Dossier Recherche Partenariats tous azimuts Sur fond d’externalisation L’innovation pharmaceutique s’attache à se régénérer et toutes les options sont à l’étude de l’acquisition de molécules en développement à la mutualisation des moyens entre big pharma. S i la baisse de la productivité de la R&D est devenue une antienne, son recul mérite d’être relativisé au regard des récents bouleversements du processus de l’innovation. La mise à disposition d’une quantité croissante de données génomiques s’est traduite par une explosion des cibles thérapeutiques potentielles. Parallèlement, les biotechnologies produisent des candidats dotés de mécanismes d’action non seulement inédits mais aussi susceptibles, dans certains cas, d’apporter des réponses dans plusieurs aires thérapeutiques. C’est dans cet environnement en évolution rapide que l’industrie pharmaceutique doit adapter ses stratégies de R&D afin d’entretenir sa capacité d’innovation et trouver les successeurs de ses pépites menacées par les pertes de brevets. De la molécule à la société Au rang des options choisies, figure une combinaison d’outils mêlant transformation des systèmes de R&D internes et externalisation de prestations spécifiques. Certains, à l’instar de Roche ou de GSK, ont choisi une réorganisation sur la base de la création de centres d’excellence spécialisés par aires thérapeutiques. D’autres cherchent à alléger un système jugé trop centralisé et trop rigide en mettant en place des structures plus indépendantes. Pfizer est le dernier en date à avoir pris cette orientation, avec la création en octobre dernier d’un tout nouveau centre, le Biotherapeutics and Bioinnovation Center, qui a non seulement vocation à générer de nouveaux médicaments, mais aussi à faciliter l’émergence de nouvelles sociétés innovantes. Autre option fréquemment employée, l’acquisition de Les étapes de la drug discovery1 Selon les derniers chiffres de l’EFPIA, les phases précoces constituent 27,2 % des investissements que l’industrie pharmaceutique consacre à la R&D, les activités les plus « gourmandes » restant les études cliniques (phase I, II et III) qui consomment 47,8 % de ces budgets. Alors que ces phases initiales de R&D durent en moyenne quatre ans, elles représentent le tiers du temps nécessaire au développement d’un nouveau médicament. Les premières étapes passent par l’identification et la validation d’une cible biologique (facteur de croissance, récepteur 56 PHARMACEUTIQUES - SEPTEMBRE 2008 membranaire…) impliquée dans la pathologie visée. Les opérations suivantes consistent à cribler des molécules connues, des banques de composés d’origine naturelle et/ou des banques de composés spécialement mis au point par rapport à un éventail de cibles données. A partir de cette première sélection de composés interagissant avec ces cibles, sont identifiés des hits, familles de produits dotés non seulement d’un effet avéré sur la cible visée mais aussi du potentiel le plus élevé possible pour aboutir au développement d’un médicament. L’étape ultérieure consiste à identifier parmi ces hits, les composés dits lead qui conjuguent un maximum de caractéristiques favorables (efficacité contre la cible, capacité à être produit à un coût raisonnable, aptitude à faire l’objet d’une formulation simple, profil de sécurité optimum, pharmacocinétique et durée d’action satisfaisantes). Les composés lead sont ensuite optimisés et testés in vitro et in vivo sur des modèles animaux. (1)d’après EFPIA – Juin 2008. DR mais aussi de réduire les risques d’échec en se donnant les moyens d’anticiper activités pharmacologiques et effets toxicologiques potentiels dès les phases initiales de la découverte pharmaceutique. La gamme des prestations est large : modélisation, sélection et validation de cibles thérapeutiques, création et criblage de banques de molécules, outils pour l’analyse et la prédiction de l’efficacité et de la toxicité des candidats. Alors que leur choix relève du sur-mesure, l’objectif est de disposer d’outils d’aide à la décision les plus pertinents possibles pour choisir de poursuivre ou non un développement, avec, en ligne de mire, une réduction du taux d’attrition tardive. Ici, deux tendances fortes ressortent au niveau des services proposés. Il s’agit non seulement de fournir aux laboratoires des programmes « intégrés », depuis la découverte de nouveaux candidats à partir d’une cible ou d’un concept biologique jusqu’à la première utilisation chez l’homme, mais aussi d’introduire, le plus en amont possible, des paramètres spécifiques de la pathologie humaine. Notamment avec la sélection et la validation de biomarqueurs les plus adaptés pour fournir une information prédictive sur les propriétés des molécules candidates. Mutualisation des forces LES ANTICORPS RESTENT UNE DES VALEURS SÛRES DES ACCORDS BIOTECH/ PHARMA. candidats-médicaments en cours de développement, si ce n’est le rachat pur et simple des sociétés de biotechnologies dont ils sont issus. En témoignent les derniers mouvements encore opérés cet été par le suisse Novartis ou par le britannique Shire Pharmaceuticals. Le premier a mis la main sur son compatriote Speedel à l’origine d’un de ses derniers médicaments, l’inhibiteur de la rénine Rasilez®/ Tekturna® (aliskiren) pour le traitement de l’hypertension, tandis qu’en reprenant l’allemand Jerini, le second s’est doté d’un médicament orphelin fraîchement autorisé dans l’UE pour le traitement de l’œdème angioneurotique héréditaire, Fyrazyr® (icatibant). La logique veut aussi que soit menée une veille active sur les travaux susceptibles de générer les prochaines ruptures technologiques. Une veille dont les résultats s’illustrent au travers des récents partenariats conclus par AstraZeneca, Roche et GSK, dans les domaines des ARN interférents et des microARN, tandis que les anticorps restent une des valeurs sûres des accords pharma/ biotech (voir page suivante). Alors que l’enjeu des phases précoces de R&D n’est plus à démontrer, les big pharma n’hésitent pas à recourir à une externalisation croissante de ces activités. Fin 2007, Novartis a fait de l’allemand Morphosys son pourvoyeur majeur pour les anticorps monoclonaux, tandis qu’Outre-Atlantique, Eli Lilly s’est liée cet été pour dix ans à la CRO Covance via un contrat de prestations de services de R&D (toxicologie, pharmacologie in vivo, imagerie…) de 1,6 milliard de dollars. Au-delà de ces partenariats industriels, c’est également une réflexion globale qui s’est engagée tant chez les acteurs publics que privés pour explorer toutes les facettes capables de soutenir la R&D pharmaceutique. Outre les initiatives nationales associant chercheurs académiques et industriels (programmes Cibles en Belgique, Top Institute Pharma aux Pays-Bas, consortium sur les cellules souches associant le gouvernement britannique, AstraZeneca, GSK et Roche) ou, au niveau de l’UE, la récente Initiative médicaments innovants (IMI), la mutualisation des moyens directement entre industriels est aussi à l’ordre du jour pour faciliter le développement d’innovations de rupture et lever les verrous technologiques. Aux Etats-Unis, Merck&Co, Pfizer et Eli Lilly viennent ainsi de s’associer pour créer Enlight Biosciences, société dédiée à l’identification et au développement de ces innovations à partir de travaux issus des laboratoires académiques. n >>> Services spécialisés et sur-mesure En parallèle, se développent des accords avec des biotech spécifiquement dédiées à la drug discovery. Ici, l’idée sousjacente est à la fois de multiplier les sources de créativité en faisant appel à des prestataires hautement spécialisés, Anne-Lise Berthier Rédactrice en chef de BioPharmaceutiques 57 SEPTEMBRE 2008 - PHARMACEUTIQUES Dossier Recherche >>> LES RÉCENTS ACCORDS DE R&D INTERVENUS EN EUROPE Les accords mentionnés ci-dessous sont intervenus au cours des 18 derniers mois. Ils concernent la R&D seule ou se doublent d’accords de licence. Dans tous les cas au moins un des deux partenaires mentionnées – pharma ou biotech – est européen. La liste n’est pas exhaustive. Laboratoire Biotech Programme et indications visées AstraZeneca Cenix BioScience (Allemagne) Identification et validation de cibles thérapeutiques en oncologie EpiStem (GB) Biomarqueurs pour l’évaluation pré-clinique et clinique de médicaments anticancéreux Galapagos (Belgique) Services de drug discovery pour la mise au point de traitements de maladies infectieuses Silence Therapeutics (GB) ARN interférents (systèmes de délivrance et mise au point d’ARN interférents dirigés contre des cibles thérapeutiques fournies par AstraZeneca (indications non citées) Bayer Schering Pharma Dyax (USA) Anticorps thérapeutiques dirigés contre des cibles non citées fournies par Bayer Schering Pharma BiogenIdec Neurimmune Therapeutics (Suisse) Anticorps humains contre la maladie d’Alzheimer Boehringer-Ingelheim Ablynx (Belgique) Anticorps (Nanobodies®) pour des applications en immunologie, oncologie et pour le traitement de maladies respiratoires et de la maladie d’Alzheimer Eli Lilly Galapagos (Belgique) Accès à des cibles thérapeutiques validées et à des programmes de drug discovery de Galapagos dans le domaine de l’ostéoporose Genentech BioInvent (Suède) Anticorps propriétaire du suédois pour le traitement de maladies cardiovasculaires Symphogen (Danemark) Anticorps développés à partir de la plateforme de la biotech danoise pour le traitement de maladies infectieuses Galapagos (Belgique) Programmes de drug discovery pour le traitement de l’ostéoarthrite OncoMed Pharmaceuticals (USA) Anticorps monoclonaux dirigés contre les cellules souches cancéreuses GSK Biologicals Shigamedix (France) Vaccins thérapeutiques J&J/Centocor Molecular Partners (Suisse) Application de la technologie DARPins (Designed Ankyrin Repeat Proteins - protéines réceptrices fonctionnant comme des anticorps) contre deux cibles fournies par Centocor Galapagos (Belgique) Programmes de drug discovery pour le traitement de l’arthrite rhumatoïde Archemix (USA) Aptamères (acides nucléiques simple brin synthétisés chimiquement, capables de cibler des molécules à la manière d’anticorps) pour le traitement de cancers Bionomics (Australie) Programme ciblant un canal ionique intervenant dans la régulation du système immunitaire pour le traitement de la sclérose en plaques Idera Pharmaceuticals (USA) Agonistes de récepteurs Toll-like (récepteurs impliqués dans le déclenchement des réponses immunitaires) pour le développement de candidats médicaments dans les domaines du cancer, des maladies infectieuses et de la maladie d’Alzheimer Morphosys (Allemagne) Anticorps dans une gamme de pathologies non citées, les cibles thérapeutiques étant fournies par Novartis dans le cadre de leur accord de collaboration exclusive de dix ans. Intercell (Autriche) Candidats vaccins contre les infections nosocomiales Pfizer Direvo (Allemagne) Protéases thérapeutiques pour des indications non citées Roche Noxxon Pharma (Allemagne) Spiegelmers® (forme d’ARN de synthèse) pour le traitement de maladies inflammatoires Alnylam Pharmaceuticals (USA) Plateforme technologique sur les ARN interférents pour la mise au point de candidats pour le traitement de cancers, de maladies respiratoires et de maladies métaboliques Molecular Partners (Suisse) Application de la technologie DARPins dirigés contre des cibles non citées fournies par Roche Regeneron Pharmaceuticals (USA) Anticorps monoclonaux utilisant les technologies propriétaires de l’américain GSK SOURCE : BIOPHARMACEUTIQUES – HTTP://WWW.BIOPHARMACEUTIQUES.COM Merck Serono Novartis Sanofi-Aventis 58 PHARMACEUTIQUES - SEPTEMBRE 2008