La Chine, première puissance mondiale ou dernier empereur du

La Chine, première puissance mondiale ou dernier empereur du PIB ?
Le Monde.fr | 30.01.2015 à 09h01 Mis à jour le 30.01.2015 à 09h28 | Par Éloi Laurent
(Economiste et enseignant à Sciences Po et Stanford University, Californie)
Chine : l'impressionnant nuage de pollution a gagné Shanghaï (2013). "Apprécié sous l’angle
du développement soutenable, le « modèle » de croissance chinois de ces dernières années
s’apparente à une véritable autodestruction, dont l’air et l’eau sont les victimes directes et la
santé humaine le dommage collatéral". | Reuters
Si l’on en croit les récents calculs du Fonds monétaire international (FMI), la Chine a ravi
en 2014 aux États-Unis la place de première puissance économique mondiale.
Certains analystes ont critiqué à juste titre les défauts statistiques de la méthode dite de
« parité de pouvoir d’achat » qui a abouti au constat de ce dépassement prématuré. Mais
l’essentiel est ailleurs : l’indicateur de classement lui-même, le produit intérieur brut (PIB),
est inapte à mesurer le succès d’une nation et le bien-être de ses habitants. La Chine est pour
tout dire l’illustration parfaite des raisons pour lesquelles le PIB doit être dépassé en ce début
de XXIe siècle.
Pour commencer, la taille de l’économie chinoise ne nous dit rien du bien-être économique
réel des Chinois. Pour le mesurer, il nous faut disposer d’un critère démographique et d’un ou
plusieurs indicateurs d’inégalité de revenu.
Lire aussi : La Chine exporte même ses investissements !
On constate alors que le revenu par habitant en Chine est non seulement environ dix fois
moins important qu’en Suède par exemple, du fait de l’abondance relative des bouches à
nourrir (la Chine est 121e sur environ 200 en termes de PIB par habitant), mais qu’il y est en
outre deux fois plus inégalement réparti. La Chine se situe très loin, une fois ce double
ajustement opéré, des pays les plus développés.
Parmi les 5 % des pays les moins libres de la planète
Mais le bien-être humain ne se limite à l’évidence pas au bien-être économique. Dans des
dimensions aussi essentielles pour le développement que la santé et l’éducation, la Chine se
situe nettement derrière le groupe des nations les plus avancées (en milieu de classement des
pays du monde selon l’indice de développement humain des Nations Unies).
Des indicateurs plus exotiques, comme le bonheur des habitants, relèguent la Chine
sensiblement au même rang (fait notable et troublant : alors même que le revenu par habitant
a été multiplié par un facteur quatre au cours des deux dernières décennies, les indicateurs de
bonheur des Chinois ont eu tendance à reculer…).
Lorsque l’on élargit encore la focale pour envisager le progrès social, et notamment la
question des libertés civiles et des droits politiques, la situation apparaît encore plus
dégradée : la Chine se classe parmi les 5 % des pays les moins libres de la planète, et sa
situation s’est détériorée relativement aux autres nations du monde depuis une dizaine
d’années, alors même que sa croissance économique devenait exponentielle.
Enfin, et serait-on tenté de dire surtout, les dégradations environnementales massives dont la
Chine est le théâtre depuis le début des années 1990 font douter que la « première puissance
économique mondiale » puisse le demeurer longtemps. Apprécié sous l’angle non plus
seulement du niveau de vie statique mais du développement soutenable, le « modèle » de
croissance chinois de ces dernières années s’apparente à une véritable autodestruction, dont
l’air et l’eau sont les victimes directes et la santé humaine le dommage collatéral.
Objectifs de développement
Pour le dire avec les mots du ministre de l’environnement Zhou Shengxian en 2011 : « si
notre terre est ravagée et que nous perdons notre santé, quel bien nous fait notre
développement ? » La Chine se démène donc depuis le début des années 1980 et plus encore
depuis l’an 2000 pour atteindre un horizon désormais dépassé. Ce faisant, elle a mis en péril
le développement humain et soutenable de sa population et une partie conséquente des
ressources de la planète, notamment atmosphériques.
La bonne nouvelle pour l’avenir vient du fait que les dirigeants chinois ont désormais accepté
cette réalité : en conséquence, ils abaissent leur objectif de croissance du PIB pour rehausser
leurs objectifs de développement. L’annonce de la baisse du taux de croissance chinois est
donc une excellente nouvelle : c’est le signe d’un choix politique qui donne la priorité au
bien-être et à la soutenabilité.
La Chine, dernier empereur du PIB, peut légitimement considérer que les pays développés
sont mauvais perdants : quand ils ne gagnent plus, ils décident de changer les règles du jeu.
Mais si la Chine ne croit plus au PIB et qu’en conséquence elle croît moins, c’est nous tous
qui y gagnerons.
Éloi Laurent (Economiste et enseignant à Sciences Po et Stanford University,
Californie)
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puissance-mondiale-ou-dernier-empereur-du-
pib_4566653_3232.html#ChsLZ9Iobspt5LqO.99
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