Patronage laïque Jules Vallès / ACTISCE / 72, avenue Félix Faure 75015 Paris
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PATRONAGE LAÏQUE JULES VALLES 2015_PR_016
Thématique : Pluralité religieuse 17/06/2015
Catégorie : Ecole
Islam à l’école : l’Alsace prête à sauter le pas ?
Suite aux attentats de janvier, la préfecture d’Alsace vient d’ouvrir le dossier hyper-
sensible d’un enseignement sur l’islam dans les écoles publiques. Quelles chances ont les
petits alsaciens musulmans de pouvoir suivre un cours confessionnel au même titre que
leurs camarades catholiques, protestants et juifs ? Qui a les cartes pour faire aboutir les
ambitions du préfet ? Rue89 Strasbourg a mené l’enquête.
Soutien à la construction de mosquées, cimetière musulman, islamologie à l’université… Les
pouvoirs publics alsaciens font preuve de volontarisme sur l’intégration de l’islam. L’étape
suivante sera-t-elle l’introduction d’un enseignement musulman dans les écoles publiques
de la région ? En mai, l’Observatoire de la laïcité a appelé à rendre optionnel l’enseignement
de religion à l’école en Alsace-Moselle, ignorant le souhait des musulmans de profiter de cet
outil local. C’est pourtant dans ce sens que la préfecture d’Alsace a choisi d’avancer.
Le 26 mai, le préfet d’Alsace Stéphane Bouillon a chargé une commission spéciale de la
question. Quelques jours plus tôt, Jean-Claude Hergott, fonctionnaire en charge des cultes
auprès du préfet, dévoilait ses ambitions lors du passage à Strasbourg de l’imam libéral de
Bordeaux Tarek Oubrou. Il annonçait l’imminente mise en place d’un « groupe de travail sur
l’éveil cultuel [musulman] dans l’école publique » et une probable « première
expérimentation à la rentrée, en primaire ou au collège ». Depuis, la préfecture se refuse à
tout commentaire.
Une instance mise en place en mai
Les attentats de janvier ont mis à l’ordre du jour le sujet d’un enseignement de l’islam dans
les écoles alsaciennes. En mai, le préfet a mis en place une instance locale de dialogue avec
l’islam, suite à la venue à Strasbourg en mars du premier ministre Manuel Valls. Elle
rassemble les responsables musulmans de la région, les islamologues Francis Messner et Éric
Geoffroy de l’université de Strasbourg, la Région, l’Eurométropole, et le Rectorat. Le préfet a
retenu trois chantiers : la place des femmes dans les instances musulmanes, la formation et
le statut des imams et aumôniers, et l’enseignement de l’islam à l’école.
Rappelons que l’enseignement religieux obligatoire est dispensé sur les heures de cours à
l’école primaire, puis proposé en plus au collège et au lycée. Il est facile d’obtenir une
dispense. Jusqu’au CM2, les élèves non-inscrits, suivent alors un cours de morale. Au collège
et au lycée, ils sont libres. En 2010, 30% des collégiens et 14% des lycéens des trois
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départements suivaient ces enseignements. À Strasbourg, on compte même 72,4% de
dispensés dès le primaire.
Pour Abelhaq Nabaoui, vice-président du Conseil régional du culte musulman (CRCM), cette
main tendue est bienvenue :
« Le préfet nous a assuré que cette instance n’était pas pour remplacer le CRCM mais
pour l’aider à avancer. C’est une très bonne chose que la préfecture accompagne
l’organisation du culte, car le CRCM n’a pas de moyens. »
Instruire pour « protéger nos enfants »
L’enseignement de l’islam était déjà une priorité du CRCM avant les attentats de janvier.
L’une de ses commissions réfléchissait en interne sur une formule à destination des élèves
des collèges et lycées.
Pour Abedlhaq Nabaoui, l’enseignement de l’islam doit agir comme un rempart contre la
radicalisation :
« Les jeunes consomment ce qu’ils trouvent sur Internet. Nous devons les vacciner contre
les idées extrémistes. Nous voulons protéger nos enfants des manipulations. »
Au-delà de la déclaration d’intention, le préfet et ses partenaires s’entendront-ils sur la
même chose ? Responsables et membres associatifs musulmans, fonctionnaires du Rectorat,
et élus de la Région devront se mettre d’accord sur un contenu d’enseignement, la
formation et le statut des enseignants qui le dispenseront, le choix des établissements
pilotes.
Murat Ercan, futur président du CRCM, se veut confiant :
« Pour le lycée, c’est plutôt bien parti. Pour le collège et le primaire, il nous reste
beaucoup de travail. Nous allons commencer à travailler dès cet été, en vue d’une
première réunion en septembre. Nous n’aboutirons donc pas pour la rentrée. Je mise
plutôt sur celle de 2016. »
Quel serait l’objet d’un enseignement sur l’islam ? Traiterait-il de fait religieux, c’est-à-dire
de l’islam comme fait de société, ou s’agirait-il d’un cours de religion à proprement parler ?
Pour Abelhaq Nabaoui, c’est justement tout le débat qui va devoir être tranché au sein de
l’instance de la préfecture :
« Fait religieux ou religion, c’est la question la plus importante et nous ne l’avons pas
encore tranchée. Je ne vois pas le problème de penser à un cours de religion, si on
travaille avec l’Académie, sachant que nous avons un régime qui le facilite. »
Controverse juridique
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En Alsace-Moselle, l’État organise une heure d’enseignement de religion par semaine pour
les élèves du CP à la terminale, pour les quatre cultes dits « concordataires » : les
catholiques, les protestants luthériens et réformés (unis depuis 2006) et les juifs. D’après
l’Observatoire de la laïcité, impossible d’étendre cette exception scolaire au culte musulman :
En 2013, dans son jugement sur la rémunération publique des pasteurs en Alsace-Moselle, le
Conseil constitutionnel a souligné que le gime local des cultes reste valable mais ne peut
pas s’étendre à de nouveaux bénéficiaires.
Le Strasbourgeois Éric Sander, secrétaire général de l’Institut du droit local, réfute cette
interprétation :
« Le statut scolaire d’Alsace-Moselle est complètement autonome par rapport aux textes
qui concernent les cultes reconnus. Par ailleurs, il prévoit simplement un enseignement de
la religion à l’école publique sans dire de quelle religion. Donc si les pouvoirs publics ont la
volonté d’utiliser cet outil pour introduire un nouveau cours de religion, le droit le leur
permet. »
Une réflexion amorcée par la Région en 2011
S’appuyant sur son raisonnement, la Région Alsace a coordonné une première réflexion sur
un enseignement de l’islam entre 2011 et 2012, dans le cadre de son comité interreligieux.
Pour Lilla Merabet, conseillère régionale sans étiquette mais élue sur une liste de la majorité
de droite qui a suivi le dossier, le rôle de la Région était alors d’offrir « un lieu de neutralité
pour que les gens puissent travailler » et de faciliter la liaison entre la préfecture, le Rectorat
et le CRCM. Elle explique :
« L’idée était de voir si l’Alsace pourrait être un jour un laboratoire, avec des outils
pédagogiques. Il fallait être vigilant avec les uns et les autres, bien rassurer sur le fait que
l’idée n’était pas d’inscrire l’islam dans le Concordat. »
C’était Driss Ayachour, à l’époque président du Conseil régional du culte musulman et
aujourd’hui président de la Coordination des associations musulmanes de Strasbourg, qui
avait porté le projet de définition d’un programme. Pour le composer, il avait surtout pris
conseil sur les expériences allemandes et l’approche pédagogique des protestants.
Selon Lilla Merabet, ce travail a porté ses fruits :
« Les programmes pour l’islam sont prêts de la sixième à la terminale. Ils développent les
cinq piliers de l’islam, la place de la femme en islam, les pratiques de solidarité, ils
contextualisent la religion à travers ses grands courants historiques… Ce contenu est plus
envisagé comme de l’éducation civique. Il vise en priorité les enfants musulmans, dont les
familles n’ont pas de lieu pour transmettre l’islam comme héritage culturel. »
En partant de ce programme existant, Lilla Merabet se veut donc optimiste sur l’ambition de
la préfecture :
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« Cela peut aller très vite. Mais il faut les bons partenaires. Libre aux responsables
musulmans de décider de ce qu’ils veulent faire de ce programme. Mais aujourd’hui, la
question se pose de leur responsabilité vis-à-vis de l’intérêt général. »
Mais où est passé le programme musulman ?
Entre les lignes, on devine le regret que Driss Ayachour du CRCM ne suive plus le dossier et
une réserve à coopérer avec les nouveaux responsables musulmans alsaciens, jugés très
conservateurs. Car depuis 2013, le jeu a changé au CRCM. Après l’ouverture du cimetière
musulman puis de la grande mosquée, Driss Ayachour et la Coordination des associations
musulmanes de Strasbourg ont perdu la présidence de l’instance représentative.
Elle est désormais aux mains d’une alliance entre le Ditib, mouvement rattaché aux affaires
religieuses turques (Projet de faculté islamique de Hautepierre), le Millî Görüs, mouvement
d’influence turque et conservatrice (mosquée Eyup Sultan de la Meinau) et l’Union des
organisations islamiques de France (réputée proche des Frères musulmans, mosquée Al
Nour de Mulhouse).
Dans la transition, le dossier enseignement de Driss Ayachour s’est perdu. Abdelhaq Nabaoui
(UOIF) ne cache pas son amertume :
« Nous avons demandé ce programme à Driss Ayachour. Nous l’avons demandé à la
Région. Personne n’a voulu nous le donner. C’est dommage, et c’est pour cela que nous
avons tout recommencé à zéro. »
Driss Ayachour, toujours membre du CRCM, concède un « regrettable manque de continuité
» entre les deux bureaux sur le sujet, sans expliquer ce que son travail est devenu. Pourtant,
Murat Ercan (Ditib) assure qu’il n’y a pas de divergence idéologique :
« On devrait pouvoir s’entendre sur les grandes lignes définies par Driss Ayachour. Sur le
contenu du programme, qui n’a pas encore été validé, je ne pense pas qu’il y ait de
désaccord. »
Pour le Rectorat, c’est aux cultes reconnus de parler pour les musulmans
Au Rectorat, on reconnaît une communication informelle avec Driss Ayachour lors de sa
réflexion sous l’égide de la Région. Mais aucun programme ne lui a jamais été présenté
officiellement. L’autorité académique pointe un grand absent dans le jeu qui s’ouvre à la
préfecture : les Églises reconnues.
Elle explique que légalement, l’initiative d’un nouvel enseignement musulman ne peut
revenir qu’aux autorités religieuses reconnues en Alsace-Moselle, qui présentent leurs
programmes et leurs enseignants au Rectorat à chaque printemps pour validation lors d’une
très locale « conférence des autorités religieuses et académiques ».
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« Le Rectorat organise les cours de religion des quatre cultes reconnus et n’avons aucun
droit d’y ajouter une religion supplémentaire. Nous ne bloquerons pas cette demande.
Mais nous ne jouons même pas un rôle de médiateur. Le CRCM doit aller voir les autres
cultes pour qu’ils fassent une place aux musulmans à l’école. »
Les Églises favorables à un enseignement interreligieux
Les Églises reconnues sont-elles prêtes à pousser jusque-là leur soutien, alors que leurs
propres enseignements sont remis en question ? Elles disent nêtre « pas opposées » à la
mise en place d’un enseignement religieux musulman aux côtés des leurs. Elles soulignent
cependant que c’est à l’État de prendre l’initiative politique.
Aujourd’hui, c’est toutefois l’horizon interreligieux qui les mobilise. Catholiques et
protestants sont au travail pour proposer un enseignement commun sur une base
interreligieuse dans le secondaire. Pour Christian Albecker, président de l’Union des Églises
protestantes d’Alsace-Lorraine, il y a là une porte ouverte aux musulmans :
« On ne va pas les prendre par la main mais s’ils nous sollicitent nous serions disposés à
les accompagner. »
Alors que le débat sur la place du fait-religieux musulman à l’école fait rage au niveau
national, l’État osera-t-il réformer l’enseignement de religion en Alsace-Moselle ou laissera-
t-il les Églises arbitrer elles-mêmes de la place qu’elles veulent laisser aux musulmans ?
SOURCE
http://www.rue89strasbourg.com/index.php/2015/06/16/societe/islam-a-lecole-lalsace-
prete-a-sauter-le-pas/
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