Septembre-Octobre 2001 • 27
La conclusion ne peut qu’être
que si Dieu s’est communiqué lui-
même dans la personne concrète
et l’histoire de Jésus-Christ, com-
plètement, définitivement et sans
réserve, alors Jésus-Christ est le id
quo maius cogitari nequit, – « on ne
peut rien penser de plus grand »
(Anselme de Canterbury) (•); il est
alors aussi le id quo Deus maius
operari nequit – « Dieu ne peut rien faire de
plus grand que lui ». Ainsi, à cause de la nature
même de l’événement du Christ il ne peut y
avoir d’autre religion ou culture qui surpasse
ou ajoute à l’économie du salut en Christ. Tout
ce qui, dans les autres religions, comporte du
vrai et du bon participe de ce qui est apparu en
plénitude en Jésus-Christ.
Aucune personne, donc, aucun dogme de
l’Église ne peut épuiser complètement ce
mystère. D’après le Nouveau Testament,
l’Esprit de Dieu nous a été promis afin de nous
conduire toujours à nouveau et toujours plus
profondément dans ce mystère (Jn 16, 13). La
rencontre avec d’autres religions peut être
une manière de nous ouvrir plus profondé-
ment à un aspect donné de l’unique mystère
du Christ. Pour nous, donc, le dialogue inter-
religieux n’est pas à sens unique, c’est une
vraie rencontre qui peut être un enrichisse-
ment pour nous chrétiens. Dans ce dialogue
nous ne sommes pas seulement les donnants,
nous sommes aussi ceux qui apprennent et
reçoivent parce que ce dialogue nous permet
de saisir toute la plénitude du mystère qui
nous a été donné en Jésus-Christ, dans sa lon-
gueur et sa largeur, sa hauteur et sa profon-
deur (cf. Ep 3, 18).
Ainsi les perspectives trinitaire et christo-
logique nous procurent-elles une compréhen-
sion de l’unité et de l’unicité, une compréhen-
sion qui n’est pas totalitaire; elle fait au
contraire place à l’autre et elle le libère. Elle
est vraiment de l’essence de l’amour authen-
tique qui unit au niveau le plus profond et ne
fait pas perdre à l’autre sa propre identité,
mais le conduit à sa propre plénitude.
Ces considérations spéculatives deviennent
immédiatement concrètes et pratiques si nous
regardons la vie de Jésus-Christ. Il est,
comme le montrent les Évangiles, l’homme
pour les autres; lui, le Seigneur, n’est pas
seule et même famille, dont le chef est le
Père du ciel. Ainsi la confession universelle
du Dieu unique affirme en même temps la va-
leur irrévocable et inaliénable de l’individu.
La raison la plus profonde du fait que la pro-
fession de foi au Dieu unique n’exclut pas la di-
versité mais plutôt l’inclut jusqu’à un certain
point, réside dans la confession de foi trinitaire
d’un Dieu unique en trois personnes. C’est l’in-
terprétation de la formule biblique « Dieu est
amour » (1 Jn 4, 8, 16). Elle signifie que le Dieu
seul et unique n’est pas un Dieu solitaire mais
de toute éternité un amour qui se donne, amour
dans lequel le Père communique avec le Fils, et
le Père et le Fils avec le Saint-Esprit. Chacune
des trois personnes est pleinement Dieu, tota-
lement éternelle, et chacune donne aux autres
de pouvoir se communiquer elles-mêmes et se
renoncer elles-mêmes. C’est de cette manière
kénotique que Dieu est unité et diversité.
Puisque de toute éternité Dieu est l’amour
qui se donne et s’actualise entre le Père, le Fils
et le Saint-Esprit, il peut se communiquer lui-
même totalement en Jésus-Christ sans dimi-
nuer ou perdre quoi que ce soit de lui-même
dans le processus. La divinité de Jésus-Christ
se manifeste dans le fait qu’il se renonce lui-
même (Ph 2, 6). La toute-puissance de l’amour
n’a pas à s’imposer, mais il a le pouvoir de don-
ner de lui-même et de se donner lui-même, et
c’est précisément dans ce don de soi qu’il est
lui-même. Un tel renoncement n’est vrai et au-
thentique que si la divinité du Logos éternel
n’absorbe pas son humanité mais l’accepte dans
sa particularité et la laisse être elle-même.
Ainsi, selon la foi de l’Église, en Jésus-Christ la
divinité et l’humanité sont distinctes et indi-
vises (Denz.-Schon. 302). Jésus-Christ est
unité dans la diversité et diversité dans l’unité.
Un élément de la compréhension des Pères
de l’Église, qui a trouvé expression dans la
tradition ancienne de l’Église, est qu’en
Jésus-Christ le Dieu seul et unique s’est com-
muniqué lui-même une fois historiquement,
mais complètement, définitivement et sans
réserve. En lui réside la plénitude de la divi-
nité (Col 1, 19; 2, 9). Ainsi dans la venue de
Jésus-Christ dans l’histoire, la plénitude des
temps est arrivée (Mc 1, 15; Ga 4, 4). Cette
venue historique de la plénitude des temps
est l’accomplissement du mystère éternel de
Dieu (Rm 16, 25; Ep 1, 9; Col 1, 26).
(•) Saint
Anselme (1033-
1109),
archevêque et
Docteur de
l’Église, a
débuté sa vie
religieuse dans
le monastère
du Bec
(aujourd’hui Bec
Hellouin) dont
il devint abbé
en 1078.
Il fut nommé
archevêque de
Cantorbéry en
1093.
Anselme a laissé
plusieurs traités
théologiques et
philosophiques,
des Méditations
et des Lettres.
L’importance
de sa
contribution au
développement
des études
théologiques se
reflète dans le
titre qu’on lui
accorde :
« Père de la
Scolastique ».
(VOIR QUESTIONS ACTUELLES N° 9, SEPTEMBRE-OCTOBRE 1999) ➨ ➨ ➨