Exploitation de la nature et exploitation de l`homme

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In Économies et Sociétés, Série« Systèmes agroalimentaires »,
AG, n° 37, 08/2015, p. 1291-1318
Exploitation de la nature
et exploitation de l'homme
Michel Cépède
L'intérêt porté à l'environnement : aux destructions et pollutions
attribuées à l'activité humaine, à la nécessaire conservation du milieu
naturel pour la survie de l'espèce, à la possibilité d'un aménagement
permettant le développement harmonieux de l'humanité, devrait
conduire la science économique à une autocritique fructueuse.
A de rares exceptions près, les théories économiques ne distinguent
pas les diverses formes d'appropriation, les confondant sous le vocable
de « production » même lorsque celui de « destruction » serait plus
adéquat.
Ces théories n'auraient-elles pas été pensées pour une humanité
« parasite » de son environnement? Cette hypothèse explicative apparaîtrait vérifiée s'il était montré que les principes les mieux établis de la
science économique ne supposent pas l'existence d'un procès quelconque de production», au sens strict; autrement dit, ils auraient pu être
découverts dans une « économie minière », par définition « épuisant »
une richesse naturelle non renouvelable, ou, au mieux, dans une « économie de cueillette » (y compris la chasse et la pêche) voire
«pastorale» qui n'est qu'une cueillette par l'intermédiaire d'un animal
domestique, qui peuvent, aussi, être « épuisantes » sans que les critères
classiques de la qualité d'une économie ne les distinguent d'une économie « conservatrice >l du potentiel de reproduction de la nature.
Les conservations des populations végétales ou animales, des sols
eux-mêmes, sont, en effet, exclues du domaine de la science économique : science de « l'appropriation », ou de « l'exploitation » du
«dominé» (ici la nature) par le« dominant» (ici l'homme« parasite »
ou plus exactement « prédateur ») pour être rejeté dans celui de
« l'éthique économique ».
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Celle-ci demeure une éthique de parasite qui, dans l'intérêt de l'avenir de son propre groupe, devrait limiter son exploitation pour
« ne pas tuer la poule aux œufs d'or » et s'efforcer de tirer le maximum de satisfaction de ce qu'il est parvenu à s'approprier.
Pour cette éthique économique », économie a le sens du langage
courant : celui de restriction de la consommation, d'épargne, de « privation ».
Une telle éthique ne se développe que chez un peuple ayant
conscience de la durée, le sens de la pérennité et qui se trouve
confronté avec une situation de pénurie dans un espace limité. Elle naît
donc plus vite chez le sédentaire: « peuple du temps » (E. W. Zimmerman), que chez le nomade:« peuple de l'espace » (E.W.Z., 1933).
Comme, aussi loin que l'histoire remonte dans le passé, il n'est
guère de société qui ne soit en état de pénurie, les doctrines - combinaisons de théorie et d'éthique - économiques se réfèrent à une telle
situation: elles exaltent les vertus d'épargne, d'économie au sens trivial... même si les préférences profondes des individus qui constituent
le groupe, les font rêver d'une période d'abondance, d'un« âge d'or»,
de longtemps disparu, où chacun pouvait vivre « noblement » ou
« esthétiquement » sans se soucier du lendemain. La pénurie qui donne
raison à la « fourmi » ne peut empêcher que la « cigale » soit plus sympathique et que son mode de vie « bohème » ne soit considéré par
beaucoup comme un idéal malheureusement impossible à atteindre ...
sans prendre des risques inacceptables.
La pénurie dans une société égalitaire peut conduire à limiter les
parties prenantes à la masse disponible. Dans une société qui comporte
dominateurs et dominés, les premiers tendent à s'assurer la part la plus
large possible en limitant les parties prenantes Platon n'était « malthusien » que pour les citoyens consommateurs et en « exploitant »
plus sévèrement les« dominés »exigeant d'eux qu'ils « produisent »
ce que le dominateur désire « au moindre coût » autrement dit en
« consommant »le moins possible. La «productivité» qu'il s'agit de
maximiser, c'est alors la « productivité » du travail humain, non pas
tellement parce que le travail est pénible au travailleur, mais parce qu'il
coûte à l'employeur.
De l'exploitation de la nature, une telle société passe à celle de
l'homme par l'homme. Le produit étant, sur le marché, aliéné en marchandise, la valeur de celle-ci est déterminée par la pénurie qui permet
d'en réserver l'acquisition par la seule demande solvable (effective).
Celle-ci, cherchant à se satisfaire au moindre coût, la force de travail
est, à son tour, aliénée en marchandise et la « plus-value » constitue la
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source essentielle du profit en limitant en même temps le « pouvoir
d'achat » des travailleurs, évitant que leurs besoins ne se présentent en
demande sur le marché et créant les conditions rendant possible cette
chose apparemment absurde: la crise de « surproduction » avec « sousemploi » et « sous-consommation ».
La pénurie tend à renforcer la position des groupes qui en ont pu,
plus complètement et plus vite, tirer parti: ceux qu'aucune éthique ou
obligation statutaire « aristocratique » (« Homérique » de C. C.
Zimmermann) n'empêche de vivre chichement et d'exploiter leurs
semblables : ce sont souvent ceux qui ont exercé au service de la classe
« aristocratique », les fonctions d'exploitation qui, dès qu'ils peuvent
« se mettre à leur compte » vont fonder le noyau d'une classe
intermédiaire entre aristocrates et dominés, spécialisée dans « l'économie », que par commodité nous appellerons : la « bourgeoisie »
(« Aristophanique »,de C. C. Zimmermann). Celle-ci n'a pas pour but
de « produire » des richesses, des produits, des services même, mais de
la « valeur ajoutée » ; vouée à la « chrématistique non naturelle »
(Aristote), au cycle« argent-marchandise-argent » (Karl Marx), cette
classe, née de l'administration de la pénurie, constate que la pénurie
permet de << produire plus de valeur ajoutée » que l'abondance (effet
King par exemple) et elle tendra à organiser la pénurie dont l'administration lui est si profitable : au « malthusianisme démographique »
s'ajoutera le «malthusianisme économique » et la « surproduction »
apparaît alors comme une maladie de l'économie plus grave que la
« disette». Bien plus, «l'économie de subsistance » sera considérée
comme une dangereuse prétention des pauvres à satisfaire leurs
besoins sans permettre les profits qu'une « économie évoluée » doit
assurer à la « bourgeoisie » par le jeu des marchés.
L'économie de subsistance nous ramène à l'agriculture, car c'est en
général à propos de celle-ci que l'expression est utilisée. Remarquons
qu'il n'a pas été nécessaire de faire état d'agriculture proprement dite
jusqu'ici et qu'une économie de subsistance comme une économie de
marché, peut être établie sur une « production » minière ou de
cueillette ou pastorale sans faire appel à une production agricole.
Exploitation de la nature, exploitation de l'homme par l'homme ont pu
trouver - auraient pu trouver- leur théorie économique sans la « révolution verte néolithique ». Notre intention est de montrer que si l'exploitation de la production agricole par la domination des classes dirigeantes a permis un développement économique, la science
économique n'a pas- sauf dans une certaine mesure avec l'école physiocratique- eu le souci d'intégrer les procès de production réelle dans
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son effort d'analyse. Du même coup les contradictions entre « productions » de richesses et de valeurs ont pu être pudiquement voilées,
de même que les transferts de« produit net» aux dépens de l'agriculture, de « plus-value » aux dépens des travailleurs, étaient confondus
avec des échanges réels. Mais comment faire la théorie de l'économie
de subsistance, « l'économique » d'Aristote, sans analyse du procès
de production ? Comment envisager une théorie de l'économie des
besoins, à fortiori du développement de l'économie de l'entière humanité, en se fondant sur l'analyse de la « chrématistique non naturelle »
alors que, n'ayant pas trouvé de clients dans l'Espace, une économie
mondiale ne saurait être qu'une économie de subsistance ? Pour préciser ces propositions que d'aucuns taxeront vraisemblablement de
paradoxales voire de dangereusement hérétiques, nous allons tenter
d'analyser les mécanismes économiques dans certains schémas de
structure.
ÉCONOMIE MINIÈRE
La mine, étant le fruit à cueillir une fois pour toute, ainsi que le
remarquait Turgot dans son« mémoire sur les mines et les carrières»,
ne saurait fournir que le « produit brut » au sens physiocratique
puisque chaque appropriation diminue la part restant susceptible d' appropriation. L'activité humaine est récolte et non production. Elle est
soumise à la loi des rendements moins que proportionnels puisqu'on
peut, selon la supposition ricardienne, penser que l'homme va d'abord
récolter les minerais qui par leur proximité, leur richesse, leur forme
sont susceptibles de fournir au moindre coût-travaille produit recherché. Il existe une rente de situation pour ceux qui ont le monopole
d'exploitation de mines de « rendement » plus élevé que celle qu'il a
fallu ouvrir pour répondre à la demande solvable. La hausse des prix
serait continue sous le double effet de la hausse du coût de « production » et de l'épuisement de la réserve minière, si la découverte de
nouveaux gisements qui ne saurait non plus être considérée comme
une « production » mais seulement comme la reconnaissance de
l'existence d'une richesse existante antérieurement « produite » ou
l'invention de techniques, permettant une extraction à moindre coût
et/ou une utilisation de richesses substituables, ne venait perturber le
schéma. Lorsqu'un degré suffisant de pénurie est atteint, il peut être
plus avantageux de récupérer, par exemple, les métaux usagés pour les
réutiliser que d'extraire des mines du minerai nouveau. Il est néces-
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saire de souligner que cette saine économie qui ferait récupérer la
matière usagée pour la réintroduire dans le circuit d'utilisation, serait
limitée par la possibilité de gaspiller des richesses naturelles non
encore exploitées. Sans doute le besoin essentiel qui est celui de nourriture ne pouvant être satisfait que par la récolte de produits végétaux
et animaux et non par l'usage de produits miniers, le présent schéma
peut apparaître irréel. Il suffira de constater que dans les économies de
cueillette pastorale, voire agricole, il est possible de procéder à une
exploitation« minière» pour que le schéma s'applique. En particulier
aussi longtemps qu'il sera possible de prélever, sans souci d'en permettre la reproduction, des produits végétaux et animaux ou d'épuiser
les richesses qui font la fertilité des sols, une économie plus conservatrice ne résistera pas à la concurrence de l'exploitation minière et son
développement, comme celui de l'industrie de récupération, sera limité
par l'existence de richesses naturelles susceptibles d'être gaspillées. Le
commerce, singulièrement le commerce international, permettra de
mettre sur le marché des produits « miniers », provenant de l' exploitation de ressources nouvellement appropriées, en concurrence avec
les produits de récupération ou de récolte limitée au croît que l' économie de cueillette va nous permettre d'envisager. La rémunération du
travail humain, tant dans l'industrie extractive que dans la transformation, sera limitée par l'abondance des richesses susceptibles de gaspillage. Il n'est pas nécessaire qu'une exploitation abusive des ressources nouvellement découvertes soit effective et apporte un
approvisionnement à bas prix pour que des profits supplémentaires
soient réalisés aux dépens des travailleurs. La simple existence de cette
possibilité d'exploitation permet d'exercer sur la rémunération des travailleurs une pression génératrice de « plus-value ». L'exploitation
coloniale n'a représenté qu'une partie de l'exploitation des dominés,
partie qui, si elle a servi de prétexte à l'ensemble, a été, en général,
contrairement à certaines affirmations simplistes, beaucoup moins
importante que celle des travailleurs des pays dits « développés »
qu'elle a permis d'intensifier.
ÉCONOMIE DE CUEILLETTE
Sous ce vocable nous engloberons toute exploitation d'une population animale (pêche ou chasse) ou végétale directement (cueillette) ou
par l'intermédiaire d'un animal domestique (économie pastorale). Une
telle économie est susceptible de fournir un « produit net » au sens
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physiocratique, car si le prélèvement est limité à ce que la nature est
capable de remplacer, ce prélèvement pourra se renouveler périodiquement sans épuisement. Il est donc possible d'établir des schémas de
reproduction et de circulation parce qu'il n'est de « production qu'à
partir d'une reproduction » ; ce que Nicolas Baudean avait souligné
justement, dans sa présentation de la notion de « produit net » selon
Quesnay, rejoint la conception de Marx que toute théorie d'un mode de
production suppose nécessairement une théorie de sa « reproduction »
sans laquelle il ne saurait y avoir permanence des conditions générales,
des rapports de production qui définissent le mode de production dans
l'économie de la société considérée. Ce que nous avons dit jusqu'ici
montre que l'exploitation« minière» des richesses renouvelables peut
limiter la « production » qui ne saurait être confondue avec « l' appropriation » dans la mesure où celle-ci peut être plus grande que la
« reproduction » qui est supposée en assurer la permanence. De
même que dans l'exploitation minière on appelle « production », la
simple extraction d'une richesse préexistante, de même dans les secteurs où domine la cueillette (pêche, forêts) c'est l'appropriation : les
« prises », les « abattages » qui sont comptabilisés comme des «productions » et non la véritable production, c'est-à-dire le « croît » ou
la « reproduction ». Du même coup, la « productivité » du travail
humain est calculée en divisant cette « production » par le travail
dépensé pour la seule appropriation. Cette « productivité » peut être
accrue par l'amélioration des techniques d'extraction, de récolte, de
capture et il n'est pas indifférent de constater que c'est par l'exemple
du filet du pêcheur que V. Bohm-Bawerk a illustré la notion de «détour
économique ».
Il peut donc y avoir accroissement de « productivité » sans accroissement de production ; de même une diminution de la capacité de production naturelle peut être la conséquence de l'accroissement de «productivité » entraîné par le «détour». Dans une économie de cueillette,
l'appropriation peut, comme dans une économie minière, entraîner une
diminution de la production réelle dont l'effet peut être paradoxalement d'augmenter la production en valeur. Ce n'est pas l'insuffisance
de la capacité naturelle de production qui crée la pénurie, c'est le
volume de la demande solvable, du pouvoir d'achat, qui valorise la
pénurie des produits aliénés en marchandises. L'équilibre de l'offre et
de la demande sur le marché s'établit alors à des niveaux toujours
graves de sous-production et de sous-consommation. Les constatations
de Keynes sur l'équilibre de sous-emploi comme conséquence d'une
économie où l'épargne n'est pas intégralement investie, se peuvent
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également faire dans une telle « économie » sans qu'à aucun moment
n'intervienne ni l'agriculture, ni dans les coûts économiques la conservation ou la destruction des richesses non renouvelables (minières) ou
renouvelables (cueillette, chasse, pêche ... ).
L'économie pastorale, du fait que la cueillette est assurée par l'animal domestique fait intervenir une exploitation qui peut être « minière
» à deux niveaux: vis-à-vis de la production végétale naturelle par un
troupeau dont le pasteur nomade sait qu'il trouvera ailleurs d'autres
pâturages et que même s'il faisait preuve de modération, son successeur n'hésiterait pas à faire paître par ses animaux ce que les siens
auraient laissé; vis-à-vis aussi de son troupeau dont il peut être tenté de
limiter les coûts d'entretien au minimum dans l'espoir d'en augmenter
le rendement. La surexploitation du troupeau à ce second niveau est,
chez les authentiques pasteurs, beaucoup moins fréquente que le « surpâturage » mais si nous assimilons l'exploitation de l'homme par
l'homme à une économie pastorale où le travailleur esclave, colon ou
salarié joue le rôle de l'animal domestique, le risque est aussi grand à
l'un et l'autre niveau, c'est-à-dire celui de voir épuiser « les deux
sources dont jaillit toute richesse: la terre et le travailleur »(K. Marx).
Le tableau économique de Quesnay, pourtant construit pour une
économie agricole, aurait pu l'être sur une économie de cueillette, de
chasse et de pêche voire pastorale. Il apportait cependant, par la notion
de « produit net » la possibilité d'inscrire dans les comptes économiques l'exploitation de la production naturelle en crédit certes : le
produit net, mais également en débit si le prélèvement du produit brut
devait dépasser le total du produit net et des avances annuelles et ne
pas permettre que l'état final soit égal à l'état initial en supposant que
« la culture, les richesses, la population restent dans le même état, sans
accroit ni dépérissement » 1. Cela est encore trop pour nos comptables
nationaux qui s'en tiennent aux flux monétaires et constatent que le
modèle statique est équilibré puisque les trois partenaires économiques
du tableau : I. La classe productive ; Il. La classe stérile ; et III. Les
propriétaires fonciers, le souverain et les décimateurs ; versent et
reçoivent des sommes égales mais cela n'est possible que grâce au
transfert du« produit net», récolté par la classe I, à la classe III par le
jeu des loyers, rentes, dîmes, taxes et impôts de toutes sortes. La classe
II recevant et donnant en u échanges réels » les mêmes sommes.
Si la classe I peut payer plus qu'elle ne consacre à des « échanges
réels» c'est qu'elle récolte pour l'ensemble des autres le produit net»
1 F.
Quesnay, Analyse du tableau économique 1766.
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que dispense la production naturelle. Non seulement Quesnay et les
physiocrates ont insisté sur le rôle de ce « produit net », mais encore
ils ont montré l'importance des avances annuelles, foncières et souveraines dans la production ... et dans sa croissance réelle.
Déjà apparaîtrait que ce transfert qui irrigue toute l'économie,
puisque la « classe stérile » elle-même ne saurait subsister sans recevoir un peu de produit net, est l'objet d'une appropriation par une
classe dominant l'agriculture au sens large - nous avons vu qu'elle
pourrait se réduire à une économie de cueillette ou pastorale - celle des
détenteurs de droits fonciers, y compris le souverain et les décimatems, d'un « surproduit » qu'elle reçoit de la production naturelle. Le
«tableau» exprime ce qu'était la domination de l'« agriculture» dans
une société féodale, l'équivalent de notre revenu des cultivateurs (leur
autoconsommation) est rangé dans les dépenses d'exploitation ; et le
profit des propriétaires apparaît en solde. Tout se passe comme si
l'agriculture était traitée en salarié ou en « outil de cultivation » 2 Ce
mode de domination et d'exploitation de l'agriculture existe toujours
s'il n'est plus sans doute le principal dans les pays dits développés.
ESSAI D'ANALYSE
Reprenons le modèle graphique par lequel, avec Maurice Lengellé,
nous avons montré que « Tant que les moyens mis en œuvre par
l'homme dans la a cueillette » sont primitifs, il est vraisemblable que
la limitation de la cueillette par la limitation de l'effort efficace empêchera vite une destruction complète du milieu, la population humaine
n'étant pas en mesure de prélever plus que la nature ne peut produire
(voir fig. l) (1954). Si l'individu n'effectue aucun travail, il n'a besoin
que de la ration d'entretien. Mais comme à chaque quantité de travail
dépensé correspond une quantité de produits récoltés qui tend à diminuer, il y aura dans chaque milieu un point d'équilibre entre le volume
des besoins et la cueillette qui dépend de la production naturelle et de
la population. Dans un milieu où la population humaine a atteint son
maximum d'expansion, ce point d'équilibre correspond au « point
moyen » de V. Volterra, le primitif ne peut ni travailler moins, ni travailler plus, sans risquer de disparaître par la famine (ibid.). En fait, les
fluctuations du rendement de la cueillette entraînent des famines périodiques qui limitent la population. Comme les Indiens dans les « déserts
2
A.
LACROIX,
Actualité du physiocrate François Quesnay, Moulins, 1969, p. 83.
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verts » de l'Amazonie ou de Nouvelle-Guinée, les néandertaloïdes,
dont les préhistoriens estiment la population à environ 1 million sur la
terre, étaient déjà en état de surpopulation et soumis à la famine 3.
Nous avons déjà transposé du cas physiologique individuel à celui
d'une population. Cela suppose que la « ration d'entretien » correspond alors aux besoins non seulement d'entretien des travailleurs, mais
encore de la population: enfants, infirmes, malades, vieillards ou tous
autres non engagés dans la cueillette.
Posons-nous la question de savoir ce qui va advenir de notre modèle
si par le 11 détour » nous parvenons à augmenter considérablement la
« productivité du travail de cueillette ». Dans la figure 2, nous avons
repris le cas précédent où avec un travail (T), les besoins caloriques (B)
sont égaux aux disponibilités fournies par le volume (C 1) de la
cueillette. Demandons-nous ce qui va se produire si nous parvenons à
augmenter le volume de la cueillette par unité de travail.
c
FIGURE
1
3 H. PRAT. Métamorphose explosive de l'humanité, Paris, 1960.
M.
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Supposons que le travail consacré à la cueillette reste le même (T),
celle-ci passera de C 1 à Cz, Les besoins restant constants (B 1 = C 1). la
quantité Cz- C 1 constituera un surproduit. Que va devenir ce surproduit ? Dans une première hypothèse, la population peut augmenter,
passant de P 1 à Pz en admettant que Pz- P 1 n'est pas composé de travailleurs, cet accroissement possible sera égal à la différence c2 -cl
divisée par la ratio d'entretien. Si cette population non affectée à la
cueillette, soit qu'elle en ait besoin parce qu'elle travaille effectivement: « classe stérile » des physiocrates, soit qu'elle se l'assure par
une position dominante, consomme par tête plus que la ration d'entretien, la population non affectée à la cueillette sera moins importante
que Pz - P 1• Quoiqu'il en soit, ces populations non affectées à la
cueillette tireront leur subsistance du surproduit obtenu par le progrès
technologique.
A cette population de consommateurs non producteurs de subsistance s'appliquera le raisonnement malthusien. Nous serons dans l'hypothèse platonicienne où la classe dirigeante: celle des citoyens, se
livre à une économie pastorale où les travailleurs « producteurs »
jouent le rôle d'animaux domestiques et où esclaves, mercenaires ou
métèques de la « classe stérile », celui d'auxiliaires dans l'appropriation par les « propriétaires » du produit net obtenu par les « producteurs ».
FIGURE
2
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Mais envisageons d'autres hypothèses. Supposons que la population reste constante dans son volume et sa structure, et que la cueillette
reste également constante : C 1 nous verrons apparaître encore un surproduit puisque la cueillette ne nécessitera plus que le travail Tcl < T
et en conséquence la consommation B2 , Br, le surproduit sera de BrB2 . Alternativement, la force de travail T- Tel et pourra se trouver disponible pour des activités autres que de cueillette. Ce surtravail sera
producteur de « plus-value », mais n'a été possible que par le « surproduit» : Br- B2.
Une dernière hypothèse mérite d'être examinée: c'est celle dans
laquelle la cueillette (C 3) serait limitée aux besoins réels (B 3) résultant
de la nouvelle technologie. Il n'y aurait plus de surproduit et le travail
serait réduit de T à Ts (travail suffisant): disponibilité C3 et besoins B3
seraient à égalité. Le progrès aurait engendré le loisir. Une telle
« économie de subsistance » constitue l'hypothèse la moins vraisemblable ; elle est en tout cas intolérable à toute classe dominante à la
recherche du « surproduit» et de «plus-value »par l'exploitation du
« surtravail » des autres.
En fait, l'évolution la plus probable entraînera la croissance de la
cueillette au-delà de C2 d'abord, jusqu'à C correspondant au point où
tout accroissement du travail consacré à la cueillette au-delà de T
nécessiterait pour le travailleur un surcroît de consommation plus
important que le surcroît de cueillette obtenu par cet accroissement de
travail. Elle pourrait même aller jusqu'à CM, point où le« surproduit»
aurait à nouveau disparu, ayant du être consacré à la satisfaction des
besoins supplémentaires des travailleurs engagés dans la collecte travaillant TM·
Mais le problème de la conservation de la productivité naturelle
qu'en nous appuyant sur ce modèle nous avions, avec Maurice Lengellé, écarté, dans l'hypothèse d'une cueillette par des procédés primitifs, peut alors apparaître (fig. 3) : si d'abord nous considérons la production naturelle comme constante au niveau PNl. Il apparaît qu'avant
même le niveau C2 la cueillette dépassera cette production naturelle
qui, atteinte dans sa possibilité de reproduction, tendra à diminuer
d'autant plus vite que C dépassera PN et à s'infléchir vers PNl.
Bien que cette hypothèse puisse se réaliser, le phénomène réel est
en général plus complexe; les lois du parasitisme (Vito Volterra, 1931)
nous laissent penser que la cueillette va d'abord avoir effet favorable
sur le volume de la production naturelle: les proies PN s'efforçant de
survivre, tendent à se _multiplier, à la condition, bien entendu, que le
prélèvement par les prédateurs (les hommes) ne soit pas trop fort et ne
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3
mette en péril l'espèce exploitée. C'est donc une courbe du genre de
PN 2 qu'il nous faut envisager si le prélèvement est limité et rationnellement conduit: forêts aménagées, écoquelage des faisans et en général destruction préférentielle des mâles, toujours trop nombreux dans
une population naturelle pour une reproduction maximale. Mais, si là
encore, le prélèvement dépasse la reproduction, il y aura une inflexion
vers PN 2 l. Les problèmes de l'épuisement des populations de« proies
» se poseront dans toute leur gravité. L'économie de cueillette s'analysera alors comme une économie « minière » et ne fournira plus
qu'un« produit brut», à l'exclusion du« produit net ».Tant que nous
en restons à une économie en nature, les limites du prélèvement raisonnable seront ressenties au moins par les peuples sédentaires, sinon
par les peuples nomades qui peuvent toujours porter plus loin les destructions de l'environnement. Dans l'économie de cueillette comme
dans la « pastorale ii, la destruction de l'environnement est le résultat
du progrès technologique, progrès qui permet de s'approprier plus de
richesse naturelle en dépensant moins de travail humain.
Mais à partir du moment où « le produit est aliéné en marchandise »,
ou simplement que l'argent est l'étalon de mesure commun des« coûts
de production » et de la « valeur du produit », aucune différence n'est
plus décelable entre exploitation abusive et appropriation rationnelle
de la production naturelle : celle-ci étant considérée comme « gratuite »
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ne saurait être respectée ... pis, comme « nous ne connaissons pas la
valeur de l'eau jusqu'à ce que le puits tarisse (Benjamin Franklin) »
tarir le puits devient le moyen de faire reconnaître la« valeur» de l'eau
et de rendre profitable le commerce de ce bien essentiel qui n'avait
jusque là que le défaut d'être abondant et de ce fait gratuit. Les phénomènes de destruction de l'environnement, voire de pollution de
celui-ci, peuvent s'analyser selon un schéma analogue et leurs effets se
manifesteront par une diminution de la population des proies appropriables et par conséquent du rendement de la cueillette, du fait de la
production naturelle.
L'hypothèse selon laquelle Botero (1588), comme Malthus et la plupart des démographes économistes ont établi leurs théories, c'est que le
facteur limitant une population est la subsistance. La biologie nous
apprend que ce n'est que l'un des facteurs limitants et que bien souvent
d'autres interviennent avant lui, rendant les analyses, d'après l'antinomie malthusienne, inadéquates à la réalité. La pollution du milieu, en
particulier par les déchets de la vie, peut entraîner la limitation d'une
population, voire sa disparition, alors que la subsistance est encore abondante; même si on assure à une population non seulement une nourriture
abondante, mais encore l'élimination des nuisances qu'elle déverse dans
son environnement, on peut être amené à constater que la croissance de
cette population n'est pas pour autant conforme à l'hypothèse exponentielle de Malthus mais que, pour des raisons ignorées, mais liées à la densité démographique de l'espèce en un lieu donné, cette croissance suit la
loi logistique de Verbulot et connaît encore un maximum.
Lorsque nous passons de l'exploitation de la nature à celle du travailleur par un groupe dominant, ce que celui -ci tend à maximiser c'est
le « surproduit » ou/et le « surtravail » que le progrès technologique
a permis d'obtenir, une partie de ce surproduit et de ce surtravail pourra
être utilisée pour inventer ou mettre en œuvre des techniques nouvelles
permettant d'augmenter non pas tant la production que la valeur du
« surproduit » que la classe dirigeante se réserve d'administrer en
l'employant à des dépenses de son choix et le « surtravail » dont elle
disposera pour des actions d'intérêt dit« général ». Il arrivera que le
surproduit prélevé par la classe dirigeante soit utilisé à des œuvres collectives dont on fait remarquer que les producteurs eussent été incapables de les entreprendre sans cette administration par le riche du bien
des pauvres. C'est sans doute l'occasion de faire remarquer avec le
satirique espagnol que si : « Le seigneur Don Juan de Porrès, en charité sans égal par amour pour les pauvres construisit cet hôpital... mais
avant il fit les pauvres ! »
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Dans un système du type « asiatique » ou « féodal » aux sens
marxiens, c'est d'autorité que la classe dirigeante imposera des livraisons, des tributs, loyers, dîmes, etc. pour enlever par ces transferts les
surproduits que les travailleurs seraient tentés soit de gaspiller, soit de
ne pas recueillir, et aussi les corvées obligeront les travailleurs à utiliser ce qui eût pu être leurs « loisirs » à des réalisations jugées utiles
par leurs maîtres.
C'est en exprimant des flux de travail et de matière en flux d'argent
que F. Quesnay a été conduit dans le tableau à assimiler le prélèvement
des propriétaires au« produit net». Cela eût été possible dans une économie non agricole ainsi qu'il apparaît dans notre graphique : « le
produit net » étant la différence entre la valeur de la consommation
nécessaire pour permettre une certaine appropriation et la valeur même
de celle-ci. La nécessité de la conservation n'apparaît pas dans le
tableau bien qu'elle soit présente dans l'esprit des physiocrates comme
une contrainte imposée par « l'ordre naturel... », contrainte supposée
respectée au nom d'une éthique que N. Bandeau exprime bien quand
il écrit : ... « il est, pour toute l'espèce, un intérêt évident général et perpétuel, savoir 1'accroissement continuel et progressif de cette masse
nouvellement récoltée, qui contient toutes les substances et toutes les
matières premières des ouvrages de durée ... procurer le maintien et la
conservation de cette masse dans son état actuel... c'estjustice: ordonner son accroissement progressif et continuel, c'est bienfaisance ... causer sa dégradation, c'est crime ou délit ». Mais les successeurs des
physiocrates n'auront pas cette « espèce de tic » que Bandeau considérait être celui des économistes « de tout envisager du point de vue
moral».
Si, cependant, on s'en tient au« zig-zag» du tableau, il est tentant
d'analyser ce qui se produit dans la « classe stérile » selon un schéma
analogue à celui par lequel Quesnay a montré que le « produit net »
fourni par « l'agriculture » et administré par les propriétaires fonciers
(y compris l'État et les décimateurs) est à l'origine de l'activité économique que le tableau représente: c'est le« zig-zag» établi par Marx
et annexé à sa lettre à Engels du 6 juillet 1863 (fig. 4) : la différence
entre le coût de reproduction de la force de travail, aliéné en marchandise, et la valeur du « produit », lui aussi « aliéné en marchandise »,
de ce travail apparaît comme une « plus-value ». Celle-ci peut être
augmentée au profit de la classe qui se l'approprie : celle des « capitalistes » (analogue aux «propriétaires » s'appropriant le «produit net»
physiocratique) soit en diminuant le coût du travail, soit en améliorant
sa productivité par la mise en œuvre de techniques nouvelles supposant
SÉRIE AG
9, MAI 1971
1307
FIGURE
4
une augmentation de la « composition organique du capital »... Il faut
donc constater que même les thèses marxistes peuvent être exposées à
partir de l'analyse d'une économie minière, de cueillette ou pastorale
sans que l'agriculture n'ait été considérée. Comme la richesse ainsi
obtenue l'est, en provoquant la rareté et en limitant la consommation
des producteurs, « en épuisant les deux sources d'où jaillit toute
richesse: la terre et le travailleur » (K. Marx), l'économie politique
telle qu'enseignée par les grands classiques anglais apparaissait naturellement à Marx comme étant « sous les apparences de l'objectivité »
la science des moyens d'obtenir la richesse en produisant la misère »
(Maximilien Rubel, 1967).
***
Il est sans doute urgent de déterminer en quoi consiste cette « révolution verte » par laquelle nos arrières aïeules néolithiques cnt inventé
l'agriculture, s'il est vrai qu'une telle révolution, si elles en avaient
1308
M.
CÉPÈDE
tenu compte, aurait dû, depuis des millénaires, bouleverser les théories
économiques.
L'agriculture est caractérisée par un investissement de travail
humain, direct ou indirect, ayant pour but, non pas, comme le « détour
économique », d'augmenter la productivité du travail humain consacré
à l'appropriation des richesses naturelles, mais bien d'augmenter la
production naturelle de ces richesses . L'intensité de cette agriculture
n'est pas mesurée par la productivité du travail humain d'appropriation, mais par le rendement de la production annuelle par unité de surface agricole utile, c'est-à-dire soumise à l' agriculture.Dans notre graphique elle s'applique à modifier la courbe PN en affectant le surtravail
disponible grâce au progrès de cueillette, à repousser les facteurs limitant la production naturelle de l'espèce végétale ou animale recherchée. C'est ce que je me suis efforcé de montrer depuis 1944 4 soulignant l'originalité de la production agricole qui n'est ni simple
appropriation de produit brut (mine) voire de produit net (économie de
cueillette ou pastorale) ni simple addition de valeur ajoutée à une
matière à laquelle on incorpore un travail en la transformant (industrie)
mais bien coopération à la production naturelle elle-même.
Si l'industrie a été considérée comme « classe stérile» par les physiocrates - « classe stipendiée » préférait dire Turgot - ce n'est pas
qu'elle ne soit pas capable de produire une augmentation de valeur
d'usage mais elle ne peut le faire qu'en incorporant dans une matière
première préexistante une énergie provenant du travail humain ou de la
destruction d'un capital préexistant (énergie fossile). Cette énergie ne
peut être obtenue qu'en consommant ou dégradant, c'est-à-dire en
transformant de la matière à faible entropie en matière à entropie élevée, plus de matière qu'il ne s'en retrouve dans le produit fini.
Certes, les énergies éolienne et hydraulique peuvent être considérées comme des forces naturelles gratuites au même titre que le rayonnement solaire mais, surtout avant le développement de la houille
blanche ou verte, les physiocrates pouvaient légitimement négliger ces
sources qu'ils eussent peut-être d'ailleurs volontiers considérées
comme « agricoles ».
Pour le travail humain, il faut remarquer que :
1) Travail humain est pris ici dans le sens de kilogrammètres fournis, travail au sens physique, travail « servile » d'Aristote.
4 Du prix de revient au produit net en agriculture, thèse, Paris, 1944. C.N.I.E.-P.U.F.,
1946.
SÉRIE
AG 9,
MAI
1971
1309
2) Tout travail humain est producteur de produit net, car la consommation des richesses par l'homme est le but poursuivi par l'économie.
Les richesses consommées par l'homme ne sont pas comme le combustible d'une machine à vapeur ou les aliments d'un animal de travail
des frais de production à déduire de cette production, elles sont des
consommations satisfaisant à des besoins humains, c'est-à-dire ce
pourquoi est réalisée la production. Seule pourrait être considérée
comme à déduire la surconsommation exigée par l'effort physique et
que l'homme n'eût pas voulu faire s'il n'avait pas dû fournir cet effort
physique. L'homme ne consomme pas pour produire du travail comme
un moteur brûle du carburant, il contribue par son travail, à une production qu'il veut voir réaliser en vue de consommer des richesses, de
satisfaire à ses besoins.
3) Par contre tout travail est pour l'homme une dépense et le travail
dépensé ne peut jamais être plus faible que le travail incorporé, en fait,
il sera toujours plus grand ..
Si l'homme consent à dépenser, pour satisfaire un besoin, un travail
plus grand que celui qui sera incorporé dans la production, c'est que le
produit qu'il compte obtenir a une valeur plus grande que celle que
représente le travail incorporé et au moins égale au travail dépensé. La
différence provient incontestablement du fait que la matière a déjà,
pour la satisfaction du besoin considéré, une valeur intrinsèque. Cette
valeur intrinsèque ne peut avoir d'autre origine qu'un travail des forces
naturelles gratuites immédiatement fourni par la nature ou accumulé
dans la matière sous forme de capital.
L'homme ne peut donc trouver dans l'élaboration des richesses le
paiement de son travail que s'il existe des richesses naturelles pour
représenter au moins la différence entre le travail humain dépensé et le
travail humain incorporé. De la « terre », comme disaient les physiocrates, des « forces naturelles gratuites » sont donc indispensables pour
que l'homme puisse trouver avantage à appliquer son travail à l'élaboration des richesses 5.
Si en valeur absolue, le travail humain fournit un « produit net »,
celui-ci est inférieur à la « consommation nécessaire » : le rendement
reste, en effet, inférieur à l'unité.
L'agriculture est née d'une toute autre série de constatations, letravail humain n'est pas incorporé dans de la matière pour donner à celleci un supplément de valeur, l'énergie mise en jeu par l'homme est
d'ailleurs négligeable par rapport à celle que la nature consacre à la
5
M.C. 1944, pp. 396-397.
1310
M.
CÉPÈDE
production. La seule photosynthèse utilise sous nos climats quelques
60 cv. par hectare pendant toute la durée de la végétation mais les
plantes ont d'autres besoins d'énergie pour vivre: elles doivent mobiliser l'eau, transpirer etc., c'est au total 80 % de l'énergie reçue par
hectare, soit sous nos climats 9000 cv, ou encore 72 000 « esclaves
naturels » qui concourent à la production naturelle. Même les dépenses
d'énergie de nos« esclaves mécaniques n (machines), de nos animaux
de travail ajoutées au travail humain ne sauraient constituer un total
comparable. Bien plus ce travail n'est pas directement employé dans le
processus de production, comme celui mis en jeu par la photosynthèse,
il est utilisé soit à la récolte comme dans 1' économie de cueillette, soit
à préparer les conditions qui permettront à la production naturelle de
fournir par unité de surface le maximum des produits souhaités.
Comme le disait Jean Brunhes : « Cultiver, c'est modifier le tapis végétal naturel». De ce point de vue la cueillette serait une culture et mieux
encore le pasteur qui met le feu à la brousse, au maquis ou à la forêt
dans le but de « faire de l'herbe » pour son troupeau serait déjà un
cultivateur. Il ne faudrait pas toutefois voir dans ces effets les origines
de l'agriculture proprement dite, en particulier de la paysanne. Celleci peut apparaître chez les peuples de chasseurs ou de pêcheurs, autour
d'habitats fixes, avant même la domestication des ruminants herbivores par le pasteur. C'est alors le plus souvent le fait des femmes qui,
sur les détritus résultant de l'occupation humaine, constatent la multiplication des espèces recherchées dans la cueillette et leur amélioration
sur ce sol plus riche. La clairière, primitivement simple lieu de séjour,
devient une terre cultivée où se concentrent les matières fertilisantes
comme les graines rassemblées au cours des cueillettes. Aussitôt que
les plantes apparaissent et qu'elles peuvent être distinguées, les adventices les « mauvaises herbes » sont sarclées au profit des espèces
recherchées. Un jour on reconnaîtra le lien entre la plante et la graine
dont elle est issue = on sèmera, puis on travaillera le sol, on 1' assainira
ou l'irriguera, on prendra conscience du rôle des engrais: on fumera.
Bien des progrès pourront être faits mais l'agriculture sera inventée
dont des millénaires plus tard, le vieux M.P. Caton déclarera qu'elle
consiste à « travailler le sol et encore le travailler et enfin le fumer ».
Ce travail «servile» (Aristote) beaucoup plus important que celui de
la collecte et bien sûr que celui de simple surveillance et protection que
les pasteurs - qu'Aristote appelait c les plus paresseux des hommes »
- consacrent à leurs troupeaux, la paysanne, le paysan vont chercher à
en accroître 1' efficacité en faisant appel à 1' outil et son usage, du
simple bâton à fouir jusqu'au matériel moderne en passant par la houe
SÉRIE
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MAI
1971
1311
et la charrue, est caractéristique de l'économie agricole. Celle-ci en
faisait appel aux détritus de la vie humaine tend à refermer le cycle
biologique et à utiliser les nuisances à l'amélioration de la fertilité,
« à faire naître des plantes au lieu de faire naître des maladies »
(F. Engels Anti-Dühring). Elle est naturellement conservatrice voire
amélioratrice d'une fertilité qu'elle a créée ou au moins développée
par son travail : « elle demande à ses fumiers de laisser dans le sol
après chaque révolution d'assolement, un stock, un excédent d'engrais
qui, n'étant pas immédiatement assimilables, constituent un capital
d'engrais plus ou moins immobiliers, un capital d'humus ou terreau
qui agit utilement sur les propriétés physiques du sol et prépare longtemps à l'avance des éléments assimilables pour de futures récoltes
(E. Lecouteux) ».L'agriculteur peut aménager l'œkoumène et contribuer à augmenter la production naturelle, coopérer à la création afin de
permettre à l'humanité de représenter demain, plus que ce millionième
de la masse de la biosphère qu'elle constitue aujourd'hui, sans mettre
en péril, mais au contraire en améliorant cet environnement qui est le
sien. Cela il le peut en investissant du travail humain soit direct : en
façon culturales, soit indirect en « intrants »: engrais, amendements,
etc.
Si des agricultures « minières » existent et il en est qui ont détruit
des millions d'hectares, c'est que les agriculteurs ne sont pas tous
«paysans » : il est des «pasteurs de paysans » qui, utilisant une maind' œuvre servile ou salariée se préoccupent plus du rendement en produit du travail humain que de la conservation et de l'amélioration
d'une production naturelle à l'unité de surface. Certains « propriétaires » imposent à leurs fermiers et colons une attitude contraire à
toute culture paysanne. Dans l'un et l'autre cas, c'est la domination de
l'agriculture par une classe non paysanne qui entraîne la destruction de
l'environnement par l'épuisement de la fertilité.
Certes, dans une économie de cueillette, ou pastorale, nous avons pu
déjà constater l'existence de sociétés, à classes différenciées où la
classe dominante se livre à une « économie pastorale » dans laquelle le
« producteur » est l'animal exploité. C'est cependant avec l'agriculture
proprement dite que cette différenciation apparaît le plus clairement et
le plus fréquemment et le « pasteur de paysans » est la forme la plus
fréquente des u pasteurs de producteurs ». L'hypothèse avancée dans
la présentation du cahier consacré en septembre 1969 aux ex Relations
Industrie-Agriculture » 6 tentait déjà d'expliquer l'origine de cette
6 Economie
et Sociétés, tome III, n° 9, Droz, Genève, 1969, pp. 1657-1666.
1312
M.
CÉPÈDE
domination par un spoliateur. Comme ce spoliateur se trouve vis-à-vis
du paysan dans la situation d'un pasteur, ilsera tenté, dans la recherche
du maximum de produit pour le minimum de dépense de sa part, d'exploiter tant la terre que le travailleur sans souci de la pérennité de ces
deux sources de toute richesse.
L'intensification de l'agriculture, tendance naturelle du paysan, ne
résistera pas au désir infini de profit : lucrum in infinitum du « pasteur
de paysans ». Le tableau ci-dessous q analyse schématiquement la
composition des coûts de production supposés identiques (100) d'un
quintal de blé en production extensive (rendement 8 quintaux à l'hectare) et en culture intensive (rendement 30 quintaux à l'hectare) va
nous permettre quelques remarques :
Dépenses
Dépenses annuelles (dont
travail direct et indirect)
Rémunération des capitaux
immobilisés (dont foncier)
Production extensive
(8 qlha)
Production intensive
(30 qlha)
par
quintal
par
hectare
par
quintal
par
hectare
20
160
80
2400
80
640
20
600
lOO
800
lOO
3000
Ces propositions qui peuvent certainement varier, correspondent
toutefois à des réalités fréquemment constatées : le rapport 115 pour le
colon et 4/5 pour le propriétaire était à la fin de l'empire romain et a
constitué pour les juristes islamiques la base traditionnelle du « rhamessat » ; d'autre part dans une culture donnant 30 quintaux de blé, les
salaires rémunérant le travail direct dans l'entreprise, représentent à
eux seuls environ 40 pour cent du coût de production soit la moitié du
total estimé des dépenses annuelles.
Ce schéma nous permet de comprendre pourquoi critiquant la théorie simpliste de la rente du sol de Ricardo, Sismondi dans« Nouveaux
Principes » a pu soutenir que le propriétaire foncier peut avoir avantage à louer sa terre à un exploitant extensif disposé à payer un loyer
plus élevé pour un hectare de pâture qu'un producteur intensif- il prenait l'exemple d'un jardinier- ne le peut pour une terre arable. Le
« produit net », au sens de Sismondi qui n'est pas exactement
d'ailleurs celui des physiocrates, est alors plus grand mais la collectivité ne tire qu'un «produit brut »plus faible, les ouvriers agricoles se
trouvent privés d'emplois et les fournisseurs de l'agriculture de clients.
SÉRIE
AG 9,
MAI
1971
1313
Les entrepreneurs agricoles pour lesquels le travail est une dépense
et un souci, autre type de « pasteurs de paysans », peuvent aussi être
conduits à la même conclusion que le propriétaire de Sismondi : les
grandes entreprises sucrières de Cuba, avant la révolution fidéliste,
conservaient, par exemple, de vieilles plantations de cannes qui ne
coûtaient guère que la récolte mais ne fournissaient aussi qu'un court
emploi temporaire à la main-d'œuvre ; de telles plantations étaient plus
« rentables » que des cultures intensives, plus souvent renouvelées,
nécessitant plus de dépenses annuelles, assurant plus d'emploi tout au
long de l'année et fournissant la même « production brute » sur une
superficie moitié moindre. Mais pourquoi la plantation se serait-elle
risquée à obtenir plus de rendement brut, à fournir plus d'emplois à ses
ouvriers et à effectuer plus de dépenses annuelles pour obtenir de ses
investissements et singulièrement de la terre un revenu au mieux équivalent; elle n'est pas engagée dans une économie de subsistance, elle
est une entreprise capitaliste qui recherche la maximisation de ses profits. Pour elle toutes les dépenses se valent et ce n'est que lorsque la
«plus-value » qu'elle recherche, risque de diminuer, sous l'effet de la
concurrence, qu'elle tendra à augmenter la« composition organique de
son capital » afin d'augmenter la « productivité >> des dépenses
annuelles, singulièrement du travail humain, dès que le coût de celuici aura tendance à s'élever. La mécanisation, la motorisation en particulier, c'est-à-dire la substitution au travail humain de la consommation d'un capital préexistant non renouvelable mais encore susceptible
d'être gaspillé, lui paraîtra une meilleure solution que la voie paysanne
de la création d'emploi. Engagée dans une économie de marché, elle
ne cherche à produire que ce qu'elle sera susceptible de vendre avec
profit. Elle sait en outre qu'une agriculture intensive est plus vulnérable en cas de crise qu'une extensive. Cela apparaît aussi nettement
sur notre tableau. Supposons que les prix sur le marché tombent à la
moitié et cela n'est pas comme les « supposons que » Ricardiens, une
hypothèse théorique en l'air, puisque, en cas de crise, par l'effet King,
cela peut se produire et s'est effectivement produit par une simple
« surproduction » dépassant de 10 % la demande solvable. La culture
intensive ne trouvera plus dans la vente sa récolte (50) de quoi faire ses
dépenses annuelles (8o) pour la future récolte tandis que l'extensive le
pourra et donnera encore aux capitaux fixes un revenu de = 50 - 20 =
30 soit les 3/8 de œ qu'elle fournissait en période « normale ». Un
simple moratoire permettra à l'agriculture extensive de passer une
crise qui aura fait disparaître l'intensive, si elle n'a pu se protéger
contre la baisse. C'est ce qui explique que l'intensification de l' agri-
M.
1314
CÉPÈDE
culture pour pouvoir subsister nécessite le « soutien des prix ». Les
expériences européennes à la fin du XIxe siècle et dans la crise des
années 1930, l'expérience américaine après la Seconde Guerre
mondiale peuvent faire craindre ainsi pour l'avenir de la « révolution
verte »dans les pays du Tiers-Monde qui ne peuvent avoir recours ni
au protectionnisme, ni à la distribution des surplus, si une organisation
internationale ne vient pas rapidement garantir un soutien des prix sur
les marchés mondiaux.
Sans supposer une crise aussi profonde que celle que nous venons
d'envisager, notre schéma permet de comprendre pourquoi une agriculture capitaliste sera tentée de recourir à la destruction de la fertilité
pour maintenir ses profits apparents tandis que la paysanne sera
condamnée à toujours plus d'intensification, pour maintenir le revenu
indispensable à sa survie.
L'agriculture capitaliste pour passer la crise mettra comme l'industrie sa main-d' œuvre au chômage, elle négligera, pour un temps mais
qui peut suffire à entraîner des destructions irréversibles, 1' entretien de
ses sols ; elle pourra, ce faisant, espérer limiter sa production au niveau
de la demande solvable et ramener ainsi 1' équilibre de pénurie rentable
sur le marché.
L'agriculture paysanne aura tendance à augmenter au contraire sa
production pour assurer à la famille un revenu identique. Elle pourra
d'abord essayer de valoriser par l'autoconsommation une plus grande
part de sa production mais en cas de crise profonde, le phénomène sera
inversé, l'autoconsommation sera limitée afin de pouvoir porter au
marché plus de produits en vue d'acheter les facteurs de production
indispensables autres que le travail : c'est ainsi qu'au cours de la crise
des années 1930, la prétendue « surproduction » a entraîné la sousnutrition des producteurs et de leurs familles. La sous-alimentation
paysanne n'est pas un fait nouveau si elle est apparue comme une révélation à beaucoup à la fin des années 1930. Grégoire dans son« Essai
historique sur l'agriculture » 7 rappelle qu'en 1764 « le bénédictin Feyjoo disait qu'en Galice, en Asturies et dans les montagnes de Leon, les
laboureurs étaient la classe la plus affamée, la plus malheureuse; car il
est à remarquer que souvent ceux à qui le riche doit les primeurs, les
fruits exquis, le pain blanc manquent du nécessaire ; c'est toujours la
sentence de Virgile vérifiée : « Sic vos non vobis, mellijicatis apes ».
C'est bien parce que le paysan appartient à un secteur dominé, et non
par son incapacité à produire ou par l'avarice de la nature qu'il souffre
7
Olivier DE
SERRES,
Thédtre d'Agriculture, édit. An. XII, tome I, p. XCVIII.
SÉRIE AG
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MAI
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1315
si souvent, lui et les siens, de la faim. Dans les dépenses annuelles ce
sont les dépenses d'achat extérieur que le paysan essaiera de limiter au
besoin en leur substituant un surcroît de travail direct: il remplacera par
exemple un épandage d'engrais de couverture ou de pesticide par un
binage ou un sarclage: le prix de revient apparent en sera augmenté
mais il aura tenté de maintenir son revenu au prix d'un surtravail,
d'une surexploitation de lui-même et des siens.
Dans une étude comparée des coûts de production du quintal de blé,
dans diverses exploitations, il y a déjà une quinzaine d'années, nous
avons trouvé une dispersion de 70 environ à 120 prenant, pour base
100, le prix alors garanti.
La permanence de producteurs qui vendent 100 ce qui, théoriquement leur coûte 120, ne peut s'expliquer que par le fait que, dans l'exploitation familiale le travail peut, tout en étant plus important, n'être
rémunéré qu'au 2/3 du prix qu'il eût fallu payer à un salarié pour qu'il
l'effectue. Les hauts prix de revient apparents de l'agriculture paysanne qui sont parfois invoqués pour en recommander la disparition,
sont la conséquence de la domination subie par le secteur agricole.
Il est assez éclairant de constater que si les progrès de productivité
sont obtenus en réduisant le travail humain nécessaire celui-ci étant
acheté au prix du marché par l'entrepreneur capitaliste, la diminution
du coût de production entraîne un profit correspondant :
Supposons que la productivité du travail humain soit doublée, l'emploi diminue à la moitié et la dépense de main-d' œuvre passe de 40 à
20, le coût de production tombe de 100 à 8o par unité produite et le
profit supposé nul au départ s'élève à+ 20.
Un tel profit peut être recherché par l'accroissement de la productivité du travail humain même aux dépens de l'intensité, c'est-à-dire de
la productivité (rendement) à l'hectare.
En économie paysanne, au contraire, dans la même hypothèse, le
revenu paysan reste constant puisque l'apparition de 20 en profit est
compensée par la perte de revenu provenant de la diminution de l'emploi. L'heure de travail humain a, certes, procuré un revenu double,
mais cela ne constituera une incitation à l'accroissement de la productivité que dans la mesure où il y a un revenu suffisant pour que le loisir soit valorisé, ou bien où les facteurs de production, autres que letravail humain, disponibles permettent d'espérer utiliser le loisir à
l'accroissement de la production. Si tel n'est pas le cas, l'accroissement de la productivité est indifférent en économie paysanne. Bien
plus, tant que le plein emploi de la force de travail n'est pas assuré, une
diminution de la productivité du travail humain n'est pas un obstacle à
1316
M. CÉPÈDE
Exploitation
capitaliste »
(travail salarié)
Structure
de base
<<
Exploitation
paysanne
(travail familial)
A (30 qx) B (25 qx) C (25 qx) D (30 qx)
1200 Travail
1200 Autres dépenses annuelles
600 Frais de capital fixe
600
1200
600
500
1000
600
1000
1000
600
1800
1200
600
3000 Coûts
3000 Recettes (val. production)
2400
-3000
2100
-2500
2600
-2500
3600
-3000
-600
600
-400
500
0000 Profit(-) ou pertes( +)
1200 Revenu du travail
Taux horaire
1200
Revenu paysan :
+ 100
+600
1000( -lOO) 1800( -600)
0.9
0.66
900
1200
la recherche d'un système plus «intensif actif» (Dragoni) qui permettrait par l'augmentation de la production d'augmenter, ou en cas de
crise de maintenir, le revenu paysan. Sipar exemple l'emploi par unité
de produit passe de 40 à 60, faisant passer le coût apparent total de 100
à 120, le revenu total obtenu par la vente de l'unité à 100 restera de 40,
l'heure de travail se trouvant certes rémunérée aux 2/3 du prix théorique supposé égal au prix du marché.
Pour éclairer ces paradoxes, supposons que la structure de base soit
réalisée à 30 quintaux, les frais de capital fixe à 600 par hectare et les
frais annuels (à l'exclusion du travail) à 1200 francs par hectare: dans
tous les cas le profit est nul mais le revenu du travail est de 1200 francs
par hectare. Voyons ce qui va se passer si l'entreprise « capitaliste »
parvient à doubler la productivité du travail humain soit (A) en maintenant la production à 30 quintaux/hectare soit (B) au prix d'une réduction de ce « rendement » à 25 quintaux/hectare:
Puis examinons ce qui se passe dans une exploitation paysanne où
(C) à 25 quintaux l'égalité entre frais de travail et autres dépenses
annuelles était réalisée et où (D) pour atteindre 30 quintaux il faudrait
accepter que le coût théorique de travail passe à 1800 contre 1200 pour
les autres dépenses annuelles. Les conclusions auxquelles seront
conduits tant les entrepreneurs c capitalistes •, « pasteurs de paysans
», à la recherche de profit que les paysans, exploitants familiaux, à la
recherche de revenu et d'emploi pour se procurer celui-ci, paraissent
évidentes si effectivement contradictoires.
Si, dans le secteur agricole, il n'est pas que des paysans et si ceuxci constituent encore, au scandale de beaucoup, la majeure part de
SÉRIE
AG 9,
MAI
1971
1317
l'humanité, ils sont seuls les vrais producteurs, les autres continuant à
vivre en parasites. Il reste une population de cueilleurs, chasseurs,
pêcheurs qui vivent aux dépens de la nature, ... de guerriers, bandits,
commerçants, mais aussi magistrats, administrateurs, prêtres, hommes
de sciences, etc. qui vivent des productions des producteurs. Ce sont
les classes de pasteurs qui ont donné naissance aux empires. La société
urbaine vit de l'exploitation de la campagne : qu'ils soient guerriers
« Homériques » (C. C. Zimmermann) ou marchands « Aristophaniques » (C. C. Zimmermann), les maîtres de la Cité ne participent pas
à la philosophie des paysans « Hésiodiques « (C.C. Zimmermann),
même lorsqu'ils sont d'origine paysanne, ils se sont le plus souvent
empressés de se débarrasser des préjugés « paysans » : « conservation, modération, investissements, travail sont des notions que « l'homérique » sacrifie à celles de pouvoir, hiérarchie, prestige, domination
et « l' aristophanique » à celles de marchandises, valeurs, profits,
exploitation » (M.C. 1970).
L'étude de cette domination, de cette exploitation et de leurs effets
mérite d'être poursuivie puisqu'il semble bien que l'agriculture intensive est indispensable pour assurer la subsistance de l'humanité et que
cette agriculture qui est la tendance naturelle de la paysannerie assure
la conservation des ressources et l'entretien de l'environnement. La
domination par les propriétaires, les capitalistes, le marché tendant au
contraire à maintenir la pénurie, la faim pour la plus grande partie de
l'humanité, et à épuiser « les deux sources d'où jaillit toute richesse :
la terre et le travailleur » (K. Marx).
BIBLIOGRAPHIE
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analyse des États policés, Paris.
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