N° 1225 - Mai-juin 2000 -
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SANTÉ, LE TRAITEMENT DE LA DIFFÉRENCE
place des symptômes dans la reconstitution d’une histoire et de
l’interprétation de ces derniers” (un médecin), que s’organise la
problématique des soins.
Pour ma part, je m’interrogeais sur les raisons politiques qui pous-
sent, aujourd’hui, une institution publique française à prendre en
compte l’altérité des patients dans la résolution des troubles men-
taux et des déviances sociales. Je me suis donc présentée au sein
de l’association pour les nécessités de mon enquête et sur propo-
sition du médecin anthropologue. À ce moment-là, un conflit l’op-
posait à une partie de son équipe, conflit qui devait aboutir à une
scission. La notion de “culture d’origine”(4) était au cœur des
débats : les psychologues d’origine étrangère arguaient de leur qua-
lification à traiter les maladies de “l’Autre” du fait de leur propre
altérité. Ils ne percevaient pas la nécessité de ma présence, ni d’avoir
des connaissances anthropologiques. En fin de compte, leur pra-
tique thérapeutique était caractérisée par une méconnaissance
anthropologique de l’Autre.
DES PROBLÈMES
DE CATÉGORISATION ETHNIQUE
Après le départ des psychologues opposés à notre recherche, je
me suis alors instituée partie de l’objet d’observation lors des
consultations. Pari ambitieux certes, mais qui a le mérite d’accor-
der de l’intérêt anthropologique à un sujet à très haut risque idéo-
logique : l’ethnicisation de la thérapie. Les problèmes de nature
éthique et intellectuelle liés à cette question sont parfaitement éva-
lués et je me suis attachée à ne pas les éluder.
Au regard du bilan des années 1998-1999, il apparaît que les
demandes viennent de deux axes : des médecins des hôpitaux
(maternités de Pellegrin et de Saint-André, service des urgences,
service des suicidants), et des centres médico-sociaux de la com-
munauté urbaine de Bordeaux. Mais elles émanent également de
médecins généralistes ou d’associations d’aide sociale (association
Avenir Emploi, Samu social, Association girondine d’éducation et
de prévention)(5). Brièvement, on peut dire que les raisons qui pous-
sent les travailleurs sociaux ou les médecins à orienter leurs
patients vers ce type de consultation relèvent de trois domaines :
la surdétermination culturelle, l’échec de traitements médicaux ou
sociaux, ou l’admiration de la culture de l’autre(6). Malgré la vigi-
lance du médecin anthropologue de l’association quant aux caté-
gories utilisées lors du traitement des malades, son souci de ne pas
mettre la culture de l’autre “en conserve”(7), et l’utilisation de l’an-
4)- À l’époque,
sur le prospectus
de l’association, l’un d’entre
eux, Ivoirien, se qualifiait
de psychologue-ethnologue
sans avoir effectué d’études
d’ethnologie. Certains
revendiquaient une sorte
de leadership ethnique
au sein de l’association.
Nous avons abordé cette
question dans un article
dans les actes du colloque
Les enjeux de l’interculturel,
coll. “Espace interculturel”,
L’Harmattan (à paraître).
5)- Au sujet de
“la distribution des rôles”
entre séances
d’ethnopsychiatrie
et structures d’aides sociales,
voir l’analyse de D. Fassin,
op. cité, p. 240.
6)- Ces raisons ont fait
l’objet d’un article,
“Le traitement de la
différence dans le choix
des malades orientés vers
une consultation pour
migrants”, dans la revue
Face à Face du laboratoire
CNRS, Société, Santé,
Développement
UPRES-A-5036, université
de Bordeaux-II (à paraître).
7)- R. Massé, Culture
et santé publique,
les contributions
de l’anthropologie
à la prévention et
à la promotion de la santé,
Gaëtan Morin éditeur,
Montréal, 1995, p. 470.