Depuis plusieurs générations, ces Chinois et leur famille sont installées hors de Chine.
Déjà dans l’ex-Indochine, pour maintenir leur identité culturelle et leur solidarité
communautaire dans la société d’accueil, ils ont adopté une forme organisationnelle
traditionnelle d’entraide en fonction des origines locales, dont le nom chinois est hui
(association) ou huiguan : « la maison collective ».
Le huiguan, qui désigne à la fois un édifice et l’association qui y siège, apparaît vers le
XVIIe siècle en Chine, dans le contexte de l’intensification de la migration domestique pour
des raisons économiques et sociales. Fondé et financé par les élites des émigrés, ce dispositif
assure l’intégration sociale au niveau local, en offrant des aides à la population migrante de
même origine régionale et parlant le même dialecte (WANG 1994). Aux XIXe et XXe siècles,
l’émigration chinoise vers les pays étrangers a pris ce modèle d’association et établit les
huiguan partout dans la diaspora chinoise. En France, on a recensé environs 90 associations
de Chinois en 2007, parmi lesquelles un tiers sont des associations régionales (XIAO 2007),
soit au nom de huiguan, soit, plus directement, au nom de tonxianghui (amicale de gens
originaires d’un même lieu).
Le huiguan en France est multifonctionnel. Il est d’abord un lieu de sociabilité où on se
réunit pour les loisirs, pour l’échange d’informations, pour apprendre le français ou faire
apprendre à la deuxième ou troisième génération le chinois mandarin. Il est également un
lieu d’affaires, où les commerçants négocient, et un lieu de pouvoir, pour entrer en contact
avec les hommes politiques français ou chinois. Mais le huiguan peut être aussi un lieu
religieux, comme son prototype dans l’histoire ancienne3. En particulier, chez les huiguan
des Chinois héritant de la culture de la Chine du Sud, il y a souvent un espace spécialement
créé pour le culte, qui est appelé au quotidien fotang, la « maison de Bouddha ».
La maison de Bouddha est un lieu de culte privé où on installe des statues de divinités,
chante collectivement des textes religieux et organise des rituels. Dans cet espace, les statues
de Bouddha et de Guanyin (une divinité bouddhique très populaire en Chine) occupent
souvent une place importante sinon centrale, mais il convient de souligner le pluralisme ou
le syncrétisme qui caractérise cet espace religieux. En effet, selon la tradition locale de leur
région natale, les membres des associations vénèrent également divers dieux taoïstes ou
divinités locales, tels que Xuantian shangdi (le dieu du septentrion) ou Shuiwei niangniang
(la Dame de la mer). De plus, Caishen (le dieu de la richesse) et Tudi (le dieu du sol) sont
toujours présents dans les maisons de Bouddha. Caishen est important pour les
commerçants comme pour les travailleurs car il est une divinité qui peut apporter la
prospérité. La vénération de Tudi qui, dans le panthéon chinois à la tâche de surveiller les
affaires locales, montre un respect symbolique du territoire d’accueil par les immigrés, ainsi
que leur bonne volonté d’assurer leur installation et leur vie. Ici le terme « maison de
Bouddha » est pris et compris comme une appellation universelle pour désigner un lieu de
culte hors du temple, qui n’est pas forcément bouddhique.
Cependant, ces maisons de Bouddha gardent un lien avec le bouddhisme monastique.
Parfois ils invitent des moines de Chine ou de Taiwan pour célébrer des rituels à l’occasion
des fêtes, pour l’inauguration de la statue d’une divinité, voire pour un séjour de service de
quelques mois. Mais ce sont toujours les laïcs de l’association qui gèrent ces maisons de
Bouddha.
3 A l’époque impériale, le huiguan fut toujours un lieu religieux, où les divinités locales de la région d’origine des immigrés
et les autres dieux populaires étaient vénérés. Voir WANG (1994) et GONG (1998).
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