Des indicateurs plus exotiques, comme le bonheur des habitants, relèguent la Chine
sensiblement au même rang (fait notable et troublant : alors même que le revenu par habitant
a été multiplié par un facteur quatre au cours des deux dernières décennies, les indicateurs de
bonheur des Chinois ont eu tendance à reculer…).
Lorsque l’on élargit encore la focale pour envisager le progrès social, et notamment la
question des libertés civiles et des droits politiques, la situation apparaît encore plus
dégradée : la Chine se classe parmi les 5 % des pays les moins libres de la planète, et sa
situation s’est détériorée relativement aux autres nations du monde depuis une dizaine
d’années, alors même que sa croissance économique devenait exponentielle.
Enfin, et serait-on tenté de dire surtout, les dégradations environnementales massives dont la
Chine est le théâtre depuis le début des années 1990 font douter que la « première puissance
économique mondiale » puisse le demeurer longtemps. Apprécié sous l’angle non plus
seulement du niveau de vie statique mais du développement soutenable, le « modèle » de
croissance chinois de ces dernières années s’apparente à une véritable autodestruction, dont
l’air et l’eau sont les victimes directes et la santé humaine le dommage collatéral.
Objectifs de développement
Pour le dire avec les mots du ministre de l’environnement Zhou Shengxian en 2011 : « si
notre terre est ravagée et que nous perdons notre santé, quel bien nous fait notre
développement ? » La Chine se démène donc depuis le début des années 1980 et plus encore
depuis l’an 2000 pour atteindre un horizon désormais dépassé. Ce faisant, elle a mis en péril
le développement humain et soutenable de sa population et une partie conséquente des
ressources de la planète, notamment atmosphériques.
La bonne nouvelle pour l’avenir vient du fait que les dirigeants chinois ont désormais accepté
cette réalité : en conséquence, ils abaissent leur objectif de croissance du PIB pour rehausser
leurs objectifs de développement. L’annonce de la baisse du taux de croissance chinois est
donc une excellente nouvelle : c’est le signe d’un choix politique qui donne la priorité au
bien-être et à la soutenabilité.
La Chine, dernier empereur du PIB, peut légitimement considérer que les pays développés
sont mauvais perdants : quand ils ne gagnent plus, ils décident de changer les règles du jeu.
Mais si la Chine ne croit plus au PIB et qu’en conséquence elle croît moins, c’est nous tous
qui y gagnerons.
Éloi Laurent (Economiste et enseignant à Sciences Po et Stanford University,
Californie)
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puissance-mondiale-ou-dernier-empereur-du-
pib_4566653_3232.html#ChsLZ9Iobspt5LqO.99