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n’est pas sa propre source et qu’il doit renoncer à
tout maîtriser, s’il veut vivre. Tel est le rôle de la loi
morale : celle-ci peut libérer l’homme de ses illusions
funestes, le conduire de la servitude à la liberté, au
service et au partage qui font vivre. Guérie de ses
peurs mortifères, la culpabilité devient alors source
de responsabilité.
De la culpabilité à l’espérance chrétienne. « Là où
le péché a abondé, la grâce a surabondé » : cette
affirmation de Paul fait accéder à la dimension pro-
prement théologale de la culpabilité, ou plus préci-
sément du péché. Celui-ci est plus qu’un rapport à la
loi ; il est le « devant Dieu » (P. Ricœur) de l’homme
se reconnaissant pécheur dans le moment où il per-
çoit l’offre du pardon et de reconstruction de son
être le plus intime. Sa condition d’être « créé à
l’image de Dieu » est comme re-sculptée par le créa-
teur, sur base du salut pascal en Christ. Cette lente
émergence de l’homme enfermé dans sa culpabilité
morbide passe d’abord par le stade éthique ; elle
culmine, selon la foi chrétienne dans le stade théo-
logal. En réalité, la loi et la grâce sont adossées l’une
à l’autre : pas d’accès à la grâce sans pratique de la
justice. De la logique du désespoir à la logique de
l’espérance : la culpabilité morbide peut ainsi être
libérée de ses chaînes et l’homme rendu à sa liberté
responsable.
La question du mal : clés bibliques (André Wénin,
Professeur à la Faculté de théologie, UCL). La simpli-
cité apparente des récits symbolico-poétiques de la
Genèse amène souvent à en faire une lecture naïve
et culpabilisante, laissant croire que le mal est une
fatalité, qu’il se répand dans l’humanité d’une façon
mécanique et même que la sexualité en est un des
vecteurs les plus spécifiques. Une lecture approfon-
die de ces textes, ici de type narratif, montre qu’il
n’en est rien.
Les textes de Gen 2-3 illustrent à merveille la
double conception du bien, celle que Dieu propose
et celle qu’insuffle à l’homme le serpent, qui se pré-
sente comme son conseiller. L’interdit de l’arbre de
la connaissance du bien et du mal est-il une façon de
brimer l’être humain, le signe de la jalousie de Dieu,
de sa crainte que l’homme accède à la toute-
puissance ? Ou cet interdit n’a-t-il pas une valeur
éducative, étant planté comme le rappel vivant et
durable de la condition de l’homme, appelé au res-
pect du monde et d’autrui ? En d’autres termes, une
parole qui invite l’homme à se connaître lui-même et
à vivre selon sa propre identité, son désir n’étant pas
un absolu, mais devant composer avec le désir
d’autrui : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul ».
L’enjeu est donc la communion interpersonnelle et la
possibilité de la vie en société. À l’opposé du Dieu
soupçonneux que présente le serpent, il faut com-
prendre que Dieu donne aux hommes une « loi de
bienveillance ».
Les récits de la Genèse, notamment Gen 2 à 4,
soulignent également une seconde donnée du mal :
sa capacité à se propager dans l’humanité, à perver-
tir les relations humaines de plus en plus largement.
Caïn, fils d’Adam, en fera l’expérience. L’avidité, le
rapport de domination sur autrui affectent large-
ment les rapports humains. La tentation est le lot
commun des mortels ; le chemin de la violence et de
la mort s’offre à chacun. Jésus en fera lui-même
l’expérience lors de la tentation au désert. La solida-
rité du mal ne doit cependant pas être comprise de
manière fataliste, car la Bible fait défiler des por-
traits de « saints » qui ont écouté efficacement
l’appel à la libération du mal.
En conclusion, A. Wénin souligne la vertu des ré-
cits bibliques, sorte de « miroir de l’existence hu-
maine », celle d’hier et celle d’aujourd’hui. Ces textes
apprennent à regarder le mal avec lucidité, à en dé-
jouer les pièges, à le gérer. Par ailleurs, ils culminent
dans la solidarité en Christ : « Par l’œuvre de justice
d’un seul, vient la justification qui donne la vie »
(Rom 5,18).
Le péché originel : un désaccord fondateur sur la
question du mal (José Reding, Maître de conférence
invité à la Faculté de théologie, UCL). Le « dire » et
le « faire » : la dogmatique chrétienne s’efforce non
seulement de parler avec justesse du mal, mais aussi
d’en favoriser une gestion correcte. Elle a conscience
que le mal relève de la responsabilité humaine (qu’il
est « péché ») tout en dépassant la responsabilité de
chacun et vient de plus loin que nous. La réflexion
dogmatique s’apparente à une « grammaire » : elle
cherche à faire jaillir du sens par l’articulation de
divers éléments signifiants, notamment en remon-
tant à l’origine des doctrines pour en discerner les
composantes multiples.
Selon J. Reding, le dogme du péché originel re-
pose sur un double enracinement. Au premier siècle,
Marcion prône un idéal de pureté éthique et spiri-
tuelle radicale. Matière et sexualité sont mauvaises ;
le mal et la violence sont des réalités liées à l’Ancien
Testament, qui n’ont désormais plus cours dans l’ère
évangélique. Cette vision idyllique proche des grecs,
est également marquée par le dualisme du bien et
du mal. Mais peut-on vivre l’Évangile en faisant
l’économie d’un combat libérateur ? Au temps
d’Augustin, Pélage adoptera ce même optimisme
idéaliste, car selon lui, la volonté peut d’elle-même
vaincre le mal. Par ailleurs, le Manichéisme inter-
prète le mal comme une fatalité. Sorti du Mani-
chéisme, Augustin se rapprochera un moment de
Pélage, voulant sauver le libre-arbitre de l’homme.
Mais il s’en distanciera pour retrouver la responsabi-
lité de l’homme dans le mal et rendre compte du
rôle du Christ comme sauveur.
Commentant l’épître aux Romains, J. Reding rap-
pelle l’affirmation que « tous sont enfermés dans le