parution de cet ouvrage et d'autres etudes portant sur le meme probleme1. Pour ce
faire, l'auteur privilegie une demarche essentiellement theorique, allant de l'abs-
trait au concret, selon les enseignements de sociologues tels Pierre Bourdieu, Alain
Touraine, Cornelius Castoriadis, etc. De ce choix methodologique decoule le plan
d'une these qui prend les apparences d'un vaste chantier oü Bernard Voutat
deconstruit, puis reconstruit la maison jurassienne. L'auteur demonte en effet
dans la premiere partie de son ouvrage les mecanismes de la lutte de classements
qu'il amise äjour autour de la Question jurassienne, puis met en place dans un
second temps les echafaudages theoriques qui vont lui permettre de bätir son
interpretation surla base de la relation entretenue entre espace national et identite
collective. La derniere etape de sa reflexion aboutit ainsi äune sociologie politique
du conflit jurassien permettant de comprendre comment et pourquoi se sont
produites les identites sociales dans le Jura au cours des XIXe et XXe siecles.
Le premier chapitre constitue une excellente synthese de la Question juras¬
sienne, depuis l'affaire Möckli, qui eclate en septembre 1947, jusqu'au piebiscite
du 23 juin 1974. L'accent est mis sur une presentation «froide» des faits, plus
descriptive qu'interpretative, qui souligne les differences de points de vue des
antagonistes. L'auteur parvient ainsi äeviter le piege de la lutte des classements
dans lequel tant d'analystes de la Question jurassienne sont tombes jusqu'ä pre¬
sent, soit de leur propre gre, soit pousses par les protagonistes du conflit. Bernard
Voutat demontre dans les deux chapitres suivants que l'historien et le sociologue
peuvent se trouver empruntes dans leur interpretation de la Questionjurassienne.
Maniant avec dexterite les principes de la critique historique, il souligne ainsi la
necessite de replacer les concepts-cles de la Questionjurassienne dans le contexte
quiles avus apparaitre (p. ex. lanotionde peuplejurassien, largement tributairede
l'historiographie liberale de l'entre-deux-guerres), sans en faire un usage indiffe¬
rent ou generalise. Plus loin, l'historiographe se mue en critique de la demarche
sociologique, et il faut bien avouer que peu d'etudes de cette nature ressortent
indemnes de l'analyse äIaquelle illes soumet sans complaisance. En finde compte,
l'auteur en arrive äconclure qu'il s'agit moins de tenter, äl'aide d'outils statis¬
tiques, des correlations entre des elements d'explication du conflit lui-meme (fac¬
teurs religieux, sociaux, politiques, culturels...), que de comprendre pourquoi la
prise de conscience identitaire asurgi ätel moment plutot qu'ä un autre.
Bernard Voutat amorce sa reponse en developpant une reflexion theorique
occupant une grande place au cceur de son travail. En faisant reference äGuy
Heraud (mais peut-on le faire sans arriere-pensee, celui-ci etant lui-meme un
acteur du conflit), Max Weber, Karl Marx, etc., il decortique la signification de la
forme nationale qu'il parvient ädefinir comme le «lieu oü se pose, pour une
collectivite, la question generale de son inscription dans l'espace, celle de son
identite, ainsi que celle de l'assise territoriale de l'exercice du pouvoir politique».
Les bases theoriques d'une sociologie politique des pratiques sociales ainsi posees,
parfois un peu lourdement, l'on atteint alors le cceur d'une these qui propose une
interpretation originale de la genese et du developpement du conflitjurassien. II
s'agit tout d'abord de penser la maniere dont le passe jurassien apu etre pense.
Bernard Voutat retrace ainsi les principales etapes du developpement de l'histo-
1On consultera en particulier la publication des resultats du Programme de recherche national 21
sous le titre: L'Ecartelement. Espacejurassien et identiteplurielle 1974-1989(sous la direction de
B. Prongue, avec les contributions de C. Gigandet, C. Ganguillet et D. Kessler). Saint-Imier,
Canevas Editeur, 1991. 671 p.
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