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Le coup de foudre
J
e suis à Jérusalem ! Toute ma vie, j’ai rêvé de voir
Jérusalem, la ville d’or. Yerushalayim shel zahav.
Le soleil fait mine de s’écraser sur la cité de David,
en ce vendredi veille de sabbat. On dit erev shabbat,
dans la langue hébraïque, apprendrai-je plus tard.
Une journée marquée d’une grande frénésie avant
que ne s’impose le repos du septième jour. Shabbat
shalom, la paix du sabbat. Mon premier voyage
en Israël s’achève, nous repartons dimanche. Les
avions d’El Al, les lignes aériennes israéliennes ne
volent pas le samedi. C’est tant mieux car samedi,
je serai malade comme un chien, enfermée dans
ma luxueuse suite de l’hôtel historique King David.
Mais ça, je ne le sais pas encore.
Au Moyen Âge, on croyait que la Terre sainte
était le centre du monde, et Jérusalem, le centre du
centre. C’est sous la coupole dorée du monument
islamique qui domine la ville, le Dôme du Rocher,
que se trouve la Pierre de fondation, le nombril du
monde à partir duquel Dieu aurait créé la Terre,
selon les textes sacrés juifs, chrétiens et musulmans.
À lire les journaux d’aujourd’hui, rien n’a changé.
Aucun autre pays de huit millions d’habitants ne
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génère autant de colonnes d’encre dans les journaux
et d’images à la télévision. Mais à ce moment-là, je
ne savais pas non plus qu’Israël, son peuple et son
Dieu deviendraient le centre de ma vie.
J’étais venue en Israël pour mon travail de jour-
naliste. Je remplaçais une collègue tombée malade à
quelques jours du départ. J’allais me joindre à deux
autres journalistes canadiennes : Sara, de Toronto,
et Tracy, de Vancouver. Notre mission ? Découvrir
la gastronomie israélienne –oui, ça existe ! Pas vrai-
ment mon domaine d’expertise, mais je me disais
que j’aurais sans doute l’occasion de m’échapper
pour aller airer d’autres sujets plus substantiels.
À Gaza ou en Cisjordanie, par exemple. Mais la
veille de notre départ, un extrémiste juif a abattu
29 musulmans en prière et en a blessé 125 autres
au tombeau des Patriarches, lieu de sépulture pré-
sumé de Sara, femme d’Abraham, à Machpelah,
près d’Hébron, en plein cœur des territoires pales-
tiniens. J’étais certaine que le voyage serait annulé,
mais non. Le représentant du gouvernement israé-
lien nous a dit : « Chez nous, la vie continue. » Mais
il était bouleversé. Un Juif qui se dit pieux ne tue
pas des gens en prière. Cela va à l’encontre de
toutes les croyances. Le pays était choqué jusqu’à
la moelle.
Les territoires ont été bouclés pendant toute la
durée du voyage, à cause de la violence qui a suivi
la tuerie. Les Palestiniens étaient révoltés, avec
raison. Je n’ai pas pu m’y rendre, moi qui espérais
prendre le pouls, voir de mes yeux vivre les femmes
palestiniennes, les enfants et les vieillards. J’ai
remis ça à un autre voyage. Je savais que je revien-
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drais en Israël, dont j’étais devenue amoureuse
dès les premiers instants à l’aéroport international
David-Ben-Gourion. Mais qui aurait cru que
j’allais aussi tomber amoureuse du judaïsme et sur-
tout du hassidisme ?
Sara, une de mes compagnes de voyage, s’en est
doutée dès les premiers jours.
Ce récit n’est pas un guide touristique d’Israël.
Ni un outil de promotion pour un peuple ou une
religion. Je raconte seulement mon histoire juive
à moi, la seule que je connaisse.
Il existe en Israël, comme à Florence, une
étrange maladie qui fait perdre la boule à des tou-
ristes autrement sains d’esprit et qui se prennent
tout à coup pour le roi David, Jésus, Mahomet
ou Léonard de Vinci. Le seul remède connu : le
patient doit quitter l’endroit qui le perturbe pour
redevenir lui-même. Sans autre forme de trai-
tement. Les psychiatres appellent cela « le syn-
drome de Jérusalem ». À Florence, on parle de
« syndrome de Stendhal ». À Jérusalem, le célèbre
hôpital Hadassah consacre une aile psychiatrique à
cette étrange maladie, le Kfar Shaul Mental Health
Center. La clientèle ne manque pas, me dit-on.
Je sais que je n’ai pas été frappée par le syndrome
de Jérusalem. Ce qui m’est arrivé est aussi réel, aussi
concret que les pierres du mur des Lamentations,
là où ma vie a basculé. Ça ne pouvait être le syn-
drome de Jérusalem parce que mon état ne s’est
pas amélioré quand je suis revenue à Montréal. Il
s’est accentué.
À ce jour, je ne comprends pas ce qui m’est
arrivé. Ce qui s’est passé en moi. Comment une
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Québécoise de souche, née à Montréal-Est, ayant
grandi dans Hochelaga-Maisonneuve, éduquée
chez les Franciscaines et les sœurs des Saints Noms
de Jésus et de Marie, divorcée, mère de deux lles,
Ingrid et Devon, qui gagne sa vie comme jour-
naliste depuis l’âge de seize ans et dont la devise
est « Le doute est ma seule religion », comment
donc quelqu’un comme moi pouvait-il ressentir
l’appel d’une tradition plusieurs fois millénaire
dont j’ignorais à peu près tout ?
Depuis vingt ans, je me pose les trois mêmes
questions : pourquoi moi ? Pourquoi ça ? Pourquoi
maintenant ?
Écrire ce récit va peut-être m’aider à trouver
enn la réponse, deux décennies après ma ren-
contre avec le judaïsme. Mais j’en doute. Rien dans
ma vie n’a été aussi étrange et peu de choses ont
été aussi vraies.
Retournons à Jérusalem, en ce vendredi après-
midi du printemps de 1993. Je viens d’avoir trente-
sept ans. Et j’ai terminé ma première année de
sobriété. Finie, la cocaïne dont je me servais pour
contrôler une dépression chronique. J’étais passée
à un cheveu de la mort. Ma vie reprenait son cours.
Du bout des doigts, je touchais enn au bonheur
pour la première fois depuis très longtemps. Mes
problèmes s’aplanissaient, un à un. Les rédacteurs
en chef recommençaient à me coner des repor-
tages. Je me rapprochais de mes lles. Je n’avais
pas beaucoup d’argent, mais de bons amis venaient
déposer des sacs d’épicerie devant ma porte et
payer mon loyer quand j’étais fauchée. Je recom-
mençais ma vie à zéro.
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