Mini-revue Effets secondaires psychiatriques du traitement de l’hépatite chronique C : caractérisation et prise en charge Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. Laurent Castéra Service d’Hépato-Gastroentérologie, hôpital Haut Lévêque, Avenue de Magellan, 33604 Pessac <[email protected]> Au cours du traitement de l’hépatite chronique C, les effets secondaires psychiatriques de l’interféron sont fréquents (20 à 30 %) et constituent la première cause d’arrêt prématuré du traitement antiviral. Il s’agit de troubles de l’humeur (dépression) pouvant comporter une composante irritable, voire maniaque. Ils surviennent le plus souvent entre le premier et le troisième mois de traitement. Il n’existe pas actuellement d’outil simple fiable pour le dépistage de ces troubles et l’existence de facteurs prédictifs reste controversée. Le dépistage précoce de la survenue de troubles de l’humeur au cours du traitement antiviral et la prise en charge thérapeutique appropriée, par l’utilisation d’antidépresseurs voire de neuroleptiques, permet la poursuite du traitement antiviral dans la majorité des cas et l’obtention de taux de guérison virologique élevés. La constatation de troubles psychiatriques avant traitement ne doit pas constituer une contre-indication à la mise en route d’un traitement antiviral lorsque celui-ci est justifié par la sévérité de la maladie hépatique. Mots clés : hépatite C, interféron, dépression, irritabilité L Tirés à part : L. Castéra e traitement de l’hépatite chronique C repose actuellement sur l’utilisation combinée de l’interféron pégylé et de la ribavirine, permettant d’obtenir une guérison chez près de 60 % des malades. En dépit des progrès thérapeutiques accomplis en terme d’efficacité, les effets secondaires occasionnés par ce traitement sont nombreux. Parmi ceux-ci, les manifestations psychiatriques, liées à l’utilisation de l’interféron, constituent la première cause d’arrêt prématurée du traitement antiviral. En outre, des antécédents psychiatriques ou l’existence d’une pathologie psychiatrique sont des raisons fréquemment invoquées pour ne pas initier le traitement antiviral. La méconnaissance ou la sous-estimation de ces manifestations peuvent donc être préjudiciables à la prise en charge des malades atteints d’hépatite chronique C. L’objet de cette mini-revue est de faire le point sur les effets secondaires psychiatriques du traitement de l’hépatite chronique C et leur prise en charge en pratique. Hépato-Gastro, vol. 13, n° 2, mars-avril 2006 91 Mini-revue Quels sont les effets secondaires psychiatriques potentiels du traitement de l’hépatite C ? Incidence et délai de survenue Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. La survenue de manifestations psychiatriques au cours du traitement de l’hépatite chronique C est rapportée avec une prévalence dépassant 20 % [1]. L’interféron peut être responsable d’effets secondaires psychiatriques sévères selon un mécanisme qui reste méconnu. La ribavirine ne semble pas aggraver les manifestations psychiatriques de l’interféron, en particulier l’incidence de la dépression [2]. Les manifestations psychiatriques peuvent survenir dès la première semaine de traitement, mais sont particulièrement marquées entre le premier et le troisième mois [3-7]. L’incidence et la sévérité des symptômes psychiatriques semblent liées à la dose et à la durée du traitement. L’incidence dépend plus de la posologie d’interféron que de la dose cumulée. Nature et sévérité Les manifestations psychiatriques occupent un large spectre [8-11] allant de symptômes mineurs très fréquents comme l’asthénie, les troubles de la concentration, l’absence de motivation, l’irritabilité, l’anxiété, les troubles du sommeil et la diminution de la libido à des symptômes plus sévères mais heureusement moins fréquents comme la dépression avec idées suicidaires, des états psychotiques ou maniaques et des suicides [12]. Ainsi, l’asthénie est rapportée dans près de 70 % des cas, les troubles du sommeil dans 30 %, l’irritabilité dans 20 à 30 % et l’anxiété dans 10 à 20 % des cas [13]. Il est important de noter que ces symptômes peuvent être parfois difficiles en pratique à distinguer des symptômes neurovégétatifs induits par l’interféron. Cependant ces derniers sont en général rythmés par les injections, s’amendent au cours du temps et répondent aux traitements symptomatiques par antipyrétiques ou antalgiques [14]. La dépression est la manifestation sévère la plus fréquente, rapportée dans la littérature avec une incidence allant de 0 % à 52 % avec l’interféron standard [15]. Dans les études plus récentes utilisant l’interféron pégylé, cette prévalence, probablement plus proche de la réalité, est comprise entre 16 et 31 % [15]. Cette variabilité importante, doit inciter à la prudence dans l’interprétation des résultats de ces études. La pertinence et la sensibilité des outils utilisés pour le diagnostic de dépression sont des éléments importants à prendre en compte. En effet, la plupart des études ont utilisé un examen clinique non standardisé ou bien la réponse à des questionnaires ou à des échelles, outils qui, pour la dépression, sont de faible valeur descriptive et diagnostique [16, 17]. Le diagnostic de dépression requiert des critères précis comme ceux édictés par le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de la société américaine de psychiatrie (DSM-IV : Diagnostic and statistical manual of mental disorders, 4th edition [18]). Ainsi, la présence pendant une durée minimum de deux semaines d’au moins 5 des 9 symptômes listés dans le tableau 1 est nécessaire ; en outre, un des symptômes au moins doit être une humeur dépressive ou une perte d’intérêt ou de plaisir. Ces symptômes doivent induire une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants. Il est important de souligner aussi que la prévalence des symptômes dépressifs avant traitement n’était pas évaluée dans la plupart de ces études [15]. L’irritabilité est aussi un symptôme fréquent au cours du traitement antiviral, rapporté avec une prévalence de 24 % à 35 % dans les essais pivots [19, 20], proche de celle de la dépression dans ces études (respectivement 22 % et 31 %). Lorsqu’il existe une humeur irrita- Tableau 1. Critères pour le diagnostic de dépression selon le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de la Société américaine de psychiatrie (DSM–IV) Au moins 5 des symptômes suivants doivent être présents pendant une même période d’une durée de deux semaines et avoir représenté un changement par rapport au fonctionnement antérieur ; au moins un des symptômes est soit une humeur dépressive (critère n°1), soit une perte d’intérêt ou de plaisir (critère n°2) : 1. Humeur dépressive présente pratiquement toute la journée et presque tous les jours 2. Diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir pour toutes ou presque toutes les activités, pratiquement toute la journée et presque tous les jours 3. Perte ou gain de poids significatif en l’absence de régime 4. Insomnie ou hypersomnie presque tous les jours 5. Agitation ou ralentissement psychomoteur presque tous les jours 6. Fatigue ou perte d’énergie presque tous les jours 7. Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée 8. Diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer ou indécision presque tous les jours 9. Pensées de mort récurrentes, idées suicidaires récurrentes ou tentative de suicide ou plan précis pour se suicider 92 Hépato-Gastro, vol. 13, n° 2, mars-avril 2006 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. ble prédominante, il convient de rechercher soigneusement des éléments maniaques afin de faire le diagnostic différentiel avec les états mixtes qui comprennent à la fois les critères diagnostiques de dépression et de manie. Il est possible que la prévalence des symptômes maniaques ait été sous-estimée ou négligée jusqu’à présent, la plupart des études s’étant focalisé sur la symptomatologie dépressive. Ainsi dans notre expérience [7] chez 98 malades naïfs traités par interféron pégylé et ribavirine, ayant bénéficié d’une évaluation psychiatrique systématique pendant toute la durée du traitement, 38 (39 %) ont présenté un épisode psychiatrique survenant la plupart du temps (87 % des cas) au cours des trois premiers mois de traitement. Il s’agissait de troubles de l’humeur dans tous les cas correspondant soit à une dépression associée à des symptômes maniaques dans 17 cas (45 %) ; soit à une manie/hypomanie irritable dans 21 cas (55 %). Ces résultats suggèrent que les manifestations psychiatriques induites par l’interféron obéissent à une classification plus complexe que celle de la simple dépression, en raison notamment de la présence simultanée très fréquemment de symptômes d’irritabilité [21]. Comment reconnaître une manifestation psychiatrique préoccupante au cours du traitement de l’hépatite C ? En pratique, compte tenu de leur gravité potentielle, l’identification précoce de la survenue de manifestations psychiatriques, en particulier de troubles de l’humeur au cours du traitement antiviral, à l’aide d’outils pertinents, est cruciale pour une prise en charge thérapeutique adaptée. Plusieurs questionnaires et échelles, présentant l’avantage de pouvoir être administrés et interprétés rapidement, ont été proposés [5, 22-26]. Avec ce type d’échelles, le malade est considéré comme cliniquement déprimé lorsque le score dépasse un seuil critique. Il est important cependant en pratique d’établir une distinction entre « symptomatologie dépressive » et « dépression clinique » : d’une part, la première est beaucoup plus fréquente que la seconde, d’autre part, un sujet peut présenter une humeur dépressive (dysphorie) sans être atteint pour autant de dépression clinique, diagnostic obéissant à des critères précis comme ceux édictés par le DSM-IV. Il est important de garder à l’esprit que l’interféron, en dehors de toute symptomatologie dépressive, peut entraîner une perte de poids, des troubles du sommeil et une asthénie, c’est-à-dire 3 des 5 symptômes requis pour poser le diagnostic d’épisode dépressif majeur. Le diagnostic reposant alors quasiment sur les deux items concernant l’humeur (humeur dépressive ou perte de plaisir), il est nécessaire d’être particulièrement vigilant sur la notion de durée et de permanence des symptômes (qui doit être au minimum de 2 semaines). L’humeur dépressive, généralement associée au syndrome grippal survenant au cours des 48 premières heures suivant l’injection d’interféron, n’est donc pas suffisante pour pouvoir poser le diagnostic d’épisode dépressif. Les entretiens semi-structurés conduits par un psychiatre tels que le SCID (The Structured Clinical Interview for DSM-III R) [27] ou plus récemment le MINI (MiniInternational Neuropsychiatric Interview for DSM-IV) [28] constituent en pratique les meilleurs outils diagnostiques. Il s’agit d’entretiens non directifs mais guidés par un outil d’évaluation psychiatrique tel que le DSM-IV par exemple. Leur sensibilité et leur spécificité sont généralement très bonnes en ce qui concerne les diagnostics psychiatriques usuels. Cependant, ils sont plus longs et plus difficiles à utiliser que les échelles, nécessitant une formation particulière ou le recours à des spécialistes. Peut-on anticiper la survenue de manifestations psychiatriques au cours du traitement antiviral ? La fréquence des comorbidités psychiatriques justifie leur dépistage avant d’entreprendre un traitement antiviral. En pratique, la mise en route de celui-ci n’est jamais urgente, et un interrogatoire minimum, pouvant être effectué par tout médecin, devrait comprendre la recherche d’antécédents psychiatriques personnels et familiaux, en particulier de dépression ou de tentative de suicide, de conduites addictives anciennes ou récentes. Peu d’éléments permettent néanmoins d’identifier les sujets à risque de développer une complication psychiatrique. Les données de la littérature sont limitées et souvent contradictoires. Certaines études [4, 6, 29] n’ont pas trouvé de facteurs de risque particuliers, d’autres [5, 21, 30, 31], au contraire, ont suggéré que les antécédents psychiatriques ou les antécédents de toxicomanie constituaient des facteurs de risque pour la survenue de dépression. Cependant, en pratique, l’existence de facteurs de risque ne doit pas conduire à contre-indiquer le traitement chez ces patients. Conduite à tenir en pratique lors de l’instauration du traitement antiviral Des recommandations pratiques sont proposées dans le tableau 2. Trois types de situations peuvent être individualisés. Hépato-Gastro, vol. 13, n° 2, mars-avril 2006 93 Mini-revue Tableau 2. Propositions pour le dépistage et la prise en charge des symptômes psychiatriques avant et au cours du traitement par interféron (IFN) (d’après [10]). 1. Compte tenu du risque élevé de survenue de troubles de l’humeur sous IFN : - informer le patient et son entourage des risques durant le traitement, - apprendre au patient à reconnaître les symptômes qui doivent l’alarmer. 2. Un avis psychiatrique est nécessaire avant d’initier un traitement par IFN en cas : - d’antécédents de dépression ou de dépression active, - d’antécédents familiaux de dépression ou de suicide, - d’antécédents psychiatriques, et notamment de troubles maniaco-dépressifs. 3. Lorsqu’il existe une dépression caractérisée au moment d’entreprendre le traitement par IFN : - il faut d’abord traiter la dépression ; une fois celle-ci contrôlée, l’IFN peut être entrepris, - une fois le traitement entrepris, une surveillance étroite à la recherche d’une rechute est impérative. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. 4. Chez les patients ayant des antécédents de toxicomanie ou substitués : - une surveillance étroite à la recherche d’une rechute ou de troubles de l’humeur est nécessaire durant le traitement. 5. La surveillance au cours du traitement par IFN devrait comporter : - l’évaluation à chaque consultation de troubles de l’humeur ou d’idées suicidaires, - une attention particulièrement focalisée sur certains symptômes : irritabilité importante, impulsivité, agressivité, au travail, envers les proches et la famille, humeur triste, anhédonie, culpabilité, désespoir, repli, pensées ruminatives, - la demande d’un avis spécialisé en cas de doute. 6. En cas de survenue de troubles de l’humeur au cours du traitement : - l’IFN peut être poursuivi si ceux-ci ne sont pas sévères, - ne pas hésiter à utiliser des antidépresseurs (les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine constituent la classe préférentielle), - en l’absence de réponse rapide aux antidépresseurs, diminuer les doses d’IFN, voire interrompre le traitement de façon transitoire, ou utiliser des antipsychotiques (amisulpride) à faible dose, - en cas de dépression atypique (notamment avec une irritabilité), rechercher de manière active des symptômes maniaques et ne pas hésiter à utiliser des antipsychotiques (amisulpride) à faible dose, - en cas de dépression ou de manie sévère ou de tentative de suicide, l’IFN doit être interrompu et le patient confié à un psychiatre. Patients sans manifestation ni antécédent psychiatrique Compte tenu de la fréquence des manifestations psychiatriques et de la difficulté de prévoir leur survenue, il est important au moment de l’initiation du traitement d’informer le patient et son entourage sur la possibilité de leur survenue et d’attirer leur attention sur certains symptômes d’alarme (impulsivité, irritabilité ou anxiété importantes, agressivité au travail ou envers les proches, crises de larmes, humeur labile, idées noires voire suicidaires). Une collaboration étroite entre le médecin généraliste et le spécialiste est nécessaire car c’est bien souvent le médecin traitant qui est en première ligne pour dépister la survenue de ces troubles. Patients sans maladie psychiatrique mais ayant des antécédents psychiatriques L’existence d’antécédents psychiatriques devrait inciter à la prudence avant l’instauration du traitement antiviral. Il faut bien mettre en balance le bénéfice escompté en termes de chances de guérison et d’impact sur la maladie hépatique par rapport aux risques de survenue de manifestations psychiatriques au cours du traitement. Un avis spécialisé nous semble souhaitable, 94 d’une part, pour obtenir l’aval du psychiatre, d’autre part, pour organiser la mise en place éventuelle d’un suivi au cours du traitement. L’intérêt d’un traitement antidépresseur préventif pourrait aussi être discuté. Celui-ci a été suggéré suite aux résultats spectaculaires d’une étude conduite chez des patients atteints de mélanome métastatique [32]. Dans cette étude contrôlée, les malades recevaient de la paroxétine à la dose de 10 mg/j pendant les 2 semaines précédant le début du traitement par interféron, puis à la dose de 20 à 40 mg/j pendant toute la durée du traitement. Comparés aux malades recevant le placebo, les malades recevant la paroxétine avaient significativement moins d’épisodes dépressifs majeurs et une meilleure observance du traitement par interféron. En raison des très fortes doses d’interféron utilisées (20 MU/m2 de surface corporelle 5 jours par semaines pendant les 4 premières semaines, puis 10 MU/m2 de surface corporelle 3 fois par semaine) et des taux élevés de dépression dans le groupe placebo (45 %), attribuables en partie à la gravité de la maladie traitée, ces résultats encourageants ne sont probablement pas extrapolables aux malades atteints d’hépatite chronique C. Bien qu’attractive, la stratégie d’un traitement préventif systématique paraît difficilement recomman- Hépato-Gastro, vol. 13, n° 2, mars-avril 2006 dable en pratique actuellement. Une étude multicentrique française devrait démarrer prochainement pour tenter de répondre à cette question. Dans l’attente de ses résultats, cette stratégie semble mériter d’être discutée au cas par cas dans le cadre d’une approche multidisciplinaire. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. Patients ayant une maladie psychiatrique L’existence de troubles psychiatriques préexistants est une raison fréquemment invoquée pour ne pas initier le traitement antiviral et la conférence de consensus française qui s’est tenue en 2002 [33] est restée très prudente à cet égard. Plusieurs études [34-36] ont pourtant rapporté la possibilité de traiter par interféron des malades atteints de troubles psychiatriques, sans risque accru de développer des complications neuropsychiatriques ou d’interrompre le traitement. Ainsi Schaefer et al. [35] ont comparé l’observance et les effets secondaires psychiatriques d’un traitement par interféron et ribavirine chez des malades ayant des contre-indications psychiatriques classiques à l’interféron (maladies psychiatriques sévères : dépression, anxiété majeure, schizophrénie, toxicomanie active ou récente) par rapport à des patients contrôles (aucun trouble psychiatrique actuel ou passé). Les résultats en termes de réponse virologique et d’incidence de dépression ne différaient pas entre les groupes. Cependant, dans le groupe des malades psychiatriques, l’utilisation d’antidépresseurs était significativement plus fréquente. Aucun malade n’a été obligé d’interrompre le traitement en raison d’une aggravation de son état psychiatrique. En revanche, dans le groupe des malades ayant des antécédents de toxicomanie, les taux d’arrêt de traitement étaient significativement plus élevés (43 % versus 13 à 18 % dans les autres groupes). Cependant, dans une étude rétrospective américaine [30], les malades ayant une affection psychiatrique préalable au traitement avaient significativement plus d’effets secondaires que les autres (68 % versus 29 %, p = 0,02). Des effets secondaires psychiatriques majeurs étaient observés chez 24 % des malades, avec une fréquence accrue, bien que non significative, dans le groupe de malades ayant une affection psychiatrique préalable. L’ensemble de ces données suggère qu’un traitement antiviral est envisageable chez les malades ayant des antécédents psychiatriques ou une maladie psychiatrique évolutive. Le traitement antiviral devrait cependant être réservé en priorité aux malades dont la sévérité de la maladie hépatique le justifie. Il est bien sûr nécessaire dans ces cas, de s’assurer au préalable de la stabilité de la maladie psychiatrique, d’informer le malade et son entourage des risques encourus et d’effectuer une surveillance psychiatrique régulière pendant toute la durée du traitement antiviral dans le cadre d’une col- laboration multidisciplinaire étroite entre hépatologue, psychiatre et médecin généraliste. Quelle surveillance psychiatrique au cours du traitement antiviral ? Nécessité d’une prise en charge pluridisciplinaire Le traitement de l’hépatite chronique C est un traitement long et pénible mais son initiation est rarement urgente. Sa mise en route nécessite donc au préalable une bonne coordination entre les différents acteurs impliqués : hépatologue ou interniste, addictologue et médecin généraliste. Le recours à un psychiatre doit être discuté lorsqu’il existe des symptômes préoccupants justifiant un traitement spécifique, à condition que le patient en accepte le principe et que le rendezvous proposé ne soit pas trop lointain. Rythme et nature La vigilance doit être maximale durant les trois premiers mois de traitement. Une consultation systématique avec le spécialiste 1 mois après le début du traitement antiviral semble souhaitable car elle permet de faire le point avec le patient (et son conjoint ou son entourage, si possible) sur l’existence de symptômes d’alerte (irritabilité importante, insomnies, idées noires) et le cas échéant d’adapter les doses du traitement antiviral en fonction de la tolérance clinique mais aussi biologique (neutropénie ou anémie). Une nouvelle évaluation au troisième mois de traitement nous semble indispensable. La survenue de troubles, passée cette période, est encore possible mais beaucoup moins probable (moins de 15 % dans notre expérience). En outre, la connaissance de la réponse virologique précoce est un élément clé de la motivation du patient pour la poursuite du traitement antiviral. L’absence de réponse virologique précoce peut conduire dans certains cas à l’arrêt du traitement antiviral chez un patient ayant été préalablement préparé à cette éventualité lors de l’initiation. Dans l’intervalle, un suivi mensuel par le médecin généraliste est souhaitable. Celui-ci doit bien sûr être informé des symptômes d’alerte (irritabilité importante, insomnies, idées noires) qui peuvent conduire à prendre un avis spécialisé. Situations psychiatriques nécessitant une modification ou un arrêt du traitement antiviral En cas de survenue de troubles de l’humeur, le traitement antiviral, en particulier l’interféron, peut être poursuivi en l’absence de signes de sévérité (tableau 2). Une diminution des doses peut être propo- Hépato-Gastro, vol. 13, n° 2, mars-avril 2006 95 Mini-revue sée. En cas de dépression ou de manie sévère ou de tentative de suicide, le traitement antiviral doit être interrompu et une prise en charge psychiatrique spécialisée est indispensable. Gestion thérapeutique des manifestations psychiatriques Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. On peut utiliser dans un premier temps et pour une courte durée des inducteurs du sommeil, voire des benzodiazépines à petites doses si ces symptômes sont associés à de l’anxiété ou s’ils ont un retentissement sur la vie du malade (qui se plaint par exemple de ne pas arriver « à récupérer »). Le zolpidem (Stilnox®) à la dose de 10 mg au coucher ou le bromazépam (Lexomil®) à la dose de 1,5 à 6 mg par jour. Ces molécules présentent l’avantage d’être d’un maniement facile, sans risque d’accoutumance, ni de toxicité hépatique. Un traitement par antidépresseur ne devrait être initié que s’il existe un tableau complet de dépression évalué à l’aide des critères précédemment décrits. En raison de leur bonne tolérance chez les sujets atteints de maladie du foie [10], les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine apparaissent comme les molécules de choix : fluoxétine (Prozac®), sertraline (Zoloft®), citalopram (Seropram®), et paroxétine (Deroxat®). Plusieurs études ouvertes [4, 29, 37] ont montré l’intérêt d’un traitement antidépresseur chez les malades atteints d’hépatite chronique C traités par interféron associé ou non à la ribavirine pour le contrôle ou la prévention des effets neuropsychiatriques de ces traitements. Ainsi, dans l’étude de Hauser et al. [4], 11 malades parmi 13 (85 %) ayant développé une dépression au cours d’un traitement par interféron, ont répondu à un traitement antidépresseur par citalopram (à la dose de 20 à 60 mg/j) permettant la poursuite de l’interféron chez 8 d’entre eux. L’efficacité clinique de ce traitement était observée 5 semaines en moyenne après l’initiation et une rémission était obtenue après 9 semaines en moyenne de traitement. Il est important de rappeler qu’en pratique un délai d’au moins quinze jours est nécessaire avant de pouvoir juger de l’efficacité d’un traitement antidépresseur. En outre, lorsque celui-ci n’est plus jugé nécessaire, son interruption doit se faire progressivement. Enfin, récemment, l’utilisation de neuroleptiques à faible dose a été rapportée [3]. Ainsi, 11 (64,7 %) malades parmi 17 ayant développé une dépression au cours d’un traitement par interféron et traités par sulpiride (Dogmatil®) à la dose de 150 mg/j ont obtenu une amélioration. Dans notre expérience [7], nous avons traité par l’amisulpride (Solian®), un neuroleptique à faible dose (dose moyenne 160 mg/j, extrêmes 100600 mg), de manière ouverte, 24 malades ayant 96 déclenché un épisode psychiatrique au cours d’un traitement par interféron pégylé et ribavirine, en raison de la prédominance des symptômes maniaques. Dixneuf patients ont été traités en première intention et 5 après échec d’un traitement antidépresseur par inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine. Une amélioration a été observée chez la majorité des patients après une à deux semaines de traitement, permettant la poursuite du traitement antiviral chez 23 patients. Ces résultats, quoique préliminaires, suggèrent que ce type de traitement pourrait aussi avoir une place dans la prise en charge des manifestations psychiatriques induites par l’interféron. Ce traitement peut s’avérer particulièrement utile lorsqu’il existe certains des symptômes suivants : une irritabilité importante associée à de l’impulsivité, une labilité émotionnelle (l’humeur du sujet varie en permanence en fonction de son environnement, mais le sujet rapportera généralement uniquement les pleurs et la tristesse), des réveils précoces, une tension interne voire une agitation fébrile entrecoupée de phase d’épuisement, une impression que les idées s’accélèrent ou défilent dans la tête. Influence du dépistage et de la prise en charge des manifestations psychiatriques sur l’observance du traitement et sur les taux de guérison virologique Compte tenu de la durée du traitement antiviral et de ses nombreux effets secondaires, l’observance est un enjeu crucial chez les patients atteints d’hépatite chronique C. Il a été montré que celle-ci influençait de façon significative les chances de guérison [38]. Dans notre expérience [7], le dépistage précoce et systématique des manifestations psychiatriques au cours du traitement antiviral et leur prise en charge spécifique a permis la poursuite du traitement antiviral chez la majorité des patients. Ainsi, parmi 98 patients traités, un seul a dû interrompre le traitement pour raison psychiatrique. Ce faible taux d’arrêt thérapeutique (1 %) est beaucoup plus bas que les 10 à 20 % habituellement rapportés dans la littérature. De plus, les taux de guérison virologique obtenus chez les patients ayant présenté des manifestations psychiatriques ne différaient pas de ceux des autres patients (respectivement, 71 % et 68 %). Conclusion Les manifestations psychiatriques sont fréquentes et précoces au cours du traitement de l’hépatite chroni- Hépato-Gastro, vol. 13, n° 2, mars-avril 2006 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. que C, liées à l’utilisation de l’interféron. Il s’agit de troubles de l’humeur, pouvant comporter une composante irritable, voire maniaque. L’interféron peut majorer l’existence de troubles de l’humeur préexistants ou entraîner leur apparition chez des malades indemnes de troubles psychiatriques avant traitement. Il n’existe pas actuellement d’outil simple fiable pour le dépistage de ces troubles et l’existence de facteurs prédictifs reste controversée. Cependant, la constatation de troubles psychiatriques avant traitement ne doit pas constituer une contre-indication à la mise en route d’un traitement antiviral lorsque celui-ci est justifié par la sévérité de la maladie hépatique. Le dépistage précoce de la survenue de troubles de l’humeur au cours du traitement antiviral et la prise en charge thérapeutique appropriée, par l’utilisation d’antidépresseurs voire de neuroleptiques, permet la poursuite du traitement antiviral dans la majorité des cas et l’obtention de taux de guérison élevés. Seule une approche globale et multidisciplinaire du patient peut garantir une bonne gestion de ces manifestations en pratique. Remerciements. L’auteur tient à remercier pour leur précieuse collaboration, Aymery Constant, docteur en psychologie dans le laboratoire de Psychologie de la Santé de l’université Bordeaux 2 et Chantal Henry, psychiatre à l’hôpital Charles Perrens à Bordeaux. Références 1. Castéra L, Constant A, Couzigou P, Henry C. Manifestations psychocomportementales et psychiatriques au cours de l’hépatite chronique C. In : Pawlotsky JM, Dhumeaux D, eds. L’hépatite C. Paris : EDK, 2004 : 333-60. 2. Maddrey WC. Safety of combination interferon alfa-2b/ribavirin therapy in chronic hepatitis C-relapsed and treatment-naive patients. Semin Liver Dis 1999 ; 19 : 67-75. 3. Horikawa N, Yamazaki T, Izumi N, Uchihara MM. Incidence and clinical course of major depression in patients with chronic hepatitis type C undergoing interferon-alpha therapy : a prospective study. Gen Hosp Psychiatry 2003 ; 25 : 34-8. 4. Hauser P, Khosla J, Aurora H, Laurin J, Kling MA, Hill J, et al. A prospective study of the incidence and open-label treatment of interferoninduced major depressive disorder in patients with hepatitis C. Mol Psychiatry 2002 ; 7 : 942-7. 5. Dieperink E, Ho SB, Thuras P, Willenbring ML. A prospective study of neuropsychiatric symptoms associated with interferon-alpha-2b and ribavirin therapy for patients with chronic hepatitis c. Psychosomatics 2003 ; 44 : 104-12. 6. Renault PF, Hoofnagle JH, Park Y, Mullen KD, Peters M, Jones DB, et al. Psychiatric complications of long-term interferon alfa therapy. Arch Intern Med 1987 ; 147 : 1577-80. 7. Castéra L, Constant A, Henry C, Bernard P, de Lédinghen V, Foucher J, et al. Traitement par neuroleptique des manifestations psychiatriques au cours du traitement de l’hépatite chronique C : impact sur l’observance et la réponse virologique prolongée. Gastroenterol Clin Biol 2004 ; 28 : 767 ; (abstract). 8. 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En résumé • Les effets secondaires psychiatriques sont fréquents (20 à 30 %) au cours du traitement de l’hépatite chronique C et liés à l’utilisation de l’interféron selon un mécanisme mal connu. • Ils surviennent en général entre le premier et le troisième mois de traitement et constituent la première cause d’interruption prématurée du traitement antiviral. • Il s’agit de troubles de l’humeur, pouvant comporter une composante irritable, voire maniaque. • Il n’existe pas actuellement d’outil simple fiable pour le dépistage de ces troubles et l’existence de facteurs prédictifs reste controversée. • La constatation de troubles psychiatriques avant traitement ne doit pas constituer une contre-indication à la mise en route d’un traitement antiviral lorsque celui-ci est justifié par la sévérité de la maladie hépatique. • Le dépistage précoce de la survenue de troubles de l’humeur au cours du traitement antiviral et la prise en charge thérapeutique appropriée, par l’utilisation d’antidépresseurs voire de neuroleptiques, permet la poursuite du traitement antiviral dans la majorité des cas et l’obtention de taux de guérison virologique élevés. 11. 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