UNIVERSITE DE PARIS-SORBONNE (PARIS IV)
Département d’Histoire des religions et anthropologie religieuse
INSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS
Faculté de Théologie et de Sciences Religieuses
Cycle des Etudes du Doctorat
GOHAR HAROUTIOUNIAN
LA CHRISTOLOGIE DES ANCIENNES ANAPHORES
ARMENIENNES
Thèse présentée pour l’obtention du Doctorat conjoint
en Histoire des Religions et Anthropologie Religieuse (Paris IV) et
en Philologie et Histoire des Religions du Proche-Orient Ancien (I.C.P.)
Directeur de thèse Paris IV-Sorbonne : Monsieur le Professeur Pierre Maraval
Directeur de thèse I.C.P. : Monsieur le Professeur Jean-Pierre Mahé
Décembre 2007
2
La présente thèse est consacrée à l’étude christologique des cinq plus anciennes
anaphores arméniennes, que sont :
- l’anaphore de saint Grégoire Illuminateur (l’ancienne anaphore arménienne de saint
Basile) ;
- l’anaphore de saint Athanase d’Alexandrie ;
- l’anaphore de saint Grégoire le Théologien ;
- l’anaphore de saint Sahak ;
- l’anaphore de saint Cyrille d’Alexandrie.
Se situant à la frontière des études doctrinales et liturgiques, notre étude christologique
des anciennes anaphores arméniennes s’inscrira dans la perspective qui est propre à la
théologie liturgique, matière précisément consacrée à l’étude doctrinale des sources
liturgiques. Une première partie tentera d’établir les textes des anaphores, avant d’ouvrir sur
une seconde partie consacrée à l’analyse de leur christologie. Un index arméno-français des
principaux termes employés dans les anaphores clôturera le tout.
La première partie sera fondamentale. Dans son chapitre 2, elle donnera une traduction
française des anciennes anaphores arméniennes un travail sans précédant puisque sont à ce
jour uniquement disponibles leurs traductions latines
1
(établies à partir de l’édition de
Catergian
2
) et allemandes (pour les seules anaphores de saint Basile
3
et de saint Athanase
4
,
d’après la nouvelle édition critique de ces textes). La tâche s’est avérée difficile, eu égard
notamment à l’absence complète d’études historiques et critiques des anaphores de Grégoire,
de Sahak et de Cyrille. L’unique édition de ces trois textes, que nous devons à Catergian, nous
est parue peu satisfaisante en raison des nombreuses corrections hâtives du manuscrit qu’elle
comporte, tant dans l’orthographe, le découpage des mots ou l’ordre des prières, que dans
1
Anaphore arménienne de Cyrille d’Alexandrie : A. RÜCKER, « Denkmäler altarmenischer
Meβliturgie. 5. : Die Anaphora des Patriarchen Kyrillos von Alexandreia »,, OC 23 (III /1), 1927,
p. 143-157. HÄNGGI A. PAHL I., Prex Eucharistica, Textus e variis liturgiis antiquioribus selecti,
Fribourg : Editions universitaires, 1968, p. 337-341. Anaphore arménienne de Grégoire de Nazianze :
P. FERHAT, « Denkmäler altarmenischer Meβliturgie. 1. : Eine dem hl. Gregor von Nazianz
zugeschriebene Liturgie », OC 9 (=II/1), 1911, p. 204-214. A. HÄNGGI I. PAHL, Prex
Eucharistica, 1968, p. 327-331. Anaphore de Sahak : P. FERHAT, « Denkmäler altarmenischer
Meβliturgie. 2. : Die angebliche Liturgie des hl. Katholicos Sahak, » OC 11 (=II/3), 1913, p. 16-31. A.
HÄNGGI – I. PAHL, Prex Eucharistica, 1968, p. 332-336.
2
Y. CATERGIAN, Die Liturgien bei den Armeniern, Funfzehn Texte und Untersuchungen,
herausgegeben von P. J. Dashian, Wien, 1897.
3
G. WINKLER, Die Basilius – Anaphora, Rome : PIO, 2005, p.136-196. (AO 2, AA 2).
4
H.-J. FEULNER, Die armenische Athanasius-anaphora, Rome : PIO, 2001, p. 459-
60. (AO 1, AA 1)
3
l’analyse qui est faite de ces textes, que Catergian attribue à Grégoire le Théologien et qu’il
date du V
e
siècle. Ainsi nous est-il apparu nécessaire d’établir, au chapitre 1, une nouvelle
édition critique de ces anaphores à partir de leur unique témoin : le manuscrit de Lyon 17,
copié en 1314 d’après un modèle plus ancien non daté.
La traduction française des cinq anaphores étudiées, proposée dans le chapitre 2, a été
établie en se référant aux sources suivantes :
- les anaphores de saint Grégoire, de saint Sahak et de saint Cyrille, à partir de
l’édition critique proposée dans le premier chapitre de notre thèse ;
- l’ancienne anaphore arménienne de saint Basile, en se fondant sur la récente édition
critique de G. Winkler
5
;
- l’anaphore de saint Athanase à partir du Commentaire des prières de Sacrifice de
Xosrov Anjewaci, édité par P. Cowe
6
.
La seconde partie de notre travail, répartie en cinq chapitres, s’efforcera d’expliciter la
pensée et le langage christologique de chacune des cinq anaphores. S’agissant des anaphores
de Grégoire, de Sahak et de Cyrille, la tâche s’est révélée particulièrement ardue : aucune
étude ne leur ayant jamais été consacrée, nous ignorions tout de leur provenance et de
l’époque de leur élaboration. L’étude christologique de ces textes nous a malgré tout permis
de dégager un certain nombre d’éléments nous permettant de penser qu’ils pourraient être de
provenance arménienne et datés d’entre la fin du VI
e
et la fin du VII
e
siècle. Pour être
définitivement probants, ces éléments devront s’inscrire dans une étude d’ensemble
approfondie de ces trois textes, ce que les limites de la présente étude, consacrée uniquement
à leur analyse christologique, nous interdisent de réaliser dans l’immédiat mais que nous
espérons aborder dans de prochains travaux.
Lors de l’étude christologique de nos anaphores, nous nous sommes donné pour objectif
de dégager la spécificité de la pensée christologique qu’elles reflètent, en confrontant leurs
terminologies et leurs problématiques à quatre genres de sources différents :
1. Les sources liturgiques que constituent les autres anaphores de la famille syrienne
occidentale, comme celles des Constitutions Apostoliques, de saint Basile, de saint Jacques ou
5
G. WINKLER, Die Basilius – Anaphora, Rome : PIO, 2005, p.136-196. (AO 2, AA 2).
6
P. COWE, Commentary on the Divine Liturgy by Xosrov Anjewaci, New-York, 1991, p. 124-
196.
4
de saint Jean Chrysostome, à la comparaison desquelles nous avons porté une attention
particulière.
2. Les sources patristiques également, et tout spécialement les œuvres des Pères grecs
qui ont influencé l’univers théologique arménien, tels Irénée de Lyon, les Cappadociens ou
Cyrille d’Alexandrie.
3. Les sources arméniennes, principalement les textes historiographiques, les deux
recueils confessionnels Girk Tłtoc et Knik Hawatoy, ainsi que les discours de Yovhannēs
Awjnec‘i.
4. Les sources syriaques. Dans la comparaison de celles-ci à nos anciennes anaphores
arméniennes, nous nous sommes référé essentiellement aux actes du concile de Manazkert
rapportés par Michel le Syrien, mais également à la pensée christologique de Sévère
d’Antioche, de Julien d’Halicarnasse et de Philoxène de Mabboug.
De notre étude, il ressort que la christologie des anciennes anaphores arméniennes a
connu une élaboration progressive entre le V
e
et le VIII
e
siècle, évolution qu’il est possible de
scinder en trois étapes. Une première période, cappadocienne et cyrillienne, antérieure aux
échanges arméno-syriaques du milieu du VI
e
siècle, transparaît nettement dans la christologie
de l’ancienne anaphore arménienne de saint Basile. Entre le milieu du VI
e
et la fin du VII
e
siècle, ce fut une nouvelle étape de franchie, d’inspiration syriaque, comme en témoignent les
anaphores de Grégoire, Sahak et Cyrille. Enfin, une dernière période fut inaugurée par la
pensée christologique de Yovhannēs Awjnec‘i, opérant une synthèse des christologies
cappadocienne, cyrillienne et syriaque, ce dont témoigne l’anaphore de saint Athanase.
La spécificité de la première période, qui transparaît dans l’anaphore arménienne de
saint Basile, est l’équilibre d’une vision christologique regroupant des éléments antiochiens et
alexandrins. L’incarnation de l’hypostase divine du Verbe est conçue à la fois comme prise de
la chair par le Verbe et comme inhumanation. L’asymétrie entre la divinité et l’humanité dans
le sujet divin est réelle, mais l’humanité y reste bien active.
Les anaphores de Sahak, Grégoire et Cyrille témoignent de l’introduction de nouvelles
accentuations dans cette vision initialement intégrale de la christologie arménienne. D’une
part, ces textes accentuent l’unicité et l’immuabilité du sujet divin incarné une accentuation
chère à la christologie cyrillienne et rendue nécessaire par le voisinage de l’Eglise de Perse et
de sa christologie inspirée de Théodore de Mopsueste. D’autre part, ces anaphores reprennent
certains des thèmes favoris de Julien d’Halicarnasse et de Philoxène de Mabboug, introduits
dans la christologie arménienne dans les années 550-555, suite aux échanges avec les
5
communautés syriennes. L’influence syrienne est particulièrement sensible en ce qui concerne
la doctrine de l’incorruptibilité de la chair du Christ, mais également dans la conception bien
précise qu’elle se fait du péché des origines. L’anaphore de saint Grégoire le Théologien
accentue ainsi la divinité du sujet incarné et souligne l’accomplissement de l’histoire du salut
par le Verbe incarné, agissant en union avec la nature divine et sans que la divinité du sujet
incarnée soit diminuée. Elle reflète d’autre part la problématique de l’incorruptibilité de la
chair du Christ dans le tombeau, en laissant entendre que son humanité est divinisée par
l’union à la divinité dès l’acte de l’incarnation. Cette insistance vise à écarter l’idée d’une
chair ayant une existence propre avant l’incarnation et agissant parallèlement à la divinité, de
manière à empêcher toute introduction d’un deuxième sujet d’action.
Le thème de l’incorruptibilité de la chair du Christ est également abordé, quoique de
façon indirecte, dans l’Anaphore de Sahak, dont la christologie est conditionnée par une
conception de l’histoire du salut selon laquelle la finalité sotériologique est l’obtention par
l’homme de l’incorruptibilité et de l’immortalité. De provenance patristique, ce thème tient
une place importante chez Irénée de Lyon et Cyrille d’Alexandrie. Associé à la doctrine de
l’incorruptibilité de la chair du Christ, il fut également au cœur du concile de Manazkert. Il est
lié à une conception particulière du péché des origines : la nature de l’homme, dotée
initialement d’une incorruptibilité, d’une immortalité et d’une impeccabilité conditionnelles
mais réelles, fut non pas seulement défigurée par la chute mais coupée « entièrement de la
grâce divine ». Julien d’Halicarnasse et Philoxène du Mabboug furent deux témoins
importants de cette conception selon laquelle le péché est étroitement associé à la nature de
l’homme, à la corruption et à la mort. Dans cette perspective, la venue du deuxième Adam
suppose, d’une part, son incarnation réelle et, d’autre part, son exemption de tout péché et
donc de la corruptibilité et de la mort. L’humanité du Christ fut ainsi divinisée par l’acte
volontaire de l’incarnation. La mort et la résurrection, délibérément choisies, furent
nécessaires pour rendre visible la divinisation de l’humanité du Christ et la communiquer à
l’homme par le sacrement de l’Eucharistie.
Bien que cette vision christologique reste dans l’orbite de l’orthodoxie, elle tient
insuffisamment compte de la nécessaire dynamique de la divinisation de l’homme,
prédisposant de ce fait à un certain minimalisme anthropologique susceptible de prendre des
formes hétérodoxes, comme le laisse supposer le texte de l’anaphore de saint Cyrille
d’Alexandrie.
C’est dans la synthèse christologique de Yovhannēs Awjnec‘i et du concile de
Manazkert, élaborée à partir des christologies des Pères cappadociens, de Cyrille
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