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juin 2015 I n° 180 I idées économiques et sociales
nement –à l’image de celui des pays riches depuis le
début du esiècle!–, qui n’est plus écologiquement
soutenable ni pour les Chinois ni pour la planète tout
entière? Pour ne citer qu’un chire, selon l’Organisa-
tion mondiale de la santé, le niveau de la pollution de
l’air extérieur aurait atteint un tel niveau qu’il serait
responsable en Chine de 1279000 décès en 2010,
chire à majorer des victimes de la pollution de l’air
intérieur dans les foyers, liée à l’utilisation, pour
cuisiner et se chauer, de combustibles solides (bois,
charbon, etc.) dans des poêles de fortune mal isolés.
Enn, si l’on intégrait dans le calcul de l’IDH la dimen-
sion politique du développement, combien de rangs
de classement seraient perdus, eu égard au caractère
totalitaire du régime politique chinois, et de tout ce
qui s’ensuit en termes de niveau de corruption, et plus
grave, de violation des droits de l’homme?
De la nécessité d’un recentrage
de la croissance chinoise
sur la consommation des ménages
En dépit de l’envolée de son PIB en PPA, la Chine
reste donc fondamentalement un pays émergent. Un
ensemble de transformations structurelles pour les
prochaines décennies est donc indispensable pour
qu’elle entre dans une nouvelle ère de son histoire
économique, celle de la traduction de sa croissance en
termes de développement durable. Ce qui implique
un triple grand dé à relever pour l’empire du Milieu.
D’une part, l’économie chinoise doit passer
d’un mode de croissance extraverti fondé principa-
lement sur le dynamisme de ses exportations, qui
la caractérise depuis le début des années 1980 –la
part de marché de la Chine dans les exportations
mondiales de produits manufacturés est passée de
0,5 % au début des années 1980 à 17 % en 2012–, à
un modèle autocentré qui s’appuie en priorité sur la
vitalité de la demande intérieure, et au sein de celle-
ci, sur la consommation. On oublie trop souvent que
l’autre grand moteur de la croissance chinoise a été,
en parallèle des exportations, un moteur intérieur,
celui de l’investissement – en particulier les inves-
tissements massifs des autorités chinoises dans les
infrastructures et les zones d’exportation–, dont la
progression a été exceptionnelle sur les dix dernières
années avec un taux d’investissement – part de l’in-
vestissement dans le PIB– supérieur à 40 %! Par
comparaison, le taux d’investissement en France a
été de 22 % en 2013, selon l’Insee. D’ailleurs, cette
Le décalage en chiffres
entre croissance et développement
Si le déphasage entre croissance et développement
n’est pas propre à l’économie chinoise, se retrouvant
également dans les autres pays émergents, il n’en reste
pas moins exceptionnel par son ampleur. Certes, on
retiendra que la croissance économique chinoise a
notamment permis une réduction considérable de
l’extrême pauvreté, la part des habitants vivant avec
moins de 1,25dollar par jour étant passée de 60 %
en 1990 à 13 % en 2008. On soulignera également
les progrès en termes d’espérance de vie et de niveau
d’alphabétisation de la population, mais globalement,
le développement apparaît bien faible au regard des
taux de croissance à deux chires exceptionnels a-
chés depuis le début des années 1980.
Déjà, si l’on ramène le PIB en PPA au nombre d’ha-
bitants, avec une population de 1,36milliard en 2013
(près de 20% de la population mondiale), la Chine
passe du 1er au 89e rang dans le classement interna-
tional de la richesse annuelle moyenne produite
par tête. À la faiblesse du PIB par habitant, s’ajoute
par ailleurs pour les Chinois le problème majeur de
l’explosion des inégalités. Si l’on se réfère aux calculs
de Peter Edward et Andy Sumner [3], le coecient
de Gini, qui mesure l’intensité des inégalités dans la
répartition des revenus, a progressé en eet de plus
de 50% en Chine entre1985 et2010, contre 14%
au niveau mondial. Si, de surcroît, on utilise l’indice
du développement humain (IDH) du Programme
des Nations unies pour le développement (PNUD),
indice synthétique prenant simultanément en compte
des données relatives à la santé, l’accès à l’éducation
et le niveau de vie de la population, alors, l’empire du
Milieu se classe seulement au 91e rang international
en 2013, avec un IDH égal à 0,719, selon le dernier
Rapport sur le développement humain de 2014 – le
développement est d’autant plus fort que l’IDH est
proche de 1 et réciproquement. Et par rapport à 1980,
la Chine n’a gagné que 10 rangs seulement dans le
classement international des pays selon l’IDH. Que
de décalage donc par rapport à sa croissance écono-
mique erénée, avec un PIB en volume par habitant
qui a été multiplié par 7 durant les 23 dernières années
(1990-2013)! Par ailleurs, que resterait-il de la valeur
de cet IDH pour la République populaire si, dans le
mode de calcul, on prévoyait de prendre en compte
les externalités environnementales négatives générées
par un mode de croissance destructeur de l’environ-