La santé, notion conflictuelle
Deux conceptions principales et opposées divisent le champ de la santé : celle, dominante, de l’OMS,
« bien-être complet », un droit dont le contenu et les modalités d’accomplissement sont définis par les
autorités sanitaires, les scientifiques, et l’industrie pharmaceutique (la santé corporate), qui invite les
citoyens du monde à vivre sainement ; à l’opposé la santé libre, inspirée des conceptions populaires
et de Canguilhem, où elle désigne la capacité à faire face à ce qu’on a à faire, la capacité à vivre une
vie qu’on estime digne d’être vécue. Ces deux conceptions majeures connaissent des variantes :
celles pour qui santé et maladie s’excluent, contre celles où l’une peut coexister avec l’autre, celles
qui renvoient à la « santé des organes » et celles qui mettent en avant la santé de l’esprit chevillé au
corps, celles qui promeuvent une « santé standard » imposée, et celles qui brandissent l’étendard
d’une santé libre, le bien-être normatif contre le bien se porter singulier. Puis il y a des conceptions
marginales mais puissantes, celle des pro-life pour qui la santé est synonyme de la Vie au sens
religieux du terme, et celle qui à la suite d’Illich veut déconnecter totalement la santé de la médecine.
Contrairement à ce qu’on pouvait croire la santé comme terme générique, la santé comme « champ »,
n’est pas du tout un domaine consensuel, mais au contraire conflictuel. Des divergences
d’orientations s’y affrontent. Dans ces conflits, s’opposent principalement les définitions médicales,
pharmaceutiques et statistiques d’un côté, et les revendications de formes de santé singulières de
l’autre.
Soit la santé devient une finalité en soi, le but de la vie, soit un moyen pour vivre autant que faire se
peut comme il vous plaît.
En somme, devenir le serviteur de votre corps, ou vous arranger avec lui pour qu’il ne vous empêche
pas de faire ce que vous avez à faire, that is the question ! (extrait chap. 1. Encadrer les parcours de
soins, 2016)
Barrier P.
La blessure et la force : la maladie et la relation de soin à l’épreuve de l’auto-
normativité
, Paris, Puf, 2010
Bercot R., De Coninck F.,
Les réseaux de santé, une nouvelle médecine ?
L’Harmattan, 2006
Calvez M. « La négociation du soin en situation de maladie. Questions pour la sociologie
médicale », in Pennec e.a.
Les négociations du soin. Les professionnels, les malades et leurs
proches
, Rennes, PUR, 2014
Canguilhem G. « La santé : concept vulgaire et question philosophique » (1988), in
Ecrits sur
la médecine
, Le Seuil, 2002
Foucault M. « La naissance de la médecine sociale », in
Dits et écrits
, Gallimard, T. II., 2001
Kempf A. et E. Kempf E. et Kempf A. « L’informatisation de l’aide à la décision : la décision
médicale est-elle indemne ? L’exemple d’un outil prédictif en cancérologie » in :
Revue
française d’éthique appliquée,
no. 1, dossier Les ambivalences contemporaines de la décision,
Erès, 2016
Mispelblom Beyer F.
Encadrer les parcours de soins : vers des alliances thérapeutiques
élargies ?
Paris, Dunod, 2016 ; site www.encadrer-et-manager.com rubrique « soins pluriels »
Mol A.
Ce que soigner veut dire. Repenser le libre choix du patient
. Paris, Presses des Mines,
2009
Pinsart M-G. : « La prise de décision dans le cadre de la stimulation cérébrale profonde » in :
Revue française d’éthique appliquée
, no. 1, dossier Les ambivalences contemporaines de la
décision, Erès, 2016