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Comment enseigner la communication au cabinet?
SOMMER, Johanna Maria, RIEDER, Arabelle Rachel
Reference
SOMMER, Johanna Maria, RIEDER, Arabelle Rachel. Comment enseigner la communication au
cabinet? Primary Care, 2014, vol. 14, no. 8, p. 136-138
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:90443
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PrimaryCare
PrimaryTeaching&Learning
Johanna Sommer, Arabelle Rieder, Unité de Médecine de Premier Recours, Faculté de Médecine Genève
Comment enseigner la communication au cabinet?
La communication avec le patient est sûrement l’outil
le plus précieux pour le médecin en consultation.
Même si on a tendance à penser que la compétence de
communiquer est innée, il est reconnu aujourd’hui que
l’enseignement de la communication améliore les compétences relationnelles et cliniques des médecins. Cela
engendre une plus grande compréhension par les patients, une meilleure adhésion thérapeutique, de meilleurs résultats thérapeutiques, et «last but not least»,
une plus grande satisfaction pour le patient comme
pour le soignant. Comment alors enseigner les stratégies du médecin qui sont souvent inconscientes et automatisées lors de la consultation au cabinet, lorsqu’il
s’agit d’encadrer les jeunes collègues (étudiants, internes) qui viennent se former sur le terrain au cabinet du
praticien? Cet article a pour but de donner des pistes
concrètes et applicables au quotidien pour enseigner
les techniques de communication qui aident à structurer l’entretien, à développer la relation avec le patient,
et à augmenter la satisfaction du patient et le plaisir au
travail.
Les outils essentiels de communication:
l’écoute, les questions, l’explication médicale
L’écoute
Le patient vient souvent chargé de symptômes et d’émotions dont
il a besoin de parler. Pour le jeune médecin, il est souvent difficile
de laisser parler le patient, car très vite des hypothèses se forment
dans son esprit et il interrompt alors le patient pour lui poser des
questions qui permettent d’étayer sa réflexion et déduction médicales. Dès lors, le dialogue risque de devenir un interrogatoire et
le patient risque de mettre de côté de nombreuses idées qu’il aurait souhaité partager. Il est important d’enseigner à notre jeune
collègue que l’écoute et la prise en compte des émotions et des
pensées du patient nous permettent d’obtenir plus rapidement un
tableau complet de la situation, ce qui génèrera un meilleur diagnostic tout en permettant une plus grande satisfaction de part et
d’autre. Le début de la consultation commence donc si possible
toujours par un espace laissé ouvert au patient («la minute d’or»)
avec une ou plusieurs questions ouvertes («racontez-moi, qu’estce qui vous amène?»), laissant le patient exposer son AVIS. L’acronyme AVIS a été développé dans le modèle de l’approche centrée
sur le patient et veut dire qu’on cherche à explorer:
– son Attente envers le médecin
– son Vécu lié à sa maladie ou à ses plaintes et les répercussions
qu’elles ont sur sa vie
– ses Idées exprimant ses représentations qu’il se fait de sa maladie
– et la description détaillée de ses Symptômes et de leur chronologie.
L’écoute inclut aussi la prise en compte des émotions du patient:
fréquemment il fait des allusions à des craintes liées au vécu de ses
symptômes et il sera très utile de montrer au jeune médecin comment se fier à ses «radars» émotionnels et les écouter en reformulant au patient ce qu’il nous laisse percevoir parfois de façon non
verbale seulement ou par allusions vagues («J’ai l’impression que
vous avez eu très peur lorsque vous avez ressenti cette douleur»;
ou encore «je vois vos yeux qui brillent d’émotion lorsque vous y
pensez et cela vous rend visiblement très triste»). Dans le cadre de
la communication cette empathie peut ainsi se découper en deux
phases: le médecin reconnait les émotions que le patient exprime
soit à travers des mots, soit à travers un langage non-verbal, et verbalise ce qui a été observé et ressenti. Cela permet au patient de
clarifier ce qui le pousse réellement à consulter, à se sentir mieux
compris et à diminuer parfois la charge émotionnelle qui n’est pas
exprimée de manière claire. Le médecin peut également mieux
comprendre la situation pour pouvoir aussi répondre plus efficacement aux attentes du patient, à ses craintes et à ses besoins. En
même temps cela aide le praticien à regarder les éléments difficiles ou émotionnels sans chercher immédiatement à donner une
solution ou à se sentir submergé par cette émotion; au fond c’est
comme si la problématique émotionnelle du patient était posée
sur la table pour que le soignant et le patient puissent la regarder
et la comprendre ensemble.
L’écoute consiste donc à laisser de l’espace au patient sans l’inonder de questions fermées, à se fier à ses propres «radars» de soignant pour verbaliser au patient le non-dit avec empathie, suivi
parfois de silence pour laisser le patient y réagir.
Les questions pour obtenir de l’information
Lors de chaque consultation le praticien doit obtenir de l’information de la part du patient à travers un questionnement bien rodé.
Il existe les questions ouvertes auxquelles on peut répondre de façon très libre (p.ex. «vous me dites que vous êtes peu bien depuis
une semaine, racontez-mois s’il vous plaît comment cela s’est développé et ce que vous avez senti?». Il existe aussi les questions
fermées auxquelles le patient répond par oui ou par non («vous
avez eu de la fièvre? vous toussez?»).
Si le médecin pose des questions fermées très tôt dans l’entretien,
il dirige le patient sur une piste diagnostique qui peut être fausse
(p.ex. si un patient vient pour polyurie et on le questionne immédiatement sur l’infection urinaire alors qu’il a un diabète décompensé, il répondra sagement, mais on n’obtiendra pas forcément
l’information utile; alors que si le patient peut exposer la situation,
l’hypothèse médicale se clarifiera rapidement d’elle-même avec
un gain de temps appréciable). On encouragera donc le jeune médecin à commencer par des questions ouvertes pour progressivement rétrécir son champ diagnostique en posant des questions de
plus en plus fermées (questions en cône allant d’ouvert à fermé).
L’information médicale
Lors de la plupart des consultations le médecin doit expliquer un
traitement (antibiotique, antihypertenseur, etc), un diagnostic
(hypertension, diabète, etc) ou une investigation (coloscopie, etc).
Il a été démontré que la rétention d’information par le patient est
très faible (environ 10%) si l’explication est une information unilatérale allant du médecin au patient, de l’«émetteur» au «récepteur». Pour améliorer l’efficacité de cette partie de l’entretien, l’explication médicale se pratique de façon hélicoïdale partant toujours du principal intéressé, le patient, pour aller vers le médecin
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La structure de l’entretien (fig.1)
Voici la structure de l’entretien tel qu’il est enseigné aux étudiants
en médecine dans les facultés de médecine de suisse romande et
qui est basé sur le modèle de Calgary-Cambridge développé et
enseigné par J.Silverman. Cette structure permet de gérer efficacement le temps à disposition tout en construisant la relation médicale grâce à l’utilisation des outils cités plus haut
En début d’entretien, le médecin commence le plus naturellement
par une phase d’accueil où il exprime au patient de l’intérêt pour
sa personne avant de s’occuper de ses organes. Pour faire un bon
programme de la consultation, il convient de négocier avec lui le
déroulement prévu de l’entretien qui doit contenir ce dont le patient veut parler (son agenda) et les éléments pertinents du point
de vue du praticien (contrôle de la tension, reparler de la coloscopie, etc) . Le début de l’entretien commencera donc par l’écoute
des préoccupations du patient qui sera amené à faire une sorte de
«liste» ( «donc il y a votre genou qui fait mal, est-ce qu’il y a autre
chose? … et y a-t-il encore autre chose?»). Puis un ordre sera proposé dans lequel les éléments que le médecin souhaite aborder
seront intégrés avec éventuellement l’information sur la durée à
disposition. Cette partie se termine avec la demande de l’accord
du patient.
Le corps de la consultation consiste ensuite en l’anamnèse: une
phase d’écoute et de questionnements pour obtenir l’information
nécessaire selon les outils décrits ci-dessus; avant de procéder à
l’examen clinique.
Ensuite une phase d’explication et de planification permet d’annoncer au patient les résultats de la démarche médicale présentant soit un diagnostic ou un traitement soit une démarche diagnostique nécessitant des examens complémentaires. C’est là que
les outils de l’information sont utiles; il faut être attentif à ne pas
donner trop d’informations à la fois et à sectionner l’information en
tranche distinctes. Il s’agit toujours de donner des choix et des
possibilités d’action au patient afin qu’il puisse décider lui-même
la meilleure option pour lui (shared decision making).
La conclusion permet de préciser que la consultation arrive à sa fin,
de faire une synthèse avec le patient, de vérifier sa compréhension
de ce qui a été abordé ou ce qui est prévu pour la suite, de lui demander s’il a encore d’autres préoccupations, avant de terminer
dans une phase où le praticien l’aide à repartir dans son quotidien.
Structurer l’entretien
avant de repartir vers le patient et ainsi de suite de façon répétée.
Les trois étapes sont:
– questionner (qu’est-ce que le patient sait déjà, qu’est-ce qu’il
souhaite savoir)
– informer (en complétant les données manquantes)
– vérifier (ce que le patient a compris en ses propres mots, et répondre à d’autres questions si nécessaire).
Pour expliquer un diagnostic comme une hypertension, il est utile
de commencer par demander au patient ce qu’il sait de cette maladie, pour ensuite compléter par un élément encore inconnu par
le patient, puis lui demander ce qu’il a pu comprendre de l’ explication («je ne suis pas sûre d’avoir été claire, pouvez-vous me dire
ce que vous avez compris de mon explication», ou bien, «pouvezvous me dire ce que vous allez expliquer à votre conjoint/e?, afin
que je voie si je peux vous aider?»).
L’étape de vérification, semble être la plus utile pour augmenter la
rétention d’information par le patient ( à environ 70% ).
Ces trois outils de communication servent à structurer la consultation et à développer la relation avec le malade.
Débuter l’entretien
Recueillir l’information
(Examen physique)
Expliquer et planifier
Développer la relation
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Conclure l’entretien
Figure 1
La structure de l’entretien d’après Silverman, Kurtz & Draper [1].
La personnalisation de la relation médecin-malade
Chaque médecin a son propre style et développe ses relations
selon son propre tempérament et caractère. Il s’agit bien sûr de
montrer cela au jeune collègue, tout en lui démontrant ce qui
appartient au tempérament de chacun et en le laissant développer
son propre style. En même temps, il est utile de lui expliquer que
les outils de l’approche centrée sur le patient aident au développement d’une bonne relation médecin-patient: si on laisse le patient exprimer ses besoins et craintes, qu’on verbalise ses émotions, et qu’on l’aide à mieux comprendre ce qui lui arrive en plus
de lui donner un diagnostic et un traitement, la résolution des
symptômes est souvent accélérée et la satisfaction du patient et du
médecin en sont augmentés. Les outils sont l’écoute et la verbalisation des émotions, des valeurs et du vécu du patient, ainsi que
parfois le silence, une main sur l’épaule, un sourire … Il est utile
pour le jeune médecin d’aiguiser son sens d’observation en lui demandant de noter spécifiquement ces outils observés lors de la
consultation à laquelle il assiste et en analysant l’effet sur le patient, puis de rediscuter avec lui les émotions qui ont traversé le
soignant et l’interne/étudiant durant ces mêmes moments. Cela
permettra au jeune collègue de développer ses compétences relationnelles avec son patient mais aussi son sens de la réflexivité,
ce qui lui permettra peut-être de se sentir moins submergé par les
émotions des patients dans sa pratique future.
Les outils pour enseigner la communication
Les outils essentiels sont:
– la modélisation: le jeune collègue observe son aîné en ayant
des consignes claires d’observation, il essaye de repérer des
outils précis, les note et un temps est pris après la consultation
pour nommer les outils, les décrire et éventuellement les faire
pratiquer au jeune collègue en prenant la place du patient.
– l’observation avec feed-back: le médecin expérimenté observe
le jeune collègue/étudiant en lui faisant pratiquer des outils
précis lors d’une consultation et en lui donnant un feed-back
constructif après la consultation (cf article sur feed-back). Plus
les consignes et le champ d’exercice est restreint, plus l’apprentissage est favorisé; il est impossible de pratiquer et d’apprendre «tous» les outils en même temps!
– le jeu de rôle: lorsque le médecin explique un aspect de la communication il est utile de permettre au jeune collègue de l’expérimenter («imagine que je sois le patient, pourrais-tu refaire le
début de l’anamnèse en me posant des questions plus
ouvertes?»).
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– l’enregistrement (vidéo par webcam, ou audio par dictaphone
ou les deux par téléphone mobile). En permettant au jeune collègue de se réécouter ou de se revoir on lui permettra de plus
facilement corriger un comportement observé et on évite d’être
présent et d’interférer au cours de la consultation.
Le médecin donnera le meilleur modèle de bon communicateur s’il
utilise ces mêmes outils lorsqu’il s’adresse au jeune collègue, en:
– s’intéressant avec respect et authenticité à son vécu;
– en valorisant ses compétences acquises et en l’aidant à repérer
les apprentissages à faire;
– en l’accompagnant avec empathie et respect dans son chemin
d’apprentissage.
Conclusion
La communication dans une consultation est un savant mélange
entre personnalité, expériences et tempérament des interlocuteurs, ainsi que des outils spécifiques et descriptibles. L’enseignement au cabinet réside essentiellement en la verbalisation et l’analyse des éléments complexes qui assurent l’alchimie entre le
patient et le médecin.
Références
1 Silverman J, Kurtz S, Draper J. Outils et stratégies pour communiquer
avec le patient. Ed. Médecine et Hygiène; 2010. (Ouvrage de référence
pour l’enseignement de la communication dans toutes les universités
suisses francophones.)
– Rollnick S, Miller WR, Butler CC. Pratique de l’entretien motivationnel:
Communiquer avec le patient en consultation. Paris: InterEditions; 2009.
– Kurtz S, Silverman J, Draper J. Teaching and Learning Communication Skills
In Medicine. Radcliffe Medical Press; 2005.
Correspondance:
Dr Johanna Sommer, MD
Médecin interniste généraliste FMH
Centre Médical Universitaire de Genève
BFM local 4091
9 Avenue de Champel
1211 Genève 4
johanna.sommer[at]unige.ch
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