Le grand écart de l`empire du Milieu

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I SES PLURIELLES
Le grand écart
de l’empire du Milieu
entre croissance et développement
En cette fin d’année 1 , les grands amateurs des podiums de la compétition économique
internationale ont dû accueillir, non sans une certaine excitation, l’information du Fonds
monétaire international (FMI), selon laquelle la Chine aurait détrôné en 2014 les ÉtatsUnis de la place de première puissance économique mondiale qu’ils occupaient depuis
1842. Une information certes historique du point de vue des rapports de force et équilibres
géopolitiques mondiaux, mais qui ne doit pas occulter le grand écart de l’empire du Milieu
entre ses performances productivistes et son niveau de développement.
Un processus de rattrapage
exceptionnel mais partiel
Du point de vue des comparaisons des palmarès
purement quantitatifs des économies nationales,
l’information du FMI a son importance symbolique :
elle confirme une tendance lourde, en marche depuis
la fin des années 1970, au retour à une configuration polycentrique de l’économie mondiale au profit
de l’Asie, comme elle se dessinait déjà au début du
xixe siècle avant la première révolution industrielle.
Les impressionnants rythmes de progression des
exportations et de croissance économique affichés
par l’empire du Milieu depuis le début des années
Évaluation de la part dans le PIB réel mondial
d’après les estimations de PPA 2011(en %)
35
30
25
20
15
10
5
0
1960
1970
1980
1990
2000
2010
2020
Chine
États-Unis
Inde
UE28
Source : S. Jean et D. Ünal, « La Chine devient la première économie du monde plus tôt que prévu », Billet du 5 mai 2014, blog
du CEPII, blog.cepii.fr
1980 (une croissance économique de l’ordre de
10 % en moyenne l’an) laissaient d’ailleurs entrevoir
ce processus de décentrage de la puissance économique au niveau mondial, même s’il apparaît plus
rapidement que prévu. Déjà en 2013, en termes
d’échanges commerciaux – en additionnant les flux
d’exportations et d’importations de marchandises –,
l’économie chinoise avait ravi le rang de première
puissance commerciale à l’économie états-unienne.
Une prouesse mercantile qui s’inscrit dans le mouvement que l’on connaît des performances de « l’atelier du monde » en termes d’excédents commerciaux
(différences positives entre les exportations et les
importations de marchandises) et d’accumulation
de réserves de changes, ces dernières étant évaluées
à la somme considérable de 3 840 milliards de dollars
en 2013, en progression de 367 % par rapport à leur
montant de 2005 !
En 2014, d’après les calculs savants des experts du
FMI, c’est maintenant en termes de produit intérieur
brut (PIB), calculé selon la méthode dite de la parité
de pouvoir d’achat (PPA) (voir encadré p. 52), que
la Chine devance le géant américain. En représentant
16,5 % du PIB mondial calculé selon la méthode PPA,
la République populaire se positionnerait donc très
légèrement devant l’Oncle Sam, comptant, lui, pour
16,3 % de l’économie mondiale réelle (graphique).
Bien qu’exceptionnel, le rattrapage de l’économie chinoise est partiel, si l’on prend comme référence son poids dans l’économie mondiale au début
juin 2015 I n° 180 I idées économiques et sociales
Yves Besançon,
professeur de SES
au lycée Édouard Belin
à Vesoul
1 Article initialement paru
en décembre 2014
sur blogs.mediapart.fr ;
dans le moteur de recherche,
taper « Yves Besançon »
et le titre de l’article.
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SES PLURIELLES
I
du xixe siècle : selon les travaux célèbres sur données
historiques d’Angus Maddison, elle pesait pour
environ un tiers en 1820 dans le PIB mondial PPA.
Un renversement durable selon les économistes
du FMI, car la Chine devrait poursuivre sur la voie du
rattrapage en dépit de son ralentissement récent. On
rappelle qu’il s’agit là des statistiques PIB-PPA, car en
termes de PIB calculés avec les taux de change officiels, elle ne pèse aujourd’hui que pour 10 % de l’économie mondiale, « encore » loin des États-Unis et de
l’Union européenne, représentant respectivement un
cinquième et un quart du PIB mondial nominal.
De la notion de croissance
économique au concept
du développement durable
Les « prouesses quantitatives » de l’économie
chinoise seraient certainement une excellente
nouvelle pour les Chinois, s’il ne fallait pas distinguer les concepts de croissance économique et de
développement. Or, même si les deux notions sont
liées, elles sont bien à dissocier. La croissance économique traduit le processus d’augmentation en longue
période de la production en volume (c’est-à-dire
hors inflation), alors que le concept de développement, selon une approche traditionnelle, désigne
l’ensemble des transformations économiques,
sociales, démographiques, culturelles et politiques,
accompagnant la croissance et se traduisant par une
amélioration significative du bien-être de la population.
Une distinction classique indispensable, mais néanmoins insuffisante à deux niveaux, car s’appuyant sur
une vision traditionnelle du développement, elle-même
héritée du modèle libéral-productiviste qui se met en
place sur le Vieux Continent à la fin du xviiie siècle.
D’une part, dans les pays riches, on peut dissocier totalement croissance et développement – n’en déplaise au
discours « croissanciste » servi en permanence comme
une messe par nos dirigeants politiques –, en considérant que la première n’est plus une condition nécessaire
du second, eu égard au niveau d’opulence déjà atteint
en termes de PIB par habitant. Ainsi, selon les « objecteurs de croissance » [1], un développement est possible
sans croissance économique, selon le slogan « répartir
mieux avant de produire plus ». Les transformations
structurelles multidimensionnelles traduisant le développement, porteuses d’une amélioration significative
des conditions de vie des peuples, pourraient même se
concevoir dans la décroissance du PIB en volume, mais
une « décroissance heureuse » selon les tenants de cette
vision des choses, comme Serge Latouche [2]. D’autre
part, dans le contexte de crise écologique générée par
deux siècles de productivisme prédateur pour l’environnement, la notion de développement doit s’envisager dans une perspective de progression du bien-être
des générations présentes, sans nuire à celui des générations futures. Ainsi, le développement, s’arc-boutant
sur l’intérêt général transgénérationnel, ne saurait plus
dès lors se penser sans être soutenable écologiquement.
Le concept de développement durable synthétise tous
ces éléments en pouvant se définir comme un développement juste socialement, efficace économiquement et
soutenable écologiquement. Et nous pourrions ajouter,
un développement porté politiquement par l’épanouissement démocratique, c’est-à-dire un processus
d’appropriation réelle des peuples de leur démocratie,
donc de l’intérêt général.
La méthode de la parité de pouvoir d’achat (PPA)
Cette méthode consiste à calculer des taux de change fictifs permettant d’égaliser le pouvoir d’achat entre les pays
faisant l’objet de la comparaison. Par exemple, si pour acquérir un « panier » de biens et services représentatif, il
faut A dollars aux États-Unis et B yuans en Chine, alors le taux de change de la parité de pouvoir d’achat se déduit
de l’équivalence monétaire entre A dollars et B yuans, soit un dollar égal à B/A yuans. Dit autrement, posséder un
dollar aux États-Unis ou B/A yuans en Chine apporte le même pouvoir d’achat.
Compte tenu que les prix en Chine sont moins élevés qu’aux États-Unis, le taux de change PPA du dollar par rapport
au yuan ainsi obtenu est donc plus faible que le taux de change officiel observable sur le marché des changes, ce qui
conduit donc à une meilleure valorisation du PIB chinois lorsqu’il est converti en dollars avec le taux de change PPA.
Les taux de change PPA permettent ainsi de contourner les problèmes de fluctuations conjoncturelles des taux
de change officiels et de différences de niveau des prix entre les différents pays que l’on compare. La méthode
PPA représente donc un outil indispensable pour toute comparaison internationale sur ce sujet.
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idées économiques et sociales I n° 180 I juin 2015
I SES PLURIELLES
Le décalage en chiffres
entre croissance et développement
Si le déphasage entre croissance et développement
n’est pas propre à l’économie chinoise, se retrouvant
également dans les autres pays émergents, il n’en reste
pas moins exceptionnel par son ampleur. Certes, on
retiendra que la croissance économique chinoise a
notamment permis une réduction considérable de
l’extrême pauvreté, la part des habitants vivant avec
moins de 1,25 dollar par jour étant passée de 60 %
en 1990 à 13 % en 2008. On soulignera également
les progrès en termes d’espérance de vie et de niveau
d’alphabétisation de la population, mais globalement,
le développement apparaît bien faible au regard des
taux de croissance à deux chiffres exceptionnels affichés depuis le début des années 1980.
Déjà, si l’on ramène le PIB en PPA au nombre d’habitants, avec une population de 1,36 milliard en 2013
(près de 20 % de la population mondiale), la Chine
passe du 1er au 89e rang dans le classement international de la richesse annuelle moyenne produite
par tête. À la faiblesse du PIB par habitant, s’ajoute
par ailleurs pour les Chinois le problème majeur de
l’explosion des inégalités. Si l’on se réfère aux calculs
de Peter Edward et Andy Sumner [3], le coefficient
de Gini, qui mesure l’intensité des inégalités dans la
répartition des revenus, a progressé en effet de plus
de 50 % en Chine entre 1985 et 2010, contre 14 %
au niveau mondial. Si, de surcroît, on utilise l’indice
du développement humain (IDH) du Programme
des Nations unies pour le développement (PNUD),
indice synthétique prenant simultanément en compte
des données relatives à la santé, l’accès à l’éducation
et le niveau de vie de la population, alors, l’empire du
Milieu se classe seulement au 91e rang international
en 2013, avec un IDH égal à 0,719, selon le dernier
Rapport sur le développement humain de 2014 – le
développement est d’autant plus fort que l’IDH est
proche de 1 et réciproquement. Et par rapport à 1980,
la Chine n’a gagné que 10 rangs seulement dans le
classement international des pays selon l’IDH. Que
de décalage donc par rapport à sa croissance économique effrénée, avec un PIB en volume par habitant
qui a été multiplié par 7 durant les 23 dernières années
(1990-2013) ! Par ailleurs, que resterait-il de la valeur
de cet IDH pour la République populaire si, dans le
mode de calcul, on prévoyait de prendre en compte
les externalités environnementales négatives générées
par un mode de croissance destructeur de l’environ-
nement – à l’image de celui des pays riches depuis le
début du xixe siècle ! –, qui n’est plus écologiquement
soutenable ni pour les Chinois ni pour la planète tout
entière ? Pour ne citer qu’un chiffre, selon l’Organisation mondiale de la santé, le niveau de la pollution de
l’air extérieur aurait atteint un tel niveau qu’il serait
responsable en Chine de 1 279 000 décès en 2010,
chiffre à majorer des victimes de la pollution de l’air
intérieur dans les foyers, liée à l’utilisation, pour
cuisiner et se chauffer, de combustibles solides (bois,
charbon, etc.) dans des poêles de fortune mal isolés.
Enfin, si l’on intégrait dans le calcul de l’IDH la dimension politique du développement, combien de rangs
de classement seraient perdus, eu égard au caractère
totalitaire du régime politique chinois, et de tout ce
qui s’ensuit en termes de niveau de corruption, et plus
grave, de violation des droits de l’homme ?
De la nécessité d’un recentrage
de la croissance chinoise
sur la consommation des ménages
En dépit de l’envolée de son PIB en PPA, la Chine
reste donc fondamentalement un pays émergent. Un
ensemble de transformations structurelles pour les
prochaines décennies est donc indispensable pour
qu’elle entre dans une nouvelle ère de son histoire
économique, celle de la traduction de sa croissance en
termes de développement durable. Ce qui implique
un triple grand défi à relever pour l’empire du Milieu.
D’une part, l’économie chinoise doit passer
d’un mode de croissance extraverti fondé principalement sur le dynamisme de ses exportations, qui
la caractérise depuis le début des années 1980 – la
part de marché de la Chine dans les exportations
mondiales de produits manufacturés est passée de
0,5 % au début des années 1980 à 17 % en 2012 –, à
un modèle autocentré qui s’appuie en priorité sur la
vitalité de la demande intérieure, et au sein de celleci, sur la consommation. On oublie trop souvent que
l’autre grand moteur de la croissance chinoise a été,
en parallèle des exportations, un moteur intérieur,
celui de l’investissement – en particulier les investissements massifs des autorités chinoises dans les
infrastructures et les zones d’exportation –, dont la
progression a été exceptionnelle sur les dix dernières
années avec un taux d’investissement – part de l’investissement dans le PIB – supérieur à 40 % ! Par
comparaison, le taux d’investissement en France a
été de 22 % en 2013, selon l’Insee. D’ailleurs, cette
juin 2015 I n° 180 I idées économiques et sociales
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SES PLURIELLES
I
dynamique de l’investissement a été particulièrement soutenue depuis le début de la crise financière
de 2008 par la mise en œuvre d’un plan de relance
budgétaire historique et l’ouverture à grand débit
des vannes du crédit. C’est dans ce contexte-là qu’il
faut comprendre l’explosion récente de la dette en
Chine, avec un ratio de la dette publique et privée par
rapport au PIB le plus élevé des pays émergents (près
de 200 % aujourd’hui, soit 60 points de PIB en plus
par rapport à son niveau de 2008). On comprend
mieux, dans ces conditions, le nécessaire recentrage
pour les années à venir de la croissance économique
chinoise sur la consommation des ménages.
Un enjeu d’autant plus crucial que la consommation des ménages chinois ne représente aujourd’hui
qu’à peine plus du tiers du PIB, alors que, dans les
pays à hauts revenus, la consommation des ménages
pèse en moyenne un peu plus des trois cinquièmes du
PIB. Cette transition passe par une forte réduction
des inégalités dans la répartition des revenus avec,
en particulier, une augmentation conséquente des
salaires et un développement significatif de la protection sociale. Concernant ces deux derniers leviers
importants, notons toutefois que des évolutions
favorables, bien qu’insuffisantes, sont incontestables
ces dernières années, avec une tendance à la hausse
du salaire moyen depuis le milieu des années 2000
(qui a plus que triplé dans l’industrie manufacturière entre 2005 et 2012), grâce en particulier à des
augmentations sensibles de salaires minima dans les
différentes provinces. Par ailleurs, des initiatives en
faveur de la protection sociale, certes encore bien
timides au regard des besoins énormes de la population, ont également été prises par les autorités
chinoises, tant au niveau central que local.
Le grand défi environnemental
de l’empire du Charbon
D’autre part, pour des raisons environnementales
et de santé publique évidentes, la mise en orbite de
l’économie chinoise sur la trajectoire de la décarbonation par une réduction sensible de son intensité
carbone – mesurée par les émissions de dioxyde de
carbone (CO2) par unité de PIB – est l’autre grand
défi pour les autorités chinoises. La Chine est en effet
le plus gros pollueur de la planète en termes d’émissions de CO2 (9,9 gigatonnes dues à la combustion
de l’énergie en 2012, soit plus que les États-Unis et
l’Union européenne réunis), le principal gaz à effet de
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idées économiques et sociales I n° 180 I juin 2015
serre à l’origine du réchauffement climatique et des
pollutions locales. On sait par ailleurs qu’en Chine,
90 % de ces émissions proviennent du secteur de
l’énergie, lui-même dominé à 70 % par le charbon,
énergie fossile que le sous-sol chinois possède en
abondance mais qui est la plus nocive en termes
d’émissions de CO2. La mise en perspective d’un
développement écologiquement soutenable passe
donc inéluctablement par des objectifs ambitieux et
contraignants de diminution de l’intensité carbone de
l’économie chinoise et, de façon liée, d’une progression significative de la part des énergies non fossiles
dans la consommation énergétique. En d’autres
termes, le roi du charbon n’a pas d’autre choix, pour
un développement soutenable, que de laisser les clés
du royaume aux énergies renouvelables. Indiscutablement, sous la pression d’un mécontentement populaire croissant face à une pollution urbaine alarmante,
davantage que par noble considération à l’égard du
climat vu comme bien public mondial fondamental,
les autorités chinoises semblent maintenant vouloir
réellement s’engager sur le chemin de cette nécessaire transition énergétique.
Pour preuve, le changement de discours à l’occasion de l’inattendu accord bilatéral du 12 novembre
dernier, lors du sommet de l’Apec (Forum intergouvernemental de coopération économique de l’AsiePacifique), avec le deuxième plus grand pollueur de
la planète en termes d’émissions de gaz à effet de
serre, les États-Unis, où la Chine s’est engagée, pour
la première fois, sur un pic de ses émissions autour de
2030, alors qu’elle estimait jusqu’à présent n’avoir en
la matière aucun compte à rendre aux puissances occidentales. Même s’il ne faut pas non plus surestimer la
portée de l’accord sino-américain, compte tenu du fait
que les objectifs affichés par les deux géants sont non
contraignants, sans nul doute, un vent nouveau souffle
à Pékin. On trouve également des éléments tangibles
de cette prise de conscience des autorités chinoises
dans les deux derniers plans, dont le 12e plan portant
sur la période 2011-2015, dans lequel des objectifs
chiffrés contraignants sont fixés en matière de baisse
de l’intensité carbone et de hausse de l’utilisation des
énergies non fossiles. Par ailleurs, des marchés locaux
de quotas d’émissions de CO2, associés à des plafonnements d’émissions des centrales électriques et des
sites industriels, inspirés du marché du carbone européen, ont été mis en place dans certaines provinces et
devraient se généraliser à l’ensemble du pays en 2016.
I SES PLURIELLES
La perspective encore incertaine
d’un processus de démocratisation
Enfin, troisième grand défi pour la Chine, l’épanouissement du processus démocratique, qui ne
doit pas être seulement envisagé comme un simple
instrument nécessaire à certaines des indispensables
futures mutations structurelles du mode de croissance
de l’économie chinoise, mais également comme un
élément constitutif du développement lui-même
si l’on conçoit ce terme dans son sens le plus noble.
Vingt-cinq ans après la répression dans le sang du
mouvement démocratique de la place Tian An Men,
il est toujours aussi hasardeux de porter un regard
prédictif sur l’évolution du système politique chinois.
Si des éléments structurels peuvent plaider en faveur
d’une perspective démocratique considérée par
certains comme inéluctable sur le long terme (montée
des mouvements sociaux, insertion dans l’économie
mondiale, naissance d’une classe moyenne urbaine,
élévation indispensable du niveau d’instruction en vue
d’une qualification accrue de la main-d’œuvre indispensable à une montée en gamme de la production,
problème de la corruption, influence d’Internet, etc.),
en revanche, les évolutions de ces dernières années
sont plutôt inquiétantes, témoignant au contraire d’un
durcissement de la logique autoritaire du régime, avec
en particulier un net renforcement de la censure, selon
les observateurs indépendants sur place. Par ailleurs,
la répression à Hongkong, en septembre dernier, de la
« révolution des parapluies », montre bien, s’il en était
besoin, l’extrême crispation du pouvoir de Xi Jinping
(secrétaire général du Parti communiste chinois
depuis 2012) face à tout risque de « contagion » démocratique. Sans compter que la Chine enferme toujours
dans ses prisons les opposants politiques au régime – et
pas seulement tibétains.
Bref, le multipartisme et la liberté d’expression ne sont apparemment pas encore pour demain
dans l’empire du Milieu. Et ce n’est pas le silence
assourdissant permanent et indigne des dirigeants
occidentaux sur la question des droits de l’homme
en Chine, bien plus préoccupés par la signature de
contrats commerciaux, qui est de nature à encourager les autorités chinoises à faire évoluer le régime
politique vers un État de droit. De fait, si les Chinois
veulent prendre le chemin de la démocratie, il est
fort à craindre qu’ils ne devront compter que sur
eux-mêmes, sans l’aide ni de leurs dirigeants actuels
ni des occidentaux.
Conclusion
Le développement soutenable dans toutes ses
dimensions économique, sociale, écologique et politique est une œuvre bien plus compliquée à réaliser
que la croissance économique, surtout dans une
phase de décollage et de rattrapage. En tout cas, après
son grand écart entre croissance et développement
qui ponctue la période des trente-cinq dernières
années, la République populaire de Chine devra
se frotter au grand défi de passer d’une croissance
forcenée, inégalitaire et prédatrice pour l’environnement à un développement durable. De cette réussite
découlera la progression bien légitime du bien-être
de l’ensemble de sa population, car en dépit de son
nouveau statut de première puissance économique
du monde, la Chine reste encore un pays relativement pauvre. Mais l’enjeu d’un changement de
trajectoire de l’économie chinoise pour les décennies
à venir concerne également et directement, plus que
pour les autres pays émergents en raison de sa taille,
l’intérêt général de la planète à travers la problématique écologique mondiale et centrale du début
du xxie siècle : l’insoutenabilité de la généralisation
du mode de vie occidental actuel à l’ensemble des
pays du monde (nous aurions besoin de cinq planètes
Terre…). Le succès d’un « grand bond en avant »
chinois, cette fois-ci, vers un modèle de développement durable souhaitable pour l’intérêt général du
monde entier, appelle donc incontestablement des
responsabilités partagées avec les puissances économiques du Nord, notamment du point de vue de la
nécessaire transition énergétique mondiale, qui ne
peuvent être pleinement assumées par les uns et les
autres qu’en transcendant les intérêts particuliers
des égoïsmes nationaux. Un autre défi, celui-là pour
l’humanité, peut-être hors de portée dans le cadre
actuel du capitalisme mondial néolibéral.
Bibliographie
[1] Gadrey J., Adieu la croissance, Paris, Les Petits matins, 2012.
[2] Latouche S., La Mégamachine. Raison technoscientifique,
raison économique et mythe du progrès, Paris, La Découverte, 2004.
[3] Edward P., Sumner A., “The Geography of Inequality: Where
and by How Much Has Income Distribution Changed since
1990 ?”, Working Paper 341, Center for Global Development,
sept. 2013. En ligne sur le site Center for Global Development,
rubrique “Publications”.
juin 2015 I n° 180 I idées économiques et sociales
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