Anthropologie et Psychologie : la situation. Cours de philosophie

Anthropologie et Psychologie : la situation.
Cours de philosophie Licence 1
Second trimestre
Simon Calenge
Introduction : Du problème de l'anthropologie au concept de situation.
1) Anthropologie empirique et anthropologie philosophique.
Nous sommes dans un cours portant pour titre Anthropologie et psychologie. Le titre du
cours devrait nous poser problème. Qu'est-ce que l'anthropologie ? La science de l'homme. Qu'est-
ce que la psychologie ? La science de l'esprit ou de l'âme humaine. Lorsqu'on a affaire à un tel titre
se pose la question de savoir s'il est question d'étudier l'homme en général ou son esprit en
particulier. Et si nous étudions l'homme en général, qu'étudions nous en lui ? Heidegger se plaignait
déjà en 1919 de la diversité des anthropologies : étudions-nous l'homme dans son histoire ?
L'homme dans son corps ? L'homme dans le fonctionnement de son esprit ? Si le titre
''anthropologie'' est accompagné de cet autre titre, ''psychologie'', on peut supposer qu'il s'agit du
fonctionnement de l'esprit humain qui se trouve ici en question. Mais cela ne résout pas la question.
Notre cours signifierait anthropologie du point de vue de l'esprit humain. Mais à quelle visée
anthropologique nous adressons-nous ? À la psychiatrie ? À la neurologie ? à la psychanalyse ?
L'histoire n'est pas moins le déploiement de l'esprit de l'homme que la psychologie.
Il faut se reporter au contexte du cours pour mieux comprendre notre tâche : Ce cours sur la
psychologie et l'anthropologie est également un cours de philosophie : ce n'est pas seulement des
sciences de l'homme qu'il est question, mais de ce que la philosophie en dit.
Là encore se pose une multiplicité de problèmes : En quel sens ces deux thèmes constituent-
ils le thème de la réflexion philosophique ? S'agit-il d'interroger A et P en tant que sciences
constituées pour ensuite voir ce que la philosophie peut en dire ? Ce serait une possibilité : voir les
résultats de ces disciplines et en tirer des conclusions dites philosophiques, tâcher de mettre en
accord la philosophie avec le contenu positif de ces sciences. Mais alors quelle conclusion la
philosophie doit-elle tirer de quels résultats ?
L'anthropologie m'apprend que l'homme est le seul dans le règne animal à être pourvu de
pouces opposables avec une exception notable pour le panda dont Stephen Jay Gould nous
apprend que son pouce n'en est finalement pas un (Cf. Gould Le pouce du Panda). Quelle
conclusion tirer de ce résultat de l'anthropologie ? On pourrait se pencher sur cette proprié
exclusive de l'être humain pour tenter d'en tirer une définition générale de l'homme et l'insérer
généralement dans le règne de la nature. L'homme est le seul être pourvu de pouces opposables.
L'anthropologie nous renseigne plus avant sur une telle propriété : les pouces opposables sont l'effet
d'une évolution rendue possible par l'interaction des mutations génétiques de certains primates et de
la sélection naturelle par les milieux de vie de ces primates. Cette interaction fait que le milieu fait
mourir tous ceux dont les caractères ne sont pas appropriés à la survie. Une telle interaction, une
telle sélection rendit possible pour l'homme une autre spécificité : la station verticale, qui libéra
l'usage de ses membres antérieurs, avec pour résultat la formation de mains pourvues de pouces
opposables.
Qu'est-ce que la philosophie peut tirer de ce résultat ? La main serait le propre de l'homme.
Mais encore ? Cette spécificité humaine serait telle que l'homme plus que tout autre animal serait
capable de préhension, et par là, d'appréhension. Il serait possible de poursuivre philosophiquement
cette analyse en faisant à l'image de Bergson de l'homme non pas un homo sapiens, mais un
homo faber. Bergson se propose ainsi de rendre compte de l'humanité non pas en se fondant sur ses
productions intellectuelles, mais sur la compréhension tout à la fois des productions humaines et de
sa morphologie naturelle. Il ne regarde pas l'homme dans la société, mais dans son rapport au règne
animal. Qu'aura alors fait la philosophie ici ? Elle aura interprété les résultats d'une science pour
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permettre que chaque lecteur de philosophie puisse leur donner sens, pour permettre au lecteur de se
les approprier, de les intégrer dans un ensemble de notions déjà données.
Si l'on généralise ce procédé, la philosophie n'aurait alors pour seule tâche de réunir entre
eux les résultats des sciences positives, pour tenter de les intégrer dans un système qui permettrait
de donner sens à ces résultats : il y aurait comme un partage de ches : à la science le travail de
production de la vérité, à la philosophie le travail d'interprétation de cette vérité.
Si l'on en reste là, on ne peut qu'être profondément déçu. Pourquoi un cours sur
Anthropologie et Psychologie, et pourquoi pas un cours sur la biostatistique en philosophie ?
Pourquoi pas un cours sur la biochimie en philosophie ? L'apprenti philosophe que vous êtes aurait
alors, plutôt qu'à fréquenter la fac de philo, à se présenter dans tous les cours de toutes les facultés.
Arrivés péniblement à l'âge de la retraite, chacun pourrait alors commencer à philosopher.
Malgré cette caricature, on doit reconnaître la nécessité pour le philosophe de prendre
connaissance des résultats disciplines scientifiques afin de leur donner sens. Mais il n'y a pourtant
bien, dans la faculté de philosophie de Dijon, qu'un cours sur anthropologie et psychologie, et aucun
cours de biochimie. S'il y a un cours portant sur l'anthropologie et sur la psychologie ici en
philosophie, c'est sans doute que la philosophie peut se voir pourvue d'un droit dans ces disciplines
dont elle ne saurait cependant jouir dans les autres. Quel est ce droit de la philosophie sur
l'anthropologie en particulier ?
Il faut se rendre plus attentif au travail de la philosophie sur les résultats des autres sciences
pour se rendre compte de la place de l'anthropologie. La philosophie donne sens. Cela peut
s'entendre de plusieurs manières.
La philosophie peut produire du sens sur les résultats des sciences en dépassant le domaine
objectif de toutes ces sciences. Elle peut ainsi tenter de réunir toutes ces sciences entre elles, via
leurs résultats positifs, pour leur donner une unité synthétique : la philosophie serait alors l'étude
synthétique de tout, et donc du tout. Cela s'appelle la métaphysique : par delà l'expérience que nous
pouvons faire, s'efforcer de réunir tout ce dont nous pouvons faire l'expérience. Par-de la nature,
réunir toute la structure de la nature y compris celle de l'homme pour permettre une unité de
compréhension des résultats des sciences. Ta meta ta physica. Le problème d'une telle métaphysique
se trouve dans le désaccord entre la hauteur de ses prétentions et les moyens dont elle dispose pour
les satisfaire. Parce que par principe la métaphysique n'a pas les moyens de prouver ses dires, parce
que, cherchant à donner une unité universelle aux résultats des sciences, elle ne peut se former elle-
même comme une science à côté de toutes les autres, il ne saurait y avoir qu'une métaphysique. Il y
aura toujours nécessairement autant de métaphysiques que de métaphysiciens. Toute conception
d'une unité universelle, en l'absence de toute expérience objective qui puisse tenir lieu de preuve, se
condamne à n'être qu'une unité subjective. Le métaphysicien pourrait aussi bien être un escroc et il
faut reconnaître que le philosophe n'est jamais vraiment loin d'une telle escroquerie.
Soyons plus précis : Que fait la philosophie face à ce résultat de l'anthropologie : que
l'homme a des pouces opposables ? Elle lui donne sens. Bergson veut faire pour ainsi dire parler une
vérité muette. L'homme a des pouces opposables. La belle affaire!! À partir de quand ce résultat me
dit-il quelque chose ? Lorsque Bergson cesse de regarder cette véri telle qu'elle est, dans son
énoncé brut et concis. Quelle différence y a-t-il pour moi entre « j'ai des pouces opposables » et « je
suis un homo faber » ? J'ai, je suis. Une caractérisation de mon être ? On pourrait dire je suis
pourvu de pouces opposables. Il y a plus. Dans la phrase : je suis un homo faber, il y a une
caractérisation destinale de mon être : les pouces signifient pour moi une capacité de les utiliser de
telle manière que je puisse faire ce que nul autre ne peut faire. Mes pouces, ma main, sont pour moi
ma capacité de fabriquer quelque chose avec eux. Par l'intermédiaire de la description de l'homme
comme homo faber, Bergson va au-delà de la simple vérité nue et neutre, il donne sens, cela signifie
qu'il me fait voir dans cette vérité une possibilité de moi-même, une possibilité de faire de moi-
même quelque chose à partir de mes mains, de me définir par l'usage de mes mains, et peut-être de
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me définir beaucoup plus par l'usage de mes mains que par celui de mon cerveau.
Ce que fait la philosophie avec Bergson, c'est qu'elle rend possible que le résultat positif et
vrai de telle ou telle science parle à l'homme de ce qu'il peut faire de lui-même. Elle ne parle pas à
la molécule, ni à la lune... elle parle à l'homme. Elle ne parle pas non plus à n'importe quel homme :
lorsque Bergson affirme que l'homme est homo faber, il prétend détromper l'homme sur ce qu'il est.
Définir l'homme comme homo sapiens cela est la conséquence d'un préjugé de l'homme sur lui-
même, à ce caractériser d'abord et avant tout par son intelligence. Vieux préjugé qui vient d'une
interprétation médiévale du zoon logon d'Aristote : l'homme serait un animal raisonnable, ou animal
rationnel (Cf éthique à Nicomaque I). Le sens que Bergson donne à des résultats scientifiques est un
sens pour quelqu'un. Ce sens n'est pas le même selon le destinataire qui le comprend. Cela, Bergson
en a conscience. C'est d'ailleurs ce qui motive son énoncé : détromper les hommes de son temps sur
ce qu'ils sont : non de purs esprits, mais des mains, une capacité de fabriquer à laquelle tout esprit
est subordonné.
La philosophie est donc intéressée au premier chef à l'anthropologie parce que
l'anthropologie est la science du destinataire de la philosophie. Si la philosophie s'intéresse à
l'anthropologie, c'est seulement dans la mesure elle cherche à savoir qui est son destinataire.
L'ensemble des sciences sont bien indifférentes à celui à qui elles parlent. Il semble même que cette
indifférence soit la condition même de leur scientificité. Mais la philosophie se doit de produire du
sens. Or ce sens doit être compris. Il dépend non seulement de celui qui produit ce sens, mais ce
sens doit également être pertinent pour celui qui comprend ce sens, elle suppose de la part de celui à
qui elle s'adresse que celui-ci s'interroge sur ce qu'il est. L'anthropologie est la science de l'être qui,
s'interrogeant sur lui-même est capable de philosophie.
Une telle définition de l'anthropologie vaut-elle de toutes les anthropologies ? Il y a bien une
multiplicité d'anthropologies : on peut la comprendre comme la science de la morphologie des
humanidés : homo sapiens, mais aussi homo erectus, primates... elle peut également se comprendre
comme anthropologie judiciaire. Par anthropologie, on peut aussi comprendre l'ethnologie, l'étude
des cultures, ce qui nous conduit finalement à la totalités des sciences de l'homme, des sciences
humaines : histoire, sociologie, et finalement aussi psychologie. Toutes ces sciences intéressent-
elles également l'être qui s'interroge sur lui-même ? Lorsque Bergson dit que l'homme est homo
faber , il ne s'adresse pas à l'homme comme homo faber , mais à celui qui comprend qu'il peut être
homo faber. L'homme dont il parle n'est pas l'homme à qui il parle. L'homme à qui il parle est un
philosophe, un être qui comprend ce qu'on lui dit sur lui-même. L'anthropologie qui intéresse la
philosophie au premier chef est celle qui parle de celui à qui elle parle.
Ce qui intéresse au premier chef le philosophe, c'est la découverte des conditions qui
rendent possible que l'homme s'interroge sur lui-même. Les conditions de possibilités qui rendent
possible qu'un homme donne une caractérisation destinale de son être, et celles qui rendent possible
qu'il l'entende. L'homme est à la fois le destinateur et le destinataire de la parole philosophique. Il
ne peut la produire qu'en s'interrogeant sur lui-même, et ne peut l'entendre que dans le cadre d'une
telle interrogation. Cette réflexividoit se retrouver dans l'anthropologie même sur laquelle il doit
pouvoir émettre des prétentions. Il s'agit pour le philosophe de voir l'homme non comme un objet
naturel d'une science naturelle, mais de se voir lui-même comme sujet. L'homme s'interrogeant sur
lui-même ne fait pas de lui-même un objet, il s'interroge sur lui-même en tant qu'il est capable de
s'interroger sur lui-même, en tant qu'il est l'origine obscure de l'interrogation elle-même. Ce qui
intéressera le philosophe dans l'anthropologie, ce n'est pas l'homme pour autant qu'il peut faire
l'objet d'une expérience. Mais l'homme qui se pose des questions, c'est-à-dire celui qui est non pas
l'objet mais le sujet de ces expériences, celui chez qui ces expériences trouvent leur origine, non
leur fin.
Il s'agit alors de distinguer deux types d'anthropologies : une anthropologie empirique ou
pragmatique selon le concept employé par Kant et une anthropologie philosophique : la première
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fait de l'homme l'objet de son expérience, l'intègre à un champ objectif d'expérimentation qui
l'insère dans le règne général de la nature, la seconde interroge l'homme dans sa capacité de
s'interroger. Laquelle des disciplines citées ci-dessus se rapporte à cette interrogation philosophique
de l'homme sur lui-même ? La psychologie au premier chef, dans la mesure elle interroge les
conditions de possibilité psychiques d'une telle interrogation. L'histoire peut également avoir son
rôle à jouer, dans la mesure l'homme ne s'interroge pas sur lui-même de la même lanière selon
les ages de l'histoire auxquels il peut appartenir : les premiers chrétiens s'interrogeront sur eux-
mêmes dans le souci de leur salut. Les hommes des lumières peut-être en tachant de s'intégrer au
règne général de la nature. Les hommes du XIX s'interrogeront sur leur appartenance sociale à telle
ou telle classe... L'anthropologie philosophique traverse de part en part l'anthropologie empirique.
Elle est tout à la fois la condition de possibilité de cette dernière et un questionnement qui la
traverse de part en part.
À l'intérieur de la philosophie doit se laisser découvrir ainsi une question qui retourne de la
connaissance des objets à la connaissance du connaissant. Ce retour peut se prendre en philosophie
selon une multiplicité infinie de chemins : j'en choisis deux pour faire valoir l'importance de
l'interrogation de l'anthropologie philosophique en philosophie.
Cf. Kant : Les trois questions de la philosophie : Que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Que
m'est-il permis d'espérer ? (Cf Kant, Critique de la raison pure, Canon de la raison pure ; Et surtout
Logique introduction). La première question concerne les sciences, la seconde la morale, la
troisième la religion. Comment réunir ces questions entre elles dans une commune unité ? In
Logique, Kant nous dit qu'elle se réunissent toutes dans une question commune : Qu'est-ce que
l'homme ?. Comment ces trois questions peuvent-elles avoir quelque chose de commun avec cette
question anthropologique ? Cf Heidegger Kant et le problème de la métaphysique. Pour que
l'homme s'interroge sur ce qu'il peut connaître, il faut qu'il fasse l'expérience de lui-même dans sa
propre finitude. « Lorsqu'un pouvoir est mis en question et que l'on veut en délimiter les
possibilités, il manifeste du même coup un non-pouvoir. Un être tout puissant n'a pas à se demander
: que puis-je? C'est-à-dire que ne puis-je pas... celui qui s'interroge sur son pouvoir manifeste par
sa finitude ». De même le devoir signifie toujours que quelque chose est à faire, non fait. Il y a
défaut d'accomplissement, et donc à nouveau finitude. Le fond de la philosophie, c'est l'homme
s'interrogeant sur lui-même.
L'acte de naissance de la philosophie. Cf. Apologie de Socrate : je sais que je ne vaux rien en
ce qui concerne le savoir, et connais-toi toi-même.
La première assertion du philosophe : la découverte de sa finitude elle-même. Il s'y agit
d'une découverte d'un étonnement concernant un manque. Savoir que je ne vaux rien en ce qui
concerne le savoir, c'est tout à la fois déjà prendre un recul vis-à-vis de cette ignorance : dans la
réflexion sur soi on commence à se séparer de son ignorance, sans pour autant accéder à une
connaissance absolue. Nous sommes dans un état, je n'ose encore dire une situation, intermédiaire :
ni sachant ni ignorant. Mais aimant le savoir, et détestant notre ignorance. Nous sommes philo-
sophes. Entre le savoir et l'ignorance, entre la sagesse et la folie, nous sommes philosophes.
Mais qui sommes-nous, nous qui philosophons, c'est-à-dire nous qui faisons réflexion sur
nous-mêmes en nous élevant par même au-dessus de nous-mêmes ? Quelle est cette situation
dans laquelle nous nous trouvons qui nous caractérise nous philosophes ? Tentation platonicienne à
dépasser cette intermédiarité, à nous faire accéder à un au-delà absolu, à nous faire cesser d'être
philosophe. Le connais-toi toi-même est une invitation à la psychologie : chercher les conditions de
possibilité de cette intermédiarité qui caractérise l'homme-philosophe. Se connaître soi-même est
l'assignation fondatrice de la philosophie. Connaître l'homme dans ce milieu entre le néant et
l'infini. Anthropologie et psychologie : étudier l'homme qui, appelé par sa propre finitude à s'étudier
lui-même, doit toujours commencer par se connaître lui-même. Dans cette réflexivide l'esprit sur
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lui-même, lire le sens psychologique de cette anthropologie philosophique.
2) Les commencements philosophiques des sciences humaines : Vico critique de
Descartes.
L'anthropologie philosophique n'est donc pas simplement une partie de la philosophie, ni
une partie de l'anthropologie, elle est le point de départ de l'une comme de l'autre. Elle est le
commencement et l'origine de chacune de ces disciplines. Il nous faut donc un point de départ qui
parte de l'homme lui-même, pour ensuite reconquérir la totalité des sciences dont il est capable. Il
faut chercher par delà tout savoir, un savoir de l'homme par lui-même, une réflexivité fondatrice
correspondant à l'assignation fondatrice de la philosophie : connais-toi toi-même. Ce point de départ
dans la finitude de l'homme et l'assignation à l'homme de s'étudier lui-même comme fondement de
tous les savoirs limités qu'il pourrait produire, il faut à nouveau en reproduire le cheminement.
Une réflexivité qui serve de fondement absolu à tous les savoirs, comme à la compréhension
de la limite de tous ces savoirs, Descartes nous en fournit le modèle : je pense donc je suis. Je
n'approfondirai pas particulièrement la pensée du cogito cartésien. Pierre Guenancia le fera avec
plus de précision. Le cogito peut être considéré comme une nouvelle voie qui va de la limitation du
savoir humain et de sa finitude à la compréhension de l'homme par lui-même. Le Cogito doit être
compris dans le contexte de sa première exposition : celui d'une vérité préalable à la compréhension
des sciences fondamentales, telles qu'elles apparaitraient dans un grand Traité du monde. Le
Discours de la méthode n'est que l'introduction d'une œuvre plus vaste comprenant trois essais
scientifiques : Géométrie, Dioptrique, météores. Il y a cercle : le discours de la méthode introduit
aux essais qui remplacent le traité du monde, ces essais à leur tour ne se veulent que l'exemple de
l'application possible de la méthode développée dans le discours. Au fond de tout savoir, Descartes
se propose de découvrir un fondement.
Le projet cartésien de fonder toutes les sciences tant les sciences de la nature que les
sciences qu'on appelle à l'époque les sciences morales – passe, on le sait, par une stratégie de doute.
Ce qui rend possible un tel doute, c'est un critère fondamental de la vérité : la clarté et la distinction.
Le savoir qu'il sera question de fonder, il faut d'emblée en interroger les limites par la
caractérisation de ce qui en elles peut faire l'objet du doute : les sciences de la nature sont au
premier chef douteuses, dans la mesure elles font appel nécessairement à la perception sensible,
qui est objet de soupçons à plusieurs titres : 1) les sens me trompent une fois, pourquoi ne me
trompent-ils pas toujours ? 2) leur objet n'est pas même susceptible d'exister dans la mesure ce
que je vois de ces objets peut bien être une production onirique, ou pire, la production de quelque
malin génie. Les sciences pures, mathématiques et logiques, sont sujettes au doute dans la mesure
leur conclusion apparemment évidente, peut bien être l'effet de quelque illusion produite par un
Dieu tout puissant. Ce qui rend possible un tel doute est le critère de la vérité que se donne
Descartes : Clarté et distinction.
Il faut interroger plus avant cette démarche régressive : Ce qui pousse Descartes à douter
méthodiquement de tout, c'est son expérience de l'erreur : c'est ce qu'on appellerait son parcours
personnel dans les sciences : son éducation au collège jésuite de La Flèche, son expérience des
errements scientifiques de son temps, et des retournements scientifiques propres au XVII siècle.
Jamais dans l'histoire le doute ne s'est manifesté aux hommes avec autant de violence, Descartes est
l'un de ceux qui subit avec le plus de force cette violence des révolutions scientifiques. Il reçoit une
instruction classique : l'astronomie qu'il reçoit à l'école est géocentriste, l'ontologie qu'on lui
enseigne est scolastique, c'est-à-dire qu'elle est l'effet d'un débat d'interprétation sur les textes
aristotéliciens, de même la logique qu'il apprend est toujours une logique classique aristotélicienne.
Son entreprise de doute généralisé vient de l'expérience des errements de cette science médiévale.
Sa mise en doute trouve des motivations tout aussi personnelles que scientifiques. Mais cette
entreprise de mise en doute va beaucoup plus loin : pour se découvrir soi-même Descartes ne va pas
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