Charte des valeurs québécoises et maux orientalistes : chroniques de Richard Martineau
Cahiers du GERACII 1 (1) 2016 57
médiatisé, le sujet est toujours « surdéterminé par la culture et la religion », rarement par
des considérations politiques ou humaines, et les pouvoirs religieux et politiques ne font
qu’un, contrairement à un Occident démocratique « dynamique, moderne et émancipateur,
pourvoyant des espaces de réalisation pour l’individu » (Moos, 2011, p. 5). Constitué de
pays présumés arriérés (Iran, Soudan, Irak, Somalie, Afghanistan, Libye), souvent
conjugué à une menace pour « nous » et notre mode de vie libéral, séculaire, démocratique
(Saïd, 2011, p. 119, 13), l’islam est donc confiné au « rôle de l’accusé, du condamné5, sans
qu’il soit nécessaire d’apporter des preuves ou des nuances » (Saïd, 2011, p. 20).
Largement responsables du façonnement et de la diffusion de tels clichés, autorisés à
transformer « diverses réalités insaisissables en “actualité” » (Saïd, 2011, p. 126) et en
information factuelle censément objective, vraie et fiable, les journalistes sont pourtant
tributaires de leur éducation, mœurs et valeurs ethnocentriques qui « influencent largement
les descriptions qu’ils font des sociétés et des cultures étrangères » (Saïd, 2011, p. 129).
Ainsi, quand ils amalgament certains termes réducteurs, imprécis, voire impensés - Arabes,
musulmans, terrorisme, fondamentalisme, extrémisme –, ils alimentent des représentations
de ce qui « nous [l’Occident] » menace, donc de tout « ce–contre-quoi-nous-devons-lutter-
aujourd’hui » (Saïd, 2011, p. 21). Quel est le sens politique et social de tels concepts?
Combien de musulmans sont réellement fondamentalistes? Nul ne le sait. À la place, ils
entretiennent la peur chez leurs publics avec d’autant plus d’enthousiasme que personne
n’ira vérifier la source ni la justesse de leurs propos (Saïd, 2011, p. 19).
Le lexique orientalisto-médiatique diffuse largement cette idéologie stéréotypée et
oppositionnelle faisant de l’islam « une chose simple à laquelle on peut se référer
immédiatement » (Saïd, 2011, p. 119), à coup de représentations dépréciatives,
caricaturales et globalisantes de musulmans diabolisés, déshumanisés et dépolitisés :
hommes barbus fanatiques, hostiles, violents, impulsifs, djihadistes assoiffés de sang,
impitoyables, déterminés à conquérir et/ou anéantir l’Occident ;
terrorisme et fondamentalisme ;
5 Ces mises en accusation de l’islam profitent de l’instrumentalisation par des acteurs politiques de «
divers sujets préoccupants d’un point de vue occidental » (Moos, 2011, p. 12). Au Canada et
particulièrement au Québec, on peut évoquer, entre autres, les questions identitaires liées à
l’immigration, les accommodements raisonnables, l’affirmation de la laïcité, etc.