permettre que chaque lecteur de philosophie puisse leur donner sens, pour permettre au lecteur de se
les approprier, de les intégrer dans un ensemble de notions déjà données.
Si l'on généralise ce procédé, la philosophie n'aurait alors pour seule tâche de réunir entre
eux les résultats des sciences positives, pour tenter de les intégrer dans un système qui permettrait
de donner sens à ces résultats : il y aurait comme un partage de tâches : à la science le travail de
production de la vérité, à la philosophie le travail d'interprétation de cette vérité.
Si l'on en reste là, on ne peut qu'être profondément déçu. Pourquoi un cours sur
Anthropologie et Psychologie, et pourquoi pas un cours sur la biostatistique en philosophie ?
Pourquoi pas un cours sur la biochimie en philosophie ? L'apprenti philosophe que vous êtes aurait
alors, plutôt qu'à fréquenter la fac de philo, à se présenter dans tous les cours de toutes les facultés.
Arrivés péniblement à l'âge de la retraite, chacun pourrait alors commencer à philosopher.
Malgré cette caricature, on doit reconnaître la nécessité pour le philosophe de prendre
connaissance des résultats disciplines scientifiques afin de leur donner sens. Mais il n'y a pourtant
bien, dans la faculté de philosophie de Dijon, qu'un cours sur anthropologie et psychologie, et aucun
cours de biochimie. S'il y a un cours portant sur l'anthropologie et sur la psychologie ici en
philosophie, c'est sans doute que la philosophie peut se voir pourvue d'un droit dans ces disciplines
dont elle ne saurait cependant jouir dans les autres. Quel est ce droit de la philosophie sur
l'anthropologie en particulier ?
Il faut se rendre plus attentif au travail de la philosophie sur les résultats des autres sciences
pour se rendre compte de la place de l'anthropologie. La philosophie donne sens. Cela peut
s'entendre de plusieurs manières.
La philosophie peut produire du sens sur les résultats des sciences en dépassant le domaine
objectif de toutes ces sciences. Elle peut ainsi tenter de réunir toutes ces sciences entre elles, via
leurs résultats positifs, pour leur donner une unité synthétique : la philosophie serait alors l'étude
synthétique de tout, et donc du tout. Cela s'appelle la métaphysique : par delà l'expérience que nous
pouvons faire, s'efforcer de réunir tout ce dont nous pouvons faire l'expérience. Par-delà la nature,
réunir toute la structure de la nature – y compris celle de l'homme – pour permettre une unité de
compréhension des résultats des sciences. Ta meta ta physica. Le problème d'une telle métaphysique
se trouve dans le désaccord entre la hauteur de ses prétentions et les moyens dont elle dispose pour
les satisfaire. Parce que par principe la métaphysique n'a pas les moyens de prouver ses dires, parce
que, cherchant à donner une unité universelle aux résultats des sciences, elle ne peut se former elle-
même comme une science à côté de toutes les autres, il ne saurait y avoir qu'une métaphysique. Il y
aura toujours nécessairement autant de métaphysiques que de métaphysiciens. Toute conception
d'une unité universelle, en l'absence de toute expérience objective qui puisse tenir lieu de preuve, se
condamne à n'être qu'une unité subjective. Le métaphysicien pourrait aussi bien être un escroc et il
faut reconnaître que le philosophe n'est jamais vraiment loin d'une telle escroquerie.
Soyons plus précis : Que fait la philosophie face à ce résultat de l'anthropologie : que
l'homme a des pouces opposables ? Elle lui donne sens. Bergson veut faire pour ainsi dire parler une
vérité muette. L'homme a des pouces opposables. La belle affaire!! À partir de quand ce résultat me
dit-il quelque chose ? Lorsque Bergson cesse de regarder cette vérité telle qu'elle est, dans son
énoncé brut et concis. Quelle différence y a-t-il pour moi entre « j'ai des pouces opposables » et « je
suis un homo faber » ? J'ai, je suis. Une caractérisation de mon être ? On pourrait dire je suis
pourvu de pouces opposables. Il y a plus. Dans la phrase : je suis un homo faber, il y a une
caractérisation destinale de mon être : les pouces signifient pour moi une capacité de les utiliser de
telle manière que je puisse faire ce que nul autre ne peut faire. Mes pouces, ma main, sont pour moi
ma capacité de fabriquer quelque chose avec eux. Par l'intermédiaire de la description de l'homme
comme homo faber, Bergson va au-delà de la simple vérité nue et neutre, il donne sens, cela signifie
qu'il me fait voir dans cette vérité une possibilité de moi-même, une possibilité de faire de moi-
même quelque chose à partir de mes mains, de me définir par l'usage de mes mains, et peut-être de
Anthropologie et Psychologie : la situation ; introduction. 2
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