que
ces sous-composantes sont connectées aux régions associa-
tives du cortex cérébral par des réseaux parallèles. Ainsi,
le CPR rec¸oit ses afférences de la voie visuelle ventrale,
presqu’un tiers de ses afférences corticales provenant des
aires visuelles associatives adjacentes. En comparaison avec
le CPR, le CPH rec¸oit une proportion beaucoup plus élevée
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de ses afférences des régions appartenant à la voie visuelle
dorsale, le cortex pariétal postérieur, le cortex rétrosplenial,
le cortex dorso-latéral préfrontal et la portion dorsale du
sillon temporal supérieur [4]. Ainsi, alors que les structures
sous-hippocampiques antérieures sont en relation étroite
avec la voie visuelle ventrale impliquée dans l’identification
des objets (système du «what »«quoi »), le CPH est lié à
la voie visuelle dorsale dévolue à la localisation spatiale
(système du «where »«»). Récemment, Kahn et al. [5],
en utilisant une méthode d’approche des connexions fonc-
tionnelles à l’aide de l’IRM fonctionnelle haute résolution
à l’état de repos, ont également identifié deux voies corti-
cales associées avec les sous-régions du LTI chez l’homme.
La première voie associée au CPR et au CER comprend le
lobe temporal antéro-latéral, cette voie convergeant vers
la tête de l’hippocampe. La deuxième voie, associée au
cortex parahippocampique, comprend le lobule pariétal
inférieur, le cortex rétrosplénial, le cingulum postérieur,
ainsi qu’une portion du cortex medio-ventral préfrontal,
cette voie convergeant vers le corps de l’hippocampe.
La mémoire déclarative
La description du patient H.M., qui avait présenté une
amnésie sévère suite à l’excision bilatérale de la région
temporale interne en raison d’une épilepsie pharmaco-
résistante, a révélé le rôle crucial du LTI dans la mémoire
déclarative chez l’homme [6]. Tulving [7] introduisait
une distinction au sein de la mémoire déclarative, entre
mémoire sémantique et mémoire épisodique. La mémoire
sémantique fait référence aux faits et à la connaissance
des objets, des personnes, des lieux et des concepts.
Cette mémoire est associée à une conscience noétique de
l’existence du monde, des objets et des événements, indé-
pendamment de la conscience autonoétique et du temps
subjectif [7, 8]. La mémoire épisodique fait, quant à elle,
référence à la remémoration consciente des événements
personnellement vécus, situés dans leur contexte temporo-
spatial spécifique d’acquisition et nécessitant un voyage
mental à travers le temps, avec une référence autonoétique,
permettant ainsi l’expérience des souvenirs personnels.
Chez l’animal, la plupart des travaux sur la mémoire
épisodique s’intéressent à un aspect de cette dernière,
la mémoire spatiale. La mémoire spatiale n’est pas un sys-
tème unitaire mais comprend de multiples processus cogni-
tifs spécialisés. Une distinction a été proposée par O’Keefe
et Nadel [9] sur la base de travaux chez l’animal. Selon
ces auteurs, il existe deux systèmes distincts permettant
de guider les déplacements. Le Taxon système comprend
le guidage et les réorientations. Celles-ci s’organisent
sous forme de «routes »correspondant à une séquence
d’orientation stimulus-réponse. Le Local système met en
œuvre des «cartes cognitives ». Ces cartes sont en fait
des représentations allocentriques (le référentiel est stable,
indépendant de la position du sujet dans l’environnement),
contrairement aux routes qui sont des représentations
égocentriques (la référence est l’individu lui-même).
La mémoire déclarative et le LTI
Selon une première conception de l’organisation
anatomo-fonctionnelle de la mémoire déclarative,
l’ensemble des régions constituant le LTI contribuerait
d’une manière homogène à cette mémoire et la nature
sémantique ou épisodique du déficit mnésique des patients
avec une lésion du LTI varierait selon l’étendue de cette
lésion [10]. À cette vision des bases neurales de la mémoire
déclarative s’oppose une autre vision issue de nombreux
travaux conduits chez l’animal (principalement chez les
rongeurs ou des primates non humains) qui ont apporté des
arguments en faveur d’un rôle différentiel des sous-régions
du LTI [11]. Ainsi, les données obtenues chez le macaque
montrent qu’alors que le CPR joue un rôle essentiel dans la
mémoire de reconnaissance visuelle en utilisant des tâches
d’appariement avec délai (delayed matching to sample
[12]), l’HC semble être impliqué préférentiellement dans
les tâches de mémoire spatiale [13]. Un nombre croissant
de travaux suggère que, chez l’homme, les structures
du LTI supporteraient des fonctions similaires à l’animal.
Ainsi, les travaux chez des patients cérébrolésés apportent
des arguments en faveur d’une ségrégation fonctionnelle
des sous-régions de la région temporale interne [14-19].
Mishkin et al. [20] suggèrent ainsi que le substrat neural
de la mémoire épisodique qu’ils qualifient de mémoire
«contextualisée », pour laquelle le cortex hippocampique
joue un rôle crucial, pouvait être dissocié du substrat
neural de la mémoire sémantique qu’ils qualifient de
mémoire «décontextualisée »ou «mémoire des faits »,
pour laquelle les cortex sous-hippocampiques seraient cru-
ciaux. Des études plus récentes chez l’homme confirment
cette dissociation. Plusieurs cas de patients avec des lésions
hippocampiques présentant des troubles de la mémoire
contextualisée, contrastant avec la préservation de la
mémoire décontextualisée attribuée à la préservation des
cortex sous-hippocampiques, ont été décrits [15, 17, 18].
L’ensemble de ces données laisse penser qu’une dys-
fonction de la voie fonctionnelle mésiotemporale antérieure
entraîne un déficit de la mémoire décontextualisée, alors
que la dysfonction de la voie mesiotemporale postérieure
serait à l’origine d’un trouble de la mémoire contextualisée.
Néanmoins, cette dissociation est fondée sur l’observation
de plusieurs cas d’atteinte hippocampique mais il existe
peu de modèles pathologiques affectant de manière préfé-
rentielle les structures sous-hippocampiques [19, 21]. Nous
faisons l’hypothèse que l’amnésie pure progressive (AmPP),
une forme atypique de MA, pourrait constituer un modèle
d’étude privilégié des substrats fonctionnels de la voie
mésiotemporale antérieure.
L’amnésie pure progressive (AmPP)
L’AmPP : une forme temporale focale de la MA
La description de plusieurs études de cas de syndromes
amnésiques «d’étiologie inconnue »dans la littérature avait
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4
2
0
- 2
- 4
Z- scores
- 6
- 8
Tests de mémoire
décontextualisée
Tests de mémoire
contextualisée
- 10
- 12
- 14
- 16
- 18
- 20
Figure 2. Barres bleues : Z-scores obtenus par le patient MS aux tests évaluant la mémoire décontextualisée (tests de reconnaissance d’items uniques : objets,
mots, visages, fruits, légumes).
Barres bleu clair : Z-scores obtenus par le patient MS aux tests évaluant la mémoire contextualisée (TEMPau, apprentissage de route dans un environnement
réel et virtuel, apprentissage dans un labyrinthe, mémoire logique, figure de Rey). La ligne rouge représente le seuil pathologique en dessous duquel les
performances sont considérées comme pathologiques. Alors que les performances aux tests évaluant la mémoire décontextualisée sont déficitaires, elles sont
dans les normes pour les tests évaluant la mémoire contextualisée (pour plus de détails, voir [33]).
donné lieu à un débat quant à l’origine des troubles
mnésiques de ces patients [22-25]. Nous avions rapporté
l’étude d’une patiente de 55 ans avec ce type de syndrome
amnésique, d’installation insidieuse, s’aggravant progressi-
vement, sur une période de 5 ans, puis étant resté stable
pendant 8 ans avant l’apparition tardive d’un déclin cogni-
tif généralisé. Au moment du décès, 18 ans après le début
des troubles mnésiques, l’étude anatomo-pathologique du
cerveau de cette patiente montra les stigmates neuropatho-
logiques de la MA [26]. Cette observation suggérait qu’un
syndrome amnésique pur peut être en relation avec une
affection dégénérative du cortex cérébral et que la MA
peut pendant longtemps se caractériser par une séméio-
logie focale de type mnésique, sans démence. Ainsi, le
syndrome amnésique pur progressif, au même titre que
l’aphasie primaire progressive [27], pourrait constituer une
atrophie corticale focale progressive, également qualifiée
«d’atrophie lobaire ».
Un autre cas anatomo-pathologique similaire était décrit
par Caselli et al. [28]. Par ailleurs, plus récemment, d’autres
cas d’AmPP en relation avec une MA ont été décrits dans
la littérature, liés à une mutation du gène APP [29-32].
AmPP et mémoire déclarative
Les patients présentant une AmPP présentent tous une
atteinte sévère et isolée de la mémoire qui contraste
nettement avec la préservation relative de leur fonction-
nement intellectuel général et de leurs autres fonctions
cognitives. Leurs difficultés sévères au test du RL/RI-16 et
à des tests de mémoire de reconnaissance d’objets, de
visages et de mots indiquent un trouble sévère du stoc-
kage d’informations nouvelles dans des tâches qui uti-
lisent des items «décontextualisés ». La possibilité d’un
trouble spécifique portant sur ces items uniques avait
pour la première fois été suggérée suite à l’étude très
détaillée de MS, un patient de 83 ans présentant un tableau
d’AmPP [33]. Une dissociation atypique dans le champ
de la mémoire était documentée, avec un déficit sévère
concernant la reconnaissance et le rappel d’items uniques
dans la modalité verbale et visuelle, contrastant avec la
préservation relative de la mémoire antérograde autobiogra-
phique et spatiale et la préservation du rappel d’un matériel
complexe comme des histoires (figure 2). Ces données
suggéreraient que la mémoire décontextualisée pourrait
dépendre d’un système mnésique indépendant. Ce type
de syndrome amnésique était également retrouvé lors de
l’étude de trois autres patients présentant une AmPP [34].
Comme MS, ces patients présentaient des troubles sévères
du stockage portant sur des items uniques ainsi que des
déficits portant sur les connaissances sémantiques concer-
nant les personnes et les événements célèbres, ces aspects
de la mémoire sémantique pouvant également être quali-
fiés de «décontextualisés ». Ces déficits contrastaient avec
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la préservation relative de leur mémoire spatiale et de leur
autonomie. Sur la base des quelques tests de mémoire
spatiale ayant été effectués chez nos trois patients, il appa-
raissait qu’au moins la mémoire spatiale de type Taxon était
préservée chez eux. Il est même possible que la mémoire
spatiale de type carte cognitive soit en partie intacte, comme
en témoignait l’habileté préservée de la patiente GD à utili-
ser les cartes routières [34], ou tel qu’évalué chez le patient
MS [33]. Ce profil est l’opposé de celui d’autres patients
porteurs de lésions hippocampiques d’origine anoxique
avec une atteinte de la mémoire contextualisée contras-
tant avec une préservation de mémoire décontextualisée
[14, 17, 18].
AmPP et préservation de l’autonomie
L’aspect le plus inhabituel du tableau clinique des
patients atteints d’AmPP est la présence d’un syndrome
amnésique sévère aux épreuves neuropsychologiques de
mémoire habituellement utilisées dans un cadre clinique,
tout en présence d’une préservation de l’autonomie dans la
vie quotidienne parfaite. Cette préservation de l’autonomie
au quotidien pourrait principalement être en relation avec
la préservation de leur mémoire spatiale, de leur mémoire
autobiographique comme cela a été démontré chez la
patiente GD [35], et d’autres fonctions cognitives, long-
temps préservées au cours de l’évolution de ce syndrome
(praxies, calcul, attention, langage, etc.).
La préservation de l’autonomie pendant de nombreuses
années a été décrite par d’autres études de patients présen-
tant une AmPP. Ainsi, Miceli et al. [25] et plus récemment
Fossard et al. [36], par exemple, ont insisté sur le fait que
ces patients avaient une autonomie préservée dans la vie
quotidienne, tandis que Lucchelli et al. [24], et Caffara et
Veneri [23], rapportent également que leurs patients ne se
sont jamais perdus. Enfin, Stokholm et al. [29] précisent
que leur patient de 49 ans qui a commencé à présenter des
troubles sévères de la mémoire (MMSE = 23) évalués par
des épreuves mettant en jeu le rappel et la reconnaissance
d’items uniques (mot, visages) a pu continuer à gérer les
tâches de la vie quotidienne, pouvant se déplacer seul en
bus et en train pour se rendre à l’hôpital ou chez son petit-
fils qui vivait dans une autre ville. Ces déficits sont restés
stables durant 8 ans.
AmPP : une «nouvelle »forme d’amnésie ?
Ce syndrome amnésique d’installation insidieuse et
d’aggravation progressive se différencie des cas d’amnésies
globales comme celle que présente H.M. suite à l’excision
chirurgicale de la totalité des structures temporales internes
par la préservation relative de la mémoire spatiale et de
l’autonomie dans la vie quotidienne [37].
Le syndrome amnésique de l’AmPP se différencie égale-
ment des cas d’amnésie liés à des anoxies hippocampiques
décrits par Vargha-Khadem et al. [14], et se caractérise
même par une double dissociation fonctionnelle : Jon, Beth
et Kate sont capables de faire des apprentissages didac-
tiques et réussissent en laboratoire des tâches de mémoire
de reconnaissance visuelle et verbale, ainsi que des tâches
de mémoire de reconnaissance de paires de mots ou de
visages [38]. En revanche, Jon, Beth et Kate (ainsi que H.M.),
ont des troubles sévères de la mémoire spatiale et ont perdu
leur autonomie dans la vie quotidienne. En effet, aucun des
trois patients ne peut retrouver son chemin dans des endroits
familiers ni la place de certains objets qui leur sont fami-
liers. De plus, Jon présente des difficultés dans une tâche
de réalité virtuelle mimant des déplacements dans une ville
et des déficits sévères pour tous les tests de mémoire topo-
graphique [39].
Enfin, l’AmPP se distingue également du syndrome
amnésique de la patiente FRG, sévèrement amnésique
suite à une encéphalite herpétique ayant détruit la quasi-
totalité de ses régions temporales internes, n’épargnant que
la région sous-hippocampique droite, qui présentait des
troubles de la mémoire spatiale et une perte de son auto-
nomie dans la vie quotidienne, mais chez laquelle une
préservation de la mémoire de reconnaissance des items
uniques fut démontrée [17].
AmPP et LTI
À notre connaissance, il existe très peu d’études ayant
exploré de fac¸on spécifique les structures du LTI chez des
patients présentant une AmPP. Chez le patient MS, la volu-
métrie de la région temporale interne montrait une atrophie
du cortex périrhinal, mais également de l’hippocampe,
sachant que la différentiation entre hippocampe antérieur
et postérieur, appartenant à des réseaux neuraux distincts,
n’était pas prise en compte dans ce travail [33]. En revanche,
le cortex parahippocampique était préservé. L’hypothèse
soulevée était que le syndrome amnésique atypique de
MS soit en relation avec une atteinte de la voie mésio-
temporale antérieure. Ainsi, la préservation de la mémoire
contextualisée serait en relation avec l’intégrité de la voie
mésiotemporale postérieure. Bien que cet aspect ne soit
pas évalué de manière formelle, une atrophie des structures
temporales internes était également retrouvée à la neuro-
imagerie chez 3 autres patients présentant une AmPP [34].
Conclusion
Pour résumer, les patients avec une AmPP présentent un
tableau clinique comparable :
un syndrome amnésique relativement isolé et sévère,
d’installation insidieuse et d’aggravation progressive ;
des troubles de la mémoire avec un trouble du stockage
d’items uniques mis en évidence par des épreuves spéci-
fiques comme le RL/RI-16 ou par des tâches de mémoire de
reconnaissance comme le DMS48 ;
une perte des savoirs sémantiques sur le monde (respec-
tant cependant la connaissance sur les objets, contrairement
à ce qui est décrit dans la démence sémantique) ;
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