Introduction
Pourquoi le pharaon Akhénaton (XIV
e
siècle avant
J.-C.) intéresse-t-il psychiatres et psychanalystes ? Pour-
quoi Akhénaton et non pas Toutankhamon ou l’un des
Ramsès ? On verra que, parmi les psychanalystes, c’est
surtout Karl Abraham qui, en 1912, a ouvert la voie en
publiant un article ayant pour titre : « Aménhotep IV
(Echnaton) : contribution psychanalytique à l’étude de
sa personnalité et du culte monothéiste d’Aton » [1]. On
se propose ici de reprendre ce texte avec l’appui des
recherches et des découvertes historiques principales qui
ont été faites depuis lors, et qui nous permettent d’appor-
ter, sinon quelques lumières, du moins peut-être de
nouvelles hypothèses sur le pharaon certainement le plus
fascinant mais aussi le plus « révolutionnaire » et le plus
énigmatique de l’Égypte ancienne (pour être aussi
complet que possible, il convient de préciser que, depuis
la rédaction de notre article, un ouvrage important est
sorti en librairie, Akhénaton de Dimitri Laboury [Paris :
Pygmalion, 2010]). « Akhénaton, écrit l’égyptologue
M. Gabolde, est sans doute l’une des figures les plus
fascinantes de l’Antiquité. Peu de pharaons ont suscité
autant de commentaires que ce roi qui, après être monté
sur le trône sous le nom d’Aménhotep IV […] changea de
nom au cours de son règne et devint Akhénaton. Les
raisons de cette fascination sont objectives : Akhénaton
est l’inventeur de ce que l’on peut appeler le premier
monothéisme historique [9]. » Cet aspect seul suffirait à
nous y intéresser de près. Il nous faut toutefois repartir du
textedeK.Abraham,afind’en reprendre à grands traits
les thèses essentielles qui y sont défendues. Bientôt un
siècle s’est écoulé et, bien évidemment, les recherches
en égyptologie ont permis d’apporter depuis lors quelques
précisions quant à la figure d’Akhénaton. Cela a de
l’importance, car après tout, Abraham, dans ce texte,
échafaude évidemment des hypothèses sur le pharaon à
partir des sources historiques disponibles à l’époque,
sachant que les premiers égyptologues qui se sont sérieu-
sement intéressés à Akhénaton datent de seulement
quinze années environ avant l’étude d’Abraham. Nous
verrons en outre qu’Abraham a émis également certaines
hypothèses dénuées de fondements historiques précis, de
sorte qu’à partir de certaines suppositions concernant
l’histoire d’Akhénaton, et au regard de l’expérience qu’il
avait de la psychanalyse, il en est arrivé à affirmer certaines
idées qu’il nous semble aujourd’hui bon de revoir. Il est
indéniable que le personnage laisse rarement indifférent.
De fait, ainsi que le confirme A. Zivie dans son excellente
présentation du non moins excellent et incontournable
Akhénaton roi d’Égypte, de Cyril Aldred : « Akhénaton
voit s’intéresser à lui, passionnément souvent, le mystique
comme la midinette, le psychanalyste autant que l’amateur
de feuilleton, l’endocrinologue en même temps que le
bibliste, le pasteur aussi bien que le marxiste [19]. »
Si le lecteur est averti des quelques commentaires de
Lacan au sujet d’Akhénaton, s’il a en mémoire l’iconogra-
phie très particulière de la représentation physique du
pharaon
1
, alors il ne sera pas étonné d’apprendre que toutes
les hypothèses possibles concernant une éventuelle mala-
die ou d’éventuelles malformations congénitales ont été
faites à son sujet. Dans le désordre, et sans être exhaustif
2
,
Akhénaton aurait été un eunuque, une femme, un trans-
sexuel, un homosexuel, il aurait été atteint du syndrome
de Frölich (dystrophia adiposo-genitalis, syndrome
adiposo-génital)
3
, de gynécomastie, d’hypogonadisme, de
lipodystrophie progressive, de dystrophie myotonique, du
syndrome de Barraquer et Simons, du syndrome de
Marfan
4
, etc. Ces hypothèses, établies uniquement à partir
de l’iconographie égyptienne, sont véritablement à consi-
dérer avec prudence, voire à rejeter
5
. Il faut lire, par exem-
ple, l’article déjà cité de Valérie Angenot sur « Le rôle de la
parallaxe dans l’iconographie d’Akhénaton » [4]. En voici,
en substance, les idées forces : tout d’abord, point particu-
lièrement important, « ce qui fait parfois défaut aux théo-
ries médicales énoncées ci-dessus, c’est une remise en
perspective –au sens propre et au sens figuré –de l’image
du roi, c’est-à-dire un renvoi au contexte originel auquel
elles ont été arrachées. Contexte historique d’une part : à
quoi correspond ce portrait royal ? À quelle idéologie ?
Quel message Akhénaton voulait-il faire passer au peuple
qui le visionnerait ? Qu’il était un roi malade, difforme,
asexué et taré ? C’est assez peu probable […] ; et contexte
spatial d’autre part […] ». La thèse de l’auteur étant ici que
« les traits du roi ont été intentionnellement déformés pour
plonger vers l’observateur », et qu’avec l’aide de son
sculpteur il fit reprendre une technique bien particulière
« qui consistait à modifier les traits du roi sur ses statues
colossales en vue de corriger le phénomène optique de
parallaxe ». Autrement dit, les Égyptiens, à l’époque, non
1
Avant d’aller plus loin, nous conseillons au lecteur qui n’aurait pas
connaissance de l’iconographie relative à Akhénaton d’aller à sa décou-
verte. Cela est maintenant très rapide grâce à Internet.
2
On reprend ici l’énumération faite par V. Angenot dans son article
« Le rôle de la parallaxe dans l’iconographie d’Akhénaton » [4].
3
Hypothèse désormais écartée puisque Akhénaton n’était ni « mentale-
ment attardé » ni impuissant, deux critères diagnostiques nécessaires
pour ce syndrome. Pour C. Aldred, la correspondance entre la représenta-
tion physique du pharaon et le syndrome de Frölich a toutefois gardé un
statut énigmatique : « Alors que des motivations de nature théologique
plutôt que pathologique semblent être sous-jacentes dans ces aspects
étranges adoptés par Akhénaton […], il n’en reste pas moins que la ques-
tion se pose de la correspondance de ces représentations avec celles de
sujets souffrant du syndrome de Fröhlich ; et ce n’est pas là la moindre
des énigmes léguées par ce règne [2]. »
4
Hypothèse de A. Burridge. Voir à cet égard les pages 188 à 192 de
l’ouvrage de N. Reeves Akhénaton et son Dieu [16].
5
Cela fait écho pour nous ici au personnage d’Hamlet, qui connut toutes
sortes d’interprétations. Dans son séminaire du 11 mars 1959, Lacan rap-
porte à cet égard un article datant de la fin du XIX
e
siècle « dans lequel,
sous prétexte qu’à la fin de la pièce on nous dit qu’Hamlet est gros et court
de souffle, il y a tout un développement sur son adipose » [11].
N. Brémaud
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 86, N° 7 - SEPTEMBRE 2010628
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