¶ Les recherches se sont jusqu’à présent focalisées sur les mécanismes d’invasion du cerveau par les plaques dites amyloïdes. ¶ De récentes expériences sur des souris transgéniques semblent pourtant confirmer le rôle clé de la dégénérescence neurofibrillaire associée à la protéine tau. ¶ L’idée d’une synergie entre les deux phénomènes fait son chemin. ¶ Le retour de la protéine tau Au début du siècle, Aloïs Alzheimer avait défini la maladie qui porte son nom comme la conjugaison de deux lésions : les plaques séniles et la dégénérescence neurofibrilllaire. Dans les années 1980, cette dernière est associée à la protéine tau qui, longtemps négligée par la recherche, suscite aujourd’hui un regain d’intérêt. André Delacourte est directeur de recherche à l’Inserm. Il dirige l’équipe vieillissement et dégénérescence neuronale à l’université de Lille-II. [email protected] L ES MALADIES NEURODÉGÉNÉRATIVES ont terriblement marqué la dernière décennie. L’agent de ces pathologies qui provoquent la démence n’est ni une bactérie comme la peste, ni un redoutable virus comme Ebola, mais de simples protéines qui, en s’accumulant, provoquent la destruction des cellules nerveuses cérébrales. L’exemple le plus médiatisé fut sans doute celui de la maladie de la « vache folle », dont la forme humaine, ou maladie de Creutzfeld-Jacob, a créé une véritable panique au sein de la population européenne. Mais d’autres pathologies démentielles ont investi le devant de la scène avec, en tête du palmarès, la maladie d’Alzheimer. La recherche dans ce domaine draine des enjeux socio-économiques considérables, dont témoignent les énormes investissements effectués ces dernières années 44 LA RECHERCHE HORS SÉRIE N° 10 - CERVEAU SANS MÉMOIRE - JANVIER 2003 par les sociétés pharmaceutiques. Les résultats scientifiques, publiés rapidement sous la pression économique et médiatique, ont suscité de nombreux espoirs de guérison aujourd’hui déçus. Un regard rétrospectif sur ces travaux fait apparaître une distorsion de la perception de la maladie par les milieux scientifiques euxmêmes. Avec le gel actuel des investissements des grandes firmes pharmaceutiques, la logique scientifique est, semble-t-il, en train de reprendre le dessus, pour revenir aux sources de la définition posée il y a presque un siècle par Alois Alzheimer. Premières observations. En 1907, le médecin publie les résultats de l’observation de coupes de tissu cérébral prélevées sur une patiente démente, Auguste D., morte à 51 ans (LIRE l’article de K. Maurer et al., p. 12). Il met en évidence deux types de lésions cérébrales localisées au niveau de la substance grise corticale : des agrégats de substance organique qui forment des plaques à l’extérieur des neurones et la dégénérescence des neurones eux-mêmes, envahis de l’intérieur et jusqu’à l’extrémité de leurs prolongements par des fibres microscopiques. En 1961, Michael Kidd, de l’université de Londres, montre que ces fibrilles anormales, observées au microscope électronique, sont des SOIGNER © Inserm CONTROVERSE filaments de 10 nm de diamètre appariés en hélice. Ceux-ci livreront leur composition bien plus tard, en 1985. Jean-Pierre Brion, de l’université de médecine de Bruxelles, cherche alors à localiser des protéines qui participent à la structuration du neurone. Or, le marquage de ces protéines, dites protéines tau, coïncide exactement avec les zones où s’accumulent les neurofibrilles. Plusieurs équipes, dont la nôtre, ont confirmé par la suite que les protéines tau sont bien les constituants majeurs des filaments qui envahissent les neurones dégénérés. Mais à cette époque tous les yeux sont braqués sur les plaques séniles. Au fur et à mesure de l’avancement des recherches, celles-ci sont apparues, à tort ou à raison, comme la cause principale de la maladie, et comme la cible thérapeutique la plus prometteuse. Le Belge Pierre Divry avait montré dans les années 1930 que ces plaques (dites amyloïdes) sont constituées de substances protéiques compactes. En 1984, l’Américain Georges Glenner et ses collègues caractérisent la structure du constituant majeur des plaques amyloïdes : un polypeptide, composé de 39 à 42 acides aminés. La recherche prend alors un véritable élan. En 1989, Jie Kang, de l’équipe de Konrad Beyreuther, à Heidelberg, montre que ce polypeptide, baptisé A, résulte de la coupure d’une protéine de Deux phénomènes définissent la maladie, la dégénérescence neurofibrillaire (photo de gauche) et les plaques amyloïdes (photo de droite) : l’un peut-il être la conséquence de l’autre ? grande taille, dite APP (pour amyloïd protein precursor). Enfin, en 1991, la protéine devient réellement le centre des débats : le groupe de John Hardy, basé à Londres, montre que les mutations sur le gène codant la protéine APP sont directement responsables de certaines formes familiales de la maladie d’Alzheimer. Un faible pourcentage des cas constatés de maladies d’Alzheimer (0,3 % environ) est en effet transmis par le patrimoine génétique. Dans les familles où l’un des parents porte une mutation sur un gène impliqué dans la maladie d’Alzheimer, un enfant sur deux risque d’être atteint. Dans le cas d’une mutation sur le gène codant APP, la maladie apparaît très tôt, vers 45 ans. Mais d’autres mutations, localisées par exemple sur le gène d’un complexe enzymatique qui participe à la coupure d’APP, provoquent également des formes familiales. Or, depuis le début du siècle, une question taraude les chercheurs : sur les deux phénomènes qui définissent la maladie d’Alzheimer (la présence de plaques amyloïdes et la dégénérescence neurofibrillaire), l’un peut-il être la conséquence de l’autre ? Les découvertes effectuées dans les années 1980, et notamment celles portant sur les formes familiales, poussent à la simplification : puisqu’une déficience de la protéine APP peut provoquer l’apparition de l’ensemble des symptômes de la maladie d’Alzheimer, n’est-il pas tentant de lui imputer toute la responsabilité de la maladie ? Selon ce schéma, la protéine déficiente, par le biais d’une toxicité encore mystérieuse, provoquerait à elle seule la dégénérescence neurofibrillaire. La protéine tau est alors renvoyée à un rôle très secondaire, celui de simple marqueur de la mort neuronale. Toute la stratégie de recherche va alors – et pour de longues années – se trouver biaisée par cette vision simplificatrice. Pour modéliser la maladie, comprendre ses mécanismes et tester de nouveaux médicaments, on utilise des souris dont le patrimoine génétique a été spécialement manipulé afin de produire des plaques amyloïdes, mais pas de neurofibrilles (LIRE l’article de Y. Sciama, p. 60). Parallèlement, les crédits de recherche sont LA RECHERCHE HORS SÉRIE N° 10 - CERVEAU SANS MÉMOIRE - JANVIER 2003 45 majoritairement consacrés aux recherches sur les plaques. Cet afflux financier génère un flot de publications, que les revues scientifiques s’empressent de médiatiser… On annonce déjà la fin de la maladie ! Pourtant la plupart des pistes se révèleront être des impasses, en dehors d’une stratégie vaccinale dont nous reparlerons plus loin. Fig. 1. Dans la maladie d’Alzheimer, la protéine tau existe sous deux formes : 3 R (à gauche) ou 4 R (à droite). Ces motifs constituent un point d’ancrage sur des structures filamenteuses essentielles au fonctionnement cellulaire : les microtubules. De nouveaux critères. La donne a commencé à changer 46 en 1991, quand l’Allemand Heiko Braak publie, à partir de l’observation des lésions sur des coupes de tissus, une description précise et rigoureuse de la maladie. Le diagnostic qui prévalait jusqu’alors, établi par une institution américaine spécialisée dans la maladie d’Alzheimer (le Cerad), se basait sur la quantification des plaques amyloïdes. Or, non seulement les plaques amyloïdes ne sont pas spécifiques à la maladie d’Alzheimer, mais leur extension n’est pas proportionnelle à l’étendue des signes cliniques ! Le diagnostic proposé par Braak, nettement plus rigoureux, tient enfin compte des deux aspects de la maladie : progression des plaques amyloïdes et de la dégénérescence neurofibrillaire. Comme ses prédécesseurs, ce diagnostic s’effectue après le décès du patient, car aucune technique d’imagerie non invasive ne permet d’établir un diagnostic certain sur un patient vivant. Il distingue six stades de progression dans le temps de la dégénérescence neurofibrillaire, le stade 4 étant celui à partir duquel il convient de parler de « maladie d’Alzheimer ». En deçà, il s’agit, selon lui, d’un processus de vieillissement « normal ». En 1997, les critères de Braak sont enfin reconnus et adoptés par tous les spécialistes mondiaux. La communauté médicale redécouvre alors la protéine tau que quelques équipes irréductibles avaient continué à étudier, persuadées de son rôle dans le mécanisme dégénératif. Rappelons que cette protéine existe dans le cerveau « sain ». On sait depuis les années 1970 qu’elle s’associe aux microtubules(I)(1), structures filamenteuses qui servent au transport intracellulaire des organites et à l’organisation spatiale de la cellule. Les microtubules constituent de véritables rails, que les protéines tau stabilisent à la manière de traverses. Sur ces rails voyagent des vésicules, wagons enfermant les organites et les molécules à transporter. Les microtubules véhiculent ainsi des matériaux synthétisés par le corps cellulaire des neurones et les acheminent vers les terminaisons axonales, situées, à notre échelle, à des kilomètres de distance (les extensions de certaines cellules nerveuses humaines mesurent pas loin de 1 mètre de long !). Il existe en fait six variantes de protéines tau. Elles sont toutes synthétisées à partir du même gène, situé sur le chromosome 17, lu de six manières différentes. Ces six variantes se distinguent notamment par la répétition d’un motif particulier, noté R. Trois d’entre elles répètent le motif trois fois, les trois autres le répètent quatre fois. On parle de variantes 3R ou 4R. Ces motifs R constituent le point d’an- * RÉGIONS PRIMAIRES : zones cérébrales qui reçoivent *directement les informations sensorielles (I) LA RECHERCHE a publié : Eric Karsenti, « L’autoorganisation au cœur de la division cellulaire », hors-série n° 9, « Ordre et désordre », novembre 2002. CELLULES GLIALES : cellules chargées de l’intendance du système nerveux. Elles transfèrent les éléments nutritifs du sang vers les neurones, phagocytent les éléments indésirables, cicatrisent les vides laissés par la mort neuronale, etc. LOBE TEMPORAL : zone du cerveau située sous les tempes, qui joue un rôle important dans l’audition et le langage. NÉOCORTEX ASSOCIATIF : cortex qui intègre, au plus haut niveau, les informations venant de différentes régions cérébrales. LA RECHERCHE * * HORS SÉRIE N° 10 - CERVEAU SANS MÉMOIRE - JANVIER 2003 ou motrices (le pôle occipital, par exemple, qui reçoit les informations visuelles). LOBE FRONTAL : zone du cerveau située sous le front, qui joue un rôle important dans la motricité, les fonctions exécutives, le comportement et la douleur. LOBE PARIÉTAL : zone située sous le sommet du crâne, et qui joue un rôle dans l’intégration de la sensibilité et le langage. * * SOIGNER CONTROVERSE crage de la protéine tau sur les microtubules (FIG. 1). Les protéines tau 4R, mieux fixées au microtubule que les variantes 3R, le consolident, donnant des prolongements plus longs et plus rigides. Suivant les variantes de protéines tau qu’ils expriment, les neurones arborent ainsi une silhouette différente. Des protéines inactivées. Mais un deuxième mécanisme semble contrôler plus finement encore l’action stabilisante des protéines tau. Il s’agit d’un processus dit de « phosphorylation », selon lequel un groupement phosphate se lie à certains acides aminés de la protéine tau. Les protéines tau comportent de nombreux sites de phosphorylation. Leur nombre est variable mais, de façon générale, on observe que plus cette protéine est phosphorylée moins elle interagit avec le microtubule. Un excès de phosphorylation peut même déstabiliser le microtubule. C’est précisément ce mécanisme qui semble être à l’œuvre dans le cas de la maladie d’Alzheimer et dans de nombreuses autres pathologies neurodégénératives. Deux phénomènes ont été simultanément observés sur des souris transgéniques présentant la pathologie tau : d’une part l’accumulation progressive de protéines tau sous forme de filaments pathologiques, et d’autre part l’hyperphosphorylation de ces protéines. D’où l’hypothèse que, chez l’homme, les protéines tau inactivées par l’excès de phosphorylation s’associent pour former des filaments pathologiques qui s’assemblent en paquets de neurofibrilles. Envahi jusqu’aux extrémités de ses prolongements, le neurone perdrait progressivement ses fonctionnalités, avant de disparaître, phagocyté par les cellules gliales* qui comblent les vides créés par la mort neuronale. Ce scénario, qui considère la protéine tau comme le véritable acteur de la dégénérescence neurofibrillaire, a le mérite d’expliquer la coïncidence entre l’aggravation des signes cliniques et la propagation de la pathologie tau. Nous avons montré par de multiples observations post mortem que le développement de la pathologie tau emprunte un chemin précis qui passe par dix régions cérébrales caractéristiques, définissant dix stades de progression de la maladie. Ces dix stades constituent une extension, plus précise, des six stades de Braak (FIG. 2)(2). L a perte progressive des facultés cognitives observée au cours de la maladie d’Alzheimer coïncide exactement avec l’invasion des neurones par des structures filamenteuses appelées neurofibrilles. Celles-ci sont composées de protéines neuronales appelées protéines tau, qui, rendues inactives, s’agrègent. Au fur et à mesure de la progression de la maladie, les zones du cerveau touchées par l’accumulation de protéines tau s’étendent, définissant un chemin de progression qui peut se diviser en dix stades. L’invasion débute par la région entorhinale, une zone voisine de l’hippocampe chargée de relayer toute l’information vers l’ensemble du cerveau (FIG. 2). La pathologie tau gagne ensuite l’hippocampe, siège de la mémoire à court terme, puis la région temporale*, le néocortex associatif* et atteint les régions primaires*. La démence apparaît dès que la protéine tau commence à s’accumuler dans les territoires qui associent des informations venues de plusieurs zones du cerveau, notamment les cortex temporal supérieur*, frontal* et pariétal*. Comment expliquer une telle progression ? Les mécanismes sont probablement très simples. Les cellules nerveuses ne survivent que si elles peuvent dialoguer et échanger des molécules (des facteurs trophiques), avec leur cible. C’est le principe même de la formation du cerveau et des réseaux neuronaux. Selon ce principe, la destruction d’une population neuronale plus particulièrement vulnérable (l’hippocampe par exemple) va entraîner par effet domino la déstabilisation des populations neuronales en contact avec elle. Or, la déstabilisation d’une zone neuronale s’accompagne pour des raisons encore incomprises, d’un développement de la pathologie tau. De fil en aiguille, c’est la totalité des neurones cérébraux qui sont atteints. C’est cette progression qui est résumée dans les six stades de Braak ou nos dix stades biochimiques de la pathologie tau. ◆ une progression en dix stades Fig. 2 La pathologie tau se propage des régions inférieures vers les régions dites primaires, qui reçoivent les informations sensorielles ou motrices. Les méfaits d’une synergie. La maladie d’Alzheimer intègre ainsi la catégorie des pathologies tau, ou tauopathies. L’accumulation des protéines tau dans les neurones concerne plus de 20 maladies neurodégénératives différentes. LA RECHERCHE HORS SÉRIE N° 10 - CERVEAU SANS MÉMOIRE - JANVIER 2003 47 Elle est même parfois la seule cause de la maladie. Nous avons pu distinguer au moins quatre grandes classes d’amas de protéines tau inactivées, qui signent quatre types de pathologies tau : la classe 1 avec des amas tau de type 3R et 4R (maladie d’Alzheimer, trisomie 21 et quelques autres pathologies rares). La classe 2 avec des amas de variantes 4R (paralysie supranucléaire progressive et dégénérescence corticobasale, deux syndromes parkinsoniens). La troisième classe est caractérisée exclusivement par des amas de protéines tau 3R (maladie de Pick, une sous-classe de démence fronto-temporale)(3). Enfin, la classe 4 est observée dans la maladie de Steinert, une pathologie neuromusculaire familiale qui implique une dérégulation des ARN messagers de tau indépendante des motifs R(4). Bien que la maladie d’Alzheimer s’inscrive naturellement dans une telle classification, il serait abusif de considérer tau comme l’unique cause de la maladie. Une vision exclusivement « tauiste » est tout aussi réductrice que la vision strictement « amyloïdiste », massivement répandue. Car il n’y a pas de maladie d’Alzheimer sans plaques amyloïdes, et la progression de la tauopathie ne se fait qu’en présence de ces agrégats. En 2001, deux articles publiés dans la revue Science ont démontré cette synergie de manière frappante. Dans son article, l’équipe américaine de Jada Lewis et Mike Hutton fait part de l’utilisation d’un tout nouveau type de souris transgéniques. Grâce à des mutations situées à la fois sur le gène de la protéine APP et sur celui de la protéine tau, celles-ci développent les deux facettes de la maladie : des agrégats de protéines A, et une dégénérescence neurofibrillaire. Or, la pathologie dont souffrent ces souris s’avère nettement plus prononcée que celle développée par les souris transgéniques n’ayant que le gène tau muté(5). L’équipe suisse de Jurgen Gotz utilise quant à elle des souris ne possédant qu’une mutation, située sur le gène de la protéine tau. Ces souris développent une pathologie tau peu prononcée, jusqu’à ce qu’on leur injecte dans le cortex la protéine A, ce qui a pour effet d’exacerber la maladie(6). Cette dernière expérience reproduit d’ailleurs assez bien ce qui se passe dans le cerveau humain. Comme on l’a laissé entendre, la pathologie tau apparaît dans la formation hippocampique humaine au cours du vieillissement « normal ». Mais dès que la protéine A fait son apparition, la maladie progresse, comme si A potentialisait une maladie rampante. En quelque sorte, la maladie d’Alzheimer serait une tauopathie stimulée par les dysfonctionnements de la protéine APP, qui génèrent le peptide A(2). Même si les mécanismes physiologiques à l’œuvre restent inconnus, cette hypothèse encore largement iconoclaste pourrait ouvrir de nouvelles voies thérapeutiques. Si la maladie d’Alzheimer est effectivement la conséquence d’une interaction entre le mécanisme tau et l’apparition de plaques amyloïdes, la progression doit pouvoir être stoppée avec une grande efficacité en bloquant les deux mécanismes. cumulation de protéines tau ? La vaccination n’est malheureusement pas envisageable car, comme on l’a dit, les protéines tau s’accumulent à l’intérieur du neurone, zone inaccessible aux anticorps. Mais le mécanisme pourrait être attaqué sous un autre angle. Si les protéines tau n’ont pas in vitro de structure secondaire particulière et gardent un aspect flexible et désordonné, elles ont certainement in vivo, une conformation très précise, puisque leur interaction avec les dimères de tubuline peut être modulée finement par la phosphorylation. D’où la suggestion, émise par certains chercheurs, de jouer sur la régulation de la phosphorylation. Pour séduisante qu’elle soit, cette approche me semble délicate dans la mesure où l’on touche là aux mécanismes de fonctionnement fondamentaux de la cellule neuronale. Essai vaccinal interrompu. L’idée d’agir sur les plaques liste, consiste à étudier la dynamique d’extension de la pathologie tau dans l’espace cérébral. Les souris transgéniques permettent une telle approche. Connaître précisément ce qui déstabilise l’édifice des populations neuronales permettra de désigner les cibles pharmacologiques. Il s’agit ici de ralentir la dynamique d’invasion du processus dégénératif, pour gagner des années sur la maladie d’Alzheimer. Autre voie envisageable : la maladie d’Alzheimer devrait pouvoir se prêter à un type d’analyse extrêmement récent, en l’occurrence l’analyse du transcriptome (l’ensemble des intermédiaires dans la transcription de l’ADN en protéines) et du protéome (l’ensemble des protéines exprimées par la cellule). Il s’agit de déterminer les mécanismes d’installation de la maladie dans la cellule, en dressant un tableau complet du transcriptome et du protéome de la cellule avant et après qu’elle soit atteinte. Cette stratégie, aujourd’hui utilisée par tous les secteurs de la recherche médicale, a permis notamment de repérer les gènes activés lors du processus de cancérisation. C’est une facette importante de la maladie d’Alzheimer qui reste à explorer. A.D. ◆ amyloïdes a été largement prospectée ces dernières années avec, pour résultat, une unique piste, heureusement prometteuse. Les travaux pionniers de Dale Schenk ont montré que, chez les souris, l’élaboration d’anticorps contre les agrégats permet de les éliminer du cerveau. D’où l’idée d’effectuer une sorte de « vaccination » : injecter des protéines A au patient présentant des symptômes alzheimériens modérés pour éduquer son système immunitaire et le dresser contre l’envahisseur. Les résultats sur les modèles murins furent positifs, un fait plutôt inattendu dans la mesure où tout le monde pensait que le cerveau possédait une barrière immunologique relativement étanche. Les premiers essais thérapeutiques sur l’homme menés par une coopération internationale ont cependant été interrompus, suite à des réactions secondaires indésirables très importantes. Mais les essais vont reprendre sous peu, peut-être dès cette année, avec une vaccination mieux adaptée à la structure particulière des dépôts A chez l’homme. Peut-on de même agir contre l’ac- RÉFÉRENCES (1) L. Buée et al., Brain Res Brain Res Rev, 33, 95, 2000. (2) A. Delacourte et al., Neurology, 59, 398, 2002. (3) L. Buée, A. Delacourte, Brain Pathol, 1999, 681, 1999. 48 LA RECHERCHE (4) N. Sergeant et al., Hum Mol Genet, 10, 2143, 2001. (5) J. Lewis, D. W. Dickson et al. ,Science, 293, 1487, 2001. (6) J. Gotz, F. Chen et al., Science, 293, 1491, 2001. HORS SÉRIE N° 10 - CERVEAU SANS MÉMOIRE - JANVIER 2003 Ralentir l’invasion ? Une deuxième piste, plus réa- P OUR EN SAVOIR PLUS ✑ C. Duyckaerts, F. Pasquier (éds), Démences, Douin-Groupe Liaison, 2002. ✑ L. Robert, Vieillissement du cerveau et démence, Flammarion, 1998. w www.lille.inserm.fr/u422/tau.html w www.larecherche.fr