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Cahier du «Monde »No 22147 daté Mercredi30 mars 2016
S
ilatêtepasse, tout passe.
Le dicton bien connuà
propos du faufilement
d’un chatàtravers un
trou de souris, est-ilvalable pour
lescellulesducorps humain ?
Telleest la surprenante question
étudiée par deux équipes et dont
lesréponses indépendantespu-
bliées dans Science du 25 mars
renversentdes certitudesbien
établies en biologie.
C’estpeu connu, mais lesmil-
liards de cellulesqui constituent
notrecorps bougentsans cesse.
Cespetits sacs mous de quel-
ques dizainesdemicromètres
de diamètrecontenantnotam-
mentnos chromosomessont
certesmoins agilesqu’un chat
mais ellessedéplacent: lescel-
lulesdelapeaupour former des
tissus, lescellulesimmunitaires
pour repéreretisolerdes corps
étrangers, lesmétastases qui
attaquent d’autres organes…
Toutes doiventsefaufiler, àlavi-
tessedesénateur de quelques
micromètres par minute, entre
leurs consœurs et pour celaelles
font montredesacrées capacités
de contorsionnistes, en passant
par destrous vingt fois moins
larges qu’elles.
Problème, la «tête» de cescel-
lulesest souventplusgrosseque
cestrous. Par«tête », on entend
le noyaudelacellule,uncompar-
timentinterne quicontientles
chromosomesetqui estunvrai
coffre-fort, protégé par une dou-
blemembrane (alorsque la cel-
lule n’en aqu’une) assez rigide.
Or,contrairementàceque tout
le mondepensait, cetteforte-
resseest en faittrèsfragile.La
double enveloppepeut se rom-
presous l’effet du fort confine-
mentmécanique et permettreà
la cellule de mieux se déformer
pour passer.C’est ce qu’a observé
pour la premièrefois l’équipe de
JanLammerding –université
Cornell(Ithaca, NewYork) et Cen-
tredegénomique du cancer des
Pays-Bas –ainsi quecelle de Ma-
thieu Piel –Institut Curie, univer-
sité Pierre-et-Marie-Curie, CNRS
et Inserm. Ellesont étudiéres-
pectivementdes cellulescancé-
reuses et descellulesimmunitai-
respassantàtravers descon-
duitsartificiels gravés dans du
plastique.Elles ontconstaté que
desprotéinesp
résentes exclusi-
vementdans le noyauseretrou-
vent dans toutelacellule.Etin-
versementque desmolécules
hors du noyausecollent àl’A DN.
Cela n’avaitjamais étévu, sauf
dans la phasededivision cellu-
laire(mitose).
C’estpour le moins surprenant
car «toutlemonde aurait pensé
que cela seraitfatal àune cellule»,
souligneJan Lammerding. En
effet, l’enveloppeprotège l’ADN
desagressions «extérieures»,
notammentdusystème quis’en
prend, hors du noyau, àl’A DN de
virus et quipourraitseretourner
contreles chromosomes.
Nouveau concept
En outre, la cellule fonctionne
aussi grâce au contrôledes con-
centrations chimiquesentre l’in-
térieur du noyauetson exté-
rieur (lecytoplasme). Quel’enve-
loppedunoyau vienne àcasser
et tout cetéquilibres’effondre,
menaçantapriorilacellule.Sauf
queles chercheurs n’ontpas ob-
servéces effets catastrophiques.
Au contraire, ilsont constaté
qu’aubout de quelques minutes
l’enveloppeserépare!
«Serendre compteque cette
barrière entre le noyauetlecyto-
plasme estfragile et doit être
constammententretenue et ré-
parée esttoutàfaitnouveau en
biologie », se réjouitMathieu
Piel. «Etant donnélenombre de
ruptures du noyauque nous ob-
servons, nous restons intrigués
par la manière dont lescellules
tolèrent cesdégâts»,explique
JanLammerding.
De quoi ouvrir de nouvelles
pistesderecherche autour d’un
phénomène somme toutefré-
quent. Cesruptures ne seraient-
ellespas impliquées dans desré-
ponses inflammatoires,des mala-
dies auto-immunesoulevieillis-
sementprématurédes cellules?
En effet, la miseencontact rapide
du cytoplasme avec l’ADN peut
conduireàdetels effets délétères
en conduisant la cellule àsurréa-
gir ou àmultiplier lesatteintes
auxchromosomes.
Autresuggestion, «tuer les cel-
lules quimigrent, c’est peut-être
une bonneidée pour luttercontre
le cancer», imagine Mathieu Piel
en songeantaux cellulesméta-
statiques. Il faudrait lescibleren
bloquant leur système de répara-
tion par exemple, tout en n’attei-
gnantpas celui d’autres cellules
sainescomme lescellulesimmu-
nitaires.Jan Lammerding areçu
un financementpour explorer
cettenouvellevoie.
Quoi qu’ilensoit, la nature
semble avoir trouvé un moyende
résoudre un dilemme. Si le noyau
adoptaitune structuresouple, les
cellulessefaufileraient facile-
mentmais leschromosomesse-
raient trop secouésetrisque-
raient desmutations.S’ilétait
trop dur, l’ADN serait protégé
mais le mouvemententravé.La
solution?Unnoyau durmais cas-
sant,capable de se réparer.Le
chatretombesur ses pattes.p
david larousserie
La fragilité,force insoupçonnéedunoyau descellules
La surprenante rupturedel’enveloppeprotectrice de l’ADN ouvredes perspectivesinéditespour comprendreles maladies