Ecoliers d`autrefois : 1790 - ICEM

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*** 47
1973
1790 – 1880
2ème partie
Comment vivaient les écoliers entre 1790 et 1880 ?
On a du mal à imaginer à quel point l’école a évolué !
Cette étude s’appuie avant tout sur les souvenirs de quelques auteurs : Stendhal, Erckmann et
Chatrian, Balzac, Vallès, Lavisse… avant de proposer au lecteur des commentaires, et des pistes
de réflexion et de recherche.
1ère partie : la vie matérielle des écoliers
2e partie : l’organisation de la scolarité
Mots-clés :
Châtiment corporel, condition sociale, collège, compétition, dortoir, école primaire, émulation, discipline, écolier,
éducation, instituteur, instruction, internat, Jésuites, lecture, lycée
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SOMMAIRE
LE RETOUR DES HUMANITES
I. Un nouveau départ : les lycées impériaux
Document 11 : LE LYCÉE NAPOLÉON VU PAR CHARLES DE RÉMUSAT
a) avant l'entrée au lycée : l'éducation dans la famille
b) de la grammaire avant tout: les méthodes du premier cycle
c) bilan du système: un travail qui exerce plus l'intelligence que la plupart des taches courantes
d) humanités ou enseignement scientifique ?
e) formation de l'intelligence ou de la sensibilité ?
f) la découverte de la philosophie
g) un professeur d'un style nouveau
h) la philosophie du xvllle siècle et les idées de la révolution
FICHE DE TRAVAIL
Sur le document 11
2. Un établissement au goût du jour
Document 12 : SAINT-NICOLAS DU CHARDONNET
FICHE DE TRAVAIL
Sur le document 12 : Ernest Renan : SOUVENIRS D'ENFANCE ET DE JEUNESSE
3. Prestige de la rhétorique
Document 13 : UN PROFESSEUR MÉTICULEUX
FICHE DE TRAVAIL
Sur le document 13 : Ernest Lavisse : SOUVENIRS
Document 14 : LES HUMANITÉS : JULES VALLÈS AU COLLÈGE ROYAL DE NANTES VERS 1848
FICHE DE TRAVAIL
Sur le document 14 : Jules Vallès : JACQUES VINGTRAS, L’ENFANT
4 . Ecole et société
Document 15 : PROCÈS DE L'ECOLE PAR ERCKMANN-CHATRIAN
FICHE DE TRAVAIL
Sur le document 15
Document 16 : UN BACHELIER
FICHE DE TRAVAIL
Sur le document 16
FICHE-GUIDE : les méthodes de l’enseignement littéraire - LA RHÉTORIQUE
LE BACCALAUREAT
Document 17 : JULES VALLÈS PASSE SON BACCALAURÉAT À LA FACULTÉ DE RENNES
FICHE DE TRAVAIL
Sur le document 17
FICHE-GUIDE : le baccalauréat
ADULTES ET ENFANTS
Document 18 : J ules Re na rd : PO IL DE C AR OT TE
FICHE DE TRAVAIL
Sur le document 18
FICHE-GUIDE : sur le texte de Jules Renard : rapports parents-enfants
FICHE-GUIDE : l’œuvre scolaire de la Révolution
FICHE-GUIDE : sur les institutions scolaires de 1802 à 1830
FICHE-GUIDE : sur les institutions scolaires de 1830 à 1880
-----------AUTEUR : Geneviève DURAND
COLLABORATEURS :
les classes de Mesdames JAFFÉ, LEGROS, et SIMON ; de MM. BOURCART, COUSTIER et GROSSO.
Iconographie : archives A.Dhénin
Maquette : A.Dhénin juiller 2007
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LE RETOUR DES HUMANITES
I. Un nouveau départ : les lycées impériaux
Document 11
LE LY CÉE NAPO LÉ ON VU P AR CH ARLES DE RÉ MUS AT
a) AVANT L'ENTRÉE AU LYCÉE : L'ÉDUCATION DANS LA FAMILLE
J'avais de la facilité et de la paresse, de la mémoire et peu d'attention. Je ne savais pas prendre de
peine ni travailler seul... Je suivais les leçons de l'abbé Halma avec peu de goût... Mon père qui avait
conservé un bon souvenir du collège de Juilly, m'en parlait souvent et me faisait de la vie scolaire des
peintures qui me plaisaient beaucoup. Cependant je ne savais pas même si j'irais au collège. Je ne
savais même pas où il y avait des collèges. Les institutions de l'instruction publique étaient de date
récente, encore informes à certains égards et à peu près inconnues dans le monde. On en avait assez
mauvaise idée ; on les regardait comme l’œuvre des philosophes de la Révolution. Une ou deux
institutions privées, celle d'un M. Lemoine, celle d'un M. Loiseau, avaient été d'abord les seules maisons
d'éducation où les gens comme il faut consentissent sous la République, à envoyer leurs enfants.
Fourcroy qui était encore à la tête de l'Instruction publique était facilement taxé de jacobinisme ou de
matérialisme. Quand je pensais que j'entrerais un jour au collège, j'étais donc dans le vague, et cela me
semblait encore loin. Mes parents avaient été, je crois, longtemps dans la même ignorance; mais enfin,
mon père avait reconnu l'insuffisance de mes études. Il était évident qu'à continuer ainsi je ne ferais
jamais de progrès solides. A tous égards, la vie m'était trop douce et trop facile. Je ne puis m'empêcher
de croire que la plupart des éducations particulières qu'on donne aux enfants du beau monde doivent
ressembler à celle par laquelle j'avais commencé; tout ce qui ressemble à celle-ci m'apparaît si propre à
faire des hommes médiocres, je dis trop peu, à ne pas faire des hommes que je m'étonne qu'il n'y ait
pas une plus grande distance des élèves de l'instruction publique aux victimes de l'éducation
particulière.
b) DE LA GRAMMAIRE AVANT TOUT: LES MÉTHODES DU PREMIER CYCLE
(Rémusat entre au lycée en 1807 comme interne: après l'enthousiasme des premiers jours, il doit
vaincre les difficultés imposées par le régime de l'internat et la vie collective. Il ne peut s'empêcher de
comparer la culture familiale et la cuistrerie de son premier maître.)
C'était un cuistre, n'ayant ni érudition, ni goût, ni littérature mais sachant à fond les humanités
élémentaires. C'était un excellent maître de rudiment, un véritable instrument de collège... J'appris ainsi
le latin en moins de six semaines. C'était le latin de Lhomond, c'est-à-dire un latin qui n'est pas le vrai ;
et l'on a prouvé depuis, par des citations des Anciens, que la plupart des règles sont inexactes. Mais
c'étaient celles de l'ancienne Université, du latin classique, du latin français...
(Ce maître) ne s'occupait absolument que de ses thèmes latins. A peine nous faisait-il apprendre un peu
d'histoire, en nous donnant à lire les Eléments de l'abbé Millot avec une ou deux cartes sous les yeux.
Point d'autres lectures d'ailleurs pendant trois ans que je suis resté sous ses ordres. Ce que je pouvais
avoir de culture littéraire était sans prix à ses yeux. Il ne voyait là que distraction frivole et mondaine et
m'en faisait honte comme d'un mauvais divertissement. Tout ce qui n'était pas thème et version était
traité de même...
c) BILAN DU SYSTÈME: UN TRAVAIL QUI EXERCE PLUS L'INTELLIGENCE
QUE LA PLUPART DES TACHES COURANTES
Une telle étude exerce l'esprit et forme le goût. La difficulté, fort grande vraiment, d'appliquer exactement
ces connaissances aux devoirs de classes développe nos facultés de travail. Notre intelligence y devient
laborieuse au point que la plupart des besognes du reste de la vie paraissent légères en comparaison,
car peu demandent autant d'efforts. C'est assurément là ce que nous rapportons de meilleur du collège.
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d) HUMANITÉS OU ENSEIGNEMENT SCIENTIFIQUE ?
Mais enfin, ces objets sur lesquels on nous exerce, sont, pour ainsi dire, des accidents de la langue et
de la littérature. Les vérités des mathématiques sont éternelles et nécessaires. Les vérités de l'histoire
naturelle sont universelles et permanentes. Celles qui composent la science des humanités sont
particulières, contingentes, de pure forme en quelque sorte et n'intéressent que le petit nombre. On me
dira que l'expression suppose toujours une pensée et qu'on n'apprend pas une langue sans apprendre
ce dont elle parle. Sans doute, et je n'ai pas dit qu'il ne nous restait absolument rien des idées
exprimées dans nos auteurs. Mais ce gain se faisait par-dessus le marché. On ne nous le recommandait
nullement, on nous parlait des mots, non des idées.
e) FORMATION DE L'INTELLIGENCE OU DE LA SENSIBILITÉ ?
Jamais un jugement sur la valeur d'une maxime, sur la moralité d'une action. Nos professeurs
d'humanités ne nous exprimaient pas une opinion religieuse, politique, morale même, et c'est, je crois,
qu'ils n'en avaient aucune. Il n'y avait pas de cours d'histoire alors; tout ce qu'on nous disait de l'histoire,
c'est que la narration devait être claire, rapide, animée, qu'il fallait que l'historien fût le peintre... Si l'on
nous avait demandé la différence de la morale de Cicéron à celle de Sénèque, nous n'aurions rien su
dire, sinon que le style de l'un était plus coulant que celui" de l'autre, trop haché. Les beautés mêmes de
la poésie dès qu'elles s'élevaient au-dessus d'une épithète qui fît image, ou d'une coupe de vers
imitative, passaient inaperçues dans l'explication littérale ou philosophique. Le commentaire manquait
au texte et la faculté de l'admiration, cette faculté qui ressemble à une vertu, était à peine cultivée. De
cet enseignement froid et sec résultait une jeunesse d'une intelligence aiguisée, d'un goût difficile,
propre à la critique des détails, mise en garde contre l'entraînement et l'enthousiasme, défiante,
indifférente, dénigrante, se connaissant aux phrases, et portée à croire que tout était phrasé. Elle était
libre d'esprit, c'était son plus grand mérite...
Je résistais au desséchement de notre éducation par un peu d'imagination rêveuse, par une certaine
sensibilité à l'harmonie de la parole, par l'amour des beaux vers, par l'admiration pour Racine et Virgile,
par un goût d'ignorant pour la peinture, par un goût un peu plus éclairé pour le théâtre, car celui qui ne
sait pas les procédés des arts ne peut les goûter que dans leurs rapports avec la nature et avec l'âme,
et la représentation des chefs-d'œuvre de la scène produit une impression plus émouvante qu'une leçon
de littérature.
f) LA DÉCOUVERTE DE LA PHILOSOPHIE
L'Université organisée depuis deux ans s'était peu à peu développée, en complétant les études selon
l'ancien système. Un de ces compléments était un cours de philosophie qui n'était pas obligatoire et qui
pouvait être suivi indifféremment par les élèves de rhétorique et de seconde. Dans la semaine qui suivit
la rentrée, on vint nous prévenir un matin que ce jour-là même, le professeur de philosophie
commencerait son cours immédiatement après notre classe.
Sans trop de réflexion, par désœuvrement ou vague curiosité, je me décidai d'assister à cette ouverture
de cours, sans me douter le moins du monde de ce que ce pouvait être. Cette résolution tout à fait
fortuite, que ni mon père, (...) ni personne ne m'aurait suggérée, est peut-être la plus importante que j'ai
prise de ma vie...
g) UN PROFESSEUR D'UN STYLE NOUVEAU
Je compris donc mieux ce que c'était que cette philosophie du XVlIIe siècle, dont je n'avais longtemps
ouï-dire que du mal et que maintenant j'apprenais à distinguer de ses abus et de ses erreurs. Il me serait
resté à lier la philosophie à la politique et à poursuivre le mouvement de l'esprit moderne jusque dans la
Révolution française. Mais ce pas, je ne le franchis point. Les convenances restrictives de
l'enseignement sous l'Empire et les opinions personnelles de notre professeur, qui était fort timoré en
politique, ne permettaient pas qu'on nous fît même entrevoir ces conséquences, et les préjugés de mon
éducation m'en éloignaient. Je m'en tins à la philosophie pure.
Charles de RÉMUSAT Mémoires de ma vie
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h) LA PHILOSOPHIE DU XVllle SIÈCLE ET LES IDÉES DE LA RÉVOLUTION
M. Fercoc était un ancien prêtre, quoiqu'il n'en eût pas l'air... Il avait, je crois, commencé par les
mathématiques. Il en avait le goût et paraissait bien les savoir. Il en avait conservé le goût de la
précision dans l'enseignement et l'habitude d'exprimer souvent sur le tableau des idées scientifiques par
des diagrammes et des symboles de son invention... A une connaissance exacte de la science comme il
la comprenait, il unissait une riche mémoire, une certaine chaleur d'âme, une sensibilité qui passait
jusque dans ses leçons. Il mêlait à ses déductions des récits, et plus souvent des citations empruntées
aux philosophes, aux orateurs, aux poètes. Les belles choses le touchaient; il ne pouvait les redire de
sang-froid ; j'ai vu ses yeux se rougir quand il prononçait certaines paroles. Un pareil ton dans la chaire
nous était bien nouveau et singulier. Il semble que cette sentimentalité (car il allait jusque là) aurait dû
nous paraître ridicule. Elle ne le fut jamais.
FICHE DE TRAVAIL
Sur le Do cument 11
Charles de Rémusat, né à Paris en 1797 ; sa famille appartient à la noblesse parlementaire à la fin de l'Ancien
régime. Sous le Consulat, ses parents eurent une fonction auprès de Napoléon et de Joséphine. Rémusat fit
ses études au lycée Napoléon de 1807 à 1813.
Homme politique, ministre sous Louis-Philippe, proscrit après le 2 décembre, Rémusat rédigea ses Mémoires
à partir de 1858. Ils furent publiés en 1958.
VOCABULAIRE
CUISTRE: Pédant vaniteux et ridicule - pédant qui manque de savoir-vivre (Robert).
RUDIMENT: Notions élémentaires de quelque science ou de quelque art (Robert).
Se disait, en particulier, des premiers éléments du latin: on appelait classes de rudiment, par opposition à la
rhétorique, ce qu'on a appelé quelque temps classes de grammaire et que nous appelons aujourd'hui
premier cycle par opposition au second cycle.
NOTES
Lhomond (1727-1794), latiniste et grammairien, auteur des ouvrages par lesquels commençait
l'apprentissage du latin: Deviris, Epitome, Eléments de la grammaire latine (1779).
Millot (1726-1785), auteur de Eléments d'Histoire de France (1767) et des éléments de l'Histoire
d'Angleterre.
THEMES DE REFLEXION
a) L'éducation dans la famille : avantages et inconvénients.
L'éducation reçue dans la famille est-elle, pour vous, plus importante ou moins importante que celle reçue à
l'école ?
b1) Le mépris de la culture littéraire chez le maître de rudiment.
Notez la différence avec l'Ecole centrale: Stendhal avait un cours de Belles-Lettres où il avait un panorama
des auteurs français jusqu'à Voltaire. Au lycée, la littérature française a disparu au profit de l'Antiquité selon
l'usage des collèges d'Ancien Régime où l'étude exclusive des Anciens, expurgés, idéalisés, permettait de ne
présenter que de nobles et vertueux exemples.
b2) Le mépris de l'histoire: il n'y aura pas de cours d'histoire à proprement parler avant 1826, l'agrégation
d'histoire est créée en 1830. Auparavant l'histoire est considérée comme une annexe des Humanités. On
donne à lire un livre d'histoire comme une détente, car l'histoire apparaît futile par son caractère anecdotique,
les Humanités ne visent qu'à ce qui est intemporel et permanent (cf. Snyders, « La pédagogie en France aux
XVlle et XVIIIe siècles », pp. 89, 90).
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c) L'effort à l'école : Que pensez-vous des réflexions de Rémusat sur l'effort réclamé de l'enfant par rapport à
l'effort réclamé de l'adulte ? Comparez sa position avec les systèmes pédagogiques que vous connaissez et
avec les opinions suivantes :
- Il faut savoir s'ennuyer d'abord. C'est pourquoi vous ne pouvez faire goûter à l'enfant les sciences et
les arts comme on goûte les fruits confits. L'homme se forme par la peine ; ses vrais plaisirs, il doit les
gagner, il doit les mériter. Il doit donner avant de recevoir, c'est la loi. (...)
L'homme fait doit se dire qu'il est en un sens moins raisonnable et moins sérieux que l'enfant. (Alain,
Propos sur l'éducation, V. p. 14, 15)
- L'individu veut naturellement acquérir le maximum de puissance, monter le plus haut possible, mais
avec un minimum de dépense d'énergie.
C'est pourquoi il a tendance à passer par les chemins déjà tracés, à employer les outils déjà réalisés, à
s'approprier l'expérience des autres pour aller plus loin qu'eux.
Si l'individu a assez d'allant, cette économie servira en définitive l'ascension et le progrès, puisqu'elle
ménagera des forces qui permettront d'aller plus avant encore.
(C. Freinet, Essai de psychologie sensible. 15e loi).
Un jour, quand l'homme sera sage,
Lorsqu'on n'instruira plus les oiseaux par la cage,
Quand les sociétés difformes sentiront
Dans l'enfant mieux compris se redresser leur front,
Que des libres essors ayant sondé les règles,
On connaîtra la loi de croissance des aigles
Et que le plein midi rayonnera pour tous,
Savoir étant sublime, apprendre sera doux.
Victor HUGO
A propos d'Horace, les Contemplations
d) La place de l'enseignement scientifique.
La place des mathématiques avait été réduite. Comparez ici encore avec l'Ecole centrale. En 1802, on
maintient la balance égale entre les mathématiques et le latin. En 1809, les mathématiques commencent
seulement en 3e. En 1821, elles commenceront après la Rhétorique pour la préparation aux grandes Ecoles.
Remises en 2" en 1826, elles seront encore reportées après la Rhétorique en 1840. C'est seulement en 1852
qu'est instituée au niveau de la 4" une bifurcation entre deux sections, l'une littéraire, l'autre scientifique.
Le baccalauréat scientifique fut créé également en 1852.
Les mathématiques sont-elles toujours ces vérités universelles et permanentes dont parle Rémusat ?
N'y a-t-il pas eu une évolution dans la présentation des questions et dans le contenu même des problèmes ?
Après Boole (1815-1864), Cantor (1845-1920), créateur de la théorie des ensembles, Hilbert (1862-1943), les
mathématiques du XX" siècle sont-elles encore les mathématiques des Grecs, de Pascal, de Descartes ?
e) La sécheresse, héritage du siècle précédent et l'éveil, chez les jeunes, de la sensibilité romantique.
f) Le caractère facultatif du cours de philosophie : il ne deviendra la terminale de l'enseignement littéraire
qu'en 1874 (cf. fiche guide p 26).
g) Philosophie et politique: influence des « philosophes » du XVIIIe siècle sur la Révolution. Séparation de
la philosophie et de la politique au lycée.
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2. Un établissement au goût du jour
Document 12
SAINT -N ICO LAS DU CH ARDON NET
Ayant obtenu tous les prix en 1838 au collège de Tréguier, Renan reçoit une bourse pour aller finir ses
études secondaires à Paris, au petit séminaire Saint-Nicolas-du-Chardonnet que l'abbé Dupanloup vient
de rénover dans un style humaniste et mondain.
Le monde s'ouvrit pour moi. Malgré sa prétention d'être un asile fermé aux bruits du dehors, SaintNicolas était à cette époque la maison la plus brillante et la plus mondaine. Paris y entrait à pleins bords
par les portes et les fenêtres, Paris tout entier, moins la corruption, je me hâte de le dire. Paris avec ses
petitesses et ses grandeurs, ses hardiesses et ses chiffons, sa force révolutionnaire et ses mollesses
flasques. Mes vieux prêtres de Bretagne savaient mieux les mathématiques et le latin que mes
nouveaux maîtres; mais ils vivaient dans des catacombes sans lumière et sans air. Ici, l'atmosphère du
siècle circulait librement. Dans nos promenades à Gentilly aux récréations du soir, nos discussions
étaient sans fin. Les nuits, je ne dormais pas : Hugo et Lamartine me remplissaient la tête. Je compris la
gloire que j'avais cherchée si vaguement à la voûte de la chapelle de Tréguier .
UNE MATIÈRE NOUVELLE : L'HISTOIRE
Le cours d'histoire fut pour moi une autre cause de vif éveil. M. l'abbé Richard faisait ce cours dans
l'esprit de l'école moderne, de la manière la plus distinguée. Je ne sais pourquoi il cessa de professer le
cours de notre année; il fut remplacé par un directeur, très occupé d'ailleurs, qui se contenta de nous lire
d'anciens cahiers, auxquels il mêlait des extraits de livres modernes. Or, parmi ces volumes modernes,
qui détonaient souvent avec les vieilles routines des cahiers, j'en remarquai un qui produisait sur moi un
effet singulier. Dès que le chargé de cours le prenait et se mettait à le lire, je n'étais plus capable de
prendre une note; une sorte d'harmonie me saisissait, m'enivrait. C'était Michelet, les parties admirables
de Michelet dans les tomes V et VI de l'Histoire de France.
TROP DE RHÉTORIQUE ET PEU DE MATHÉMATIQUE
Les compositions de pure rhétorique m'inspiraient un profond ennui ; je ne pus jamais faire un discours
supportable. A propos d'une distribution de prix, nous donnâmes une représentation du collège de
Clermont; les différents discours qui purent être tenus en cette circonstance furent mis au concours.
J'échouai totalement dans Pierre l'Ermite et Urbain II ; mon Godefroy de Bouillon fut jugé aussi dénué
que possible d'esprit militaire. (...) J'étais trop sérieux pour ces enfantillages. On nous donnait à faire des
récits du Moyen Age, qui se terminaient toujours par quelque beau miracle; j'abusais déplorablement
des guérisons de lépreux. Le souvenir de mes premières études de mathématiques, qui avaient été
assez fortes, me revenait quelquefois. J'en parlais à mes condisciples que cela faisait beaucoup rire.
Ces études leur paraissaient quelque chose de tout à fait bas, comparées aux exercices littéraires qu'on
leur présentait comme le but suprême de l'esprit humain. (...) J'étais d'une autre race qu'eux et je
continuerais à marcher quand ils auraient trouvé leur point d'arrêt. Mais en rhétorique, je laissai un
renom douteux. Ecrire sans avoir à dire quelque chose de pensé personnellement me paraissait dès lors
le jeu d'esprit le plus fastidieux.
Ernest RENAN
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FICHE DE TRAVAIL
Sur le Do cument 12
Ernest Renan : S OUVENIRS D'ENFA NCE ET DE JEUNESS E
Ernest Renan : né en 1823 à Tréguier, spécialiste des langues sémitiques, historien des origines du
christianisme, ayant quitté l'Eglise catholique pour des raisons intellectuelles, il appartient à une génération
plus éprise de rigueur scientifique que les précédentes ; auteur de l'Avenir de la Science (1848), la Vie de
Jésus qui le rendit célèbre (1863) ; son œuvre est contemporaine de celle de Marcelin Berthelot, Claude
Bernard (Introduction à la médecine expérimentale, 1865).
Les Souvenirs d'enfance et de jeunesse ont paru en 1883.
- Paris y entrait à pleins bords
Comparer cette brève évocation de Paris aux autres évocations romantiques que vous connaissez (par
exemple, le défi de Rastignac, à la fin du père Goriot, etc,)
- Le cours d'histoire dans l'esprit de l'école moderne : le Romantisme a fait de l'histoire un genre majeur
en mettant à la mode le particulier et l'éphémère, la couleur locale, le Moyen Age et les époques mal connues,
tout ce qu'avaient dédaigné les classiques. Les auteurs littéraires ont eu un rôle décisif dans cet engouement :
Walter Scott et Chateaubriand, en particulier.
Les historiens de l'école moderne sont très nombreux : Guizot, Quinet, Tocqueville, Thiers et surtout
Augustin Thierry et Michelet.
Les six premiers tomes de l'Histoire de France de Michelet ont été publiés de 1833 à 1844 ; le ve tome traite
de Jeanne dO Arc, le VIIe s'arrête à la mort de Louis XI. On sait que Michelet se consacra alors à l'histoire de
la Révolution de 1789 et ne revint que beaucoup plus tard à la période intermédiaire (XVIe, XVIIe, XVIIIe).
- Les sujets de discours proposés à Saint-Nicolas .
Comparer avec les sujets proposés à Jules Vallès ou à Lavisse. L'orientation moyenâgeuse témoigne du
modernisme de l'école puisque le Moyen Age ou la Renaissance inspiraient alors les écrivains les plus
célèbres (Hugo, Notre-Dame de Paris, 1831 ; Vigny, Cinq-Mars ; Mérimée, Alexandre Dumas, etc.).
- Le concile de Clermont: c'est là que, le 27 novembre 1095, le pape Urbain II lance le premier appel à la
Croisade dont Pierre l'Ermite fut le prédicateur populaire et Godefroy de Bouillon, le chef militaire.
- J'étais d'une autre race qu'eux : orgueil ? Conscience de sa singularité ? cf. réflexion du même genre dans
le document 13, point de vue de Lavisse,
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3. Prest ige de la rhé tor ique
Document 13
UN PROFESSE UR MÉTICU LEUX
M. Lemaire était surtout un professeur d'éloquence et l'homme du discours français ou latin. Il choisissait
avec soin ses matières, et l'on sentait qu'il avait plaisir à les dicter, paragraphe par paragraphe. Si nous
avions raté un discours, il reprenait sa matière, la faisait valoir et nous humiliait. ( . . . ) Il était sévère
surtout à ceux qui se permettaient d'ajouter un paragraphe ou d'en supprimer un: Comment, disait-il,
vous ne savez donc pas que, lorsqu'il me vient à l'esprit un sujet de discours, tout de suite, avec une
facilité dont je ne suis pas fier, je le 'vois se diviser en trois, en quatre ou en cinq paragraphes; et, quand
c'est trois, c'est trois; quand c'est quatre, c'est quatre; quand c'est cinq, c'est cinq. Je vous défends de
toucher à ma matière.
SOUS DES MASQUES DIVERS
Certes, nous fîmes trop de discours: je m'en suis plaint souvent depuis. Je revêtis successivement les
personnages les plus divers: Marsile Ficin, je prononçai devant le peuple de Florence l'éloge funèbre de
Cosme de Médicis ; Saint Bernard, je démontrai à l'assemblée de Chartres que je n'avais point à me
reprocher les désastres de la seconde croisade; Fréron, je réconfortai le poète Gilbert dans les
angoisses de ses miséreux débuts... Esclave de Sénèque, je profitai de la liberté des Saturnales pour
faire entendre à ce philosophe, ministre et courtisan de Néron, des vérités très dures...
UN EXERCICE IMPROBE ET DANGEREUX
Je me demande aujourd'hui d'où me vint l'audace de faire parler tant d'illustres gens que je ne
connaissais guère sur des choses que je ne connaissais pas davantage ; car nos maîtres ne nous en
disaient pas long sur ces personnages, ni sur leurs milieux, sur la cité romaine au temps des Scipions,
sur la Rome Impériale, sur la Chrétienté au temps de Saint Bernard, sur la querelle du Sacerdoce et de
l'Empire, sur la Florence des Médicis et sur l'Angleterre d'Elizabeth. Ce brillant exercice était improbe et
dangereux. Ceux qui ne s'aperçurent point plus tard qu'avant de parler, il faut savoir; que, pour savoir, il
faut apprendre; que, pour apprendre, il faut travailler avec méthode, demeurèrent des rhétoriciens, qui
auraient bien parlé, s'ils avaient parlé, mais qui se turent parce que personne ne leur dictait plus des
matières, et qu'eux-mêmes étaient incapables d'en trouver une. J'en ai connu que cette impuissance
aigrissait, gens vaniteux et stériles. Et ce fut une grosse erreur, que de nous donner à croire que le
discours est le mode habituel de l'expression des idées, et qu'il faut préalablement à la parole, se mettre
en l'état oratoire.
CERTAINES HEURES D'ÉNERGIE ET D'ENTHOUSIASME
Cependant, c'est l'abus de cet exercice que je blâme aujourd'hui, et non l'usage.
J'ai conservé souvenir de certaines heures d'énergie et d'enthousiasme. A l'étude du soir, les forts en
discours, leur matière relue, pris d'émotion, enfiévrés, le sang aux joues, déclamaient tout bas le
discours en gesticulant. J'étais le voisin d'Henry Aron ; les mouvements parallèles de nos bras tendus ou
levés amusaient les camarades faibles qui se contentaient de couvrir deux ou trois pages d'inepties
tranquilles. Certainement je ne perdais pas ma peine, quand je travaillais à mettre des idées en leur
ordre et les exprimer en bon, même en beau langage.
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FICHE DE TRAVAIL
Sur le Do cument 13
Ernest La visse : SOU VENIRS
Un professeur méticuleux. le souci du plan est le seul aspect de la rhétorique classique qui ait éte conserve
par l'enseignement du XIX" siècle. (c[ G. Genette, Figures II, pp. 31, 32)
Sous des masques divers...
Il n'a été retenu que quatre exemples parmi l'immense énumération de Lavisse, exemples empruntes à toutes
les époques (Antiquité: Sénèque; Moyen Age. Saint Bernard; Renaissance : Marsile Ficin ; XVI" siècle; Fréron
et Gilbert: XVIII'. siècle).
Un exercice improbe et dangereux
Sens de improbe : malhonnête .
Comparez avec les vols dont s'accuse Vallès. L'honnêteté ne concerne-t-elle pas l'activité intellectuelle ?
Pourquoi cette exigence d'honnêteté intellectuelle ne se faisait-elle pas sentir avec tant d'acuité aux
generations précédentes ?
Des rhétoriciens qui auraient bien parlé si...
Croire que le discours est le mode habituel de l'expression des idées...
Critique d'un enseignement uniquement formel qui néglige l'imagination autant que la science.
La réaction se dessinera vers 1880 lorsque le discours disparaît des examens officiels. Ne peut-on penser que
par un excès inverse, le souci du contenu l'a emporte sur celui de la forme et que l'enseignement actuel vise à
transmettre un savoir mais non à l'utiliser ?
Document 14
LES H U MAN ITÉS : JU LES VALLÈS AU COLLÈ GE ROY AL
DE N ANTES VE RS 184 8
On nous a donné l'autre jour comme sujet, Thémistocle haranguant les Grecs.
Je n'ai rien trouvé, rien, rien !
J'espère que voilà un beau sujet, hé ! a dit le professeur en se passant la langue sur les lèvres, une
langue jaune, des lèvres crottées.
C'est un beau sujet certainement, et, bien sûr, dans les petits collèges, on n'en donne pas de comme ça;
il n'y a que dans les collèges royaux, et quand on a des élèves comme moi.
Qu'est-ce que je vais donc bien dire ?
Mettez-vous à la place de Thémistocle.
Ils me disent toujours qu'il faut se mettre à la place de celui-ci, de celui-là, avec le nez coupé comme
Zopyre ? avec le poignet rôti comme Scévola ?
C'est toujours des généraux, des rois, des reines !
Mais j'ai quatorze ans, je ne sais pas ce qu'il faut faire dire à Annibal, à Caracalla, ni à Torquatus, non
plus !
Non, je ne le sais pas !
Je cherche aux adverbes et aux adjectifs du Gradus, et je ne fais que copIer ce que je trouve dans
l'Alexandre.
Mon père l'ignore, je n'ai pas oser l'avouer. (...)
Je souffre de me voir accablé d'éloges que je ne mérite pas, on me prend pour un fort, je ne suis qu'un
simple filou. Je vole à droite, à gauche, je ramasse des rejets au coin des livres. Je suis même
malhonnête quelquefois. J'ai besoin d'une épithète ; peu m'importe de sacrifier la vérité! Je prends dans
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le dictionnaire le mot qui fait l'affaire, quand même il dirait le contraire de ce que je voulais dire. Je perds
la notion du juste! Il me faut mon spondée ou mon dactyle, tant pis ! - la qualité n'est rien, c'est la
quantité qui est tout.
Il faut toujours être près du Janicule avec eux. (...)
Vous peindrez la vie romaine comme ci, et comme ça...
Je ne sais comment on vivait moi! Je fais la vaisselle, je reçois des coups, j'ai des bretelles, je m'ennuie
pas mal; mais je ne connais d'autre consul que mon père, qui aune grosse cravate, des bottes
ressemelées...
Et l'on continue à dire que j'ai de la facilité.
C'est trop d'hypocrisie. Oh ! le remords m'étouffe !
Il y a M. Jaluzot, le professeur d'histoire, que tout le monde aime au collège.
On dit qu'il est riche de chez lui, et qu'il a son franc-parler. C'est un bon garçon.
Je me jette à ses pieds et je lui dis tout.
- M' sieu J aluzot !
- Quoi donc, mon enfant ?
- M'sieu Jaluzot !
Je baigne ses mains de mes larmes.
- J'ai, m'sieu, que je suis un filou !
Il croit que j'ai volé une bourse et commence à rentrer sa chaîne de montre.
Enfin j'avoue mes vols dans Alexandre, et tout ce que j'ai réavalé de rejets, je dis où je prends le derrière
de mes vers latins.
- Relevez-vous, mon enfant. Avoir ramassé ces épluchures et fait vos compositions avec ? Vous n'êtes
au collège que pour cela, pour mâcher et remâcher ce qui a été mâché par les autres.
- Je ne me mets jamais à la place de Thémistocle !
C'est l'aveu qui me coûte le plus.
M. Jaluzot me répond par un éclat de rire comme s'il se moquait de Thémistocle. On voit bien qu'il a de
la fortune.
Pour la narration française, je réussis aussi par le retapage et le ressemelage, par le mensonge et le vol.
Je dis dans ces narrations qu'il n 'y a rien comme la patrie et la liberté pour élever l'âme.
Je ne sais pas ce que c'est que la liberté, moi, ni ce que c'est que la patrie. J'ai été toujours fouetté,
giflé, - voilà: pour la liberté; - pour la patrie, je ne connais que notre appartement où je m'embête, et les
champs où je me plais, mais où je ne vais pas.
Je me moque de la Grèce et de l'Italie, du Tibre et de l'Eurotas. J'aime mieux le ruisseau de
Farreyrolles, la bouse des vaches, le crottin des chevaux, et ramasser des pissenlits pour faire de la
salade.
LES MATHÉMATIQUES
Il a une imagination de feu, cet enfant.
C'est acquis, je suis un petit volcan (dont la bouche sent souvent le chou : on en mange tant à la
maison !)
- Une imagination de feu, je vous dis ! ah ! ce n'est pas lui qui sera fort en mathématiques !
On a l'air d'établir qu'être fort en mathématiques, c'est bon pour ceux qui n'ont rien là.
Est-ce qu'à Rome, à Athènes, à Sparte, il est question de chiffres, une minute !
Justement, je n'aime pas faire des soustractions avec des zéros, et je ne comprends rien à la preuve de
la division, rien, rien !
Mon père en rit, le professeur de lettres aussi.
Je suis toujours dans les six derniers.
Mais un beau jour, une nouvelle se répand.
Grand étonnement, rumeur dans la cour, sous les arcades.
J'ai été premier en géométrie.
Le professeur de lettres me fait un peu la mine. Suis-je un volcan - ou n'en suis-je pas un ?…
Le coup est tellement inattendu qu'on se demande si je n'ai pas copié, truqué, et l'on m'appelle au
tableau pour voir si je m'en tirerai la craie à la main.
Je m'en tire, et j'ajoute même à la leçon. Je me tourne vers mes camarades et je leur explique le
problème en faisant des gestes, en prenant des livres, en ramassant des bouts de bois ; je roule des
cornets, je bâtis des figures et je ne m'arrête que quand le professeur me dit d'un air blessé :
- Est-ce que vous n'avez pas bientôt fini votre manège ? Est-ce vous qui faites le cours, ou moi ?
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Je remonte à ma place au milieu d'un murmure d'admiration.
A la fin de la classe, on m'interroge :
- Comment as-tu donc fait? Quand as-tu appris? Comment j'ai appris ?
Il y a dans une petite rue une maison bien triste avec quelques carreaux cassés qu'on a emplâtrés de
papier ; une cage noire pend à la fenêtre du second au-dessus d'un pot de fleurs qui grelotte au vent.
Là demeure un pauvre, un Italien proscrit. (...)
Je lui remis une lettre qu'on m'avait chargé de lui porter. Il lut, je le suivais des yeux. (...)
Il trembla un peu en refermant la lettre.
- Vous remercierez bien votre père, dit-il.
(…) Il me tendit un petit livre.
- C'est moi qui l'ai fait, dit-il. Aimez-vous les mathématiques ?…
Il vit que non à mon air .
- Non! - Eh bien, mon livre vous plaira peut-être tout de même. Tenez il y a une boîte avec. (...)
Qu 'y avait-il dans sa boîte ?
Des plâtres en tranches.
Et dans ce livre ? Des mots de géométrie.
Le lendemain, un dimanche, au lieu d'aller chez un camarade, comme mon père me l'avait permis, je
passai ma journée avec ce livre et ces plâtres.
C'était le samedi suivant que j'étais premier.
J'allai tout joyeux en faire part à cet homme, qui me raconta son histoire. (...)
- J'étais maçon, heureusement. J'ai profité de ce que je savais de mon métier pour faire ces modèles de
géométrie. A propos: vous avez compris mon système, il paraît.
- Il n'y a qu'à regarder et à toucher. Tenez, voulez-vous que je vous explique ?
Prenant les plâtres que je trouvais sous la main, je refis ma démonstration.
- C'est ça! c'est ça ! disait-il en hochant la tête. On veut enseigner aux enfants ce que c'est qu'un cône,
comment on le coupe, le volume de la sphère, et on leur montre des lignes, des lignes! Donnez-leur le
cône en bois, la figure en plâtre, apprenez-leur cela, comme on découpe une orange !
Jules VALLÈS
LE STYLE QUI PLAÎT AU PROFESSEUR
J'ai commencé par avoir de bonnes places en discours français, mais je dégringole vite.
De second, je tombe à dixième, à quinzième !
Ayant à parler de paysans qui, pour fêter leur roi trinquent ensemble, j'avais dit une fois :
- Et tous réunis, ils burent un BON verre de vin.
- Un BON ! - Ce garçon-là n'a rien de fleuri, rien, rien; je ne serais pas étonné qu'il fût méchant! Un BON!
Quand notre langue est si fertile en tours heureux, pour exprimer l'opération accomplie par ceux qui
portent à leurs lèvres le jus de Bacchus, le nectar des dieux! Et que ne se souvenait-il de l'image à la
fois modeste et hardie de Boileau :
Boire un verre de vin qui rit dans la fougère !
C'est que je n'ai jamais compris ce vers-là, moi ! Boire un verre qul se tient les côtes dans l'herbe, sous
la coudrette !
Je suis sec, plus sec encore qu'il ne croit, car il y a un tas de choses que je ne comprends pas
davantage.
- Bien peu là-dedans, fait le professeur en mettant un doigt sur son cœur. Il s'arrête un moment :
- Mais rien là-dedans, bien sûr, ajoute-t-il en se frappant le front et secouant la tête d'un air de
compassion profonde. Il a une fois réussi, parce qu'il avait lu Pierrot, mais allez, c'est un garçon qui
aimera toujours mieux écrire fusil qu'arme qui vomit la mort.
C'est que ça me vient comme cela à moi! nous parlons comme cela à la maison ; - on parle comme cela
dans celles où j'allais. - Nous fréquentions du monde si pauvre.
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FICHE DE TRAVAIL
Sur le Do cument 14
Jules Vallè s : JACQUES VING TRAS , L’EN FANT
Jules Vallès: né au Puy en 1832; son père fut instituteur, puis maître de 7e au collège du Puy, puis en 1846,
maître de 6e au collège de Nantes où Jules Vallès fait sa rhétorique avant d'aller à Paris préparer le Concours
général. Enfant, Vallès a souffert de la médiocre condition de son père, coupé de ses origines paysannes
parce qu'il a étudié mais sans réussir, comme beaucoup de contemporains, à entrer dans la bourgeoisie.
Jacques Vingtras ou L'Enfant a été écrit à Londres où Vallès vit en exil après la Commune. Il sera publié en
1879 et constitue
le premier volet d'une trilogie dont les deux autres parties sont Le Bachelier (1879) et L'Insurgé (1882) resté
inachevé. Vallès, rentré en France en 1880, meurt à Paris en 1885.
Le Collège royal est l'appellation donnée aux lycées de 1815 à 1848.
Thémistoele homme d'Etat athénien du Ve siècle av. J.-C. dont le nom est lié aux victoires grecques de
Marathon et de Salamine au temps des guerres contre les Perses.
Gradus ad Parnassum (mots latins signifiant degrés pour monter au Parnasse), dictionnaire d'expressions
poétiques pour aider à faire des vers latins, œuvre du jésuite Paul Aler, 1702.
Alexandre: autre manuel
Rejet : en poésie, fait de rejeter au vers suivant un mot ou un petit groupe de mots qui achève le sens du vers
prècedent Vallès joue avec le sens propre du terme, c'est pourquoi il se plaît à citer celui-là plutôt qu'un autre
Spondée ou dactyle: les deux èléments les plus connus des vers grecs ou latins
Qualité / quantité: la poésie antique est fondée non sur le nombre de pieds comme en versification française,
mais sur la quantité (longue ou brève) des syllabes qui composent les pieds, Vallès
joue ici encore sur l'ambiguïtè entre le sens en prosodie et le sens habituel de quantitè et qualité
Janicule: colline de Rome, couverte de jardins et de villas à l'époque impèriale,
« M, Jaluzot est riche de chez lui » en italique dans le texte, car Vallès utilise une expression familière dans
son entourage mais n'appartenant pas à l'usage général. Il veut dire M. Jaluzot a de la fortune personnelle.
Une pareille constatation ne peut qu'étonner Vallès aux yeux de qui l'enseignant-type tel son père, ne peut
être qu'un pauvre diable, faisant ce metier parce qu'il y est condamné pour gagner sa vie et que la misère
rend bête et méchant.
La parodie d'une situation tragique (L'aveu du jeune Vingtras...) en argot de collège ; la progression
dramatique. mes larmes... j'avoue mes vols... je ne me mets jamais à la place de...
La liberté et la patrie: ce langage ne date pas, comme on pourrait le croire, de la Révolution de 1789 : la
révolution de 1789 elle-même l'a emprunté aux orateurs politiques des Républiques antiques. Les
Révolutionnaires de 1789 l'avaient appris déjà en faisant leurs humanités dans les collèges d'Ancien régime.
LA MODERNITÉ DE JULES VALLÈS
Très différent du style d'un Lavisse ou d'un Rémusat, sans doute trop marqués par l'empreinte de la
Rhétorique (longueur des phrases, caractère abstrait, idees générales), le style de Vallès frappe par sa
brièveté percutante, par la force des contrastes, par la présence du concret : les épluchures, la bouse des
vaches, le crottin des chevaux et les pissenlits pour faire de la salade, c'est la revanche du paysan auvergnat
(Farreyroles, village d'Auvergne où Jacques Vingtras passe ses vacances chez des cousins) dont la
spontanéite a rèsisté au laminage de la formation scolaire.
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LES MATHÉMATIQUES
« Là » encore une expression populaire qui invite à joindre le geste à la parole: mais faut-il se frapper le front
ou le cœur ?
Tout dépend de l'endroit où on place le génie !
Que pensez-vous de l'attitude des littéraires vis-à-vis des mathématiques ?
Une telle attitude existe-t-elle encore ?
Dans quelle mesure peut-on y voir la conséquence du privilège accordé aux humanités au siècle dernier ?
Que pensez-vous de l'attitude du professeur vis-à-vis d'un savoir acquis en dehors de l'école ?
Pensez-vous que l'enseignement des mathématiques, même s'il est aujourd'hui moins abstrait, doive toujours
s'appuyer sur des objets de la vie quotidienne ou sur des modeles concrets (blocs logiques, figures) ?
LE DISCOURS DANS UN LYCÉE PARISIEN
Ce garçon-là n'a rien de fleuri
Allusion aux fleurs de la rhétorique classique, c'est-à-dire aux figures: ici, le professeur s'efforce de substituer
au banal mot bon des périphrases; il ne dit pas le vin mais le jus de Bacchus, le nectar des dieux; il ne dit
pas boire mais l'opération accomplie par ceux qui portent à leurs lèvres... Il ne dit pas le fusil mais arme
qui vomit la mort.
La périphrase consiste à remplacer le mot propre par plusieurs mots qui décrivent ou définissent l'objet.
Le vers de Boileau contient une métaphore, figure qui consiste à prêter à un être des propriétés appartenant à
un autre type d'êtres. ici, le vin est dote de la capacité de rire
Il a une fois réussi parce qu'il avait lu Pierrot
Pierrot, le premier venu, personnage niais et populaire, s'oppose aux grands de la littérature classique.
Comparez la réaction de Valles contre la périphrase à la position de Pascal (Br. 49) et de Hugo :
Le mot propre, ce rustre,
N'était que caporal : je l'ai fait colonel...
J'ai dit à la narine: Eh mais ! tu n'es qu'un nez !
J'ai dit au long fruit d'or: mais tu n'es qu'une poire !
Réponse à un acte d'accusation (1834) in Les Contemplations.
Et comparez la réticence de Vallès à l'égard de la métaphore à la réserve de Pascal qui trouve Eteindre le
flambeau de la sédition trop luxuriant. (éd. Brunschvig, 59)
La signification sociale du niveau de langue choisi : le langage reflète la hiérarchisation sociale. cf. aussi
Hugo, texte cité :
Quand je sortis du collège, du thème,
Des vers latins, farouche, espèce d'enfant blême
Et grave, au front penchant, aux membres appauvris,
Quand, tâchant de comprendre et de juger, j'ouvris
Les yeux sur la nature et sur l'art, l'idiome,
Peuple et noblesse, était l'image du royaume ;(...)
La langue était l'Etat avant quatre-vingt-neuf !
Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes ;
Les uns, nobles, hantant les Phèdres, les Jocastes,
Les Méropes, ayant le décorum pour loi,
Et montant à Versailles aux carrosses du roi ;
Les autres, tas de gueux, drôles patibulaires, etc.
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4 . Ecole et société
Document 15
PRO CÈS DE L'E CO LE P AR ERCKMANN -CH ATRIAN
Ce n'est pas pour mon plaisir que je viens de vous raconter mes années de collège, c'est au contraire
avec un grand sentiment d'amertume. (...)
Les habitudes de l'esprit et du corps que l'on contracte dans sa jeunesse se conservent toute la vie;
mettez un enfant dans la même attitude pendant sept ans, il n'en changera jamais. Or, l'instruction du
collège nous donne à tous une attitude que je trouve mauvaise en développant outre mesure notre
mémoire aux dépens de l'intelligence et de la volonté, elle tend à produire des fonctionnaires et non des
hommes indépendants; elle ôte toute initiative à l'individu pour le soumettre à la règle; en un mot, elle
fait des machines. (...)
D'après ce système, les caractères disparaissent; chacun ayant sa case marquée d'avance et ne
sachant comment vivre au dehors, y reste et se soumet à tous les gouvernements qui se présentent. J'ai
vu tomber depuis quarante ans Charles X, Louis-Philippe, la République de 48, Napoléon III, et le
lendemain
de ces catastrophes, la machine allait son train comme avant. Les ruines, les fusillades, les
déportations, les injustices de toute sorte n'y faisaient rien ; chaque fonctionnaire restait tranquillement à
son bureau, prenant note des nouvelles autorités, des nouveaux décrets, des nouvelles mesures et se
gardant bien de plaindre ceux qu'on enlevait.
Mais ce fameux système d'instruction ne produit pas seulement des fonctionnaires qui acceptent tous
les gouvernements, dans la crainte de perdre leurs places, il produit aussi les faiseurs de révolutions.
L'Etat ne peut pas employer tous les bacheliers que l'Université fabrique chaque année, un grand
nombre restent sur le pavé. Que peuvent faire ces malheureux avec leur grec, leur latin et leur
philosophie ? Rien du tout! On n'en veut pas pour commis ni dans l'industrie ni dans le commerce; ils
sont déclassés, irrités et naturellement trouvent tout mal.
Au lieu du grec et du latin, si on leur avait appris les langues vivantes, la comptabilité, la chimie, la
mécanique, l'économie politique, la géographie et le droit commercial, ces mêmes hommes iraient,
comme les Allemands et les Anglais, chercher fortune dans tous les pays du monde, portant avec eux le
nom français, et ne resteraient pas ici en masse pour tout critiquer et tout renverser.
ERCKMAN-CHATRIAN
FICHE DE TRAVAIL
Sur le Do cument 15
REPERES HISTORIQUES ET GEOGRAPHIQUES
Erckmann est né en 1822, Chatrian en 1826 : ils ont donc vu tomber Charles X, etc. Ils sont Lorrains, nés
dans l'arrondissement de Sarrebourg, dans la Meurthe, département démantelé par le traité de Francfort
(1871) puisque deux de ses arrondissements, dont celui de Sarrebourg, furent cédés à la Prusse. Ce texte est
marqué par l'amertume de la défaite, le regret que les Français n'aient pas été aussi efficaces que les
Allemands et les Anglais.
REFLEXIONS
La formation de l'intelligence et de la volonté, de l'initiative et de l'indépendance : comment la concevezvous ? Le programme proposé par Erckmann-Chatrian : vous paraît-il toujours adapté aux besoins actuels ?
Qu'y ajouteriez-vous ? Qu'y retrancheriez-vous ?
La situation des bacheliers: comparez au texte suivant de Jules Vallès.
15
Document 16
UN BACHE LIE R
Nous arrIvons presque en retard.
Je n'avais jamais vu Paris par le soleil frais du matin, vide et calme, et je me suis arrêté cinq minutes sur
le pont, à regarder le ciel blanc et à écouter couler l'eau. Elle battait l'arche du pont.
Il y avait sur le bord de la Seine un homme en chapeau qui lavait son mouchoir.
Il était à genoux comme une blanchisseuse; il se releva, tordit le beut du linge et l'étala une seconde au
vent. Je le suivais des yeux. Puis ille plia avec soin et le mit à sécher sous sa redingote, qu'il entrouvrit
et reboutonna d'un geste de voleur.
Il ramassa quelque chose que ,j'avais remarqué par terre. C'était un livre comme un dictionnaire.
Anatoly me tira par les basques, il fallait partir; mais j'eus le temps de voir une face pâle, tout d'un coup
au-dessus des marches.
Je l'ai encore devant les yeux, et toute la journée elle fut entre moi et le papier blanc. Je ferais mieux de
dire qu'elle a été devant moi toute ma vie.
C'est que dans la face de ce laveur de guenille plus blanc que son mouchoir mal lavé, j'avais lu sa vie !
Ce livre me disait qu'il avait été écolier aussi, lauréat peut-être. Je m'étais rappelé tout d'un coup toute
l'existence de mon père, les proviseurs bêtes, les élèves cruels, l'inspecteur lâche, et le professeur
toujours humilié, malheureux menacé de disgrâce !
- Je parierais que ce pauvre que je viens de voir sous le pont est bachelier, dis-je à Anatoly.
Je ne me trompais pas.
Au moment même où l'on nous appelait pour entrer à la Sorbonne, un Charlemagne avait crié, montrant
une ombre noire qui montait la rue :
- Tiens, l'ancien répétiteur de Jauffret !
C'était la face pâle, l'homme au mouchoir, le pauvre au livre.
Jules VALLÈS
FICHE DE TRAVAIL
Sur le Do cument 16
SITUATION
Jules Vallès - dans le livre, il se nomme Jacques Vingtras - et d'autres garçons de la pension Legnagna se
rendent à la Sorbonne pour passer le Concours général. Là se rencontrent tous les forts en thème des grands
lycées parisiens, certains, provinciaux, comme Lavisse ou Jules Vallès, envoyés à Paris pour préparer ce
concours.
Jauffret, pension parisienne comparable à l'institution décrite par Lavisse.
LE GRADE DE BACHELIER
Le grade de bachelier est rare à l'époque. seuls, ceux qui se destinent à une profession libérale, une carrière
d'enseignant ou de fonctionnaire cherchent à l'obtenir. C'est le premier grade universitaire .
Vallès garda effectivement ce souvenir toute sa vie puisqu'il a donne pour titre au deuxième volume de ses
souvenirs Le Bachelier où il décrit la misère à Paris du bachelier qui n'a pas poursuivi dans la carrière
universitaire.
COMPAREZ LES TEXTES DE JULES VALLES ET D'ERCKMANN-CHATRIAN
Le contenu est-il différent ?
La manière de le présenter est-elle différente ? (réflexions générales ou expérience personnelle; allusion à
des problèmes généraux ou à des faits concrets; longueur des phrases, longueurs des paragraphes, etc.)
16
FICHE-GUIDE
Les métho des de l’ enseignement littéraire
LA RHÉTORIQUE
QU’EST-CE QUE LA RHÉTORIQUE ?
La rhétorique est un ensemble de règles pour bien écrire et bien parler dont l'élaboration a commencé dans les
démocraties antiques où la vie politique exigèait que tous les citoyens sachent s'exprimer en public. Par la suite la
rhétorique continua à être la formation de base donnée aux jeunes gens dans les collèges.
Elle comprend normalement Cinq parties : deux d'entre elles concernent seulement le discours oral (plaidoyer, discours
politique) ; ce sont la mémoire et l'action (intonations et gestes).
Les trois parties fondamentales qui concernent aussi bien l'écrit que l'oral sont :
- L'inventio, art de trouver les idées (cf. textes cités : Que faire dire à Thémistocle ou à Godefroy de Bouillon ?) Les
idées ne sont pas nécessairement nouvelles: on peut utiliser des lieux communs.
- La dispositlo, art du plan. .
cf. Pascal ; Qu’on ne dise pas que je n’ai rien dit de nouveau : la disposition des matières est nouvelle.
(Brunschvicg, 22),
Dans le texte de Lavisse, on voit que le professeur fournit aux élèves les idées et le plan ; il leur reste donc le style.
- L'elocutio, art du style.
C'est ici que se place l'utilisation des figures de style, dites figures de rhétorique: périphrase, métaphore, métonymie,
synecdoque, etc.
Jusqu'en 1885, on appela l'actuelle classe de première qui terminait l'étude des Humanités classe de Rhétorique. Avec
le nom a disparu le corps de doctrine, la cohérence du système ; la dissertation a pris la place du discours. il y a eu un
rétrécissement du domaine à traiter puisque la dissertation se borne à décrire et à critiquer des œuvres littéraires. il y a
eu également limitation des genres ; on ne propose plus guère de portraits, dialogues, fables, lettres, parallèles,
(développements d'un mot célèbre, etc. Comme l'explique Gérard Genette :
« Les grands textes de la littérature grecque, latine et française n'étaient donc pas seulement des objets d'étude, mais
aussi, et de la manière la plus directe, des modèles à imiter Et l'on sait bien que jusqu'à la fin du siècle (1880), les
épreuves littéraires aux compositions, aux examens, au Concours général, furent des poèmes et des discours latins c'est-à-dire, non des commentaires, mais des imitations : des exercices pratiques de littérature. Ce statut ambigu de
l'enseignement classique permettait donc, chez les plus doués, un passage insensible des derniers exercices scolaires
aux premières œuvres : c'est ainsi que les Œuvres de jeunesse de Flaubert comprennent six « narrations » (cinq
contes ou nouvelles historiques et un portrait de Byron) qui sont des devoirs composés en Quatrième (18351836). Pour un adolescent de cette époque, « se lancer dans la littérature » n'était donc pas, comme aujourd'hui, une
aventure et une rupture : c'était le prolongement - on dirait volontiers l'aboutissement normal d'un cycle d'études bien
conduites, comme le montre l'exemple de Hugo, couronné à quinze ans par l'Académie, et chez qui l’enfant sublime ne
fait qu'un avec le bon élève. »
Gérard Genette, op. cit. p. 26
LE DISCOURS ET L' ÉDUCATION MORALE
« Ecrire un discours, c'est placer de nobles paroles dans la bouche de. nobles personnages… Le sujet qui parle
est toujours un grand, roi ou empereur, saint, savant ou poète. Que faire dire à de tels personnages ? Rien assurément
qu'on puisse prendre dans la vie quotidienne, mais de fortes sentences. Comme dans Corneille ou Bossuet - qui sont
devenus des classiques précisément pour cela... Ces princes ignorent la raison d'Etat, la jalousie, la ruse. C'est la
politique, moins Machiavel. Honneur, dignité, noblesse, vertu, courage, sacrifice, renoncement au monde: on respire un
air généreux sur ces sommets héroïques.
Le but de cet exercice est l'éducation morale. On veut aboutir à l'élévation de pensée, à la noblesse de style et; par là, à
la gravité du caractère. Le masque finira. par manger le visage: à force d'imaginer leurs discours, les é:lèves finiront par
ressembler aux héros qu'ils font parler. »
Prost, p. 53
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LE DISCOURS ET LA SOCIÉTÉ
« L'enseignement prépare les notables à leur situation future. Du latin, on passe au droit: de la rhétorique, aux propos
de salon, aux discours de conseils généraux, à la vie politique. »
Prost, p. 55
INCONVENIENTS DU DISCOURS
- Le manque d'imagination sensible chez ceux qui ont pris l'habitude de s'entendre « dicter des matières » (cf. Lavisse)
- Le manque de sincérité insupportable à ceux qui avaient quelque chose de personnel à exprimer (Renan, Vallès)
- Le manque d'honnêteté intellectuelle, perçu par ceux que leurs études ultérieures ont habitués aux méthodes
scientifiques de la génération positiviste. Renan, Lavisse, historiens tous deux, arrivent à une époque où l'histoire se
soucie moins de descriptions colorées, de récits pittoresques comme la génération romantique l'avait conçue, mais se
veut scientifique, appuyée sur l'épigraphie, l'archéologie et toutes les sciences annexes désormais constituées. Leurs
reuvres majeures sont contemporaines de celles de Claude Bernard (Introduction à la médecine expérimentale, 1865),
de Berthelot qui fut l'ami de Renan. C'est l'essor des sciences qui est responsable de la disparition de la rhétorique dont
le formalisme ne satisfait plus les esprits tournés vers un savoir objectif.
AVATARS DE LA RHÉTORIQUE
A l'inverse. aujourd'hui, le développement des sciences humaines a provoqué un « retour de la rhétorique ». Incessant
va-et-vient de la pensée, ce qui était périmé il y a cinquante ans, est à la mode aujourd'hui :
S'occuper de rhétorique ne peut déjà plus passer en France ni pour un anachronisme, ni pour un défi d'avantguarde.
Le terme même est en train de perdre les connotations peu flatteuses qui, depuis plus d'un siècle, lui étaient
attachées.
Nous apprenons que la rhétorique n'est pas un ornement du discours, mais une dimension essentielle à tout
acte de signification.
Préambule du n° 16 de « Communications » - 1970
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LE BACCALAUREAT
Document 17
JU LES VALLÈS PASSE SO N BACCALAU RÉAT
À LA FACU LTÉ DE RENNES
Cet après-midi l'examen.
Je repasse, je repasse, comme si je pouvais avaler le Manuel en trois bouchées.
- Monsieur Vingtras.
C'est mon tour.
On tire les boules.
- Traduisez-moi ceci, traduisez-moi
Je traduis comme un ange.
- On voit, dit publiquement le doyen, non seulement que vous avez été bercé sur les genoux d'une tête
universitaire, mais encore que vous vous êtes abreuvé aux grandes sources, que vous avez passé par
cette belle école de Paris, à laquelle nous avons tous appartenu. (Se ravisant) Ah ! non, pas tous; il y a
notre collègue Gendrel.
M. Gendrel est le professeur de philosophie. Il est licencié de province ; docteur ès lettres de province; il
n'a pas bu aux fortes sources comme eux, comme moi, et, comme c'est un cafard, à ce qu'on dit, le
doyen le pique chaque fois qu'il le peut. Il m'a pris comme prétexte à l'instant. (…)
Je passe par le professeur de mathématiques avant d'arriver à lui.
Je ne sais pas grand'chose de ce qu'on me demande, mais l'éloge qu'on vient de m'adresser
publiquement engage le professeur à être indulgent.
- Qu'est-ce que le pendule compensateur ?
- C'est un pendule qui compense.
- Bien, très bien !
Se penchant à l'oreille du doyen :
- Il est intelligent.
Se retournant vers moi :
- Et la machine pneumatique, quel est son usage ?
- La machine pneumatique ?…
- Oh! je ne vous demande pas de grands détails. C'est pour faire le vide, n'est-ce pas ? Et si l'on met
des oiseaux dedans, ils meurent. Bien, très bien !
Il reprend :
- Vous avez en géométrie la section d'un cône ?
Oui, mais il me faut un chapeau pour faire une bonne démonstration, comme avec les plâtres du vieil
Italien, et je la fais à la bonne franquette.
Prenant un chapeau qui me tombe sous la main et d'où je retire un vieux mouchoir, je coupe mon cône.
On rit dans la salle parce que la coiffe est très grasse et le mouchoir très sale ; les examinateurs me
regardent avec un sourire de bonne humeur.
Le professeur de mathématiques, qui décidément veut faire sa cour au doyen (il doit épouser sa fille),
me parle à son tour :
- Monsieur, on voit que vous préférez Virgile à Pythagore, mais comme le disait si bien M. le doyen tout
à l'heure, vous avez bu aux grandes sources séquanaises, et Pythagore même en a profité.
Murmure flatteur .
Encore un coup à Gendrel !
C'est à lui que j'ai affaire maintenant.
Il me fixe: ses lunettes flamboient comme des pièces de cent sous toutes neuves.
Il lui prend envie de se moucher.
Il cherche son mouchoir, c'est lui que j'ai retiré tout à l'heure et remis dans la coiffe si grasse.
C'était le chapeau de Gendrel.
Je suis perdu.
Il ne me laisse pas le temps de me reconnaître.
- Monsieur, vous avez à nous parler des facultés de l'âme.
19
(D'une voix ferme) : Combien y en a-t-il ?
Il a l'air d'un juge d'instruction qui veut faire avouer à un assassin, ou d'un cavalier qui enfonce un carré
avec le poitrail de son cheval.
- Je vous ai demandé, monsieur, combien il y a de facultés de l'âme ?
Moi, abasourdi: « Il y en a HUIT ». (....)
Stupeur dans l'auditoire, agitation au banc des examinateurs !
Il y a un revirement général, comme il s'en produit quelquefois dans les foules, et l'on entend: huit, huit,
huit.
Pi-houit !...
J'attends l'opinion de Gendrel. Il me regarde bien en face.
- Vous dites qu'il y a huit facultés de l'âme ? Vous ne faites pas honneur à la source des hautes études à
laquelle M. le doyen vous félicitait si généreusement de vous être abreuvé, tout à l'heure. Dans le
collège de Paris où vous étiez, il y en avait peut-être huit, monsieur. Nous n'en avons que sept en
province.
Les examinateurs, qui lui en veulent, ne peuvent cependant accepter ma théorie des huit publiquement,
et je vais porter la peine d'avoir lancé à un examen une franchise qui avait besoin de volumes et
d'hommes célèbres pour la faire accepter .
Le doyen rentre et dit sèchement: Monsieur Vingtras est appelé à se présenter à une autre session. (…)
Il n'y a donc que sept facultés de l'âme: j'en perds une - je m'en fiche -, mais je serai forcé de me
représenter devant la Faculté de Rennes, - et je ne m'en fiche pas. Je suis bien triste...
Mon père me reçoit, les lèvres serrées, le font plissé, l'œil cave.
C'est qu'il n'est pas seulement blessé dans ma personne! Il l'est dans son propre orgueil !
Un élève qui lui en veut a retourné le poignard dans la plaie.
Le soir du même jour où l'on a appris que j'étais refusé, on lisait sur notre porte :
A LA BOULE NOIRE
AUBERGE DES RETOQUÉS
Agrégation et baccalauréat
(On porte tout de même des participes en ville)
On porte tout de même des participes en ville! c'est-à-dire qu'on donne des répétitions tout de même et
qu'on demande vingt-cinq francs par mois, tout comme si on avait été reçu d'emblée, comme si on avait
passé des agrégations du premier coup, et comme si le fils de la maison avait jonglé avec des
blanches!...
Jules VALLÈS
FICHE DE TRAVAIL
Sur le Do cument 17
CENTRALISME UNIVERSITAIRE
Paris, seule école valable aux yeux des enseignants: c'est dans les lycées parisiens que l'on prépare les
meilleurs élèves au Concours général, c'est à l'Ecole normale que se forment les universitaires, peu nombreux
encore.
ATTITUDE DU PROFESSEUR DE MATHÉMATIQUES
ENVERS LES LlTTÉRAIRES
cf. les textes précédents de Jules Vallès
COMPAREZ LE STYLE ORDINAIRE DE VALLÈS
ET CELUI OU'IL PRÊTE AUX UNIVERSITAIRES
les genoux d'une tête universitaire
vous vous êtes abreuvé aux grandes sources... aux grandes sources séquanaises (de Séquana, nom
latin de la Seine)
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Vous préférez Virgile à Pythagore (Virgile : poésie, latinité. Pythagore: la mathématique. : remarquez qu'il
s'agit toujours de la mathématique des Grecs)
Le style des universitaires est fleuri mais leurs images sont incohérentes ou peu originales. Les images de
Vallès (comparaison avec le juge d'instruction ou avec le cavalier dans la bataille) sont au moins personnelles.
LES FACULTÉS DE L'ÂME
Un ami de son père avait communiqué au candidat bachelier sa découverte: On vous avait dit qu'il y a sept
facultés de. l'âme ? Il y en a huit !
Servez-vous de la dévouverte, je vous y autorise ; on l’ignore encore, dans deux mois seulement, ce
sera dans mes livres.
Que penser d'affirmations aussi péremptoires dans un domaine où tout découpage ne peut être qu'arbitraire ?
Retoqué : (familier et vieux) recalé, collé à un examen.
Marchand de participes : Les participes, point délicat de l'orthographe française, sont, aux yeux du public, la
spécialité du professeur de grammaire.
Le père de Vallès fut à plusieurs reprises candidat malheureux à l'agrégation. Remarquez la parodie d'une
enseigne de l'époque du type « Au lion d'or » (on loge à pied et à cheval).
FICHE-GUIDE
Le baccalauréat
HISTORIQUE DE L'EXAMEN PAR UN INSPECTEUR DE L'EPOQUE,
Cournot 1801-1877
On doit rapporter aux dernières années de la Restauration le commencement de la grande maladie du baccalauréat...
C'est vers cette époque que l'on fit la malheureuse découverte que le but des études du collège est d'obtenir un
diplôme... Nos pères se figuraient, à tort ou à raison, qu'il fallait avoir fait ses classes pour être bien élevé, et ils les
faisaient sans se soucier d'un baccalauréat auquel personne ne songeait. Depuis la découverte en question, on ne vit
plus dans le collège qu'une fabrique de bacheliers... Le clergé se plaignait de l'inégalité de la concurrence, quand
l'Université elle-même dispensait les diplômes; et pour répondre à ses plaintes, il fallait de plus en plus faire intervenir la
précision des formes, les tirages au sort, l'arithmétique des boules, le mécanisme en un mot... Plus on a manié et
remanié la matière du baccalauréat, sentant bien que l'on avait prise par là sur la jeunesse et les familles, plus on a
confirmé la jeunesse et les familles dans la funeste idée que les études classiques peu utiles en elles-mêmes, n'ont de
sens et de valeur qu'autant qu'elles procurent un diplôme exigé.
HISTORIQUE GÉNÉRALE
Le terme de baccalauréat a été forgé au XVIe siècle et a servi à désigner soit la sanction d'études universitaires comme
dans les Facultés de Droit, soit la sanction d'études secondaires : ce sens a prévalu en France à partir de la réforme
napoléonienne (1808). Dans le sens que nous lui connaissons aujourd'hui, c'est donc une invention du XIXe siècle.
- 1821 : les matières d'examen seront divisées en questions numérotées; on tirera au sort, dans une urne, une boule
portant un numéro.
- 1830: à l'examen jusque-là purement oral est ajoutée une épreuve écrite de composition française.
- 1840, une version latine.
Le ministère publie une liste de 500 questions qui peuvent « sortir » au baccalauréat. C'est le début du programme... et
du bachotage qui sévit énormément jusqu'à ce que V. Duruy supprime la liste des questions et le tirage au sort.
LE SYSTEME DE NOTATION.
Jusqu'au début du Second Empire, il n'existe que deux degrés : bien: boule blanche; mal : boule noire.
Le ministre Fortoul ajoute la mention passable en 1852.
Victor Duruy adopte la notation en cinq points (1864).
La notation de 0 à 20 n'apparaîtra qu'en 1890.
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ADULTES ET ENFANTS
Document 18
Jule s Re na rd : PO IL DE CAROTTE
CARESSES FAMILIALES
Messieurs Lepic fils et Mlle Lepic viennent en vacances. Au saut de la diligence, et du plus loin qu'il voit
ses par~nts, Poil de Carotte se demande :
- Est-ce le moment, de courir au-devant d'eux ?
Il hésite :
- C'est trop tôt, je m'essouffierais, et puis il ne faut rien exagérer.
Il diffère encore :
- Je courrai à partir d'ici..., non, à partir de là...
Il se pose des questions :
- Quand faudra-t-il ôter ma casquette ? Lequel des deux embrasser le premier?
Mais grand frère Félix et sreur Ernestine l'ont devancé et se partagent les caresses familiales. Quand
Poil de Carotte arrive, il n'en reste presque plus.
- Comment, dit madame Lepic, tu appelles encore M. Lepic « papa », à ton âge ? dis-lui: « mon père »
et donne-lui une poignée de main; c'est plus viril.
Ensuite elle le baise, une fois, au front, pour ne pas faire de jaloux.
Poil de Carotte est tellement content de se voir en vacances qu'il en pleure.
Et c'est souvent ainsi ; souvent il manifeste de travers. Le jour de la rentrée (la rentrée est fixée au lundi
matin, 2 octobre; on commencera par la messe du Saint-Esprit), du plus loin qu'elle entend les grelots
de la diligence, madame Lepic tombe sur ses enfants et les étreint d'une seule brassée. Poil de Carotte
ne se trouve pas dedans. Il espère patiemment son tour, la main déjà tendue vers les courroies de
l'impériale, ses adieux tout prêts, à ce point triste qu'il chantonne malgré lui.
- Au revoir, ma mère, dit-il d'un air digne.
- Tiens, dit madame Lepic, pour qui te prends-tu, Pierrot ? Il t'en coûterait de m'appeler « maman »
comme tout le monde ? A-t-on jamais vu ? C'est encore blanc de bec et sale de nez et ça veut faire
l'original ! Cependant elle le baise, une fois, au front, pour ne pas faire de jaloux.
CHACUN SON ROLE
De Poil de Carotte à M. Lepic :
Mon cher papa,
lmagine-toi que c'était hier la fête de M. Jâques, notre professeur de latin, et que, d'un commun accord,
les élèves m'avaient élu pour lui présenter les vœux de toute la classe. Flatté de cet honneur, je prépare
longuement le discours où j'intercale à propos quelques citations latines. Sans fausse modestie,
j'en suis satisfait. Je le recopie au propre sur une grande feuille de papier ministre, et, le jour venu,
excité par mes camarades qui murmuraient :
- Vas-y, vas-y donc ! - je profite d'un moment où M. Jâques ne nous regarde pas et je m'avance vers sa
chaire. Mais à peine ai-je déroulé ma feuille et articulé d'une voix forte :
Vénéré Maître
que M. Jâques se lève furieux et s'écrie :
- Voulez-vous filer à votre place plus vite que ça !
Tu penses si je me sauve et cours m'asseoir, tandis que mes amIs se cachent derrière leurs livres et
que M. J âques m’ordonne avec colère :
- Traduisez la version.
Mon cher papa, qu'en dis-tu ?
Réponse de M. Lepic :
Mon cher Poil de Carotte,
Quand tu seras député, tu en verras bien d'autres. Chacun son rôle. Si on a mis ton professeur dans
une chaire, c'est apparemment pour qu'il prononce des discours et non pour qu'il écoute les tiens.
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OUBLI OU IMPOLITESSE
De Poil de Carotte à M. Lepic :
Mon cher papa,
Je viens de remettre ton lièvre à M. Legris, notre professeur d'histoire et de géographie. Certes, il me
parut que ce cadeau lui faisait plaisir. Il te remercie vivement. Comme j'étais entré avec mon parapluie
mouillé,- il me l'ôta lui-même des mains pour le reporter au vestibule. Puis nous causâmes de choses et
d'autres. Il me dit que je devais enlever, si je voulais, le premier prix d'histoire et de géographie à la fin
de l'année. Mais croirais-tu que je restai sur mes jambes tout le temps que dura notre entretien et que
M. Legris, qui, à part cela, fut très aimable, je le répète, ne me désigna même pas un siège ?
Est-ce oubli ou impolitesse ?
Je l'ignore et serais curieux, mon cher papa, de savoir ton avis.
Réponse de M. Lepic :
Mon cher Poil de Carotte,
Tu réclames toujours. Tu réclames parce que M. Jâques t'envoie t'asseoir, et tu réclames parce que M.
Legris te laisse debout. Tu es peut-être encore trop jeune pour exiger des égards. Et si M. Legris ne t'a
pas offert une chaise, excuse-le : c'est sans doute que, trompé par ta petite taille, il te croyait assis.
FICHE DE TRAVAIL
Sur le Do cument 18
Jules Renard: né en 1864, a transposé les rancunes de son enfance dans le personnage de Poil de Carotte,
le vilain petit canard de la famille Lepic.
CARESSES FAMILIALES
Poil de carotte est le dernier-né de la famille: il semble que les trésors de l'affection maternelle aient été
épuisés pour le benjamin. On ne le renie pas ouvertement mais il ressent très douloureusement la différence
mise entre lui et ses aînés : « grand frère Félix et sceur Ernestine l'ont devancé et se partagent les caresses
familiales... Madame Lepic tombe sur ses enfants et les étreint d'une seule brassée. Poil de Carotte ne se
trouve pas dedans. »
Remarquez la symétrie des deux scènes, soulignée par le refrain qui les conclut: « Ensuite! elle le baise, une
fois, au front, cependant, pour ne pas faire de jaloux. »
Conclusion sur le mode ironique, car, de fait, la mère a fait un jaloux. L'hypocrisie de l'affection maternelle
n'est-elle pas responsable du manque de spontanéité de Poil de Carotte ?
CHACUN SON RÔLE
Jules Renard souligne la contradiction entre des traditions de collège qui incitent les élèves à des
manifestations officielles (compliment pour la fête du professeur, gestes de gratitude et de respect à l'égard du
maître VÉNÉRÉ) mais ne permettent pas le contact personnel (timidité de l'élève pour s'avancer vers la
chaire, maladresse du professeur qui ne voit pas - ou feint de ne pas voir - et ne sait parler que de la
version…)
OUBLI OU IMPOLITESSE
Les cadeaux adressés par les parents aux professeurs, sont la survivance d'un temps où l'instituteur n'étant
pas salarié de l'Etat, était payé directement par les familles.
Poil de Carotte a-t-il lui-même respecté les bonnes manières ?
Pourquoi le professeur n'a-t-il pas fait asseoir Poil de Carotte ?
« Il te croyait assis » : subtilité des adultes, excuse inattendue... Les adultes ne doivent jamais avoir tort !
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FICHE-GUIDE
sur l e texte de Jules Ren ard
LES RAPPORTS PARENTS-ENFANTS
Le manque d'intimité entre parents et enfants paraît avoir été général au XVII'. et au XVIII'. siècles, particulièrement
dans la noblesse, comme le montre G. Snyders. Peut-être que frappés par le cas particulier de Madame de Sévigné,
nous admettons difficilement cette réalité: il est courant Qu'un fils ne voie jamais son père et que, s'il le rencontre, il lui
dise « Monsieur », comme à un étranger. Les manife.stations d'affection sont considérées comme bourgeoises. A la fin
du xvrn", l'évolution des mœurs renforcee par l'influence de Rousseau fait apparaître l'enfance comme une étape ayant
sa vaJeur propre, Le Romantisme, « Lorsque l'enfant paraît… » etc, confirme cette évolution,
Cependant, parmi les témoignages que nous avons consultés, nombreux sont ceux ou toute tendresse est exclue :
Balzac (Louis Lambert, le Lys dans la vallée), Jules Vallès, Jules Renard sont totalement privés d'affection maternelle à
part quelques manifestations maladroites ou hypocrites. Stendhal, orphelin de mère à sept ans, n'a que haine pour son
père. Par contre, Rémusat, Perdiguier, Lavisse et Renan manifestent une réelle affection filiale ou fraternelle.
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Les fiches-guides suivantes se rapportent aux deux parties de « Ecoliers d'autrefois » :
B.T.2 n° 46 et 47.
FICHE-GUIDE
L’œu vre scolaire de la R évolution
Période caractérisée par le bouillonnement des idées : 25 projets relatifs à l'instruction publique de 1791 à 1799.
Son apport se situe au niveau des principes (gratuité, obligation, etc.) plus qu'au niveau des réalisations.
ENSEIGNEMENT SUPERIEUR :
QUELQUES RÉALISATIONS DURABLES
Création de Grandes Ecoles ou établissements de recherche scientifique destinés à remplacer les Universités : Ecole
Normale Supérieure, Museum, Conservatoire des Arts et Métiers, Ecoles de Médecine, Ecole Polytechnique.
ENSEIGNEMENT SECONDAIRE :
UNE RÉALISATION ÉPHÉMÈRE, LES ÉCOLES CENTRALES
Créées par le décret Lakanal (février 1795) , elles céderont la place aux lycées en 1802. Leur originalite pédagogique se
manifeste dans deux principes :
- Indépendance des différents cours: chaque élève s'inscrit aux cours de son choix.
- Prépondérance des matières scientifiques.
On attribue l'insuccès des Ecoles centrales :
- à la méfiance des familles
- à l'absence d'internat
- à la difficulté de passer directement d'un enseignement primaire assez faible au système des cours indépendants sans
qu'intervienne une véritable orientation
ENSEIGNEMENT PRIMAIRE :
DE GRANDS PRINCIPES MAIS PEU DE MOYENS
Malgré l'importance attachée par les Conventionnels à l'éducation du peuple, le temps manqua. Nécessité de parer au
plus pressé. Retour des Conservateurs.
- Décrets de 1793 :
Enseignement obligatoire, gratuit, neutre.
Instituteurs payes par l'Etat.
Obligation d'entretenir au moins une école pour les communes à partir de 400 habitants.
- Décrets Lakanal de 1794 :
Enseignement gratuit sans obligation.
Une école à partir de l 000 habitants.
Programme: lecture, écriture, déclaration des Droits, constitution, grammaire française, calcul, arpentage, histoire
naturelle, récitation des chants héroïques.
- Loi Daunou de 1795 :
Instituteur payé par les élèves.
Une école par canton.
Programme : lecture, écriture, calcul.
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FICHE-GUIDE
Sur les institution s scol aires de 1802 à 1830
Elles sont mises en place par :
- Deux lois fondamentales :
Loi du 2 Floréal an X (ler mai 1802) préparée- par le chimiste Fourcroy, créant les Lycées.
Loi du 10 mai 1806, créant l'Université.
- Une série de mesures diverses qui traduisent une évolution continue. La Restauration ne détruit pas l'œuvre
napoléonienne : elle l'aménage en fonction des circonstances.
L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE : PROGRES TRES LENTS
La loi de mai 1802 continue la législation Daunou en laissant l'école primaire à la charge des communes et au contrôle
des notabilités locales. Retour des Congrégations chassées par la Révolution, tels les Frères des Ecoles Chrétiennes,
d'abord tolérés puis officiellement reconnus.
L'Ordonnance de février 1816 oblige les communes à pourvoir à ce que les enfants qui les habitent reçoivent
l'instruction primaire et à assurer la gratuité pour les indigents. Le nombre des écoles communales de garçons
progresse de 17000 à 24000 de 1817 à 1820. Le nombre des écoles de filles reste minime.
L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
Suppression des Ecoles centrales remplacées par les Lycées.
- substitution du système de la classe à celui du cours ;
- rétablissement de l'internat, organisé comme une caserne (uniforme, tambour, division en compagnie, sanctions de
type militaire) ;
- retour aux humanités et réduction des mathématiques.
A côté des lycées, la loi prévoit la création d'écoles secondaires établies par les communes ou par des particuliers.
En fait, les lycées compteront 15000 élèves et les divers collèges 75 000.
L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
La loi de 1806 fonde l'Université qui a le monopole de l'enseignement, c'est-à-dire qu'elle contrôle l'ensemble des
établissements, spécialement en se réservant de décerner les grades des enseignants.
Les décrets de 1808 organisent l'administration universitaire (inspecteurs généraux, recteurs, divisions en Académies,
etc.) et les Facultés, établissements spécialisés comme les écoles supérieures.
LE BACCALAURÉAT
Réglementé en 1808, devient en 1815 la condition de toute carrière libérale. L'écrit sera institué en 1840. Une liste des
500 questions susceptibles ode « sortir » à l'examen est aussi publiée par le ministère.
LES MATIÈRES D'ENSEIGNEMENT
La place des mathématiques par rapport aux humanités est sans cesse remise en cause: primordiale à l'Ecole
centrale, repoussée à la 3" en 1802, après la Rhétorique en 1821, ramenée à la 2e en 1826, l'enseignement des
Sciences est surtout suivi par les candidats aux concours de Polytechnique, Navale ou Saint-Cyr. On finira par créer
deux sections divergeant à partir de la 4e. Le baccalauréat ès sciences apparaît en 1852.
L'histoire devient un enseignement autonome en 1827, l'agrégation d'histoire est créée en 1830.
Les langues vivantes sont, à la même époque, introduites à titre facultatif de la 5" à la 3". Elles sont étendues aux
autres classes et rendues obligatoires en 1838.
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La philosophie, introduite dans les lycées à titre facultatif, développée sous la Restauration par Victor Cousin
(l'agrégation de philosophie est créée en 1828) restera négligée par un grand nombre de bacheliers: c'est en 1874 que
la classe de philosophie devient la classe terminale des littéraires. Elle n'était exigée jusque-là que des candidats à
l'Ecole Normale Supérieure.
FICHE-GUIDE
Sur les institution s scol aires de 1830 à 1880
ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
Loi Guizot de 1833 : rend plus effective l'obligation imposée aux communes d'entretenir au moins une école. Résultat :
- augmentation régulière de la scolarisation bien que l'obligation ne soit pas imposée aux parents ;
- développement des Ecoles Normales: on impose à chaque département l'obligation d'entretenir une E.N.
d'instituteurs ;
- création des Ecoles Primaires Supérieures dans les villes de plus de 6000 habitants: c'est l'amorce d'un enseignement
intermédiaire.
L'ENSEIGNEMENT SPÉCIAL
Dès 1829 avaient été créés dans les collèges des cours spéciaux de deux ans pour étudier « les sciences et leur
application à l'industrie, les langues vivantes, la théorie du commerce, le dessin ».
En 1847, l'enseignement spécial est porté à trois ans : il commence après la 4e.
La loi Victor Duruy de 1863 crée l'enseignement secondaire spécial : spécial, c'est-à-dire professionnel et secondaire
car il est donné dans les lycées dès la 6e.
Dernières lignes d’un contrat de mariage passé devant notaire, entre deux familles paysannes, en Haut-Beaujolais, en 1882 :
ni la promise ni sa mère ne savent même signer.
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L'ENSEIGNEMENT FÉMININ
On remarque un certain retard entre les mesures destinées aux garçons et celles qui concernent les filles : une
ordonnance de 1836 étend aux écoles de filles les dispositions de la loi Guizot moins l'obligation d'entretenir une école.
La loi Falloux impose aux communes de 800 habitants l'obligation d'ouvrir une école pour les filles.
La loi Duruy de 1867 l'étend aux communes de 500 âmes avec trente-trois ans de retard par rapport aux écoles de
garçons.
C'est également Duruy qui organise en 1867 des cours secondaires pour jeunes filles.
Une loi de 1879 oblige les départements à entretenir une Ecole Normale d'institutrices .
L'Ecole de Fontenay-aux-Roses qui en formera les professeurs, est fondée en 1880.
CRÉATION D'UNE ADMlNISTRATION UNIVERSITAIRE
1835 : création de l'inspection d'académie à l'échelon départemental.
1852 : les instituteurs sont nommés par le Recteur et non plus par les notables locaux.
LE STATUT DU CORPS ENSEIGNANT
SOUS LA Ile RÉPUBLIQUE ET L'EMPIRE AUTORITAIRE
La loi Falloux (mars 1850) renforce le contrôle du curé sur l'instituteur.
Le décret du 9 mars 1862 met les universitaires à la merci du pouvoir exécutif (suspension ou révocation de Guizot,
Cousin, Michelet, Quinet, Jules Simon).
Les professeurs doivent prêter le serment de fidélité.
La circulaire du 20 mars 1852 impose au corps enseignant de porter un uniforme (redingote avec palmes et boutons
dorés) et interdit moustache et barbe (signes d'anarchie).
L'EMPIRE LIBÉRAL ET L'ŒUVRE DE DURUY
Outre la création de l'enseignement secondaire spécial et l'encouragement à l'enseignement féminin, une œuvre
importante est réalisée :
a) enseignement primaire :
1865 : création du certificat d'études primaires
1867 : possibilités pour les communes d'établir la gratuité totale, encouragée par des subventions, création de la Caisse
des écoles « pour faciliter la fréquentation scolaire par des récompenses aux élèves assidus et des secours aux
indigents. »
b) enseignement secondaire :
rétablissement des agrégations supprimées en 1863, introduction de l 'histoire moderne dans les programmes,
substitution à la notation sommaire (boule blanche, succès, boule noire, échec) d'une notation en cinq points (1864) ;
suppression de la liste des 500 questions et de leur tirage au sort.
c) enseignement supérieur :
encouragement à la recherche, création de l'Ecole pratique des Hautes Etudes (1868).
d) enseignement des adultes :
encouragement des conférences pour adultes spécialement dans le monde rural, Jean Macé crée en 1866 la Ligue de
l'enseignement.
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