Quand la culture
transforme la ville
NOTE
La Fabrique de la Cité / 1
Toutes les métropoles européennes se
mobilisent pour faire de la culture un levier
de développement et d’attractivité. Elles
caressent le secret espoir de reproduire
l’« eet Guggenheim », du nom du musée qui a permis
à Bilbao, à la n des années 1990 de redevenir une
métropole attractive et économiquement performante.
C’est dans ce contexte que La Fabrique de la Cité a
décidé d’organiser en avril dernier un séminaire à
Marseille, désignée Capitale européenne de la culture
2013. Un lieu idéal pour étudier comment les grandes
mutations liées à la culture peuvent être des leviers de
développement économique, de régénération urbaine et
de « mieux vivre ensemble ».
La culture représente un enjeu majeur pour les
espaces publics. Elle peut en eet donner l’opportunité,
notamment aux artistes, de réinvestir cet espace.
Ce fut par exemple le cas à South Shoreditch, un ancien
quartier industriel abandonné de Londres que se sont
d’abord approprié des artistes ; une présence créative
qui a permis de régénérer les espaces publics, de
recréer de la cohésion sociale et qui a ni par totalement
transformer ce lieu devenu aujourd’hui un quartier très
attractif, berceau des « Young British Artists » et de la
net-économie. La culture pose également la question
de savoir comment faire cœxister l’art urbain (« outdoor
art ») et la planication urbaine. Par ailleurs, alors que la
place de la culture dans la ville s’intensie, se diversie,
aussi bien dans ses formes que dans ses publics,
on peut se demander quel rôle joue le numérique dans
les pratiques culturelles urbaines et leur nancement.
D’un point de vue économique, l’enjeu est également
de taille. Ainsi, à l’image de Marseille, de nombreuses
villes investissent dans la culture et les industries de la
connaissance, en espérant un retour sur investissement
et des retombées économiques favorables.
Ce séminaire a permis d’échanger sur la façon dont
la dynamique culturelle, boostée notamment par la
construction de nouveaux équipements muséaux et
la participation d’un très large public s’appropriant les
espaces publics réaménagés, transforme la ville en
profondeur. Dans quelle mesure la culture participe-
t-elle au développement urbain ? En quoi est-elle un
moteur économique et social ? Comment trouver les
nancements adéquats en période de crise ? Comment
associer les citadins ? Telles sont les questions qui ont
été abordées au cours de ce rendez-vous marseillais.
Remi DORVAL
Président de La Fabrique de la Cité
La Fabrique de la Cité a pour objectif
de valoriser les initiatives pionnières
en suscitant l’échange entre ceux
qui rééchissent à l’avenir de la ville.
La Fabrique de la Cité organise ses travaux
autour de trois axes de recherche :
l’adaptation de la ville existante ;
la mobilité durable ;
l’économie urbaine.
La Fabrique de la Cité est un fonds de dotation
depuis le 25 décembre 2010.
La Fabrique de la Cité
SÉMINAIRE MARSEILLE – 12 AVRIL 2013
La Fabrique de la Cité / 2
L’architecture peut être un acte politique contre la délocalisation
et au service du développement du territoire. C’est en tout cas la vision
de Rudy Ricciotti, architecte du MuCEM. Ses ambitions lorsqu’il
a imaginé le Musée des cultures et des civilisations de l’Europe et de la
Méditerranée ? Reconquérir un territoire, faire la erté des Marseillais
et leur orir une nouvelle vision de leur ville. Le côté « mat » du
musée exprime pour lui la diculté d’être et de dire et s’oppose à
« l’impérialisme de la raison ».
Ce lieu a par ailleurs été conçu de façon collaborative, grâce
à un véritable travail d’équipe entre l’architecte et les ingénieurs en
charge du chantier. Enn, il a été pensé comme un véritable territoire
public, notamment grâce à ses rampes extérieures qui,
à l’image d’une « ziggourat », permettent aux citadins de s’élever
dans le ciel marseillais en observant d’un côté les collections du musée
et de l’autre le paysage de la ville (expérimentez et visitez le MuCEM sur
www.lafabriquedelacite.com).
PAROLE À RUDY RICCIOTTI
L’architecture participe
à la construction d’une histoire
et d’une identité
Le MuCEM, avant même son
inauguration ocielle, a reçu la visite de
15 000 citadins. Ce qui a été ressenti, c’est
une sentimentalisation populaire, au sens le
plus noble du terme. L’architecture, à un moment donné, permet
de fabriquer un récit, une narration, qui parle au public. Que se
passe-t-il pour que ce nouveau bâtiment soit accepté, pour ne pas
dire adopté, avec tant de générosité ? La réponse, je l’ai entendue
dans le bouche de certains visiteurs : « C’est une réalisation qui
redonne une identité ».
Concevoir un bâtiment sous-entend bénéces
économiques et culturels
L’économie du bâtiment tire toute l’économie vers le haut,
elle crée des emplois et devient une clé de répartition des
richesses. Le bénéce culturel est aussi indéniable : il faut
entendre que l’idée du savoir et de l’accumulation de savoirs,
lorsqu’on construit, est un bénéce culturel totalement actif.
En tant qu’architecte, ce que je souhaite défendre, ce qui me
passionne, c’est de fabriquer des bâtiments qui utilisent les
matériaux de la région et permettent de créer des emplois,
des vrais métiers, non délocalisables, perpétuant une mémoire
du travail sans cesse renouvelée.
MuCEM : une construction totalement ancrée
dans son territoire
Toujours lors des visites, j’ai entendu une personne dire : « Ce lieu
reconquiert un territoire. » Eectivement, lorsqu’on circule sur les
rampes en périphérie du bâtiment, on s’élève graduellement dans
l’altitude marseillaise et on découvre de nouveaux panoramas
sur la ville. Une nouvelle vision d’une Marseille qu’on pensait
connaître par cœur. Ce mouvement ascensionnel nous fait tourner
sans cesse au cœur de la cité. D’un côté, nous découvrons une
vue sur l’horizon métaphysique de la Méditerranée, de l’autre,
l’horizon spectaculaire du territoire portuaire, et enn, côté Sud,
sur la perspective historique de l’imposant Fort Saint-Jean.
La culture actrice de la transformation de la ville :
La vision de Rudy Ricciotti, architecte du MuCEM
Quand la culture
transforme la ville
La Fabrique de la Cité / 3
Dans un contexte économique de crise, où les investissements
publics se font moins généreux et où la culture est souvent la
première victime, les entreprises (et donc l’économie au sens
large), dépendent pourtant plus que jamais de l’innovation
créative. Il est donc aujourd’hui essentiel de poursuivre un travail
de réexion sur la culture, celle-ci ayant un rôle à jouer dans la
sortie de crise. L’investissement culturel, public comme privé,
constitue un levier pour ce faire.
La co-construction garante du succès des projets culturels
Architectes, pouvoirs publics, mécènes privés, artistes, ingénieurs
mais aussi citadins : comme dans le cas des infrastructures ou des
événements conçus dans le cadre de Marseille-Provence 2013,
aujourd’hui tout projet culturel d’envergure se doit d’impliquer dès
la phase de conception tous les acteurs concernés. De cette co-
construction dépend aujourd’hui le succès de ces réalisations.
Des artistes acteurs de la régénération urbaine
Les artistes de « street art » sont des citadins militants qui
partagent leur créativité, bousculent les frontières entre l’espace
privé et l’espace public et jouent un rôle grandissant dans la
revalorisation de certains quartiers. L’artiste britannique Banksy,
connu pour ses fresques murales, a ainsi attiré de nombreux
touristes et amateurs d’art dans des lieux improbables de Bristol
ou de Londres. De la même façon, pour Marseille-Provence
2013, l’artiste photographe JR a ainsi investi 17 murs en mettant
en lumière des photos tirées des albums de famille d’habitants
du quartier de la Belle de Mai et emblématiques d’une histoire
collective de la ville. Ou quand la mémoire alliée à la créativité
permet de créer de la valeur, d’attirer des visiteurs tout en
renforçant la cohésion sociale entre les citadins.
La culture, un levier d’implication citoyenne (via
le nancement participatif)
La co-construction, ce désir légitime de participation à la
transformation de la ville, concerne aussi les équipements
culturels. On voit ainsi se développer des modes de nancement
participatif urbains. Ce « crowdfunding » va par exemple permettre
en France, grâce à un partenariat entre My Major Company et
le Centre des Musées Nationaux, de lever plusieurs dizaines de
milliers d’euros et de nancer la restauration de 4 monuments.
En Angleterre, la plateforme Spacehive.com à quant à elle déjà
permis aux internautes de nancer par le don 169 projets
d’aménagement et de valorisation des espaces publics (retrouvez
l’analyse de ces nouveaux leviers de nancement participatif par
les étudiants de Sciences Po sur www.lafabriquedelacite.com ou
sur coconstruirelaville.lafabriquedelacite.com).
La culture créatrice de valeur
L’économie de la culture
en chiffres
Poids des industries culturelles et créatives dans
l’économie mondiale :
2 706 milliards de dollars, soit 6,1 % du PIB mondial
424 milliards de dollars d’exportations, soit 3,4 %
du total mondial
Poids des industries culturelles et créatives dans
l’économie française :
546 077 emplois (contre 225 000 dans l’automobile
ou 152 000 dans les télécoms)
La création de musées et d’infrastructures culturelles a permis de donner une
nouvelle vie au centre de Barcelone. La ville est ainsi passée d’une économie
industrielle à une économie de services orientée notamment vers le tourisme.
La culture a été un instrument symbolique de cette transformation.
Aujourd’hui, malgré la crise et le fossé de plus en plus criant entre certaines
catégories de population, la culture peut participer à la résorption de la fracture
sociale et redonner une place au citoyen en tant qu’acteur. »
Jordi Martí i Grau – ancien adjoint délégué à la culture, Ville de Barcelone
«
La Fabrique de la Cité
Crédits photos : La Fabrique de la Cité / Adresse : 1 cours Ferdinand de Lesseps, 92851 Rueil-Malmaison Cedex, France / Tél. : +33 1 47 16 38 72
Site Internet : www.lafabriquedelacite.com / Twitter@fabriquelacite
En 2004, Marseille se porte candidate pour obtenir le label de
Capitale européenne de la culture 2013. Deux ans plus tard,
l’association Marseille-Provence 2013 est créée pour porter la
candidature et élaborer le projet culturel ainsi que l’ensemble
des manifestations associées. Le 16 septembre 2008, Marseille
remporte le titre convoité. Pourquoi « Marseille-Provence »
? Car l’événement va bien au-delà de la Cité phocéenne et
couvre au total pas moins de 97 communes du département
(notamment Aix, Aubagne et Arles). Les festivités incluent des
événements artistiques éphémères, la réalisation de structures
muséales d’envergure (MuCEM, Villa Méditerranée…), des
concerts, des expositions ou encore la création de nouveaux
territoires de l’art (réhabilitation de la friche de la Belle de Mai).
Un investissement sur le long terme
Dans la cité phocéenne, l’investissement public dans la culture
et les industries de la connaissance est de 155 euros par
habitant, plaçant la ville en deuxième place des métropoles
européennes derrière Berlin. Grâce au label Capitale
européenne de la culture, Marseille compte bien réitérer
l’exploit de Lille 2004 (9 millions de visiteurs) et de Liverpool
2008 (900 millions d’euros de retombées économiques),
en faisant de la culture une composante de son attractivité
économique et touristique. Les objectifs marseillais ?
10 millions de visiteurs et 600 millions d’euros de retombées
(soit plus de 6 euros par euro investi).
Une gouvernance collective
L’association loi de 1901 Marseille-Provence 2013, qui gère
l’événement, regroupe des représentants des 13 collectivités
publiques (Communautés urbaine, Communautés
d’Agglomération, municipalités…) concernées, mais aussi
des membres issus d’organismes publics liés d’une façon
ou d’une autre à cette célébration (Universités, Euromed,
Port de Marseille…) ainsi que des partenaires privés.
Le conseil d’administration de l’association est dirigé par
Jacques Pster, Président de la CCI Marseille-Provence.
Un nancement alliant fonds publics et privés
Le budget total du projet est de 91 millions d’euros répartis sur
six ans. Chacune des villes ou collectivités locales concernées
a contribué non pas à hauteur de sa population ou du nombre
d’événements qu’elle allait accueillir, mais tout simplement
selon ses capacités nancières. Ce nancement public, allié
à celui du département, de la région et de l’Etat et de l’UE,
s’élève à 65 % du total. Le reste est fourni par des entreprises
publiques et privées, via le mécénat et le parrainage. Au-delà
des cinq sponsors ociels de l’événement (La Poste, la Société
Marseillaise de Crédit, Eurocopter, EDF et Orange), on compte
ainsi au total pas moins de 70 entreprises partenaires.
Marseille-Provence 2013 :
Quel modèle de gouvernance pour Marseille-Provence 2013 ?
Vu la supercie de la Friche de la Belle de Mai (45 000 m2), on ne parle pas seulement
d’un établissement à vocation artistique, mais bel et bien d’un lieu de passage,
de vie et de convivialité, d’un nouvel espace public au cœur de la ville. »
Yann Loreteau – Chargé de projets à la Friche de la Belle de Mai
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