1913 - 2013
Le centenaire de la Comédie
Le 24 janvier 1913, la Comédie de Genève ouvre ses portes, après deux années de chantier conduit par
l’architecte Henri Baudin, le directeur Ernest Fournier et l’administrateur William Viollier. Avec l’avo-
cat Albert Richard, ils sont les principaux protagonistes de la création de ce théâtre.
Qu’est-ce qui les réunit ? Tous les quatre sont membres, depuis 1903-1904, de l’Union pour l’Art So-
cial, qui a pour but « d’initier à l’Art le public très nombreux qui, par suite de sa situation écono- mi-
que, est tenu éloigné du mouvement artistique. Cette société n’est pas destinée à procurer des distrac-
tions ou des amusements à bon compte : elle poursuit avant tout un but d’éducation esthé- tique. Le
terme d’Art social marque cette idée que le Beau ne doit pas être l’apanage d’une classe, mais que les
jouissances qu’il procure doivent être le patrimoine de tous. »
Fondée en 1902, cette association – dont fait aussi partie Émile Jaques-Dalcroze – organise des mani-
festations artistiques de qualité, abordables par les foyers les plus modestes. Elles se déroulent dans
différents lieux de Genève, en particulier au Théâtre de la Place Neuve et au Théâtre de Plainpalais.
C’est dans ce cadre qu’Ernest Fournier met en scène L’Avare en 1903 à la Brasserie Handwerk. Située
4 avenue du Mail, elle est le lieu de réunion de l’Union pour l’Art Social, mais aussi celui des révolu-
tionnaires et des syndicalistes. C’est là que Lénine prononça sa première conférence à Genève.
Ces précisions font apparaître une donnée singulière. La Comédie n’a pas toujours été le rendez-vous
des notables. Elle est issue du grand mouvement philanthropique qui a marqué le début du XXe siècle.
Mieux, elle a croisé les aspirations d’hommes et de femmes qui rêvaient de changer le monde et qui
souhaitaient donner un commencement de réalité aux idéaux démocratiques.
Cette origine a été longtemps refoulée, et ce théâtre a pris durablement dans les esprits l’identité d’un
théâtre bourgeois – ce qu’il fut, mais pas avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Il ne s’agit pas
de remplacer ce refoulement par une légende, en faisant de ses quatre fondateurs des militants radi-
caux préparant la révolution ! Leur ambition, plus modeste, mérite pourtant d’être prise en compte :
inscrite dans les murs du théâtre, elle oriente son centenaire vers des chemins inatten- dus.
Les cent ans de la Comédie seront l’occasion de découvrir cette histoire méconnue et de mesurer les
grandes évolutions de la vie théâtrale tout au long du siècle. Les festivités réuniront spectateurs, ar-
tistes et chercheurs autour d’une série de concerts, d’une publication et d’un spectacle créé par Nalini
Menamkat, intitulé 1913.
1913 - 2013
Musique
Quel est l’héritage de la modernité du début du siècle? Telle est la question posée à travers ces jour-
nées exceptionnelles pour célébrer le organisées à l’occasion du centenaire de la Comédie. Sur les
traces En s’inspirant des initiateurs de la Comédie de Genève, soucieux de mettre l’art au service de la
population, le programme musical 1913-2013 imaginé par Philippe Albèra présente une sélection parmi
les grandes œuvres de la modernité entend mettre en relation des œuvres significatives de 1913 avec
deux démarches contemporaines: celles de Pierre Boulez et de Ste- fano Gervasoni.
1913 est une date symbolique et forte : elle marque l’apothéose d’une évolution artistique qui, de- puis
les premières années du XXe siècle, a bouleversé les formes de l’art dans tous les domaines. Dans tous
les arts, ce sont les fondements mêmes des langages qui sont repensés. Ce moment de créativité inten-
se et de reconfiguration de la sensibilité précède de peu la guerre de 14-18, qui mettra fin aux élans
novateurs: il en résultera, en 1918, une tendance généralisée au néoclassi- cisme, loin de l’imaginaire
flamboyant de l’année 1913.
C’est ainsi que Schoenberg présente son Pierrot lunaire, composé pour une diseuse de cabaret litté-
raire berlinois, expérimentant le fameux Sprechgesang (parlé-chanté); mais il compose aussi un bref
opéra, Die glückliche Hand (La Main heureuse), où il tente de lier certaines structures musi- cales à la
projection de lumières colorées, dans l’esprit d’un art total. Les deux œuvres consacrent une écriture