Moïse, modèle de l`Appelé - Brève contribution à la catéchèse

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MOÏSE, MODÈLE DE L'APPELÉ
BRÈVE CONTRIBUTION À LA CATÉCHÈSE (010)
EXTRAIT DU COURS SILOÉ LAUSANNE 2009 2012
(10.0) : SÉANCE DU 16 FÉVRIER 2010
J.M. Brandt, Dr en théologie
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SILOÉ LAUSANNE 2009 2012
(10.0) : SÉANCE DU 16 FÉVRIER 2010
(10.1) MOÏSE, MODÈLE DE L'APPELÉ
10.1.1 INTRODUCTION, BUT ET ENJEU
- INTRODUCTION
Le processus de dévoilement du sens de la Création, ou Révélation, se poursuit selon la pédagogie
que Dieu, qui est d'un autre ordre, un ordre qu'on qualifie de transcendant, applique à la créature.
Celle-ci, incarnée et limitée dans son immanence, est à la recherche du sens ultime que comporte
son existence. Moïse est appelé contre son g pour accomplir l'Exode. L'Exode est la geste
fondatrice du peuple et de la nation juive, qui passent, de l'esclavage d'un souverain terrestre, au
service du Seigneur, Dieu unique et transcendant. La naissance de l'identité juive, qui fait suite à
l'identité hébraïque, procède d'un processus d'adossement-rejet à l'Egypte, au polythéisme, à
l'idolâtrie, au souverain «lieu-tenant» de Dieu. Cette geste fondatrice est écrite en partie au temps
de l'exil à Babylone et en partie au temps du retour en Juda. Influencée par la civilisation
mésopotamienne, à la recherche d'une identité propre, elle fait l'impasse sur le cadre politique
babylonien, trop proche, trop sensible politiquement et s'adosse à l'entité égyptienne, comme la
Vérité se définit par rapport à l'Erreur.
Dans cette perspective politique, à la fois clairement théologique et nationaliste, la vocation de
Moïse est celle de l'appel du Dieu d'Israël, unique et transcendant, qui confère son identité et sa
motivation au peuple et à la nation juive. La vocation de Moïse prolonge et accomplit la vocation
universelle de l'Hébreux Abraham, en l'ancrant dans la singularité du Peuple élu. L'appel de Moïse est
une forme de rédemption, de résilience, après l'échec de Yahvé, le plus puissant des dieux, qui a
laissé liquider le Royaume du Nord, repeupler la Terre promise avec des étrangers polythéistes, exiler
l'élite de Juda et détruire le Temple de Jérusalem. La vocation de Moïse est l'appel au Prophète qui,
par l'instrument de la Torah (la Loi), médiatise l'ordre divin, le met à portée et sous la compétence de
l'humanité libre et volontaire. Le peuple juif est le peuple prêtre, saint, élu, dont la vocation est
d'ouvrir la vocation de Moïse au monde, en lui offrant la Torah.
Nous commencerons par l'indispensable mise en perspective théologique de la vocation de Moïse,
qui intervient, nous dirons «à point nommé», au moment pertinent qu'a choisi la Pédagogie divine.
Nous poursuivrons par le personnage de l'appelé : Moïse, et nous nous placerons de manière à
entendre la vocation, ou l'appel, qui a fait de lui, le plus modeste des hommes, le plus grand de tous
les Prophètes. Notre conclusion portera sur l'orientation du modèle mosaïque par rapport à nous.
N.B. : nous rappelons au lecteur nos deux contributions précédentes sur Moïse : "Exégèse de la vita
Mosis"1 et "Distinction mosaïque".2
1 Cf. notre contribution 3.3.5
2 Cf. notre contribution 3.3.6
3
- BUT ET ENJEU
Le but est ici de nous mettre, non pas à la place de Moïse, mais d'entrer dans son personnage, afin
d'entendre et personnaliser ce que fut l'appel divin à la Grâce de Dieu révélé unique et transcendant,
et au don médiatique de la Loi (Torah, ou Pentateuque).
L'enjeu consiste à vivre pour soi, ici et maintenant, cette vocation, cet appel divin, qui a fait de Moïse
le Prophète qui accomplit, dans le concret, la promesse de l'Alliance universelle d'Abraham. Tandis
que l'Alliance d'Abraham repose sur la Foi, le média de la Torah repose sur les œuvres. C'est
l'ouverture au futur binôme chrétien (paulinien) de la Foi et des actes (des œuvres), dans la tension
duquel la Foi se révèle la plus forte, mais pas sans les œuvres.
10.1.2 MISE EN PERSPECTIVE THÉOLOGIQUE
De cosmogonique, la Révélation a pris successivement les dimensions anthropocentrique,
mythologique, et ethnique avec les Patriarches. Les atteintes à l'ordre divin, qui ont déjà été
nombreuses et insolentes d'orgueil, prouvent que la créature est douée de connaissances, de
volonté, de raison et de libre-arbitre. Ces atteintes mettent en exergue la patiente attente du
Créateur, constamment à la recherche de moyens de médiations qui préservent le principe d'altérité.
L'altérité est un principe qui est au fondement de l'ordre divin de la Création. Il consiste à médiatiser
le rapport ou la relation entre deux Etres d'un ordre différent, en surplomb infranchissable l'un par
rapport à l'autre : Dieu ne peut faire tomber sa Grâce sur l'Homme : il écraserait son moi
authentique, son identité, sa personnalité avec ses forces et ses faiblesses. L'Homme, quant à lui, ne
peut atteindre à l'Absolu divin. Dieu et l'Homme sont en constante recherche ou besoin l'un de
l'autre. Leur réunion est, pour les Chrétiens, depuis Saint-Paul, l'agapé ou l'union dans l'amour qui
partage, et non pas la fusion dans l'amour qui possède. Le premier fait vivre, la seconde détruit. Dieu
révèle progressivement le rapport de médiation qui permettra à sa créature de vivre l'altérité. Le
principe d'altérité s'applique non seulement entre Dieu et l'Homme (Adam, Eve et Yahvé-Dieu), mais
également entre époux et entre frères (Caïn, Abel). Il est au fondement de l'ordre divin.
Le décor et la dynamique de Création une fois reliés par la Parole (ils sont simultanément présentés
et concrétisés), les conditions de l'ordre divin pour la créature étaient dès lors posées et la
transgression par l'Adâ3 a pu s'accomplir. Il fallait que le Projet continue et que la créature
survive. Nommée à ce moment de crise et de résilience "la Vie"4 par son mari, Ève va mettre au
monde Caïn. Ève sera la matrice de la vie par délégation de compétence divine, dans le respect du
mandataire et du mandant, soit dans le maintien du lien de continuité (ou d'altérité) avec Dieu :
"l'homme connut Ève, sa femme ; elle conçu et enfanta Caïn et elle dit : «J'ai acquis un homme de
par Yahvé.»"5
La première transgression marque le principe de l'altérité de l'Homme par rapport à Dieu. Son
caractère est si fondamental, qu'elle passe par la régression de l'ordre du couple et se solde par une
résilience qui répond à un fondement de même nature, mais d'un autre ordre : l'espérance de vie est
désormais en mains de l'Homme et de la Femme, devenus, de ce fait, «comme vous et nous», Eve et
Adam, avec qui nous partageons la même responsabilité vis-à-vis de la Création et de la vie.
3 Cf. notre contribution 7.2.1, dès page 5 sur 12.
4 Cf. TOB, note o ad Gn 3, 20
5 Gn 4,1
4
La seconde transgression est celle de Caïn, qui s'exprime également contre l'ordre divin, mais dans la
relation de l'homme à l'homme : celle du frère à son frère, mais aussi dans le lien à tout homme,
chaque homme étant un frère. L'enjeu est ici le maintien de l'équité dans une Création où les
ressources, par définition, ne sont pas équitablement réparties (comme c'est le cas entre Caïn et
Abel), provoquant la juste jalousie qui s'ensuit. La transgression n'est pas la jalousie, mais le refus de
l'altérité et des différences entre les hommes (les ressources ne sont pas et ne peuvent pas être
justement réparties). La seconde transgression se solde par une nouvelle rédemption qui ouvre à
nouveau sur la résilience : Caïn, qui connaît, c'est une première, l'angoisse d'un monde sans Dieu, est
marqué du "sceau du prophète" qui, par le nom de Yahvé le protégera de toute vengeance : "…Yahvé
mit un signe sur Caïn, afin que le premier venu ne le frappât point."6
Les transgressions à l'ordre divin se multiplient par la suite, malgré la présence de proximité,
physique, ou immédiate, de Dieu. Une troisième phase de rédemption intervient avec possibilité de
résilience : ce sont les Sept Lois universelles de Noé, apparues dans l'expression plastique de l'Arc-en-
ciel. Cette nouvelle approche en médiation va davantage dans le sens de la créature et de ses
faiblesses. Elle est une concession partielle à sa nature. Mais cela ne suffira pas, car l'homme se
révèle décidément "méchant" et commet une nouvelle transgression de l'ordre divin, avec la volonté
cette fois de centraliser le pouvoir dans une administration urbaine théocratique qui se veut à la
hauteur des puissances célestes. Après Babel, Dieu décide d'aller encore plus profondément dans le
sens de sa créature, par une médiatisation encore plus poussée vers l'humain : il disperse l'humanité
en différentes cultures, réduit la durée de vie de l'homme à cent vingt ans, et concentre sa Parole sur
un peuple choisi en-dehors des Nations et qui finit par faire l'impasse sur toute relation à un
souverain autre que lui.
Une nouvelle rédemption avec son potentiel de résilience pour l'humanité intervient alors par
Abraham et l'Alliance à la fois universelle et ancrée dans un peuple. Le peuple hébreux devient
Nation par le lien des Patriarches, et Jacob révèle un nouveau type de médiation divine : le vœu. Il
illustre de plus le lien avec la transcendance, par la médiation des anges qui montent une Echelle
encore bien terrestre, et il marque le lien avec la future Nation Israël en conquérant son nom d'Israël
dans une lutte allégorique avec Dieu en personne. L'origine du peuple et de la nation porteurs de la
Parole pour le compte de l'humanité est désormais définie dans le temps et dans l'espace. L'ordre
divin, celui de l'altérité dans la transcendance, ultime conditionnement de la rédemption pour
l'homme, est maintenant posé clairement. Il reste à inventer (révéler) le principe radical du Dieu
unique et de la Loi de la Création : le nom de Yahvé et la Torah. Ce sera l'appel ou la vocation de
Moïse.
10.1.3 MOÏSE OU LE MODÈLE DE LA VOCATION
- LA PERSONNALITÉ DE MOÏSE
N.B.: Pour un portrait de Moïse conforme au consensus actuel, le lecteur est prié de se référer à
notre contribution 3.3.5. Nous nous limitons ci-après à quelques compléments destinés à souligner le
profil de l'appelé. Ce profil nous permettra de lancer le dialogue dramatique de l'appel et de la
réponse.
6 Gn 4,15
5
Moïse, à qui la tradition attribue la rédaction de la Torah (le Pentateuque), et qui aurait vécu au
temps de la XVIIIème dynastie égyptienne, n'est pas un personnage historique, mais un personnage
de mémoire.7 Il n'est ni un fondateur de religion, ni l'inventeur du monothéisme, mais un appelé de
Dieu, et un descendant, par le corps et l'esprit, d'Abraham, le Père de tous les Croyants en Dieu et en
l'Alliance. Il est un appelé, sa vocation est sa vie, sa vie est son œuvre. Le destin de Moïse, jusqu'à sa
mort qui est la douleur de ne pouvoir atteindre son but, la Terre promise, est un destin terrestre, et
l'identité du plus grand des Prophètes se définit en premier lieu par ses côtés humains, ses faiblesses,
notamment sa pusillanimité, ses hésitations, ses coups de sang et ses colères, et son humilité, puis
aussi par sa fidélité et son écoute à l'appel de Yahvé. "L'homme Moïse était très humble, plus que
tout homme sur la face de la terre."8
Dieu lui parle et, sans autre, sans transe, sans exaltation ni extase, aussitôt, comme à un égal, dans la
simplicité du face-à-face, il répond : "Me voici." Dieu l'appelle à sa vocation et lui donne ses
instructions. Moïse insiste pour ne pas donner suite, avance des excuses, mais il finit par obtempérer.
Il n'est pas un homme d'initiative et n'en prend point. Sa mort n'est, au contraire de ce qu'elle est
pour les destins-phares, ni aboutissement, ni accomplissement, mais un arrêt. C'est l'arrêt du mortel
dans sa condition naturelle de finitude. Moïse est révélé comme un modèle, un modèle à notre
portée. "Par la mort, Moïse fut rivé à l'ici-bas, et c'est elle qui, éclairant à rebours le sens de la vie de
Moïse, l'érige en symbole de la condition terrestre."9 En bref, comme nous l'avons développé
auparavant10, Moïse est celui dont la puissance est dérivée. Sa force, qu'il tire de sa faiblesse même,
n'est en rien la sienne, mais bien celle de Dieu. C'est que Moïse est un modèle de Foi, qui, comme tel,
entre dans la matrice abrahamique.11
Humble au point de figurer un nouvel Adam fait de poussière et de boue, au fondement de la
création de l'Humain, nous dirons homme «authentiqupar excellence, Moïse se présente, dans sa
simplicité et avec ses travers, comme un modèle d'être humain avant tout, et qui le reste malgré son
rapport avec Dieu de Premier des Prophètes. Abraham, nous l'avons vu12, est le modèle de tout
croyant, Moïse est le modèle de tout appelé. Le premier, Patriarche de l'humanité et le second,
Prophète des Prophètes, se complètent dans leur identité, pour nous révéler ce qu'est l'identité de
tout être humain, de «vous et nous», dans la vocation (l'appel) de l'être créé à l'image divine et
appelé à passer13, avec la Grâce de Dieu et dans la Foi, le mystère de la finitude.
L'homme «authentique», celui qui se fait assez petit, ou humble, pour laisser toute sa place à Dieu,
pour répondre à sa vocation, à son appel, et laisser agir à-travers lui son Créateur, sans perdre rien
de sa personnalité avec ses forces et ses faiblesses, comme le prophète qui ne parle jamais en son
nom, nous tous nous sommes appelés, tous nous avons la vocation de Dieu ou du prophète, chacun
selon le profil et les attentes qui nous sont propres.
7 Cf. notre contribution 3.3.5
8 Nb, 12,3
9 NEHER, André. MOÏSE et la condition juive, Paris, Editions du Seuil, 1958
10 Cf. Notre contribution 3.3.5
11Cf. Notre contribution 8.1.4
12 Cf. notre contribution 9.1
13 Cf. notre contribution 9.1 : Ivri : l'Hébreu, le passeur, le diasporique.
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