ANTONIO DAMASIO Le désir de comprendre la conscience

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https://www.youtube.com/watch?v=LMrzdk_YnYY
http://mabouillotte-et-mondoudou.over-blog.fr/article-antonio-damasiole-desir-de-comprendre-la-conscience-99180988.html
Antonio Damasio: Le désir de comprendre la conscience
Je suis là pour vous parler des merveilles et des mystères d’un esprit
conscient. La merveille c’est que nous nous sommes tous levés ce matin et
en faisant cela notre esprit a repris conscience. Notre esprit a repris le sens
complet de soi-même et le sens complet de notre propre existence, et
pourtant nous prenons rarement le temps de réfléchir sur cette merveille.
Nous devrions, en fait, parce que sans la possibilité d’avoir un esprit
conscient, nous n’aurions pas la moindre connaissance de l’humanité ; nous
n’aurions aucune connaissance du monde. Nous ne sentirions ni douleur, ni
joie. Nous n’aurions pas accès à l’amour ou à la capacité de créer. Et bien
sûr, Scott Fitzgerald a notoirement dit qu' «on a beaucoup à reprocher à
celui qui a inventé la conscience. » Mais il a aussi oublié que sans la
conscience, il n’aurait pas accès au vrai bonheur, non plus à la possibilité de
transcendance.
Assez parlé de la merveille, parlons maintenant du mystère. Ceci est un
mystère qui est vraiment extrêmement difficile à élucider. Depuis le tout
début des études philosophiques et certainement pendant toute l'histoire
de la neuroscience, ceci reste un mystère qui résiste à l’élucidation, et qui
soulève des controverses importantes. Et il y a en fait beaucoup de gens qui
pensent qu’on ne devrait même pas y toucher ; nous devrions la laisser
tranquille; ça n’a pas à être compris. Je n’y crois pas, et je crois que la
situation est en train de changer. Ce serait ridicule d’affirmer que nous
savons comment on fait pour créer de la conscience dans nos cerveaux,
mais nous pouvons certainement commencer à aborder la question, et à
voir une solution de quelque sorte.
Et une autre merveille dont on doit se réjouir c’est le fait que nous avons
maintenant des technologies d’imagerie qui nous permettent de rentrer
dans le cerveau humain pour pouvoir faire, par exemple, ce que vous voyez
maintenant. Ce sont des images qui viennent du labo de Hanna Damasio, qui
vous montrent, dans un cerveau vivant, la reconstruction même du cerveau.
Et c’est une personne qui est en vie. Ce n’est pas une personne qu’on
analyse en autopsie. Et ce n’est pas tout -- et c’est une chose vraiment
époustouflante -- ce que je vais vous montrer dans un instant, qui va en
dessous de la surface du cerveau pour regarder vraiment dans le cerveau
vivant les vraies connexions, les vrais parcours. Toutes ces lignes en couleur
correspondent à tout un tas d’axones, les fibres qui relient les cellules du
corps aux synapses. Désolé de vous décevoir, elles ne sont pas vraiment
faites en couleur. Mais en tous cas elles sont là. Les couleurs servent de
code, pour indiquer la direction, si c’est de l’arrière vers l’avant ou viceversa.
En tout cas, qu’est ce que la conscience? Qu’est-ce qu’un esprit conscient ?
En de termes très simples nous n dire que c’est ce qu'on perd en entrant
dans un état de sommeil profond sans rêves, ou en subissant de
l'anesthésie, et c’est aussi ce qu'on retrouve quand on se remet du sommeil
ou d’une anesthésie. Mais qu’est-ce que c'est exactement, cette chose que
l'on perd lors de l'anesthésie, ou pendant le sommeil profond sans rêves ?
Tout d’abord, c’est un esprit, qui est un flux d’images mentales. Et bien
sûr, pensez aux images qui peuvent être des circuits sensoriels et visuels,
comme ceux que vous constatez en ce moment par rapport à la scène et à
moi, ou bien des images auditives, que soulèvent en ce moment mes mots.
Ce flux d’images mentales c'est l’esprit.
Mais il y a autre chose encore que tout le monde dans cette salle ressent.
Nous n'émettons pas de manière passive des images visuelles, auditives ou
tactiles. Nous avons un soi. Nous avons un Moi qui est automatiquement
présent dans nos esprits à tout moment. Nous sommes maîtres de nos
esprits. Et chacun de nous a la sensation que c'est bien lui ou elle
personnellement qui est en train de l’éprouver -- et non pas la personne
assise à coté. Alors pour avoir un esprit conscient, on a un soi à l’intérieur
de l'esprit conscient. L'esprit conscient est donc un esprit qui contient
un soi. Le soi introduit la perspective subjective dans l’esprit, et nous
ne sommes complètement conscients qu'à partir du moment où le soi
vient à l'esprit. Alors ce qu’il nous faut savoir afin d'aborder le mystère
c'est, premièrement, comment l'esprit se fabrique dans le cerveau, et,
deuxièmement, comment le soi se construit.
5:02 'La première partie, le premier problème est relativement facile – il
n’est pas du tout facile -- mais c’est quelque chose qu'on évoque déjà depuis
un certain temps dans la neuroscience. Et c’est assez clair que, pour faire un
esprit, il faut créer une carte des neurones. Imaginez un quadrillage comme
celui que je suis en train de vous montrer, maintenant, imaginez qu'à
l’intérieur de ce quadrillage -- cette feuille en deux dimensions -- il y ait des
neurones. Et visualisez, si vous voulez bien, un panneau, un panneau
numérique, où il y ait des éléments qui peuvent être illuminés ou pas. Et
selon le dessin que vous créez en éclairant ou pas les éléments numériques,
ou, dans ce cas, les neurones sur la feuille, vous serez en mesure de
construire une carte. Bien sûr, c’est une carte visuelle que vous voyez, mais
ça s’applique à n’importe quelle carte -- auditive, par exemple, pour ce qui
est des fréquences sonores, ou la carte qu'on construit avec notre peau dès
qu'on palpe un objet.
Maintenant pour illustrer l'importance de ce lien entre d'une part la grille
de neurones et la disposition topographique de l’activité des neurones, et
d'autre part, notre expérience mentale -- je vais vous raconter une histoire
personnelle. Si je couvre mon œil gauche -- et je parle ici de moi
personnellement, pas de vous tous -- si je couvre mon œil gauche, je regarde
la grille – à peu près comme celle que je vous montre. Tout est beau et
parfait et perpendiculaire. Mais il y a quelques temps, j’ai découvert que si
je couvre mon œil gauche, ce que je vois à la place c’est ça. Je regarde la
grille et je vois une déformation sur le bord de mon champ central à gauche.
Très bizarre – je l’ai analysé pendant un moment. Mais il y a quelques
temps, grâce à l’aide d’une collègue ophtalmo, Carmen Puliafito, qui a
développé un scanner laser de la rétine, j’ai découvert ceci: si je fais un
scanner de ma rétine sur le plan horizontal que vous voyez dans le coin,
voici ce que j’obtiens. Sur le coté droit, ma rétine est parfaitement
symétrique. Vous voyez la descente vers la fovéa d’où partent les nerfs
optiques. Mais sur le coté gauche de ma rétine il y a une bosse, qui est
marquée là par une flèche rouge. Elle correspond à un petit kyste qui se
situe plus bas. Et c’est exactement ce qui provoque la déformation de mon
image visuelle.
Pensez donc : vous avez une grille de neurones, et soudainement il advient
un changement mécanique qui modifie la position de la grille, et vous
obtenez une déformation de votre expérience mentale. Voici donc à quel
point se rapprochent votre expérience mentale et l’activité des neurones
dans la rétine, qui, elle, est une partie du cerveau qui se trouve dans le globe
oculaire, ou, autrement dit, une couche du cortex visuel. Alors de la rétine ça
va vers le cortex visuel. Et bien sûr, le cerveau ajoute beaucoup
d’information à tous ces influx nerveux transmis par la rétine. Et dans cette
image-là, vous voyez toute une série d’îles -- ce que j’appelle zones de
création d’images -- dans le cerveau. Vous avez, par exemple, le vert, qui
correspond à l'expérience tactile, ou le bleu qui correspond à l'expérience
auditive.
En plus ces zones de création d’images, où vous avez le plan de toutes ces
cartes des neurones, fournissent les signaux à cet océan violet que vous
voyez tout autour, qui est le cortex de l’association. C'est là où on peut
enregistrer ce qui se passe dans ces zones de création d’images. Et ce qui est
vraiment merveilleux, après c’est qu'en partant de la mémoire, venue de ces
cortex de l’association, on peut récréer des images dans les zones mêmes de
perception. Voyez donc à quel point notre cerveau est pratique et
paresseux. Il a certaines zones destinées à la perception et à la création
d’images, Et ce sont exactement les mêmes qui seront utilisées pour la
création d’images quand on rappelle des informations.
Jusqu’à présent le mystère de l’esprit conscient se réduit un peu parce que
nous avons un sens général de notre façon de créer ces images. Mais qu’en
est-il du soi ? Le soi est vraiment le problème qui nous échappe. Et pendant
longtemps, personne n’a voulu y toucher, parce qu’on disait, «Comment
peut-on avoir ce point de référence, cette stabilité, qui est nécessaire au
maintien de la continuité du soi jour après jour ? » Et j’ai trouvé une
solution à ce problème. C’est la suivante. Notre cerveau produit un plan
de l’intérieur du corps qui nous sert comme référence pour tous les
autres plans.
Laissez-moi vous raconter un peu comment j’en suis arrivé là. J'en suis
arrivé là parce que, si on a cette référence que nous appelons le soi -- le Moi,
le "je" dans notre processeur intérieur -- il nous faut quelque chose de
stable, quelque chose qui ne change pas trop du jour au lendemain. Bon, il
se trouve que nous n'avons qu'un seul corps. Nous avons un seul corps, pas
deux, pas trois. Donc c’est un début. Il n'y a qu'un seul point de repère -c'est le corps. Mais ensuite, bien entendu, le corps consiste en beaucoup de
parties, qui poussent à différentes vitesses, et qui n'ont pas les mêmes
dimensions chez tout le monde. Cependant, ceci n'est pas le cas à l’intérieur.
En tout ce qui concerne ce qu'on appelle le milieu interne -- par exemple,
toute la gestion de la chimie interne de notre corps -- est, en fait,
extrêmement stable jour après jour -- et pour une très bonne raison. Si on
s'éloigne trop des paramètres qui sont proches de la ligne médiane
désignant les conditions qui rendent la vie possible, on arrive à la maladie
sinon la mort. Nous avons donc un système intégré dans notre propre vie
qui garantie une certaine continuité. Quelque chose que je nomme "la
monotonie presque infinie" d’un jour à l’autre. Parce que si on n’a pas cette
monotonie, physiologiquement, soit on tombe malade, soit on meurt. Alors
voilà un autre élément de cette continuité.
Et la dernière chose c’est qu’il y a une connexion très étroite entre la
régulation de nôtre corps par le cerveau et le corps même, différente de
n’importe quelle autre connexion. Par exemple, je me fais une image de
vous, mais il n’y a pas de lien physiologique entre les images que j’ai de vous
comme public et mon cerveau. Cependant, il y a un lien étroit,
permanent entre les parties de mon cerveau régulatrices de mon
corps et mon corps même.
Voila ce à quoi ça ressemble. Regardez la zone là. Il y a le tronc cérébral
entre le cortex cérébral et la moelle épinière. Et c’est dans cette zone que je
vais vous montrer maintenant que sont localisés tous les instruments de la
régulation vitale du corps. C’est tellement détaillé que, par exemple,
regardez cette partie en rouge dans la partie supérieure du tronc cérébral,
si vous l’endommagez, à cause d’une attaque d'apoplexie par exemple, vous
entrez dans le coma ou dans un état végétatif, qui est, bien sûr, un état dans
lequel l'esprit disparait, et la conscience disparait. Ce qui se passe alors en
réalité, c’est que vous perdez le fondement du soi, vous n’avez plus accès à
aucune sensation de votre propre existence, et, en fait, il peut y avoir des
images qui continuent à prendre forme dans votre cortex cérébral, sans que
voyez en soyez conscient. En effet, vous perdez conscience dès que cette
zone rouge de votre tronc cérébral est endommagée.
En revanche si on considère la partie verte du tronc cérébral, rien de tel ne
se produit. C’est tellement spécifique. Alors, avec cette partie verte du tronc
cérébral, si vous l’endommagez, et ça arrive souvent, vous allez tomber
dans une paralysie totale, mais vous aurez toujours un esprit conscient.
Vous ressentez, vous savez, vous avez un esprit totalement conscient que
vous pouvez transmettre très indirectement. C’est une condition horrible.
Vous ne voulez pas la voir. Il y a des gens qui sont, en fait, emprisonnés dans
leur propre corps, mais ils ont un esprit. Il y avait un film très intéressant,
un des rares bons films qui parlent de ce genre de situation, réalisé par
Julian Schnabel il y a quelques années où il s'agit d'un patient dans cette
condition.
Maintenant je vais vous montrer une image. Je promets de ne pas en dire
plus; ceci pourrait bien vous faire peur. Je tiens juste à vous dire que dans
cette zone rouge du tronc cérébral, il y a, pour simplifier, tous ces petits
carrés qui correspondent à des modules qui font des cartes cérébrales des
différents aspects de notre l'intérieur, et des différents aspects de notre
corps. Ils sont finement topographiques et exquisément interconnectés avec
un circuit qui se répète. Et c'est à partir de cette étroite connexion entre le
tronc cérébral et le corps que je crois – et je pourrais me tromper, mais je
ne crois pas -- qu'on crée le plan du corps qui est le fondement du soi qui
consiste des sensations -- sensations primitives, d'ailleurs.
Alors, quelle est cette image? Regardez « cortex cérébral », regardez « tronc
cérébral », regardez « corps », et vous avez une idée de la très étroite
connexion entre le tronc cérébral qui fournit le fondement du soi et le
corps. Et vous avez le cortex cérébral qui fournit le grand spectacle de notre
esprit avec une profusion d’images qui sont, effectivement, le contenu de
notre esprit et auquel, d'habitude, on prêt le plus d’attention, comme on
devrait bien, vu que c’est vraiment un film qui se déroule dans notre esprit.
Mair regardez les flèches. Elles ne sont pas là pour rien. Elles sont là parce
qu’il y a une interaction très étroite. Il n'y a pas d'esprit conscient sans cette
interaction entre le cortex cérébral et le tronc cérébral. De même, il n'y a
pas d'esprit conscient sans l'interaction entre le tronc cérébral et le corps.
Une autre chose intéressante c’est que le tronc cérébral que nous avons est
commun à d’autres espèces. Chez les vertébrés le modèle du tronc cérébral
est comparable au notre, ce qui est une des raisons pour laquelle je crois
que ces espèces ont des esprits conscients comme nous. Sauf qu’ils ne sont
pas aussi riches que les nôtres, parce qu’elles n’ont pas de cortex cérébral
comme nous. Voila où se trouve la différence. Et je ne suis pas du tout
d’accord avec l’idée que la conscience devrait être considérée comme étant
le plus grand produit du cortex cérébral. Seule la richesse de l'esprit l’est, et
non pas le simple fait d’avoir un soi et de pouvoir parler de notre propre
existence et d'avoir une perception du soi.
Il y a trois niveaux du soi à considérer -- le proto-soi, le soi central et le
soi autobiographique. Les deux premiers sont communs à beaucoup
d’autres espèces, et ils ressortent en grand partie du tronc cérébral et de
tout ce qu’il y a comme cortex dans ces espèces. Certaines espèces
seulement ont, je crois, un soi autobiographique. Les cétacés et les primates
aussi ont un soi autobiographique dans une certaine mesure. Et nos chiens
chez nous ont un soi autobiographique dans une certaine mesure. Mais
voici la nouveauté.
Le soi autobiographique est construit sur une base de souvenirs -souvenirs du passé, mais aussi des plans que nous avons faits; c’est le passé
vécu et le futur anticipé. Et le soi autobiographique a provoqué la
mémoire de longue durée, le raisonnement, l’imagination, la créativité
et le langage. Et de là viennent les instruments de la culture -- la
religion, la justice, le commerce, l'art, la science, la technologie. Et c’est
dans cette culture que nous pouvons vraiment trouver -- et ceci est la
nouveauté -- quelque chose qui ne soit pas entièrement fixée par notre
biologie. Qui se développe à travers la culture. Qui se développe dans les
collectivités d’êtres humains. Et c’est, bien sûr, la culture où nous avons
développé quelque chose que j’aime appeler la régulation socio-culturelle.
Et enfin, vous pourriez bien demander, pourquoi faut-il s’en préoccuper ?
Pourquoi se sentir concerné par ces questions de si c’est le tronc cérébral
ou le cortex cérébral et comment c’est fait ? Il y a trois raisons. La
première: la curiosité. Les primates sont extrêmement curieux -- les êtres
humains surtout. Et si nous sommes intéressés, par exemple, par le fait que
l’anti-gravité est en train d’éloigner les galaxies de la Terre, pourquoi ne
devrions-nous pas nous intéresser à ce qui se passe à l’intérieur de l'être
humain ?
Deuxièmement, pour comprendre la société et la culture. Nous
devrions observer comment la société et la culture dans cette régulation
socioculturelle sont toujours un travail en cours. Et finalement, la
médecine. N’oublions pas que certaines des pires maladies de l’humanité
sont des maladies comme la dépression, la maladie d’Alzheimer, la
toxicomanie. Pensez aux attaques qui peuvent anéantir votre esprit ou vous
rendre inconscient. Aucune chance de traiter ces maladies efficacement et
de manière non-fortuite sans comprendre comment cela marche. C’est donc
une très bonne raison au delà de la curiosité pour justifier ce que nous
faisons, et pour justifier l'intérêt pour ce qui se passe dans nos cerveaux.
Merci de votre attention.
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