5
Moïse, à qui la tradition attribue la rédaction de la Torah (le Pentateuque), et qui aurait vécu au
temps de la XVIIIème dynastie égyptienne, n'est pas un personnage historique, mais un personnage
de mémoire.7 Il n'est ni un fondateur de religion, ni l'inventeur du monothéisme, mais un appelé de
Dieu, et un descendant, par le corps et l'esprit, d'Abraham, le Père de tous les Croyants en Dieu et en
l'Alliance. Il est un appelé, sa vocation est sa vie, sa vie est son œuvre. Le destin de Moïse, jusqu'à sa
mort qui est la douleur de ne pouvoir atteindre son but, la Terre promise, est un destin terrestre, et
l'identité du plus grand des Prophètes se définit en premier lieu par ses côtés humains, ses faiblesses,
notamment sa pusillanimité, ses hésitations, ses coups de sang et ses colères, et son humilité, puis
aussi par sa fidélité et son écoute à l'appel de Yahvé. "L'homme Moïse était très humble, plus que
tout homme sur la face de la terre."8
Dieu lui parle et, sans autre, sans transe, sans exaltation ni extase, aussitôt, comme à un égal, dans la
simplicité du face-à-face, il répond : "Me voici." Dieu l'appelle à sa vocation et lui donne ses
instructions. Moïse insiste pour ne pas donner suite, avance des excuses, mais il finit par obtempérer.
Il n'est pas un homme d'initiative et n'en prend point. Sa mort n'est, au contraire de ce qu'elle est
pour les destins-phares, ni aboutissement, ni accomplissement, mais un arrêt. C'est l'arrêt du mortel
dans sa condition naturelle de finitude. Moïse est révélé comme un modèle, un modèle à notre
portée. "Par la mort, Moïse fut rivé à l'ici-bas, et c'est elle qui, éclairant à rebours le sens de la vie de
Moïse, l'érige en symbole de la condition terrestre."9 En bref, comme nous l'avons développé
auparavant10, Moïse est celui dont la puissance est dérivée. Sa force, qu'il tire de sa faiblesse même,
n'est en rien la sienne, mais bien celle de Dieu. C'est que Moïse est un modèle de Foi, qui, comme tel,
entre dans la matrice abrahamique.11
Humble au point de figurer un nouvel Adam fait de poussière et de boue, au fondement de la
création de l'Humain, nous dirons homme «authentique» par excellence, Moïse se présente, dans sa
simplicité et avec ses travers, comme un modèle d'être humain avant tout, et qui le reste malgré son
rapport avec Dieu de Premier des Prophètes. Abraham, nous l'avons vu12, est le modèle de tout
croyant, Moïse est le modèle de tout appelé. Le premier, Patriarche de l'humanité et le second,
Prophète des Prophètes, se complètent dans leur identité, pour nous révéler ce qu'est l'identité de
tout être humain, de «vous et nous», dans la vocation (l'appel) de l'être créé à l'image divine et
appelé à passer13, avec la Grâce de Dieu et dans la Foi, le mystère de la finitude.
L'homme «authentique», celui qui se fait assez petit, ou humble, pour laisser toute sa place à Dieu,
pour répondre à sa vocation, à son appel, et laisser agir à-travers lui son Créateur, sans perdre rien
de sa personnalité avec ses forces et ses faiblesses, comme le prophète qui ne parle jamais en son
nom, nous tous nous sommes appelés, tous nous avons la vocation de Dieu ou du prophète, chacun
selon le profil et les attentes qui nous sont propres.
7 Cf. notre contribution 3.3.5
8 Nb, 12,3
9 NEHER, André. MOÏSE et la condition juive, Paris, Editions du Seuil, 1958
10 Cf. Notre contribution 3.3.5
11Cf. Notre contribution 8.1.4
12 Cf. notre contribution 9.1
13 Cf. notre contribution 9.1 : Ivri : l'Hébreu, le passeur, le diasporique.