
On l’a suicidée
L’aberration dans la phrase du titre n’est qu’apparente, cet emploi du verbe suicider, « se tuer » n’est pas
à contresens. Il s’agit d’une évolution sémantico-grammaticale du verbe. En passant du pronominal au
non-pronominal un nouveau sens s’ajoute : « forcer à ». On dira d’une personne qui, en vertu de
pressions diverses, a été « forcée » de se suicider : on l’a suicidée. Comme, dirons-nous, un homicide
camouflé. Dans ce contexte, le pronom indéfini on est habituellement sujet, semant le doute sur les
responsables de ce suicide. Bien qu’il soit possible d’entendre : la société l’a suicidée, sa famille l’a
suicidée, son congédiement l’a suicidée, etc.
Un autre verbe a suivi une évolution semblable : on l’a démissionnée. Plus fréquente, cette dernière
tournure résulte du passage de l’intransitif vers le transitif, du verbe démissionner. Il s’utilise dans le cas
où au lieu de congédier une personne pour incompétence ou pour toute autre raison peu honorable, lui est
offerte la possibilité de donner elle-même sa démission pour qu’aucune tache n’apparaisse à son dossier.
En revanche, nul n’est dupe de ce stratagème : dans ces circonstances le départ sera interprété de la
façon suivante on l’a démissionnée, c’est-à-dire on l’a forcée à quitter, on l’a renvoyée.
Source : Omelette frites… et bien d'autres fiches linguistiques et terminologiques. LEBLANC, Benoît ;
TOUSIGNANT, Claude.