Mythologie et symbolique du cerf

Mythologie et symbolique du cerf
Bernard Fievet
Docteur en pharmacie - ANCGG
Résumé
Dans les multiples témoignages tirés de la préhistoire, de l’histoire, ainsi que des récits
mythologiques, il nous est apparu intéressant de tenter de comprendre la signification de la
présence du cerf à coté de l’homme.
Que veulent dire les images du cerf sur les parois de multiples cavernes préhistoriques ?
Pourquoi trouve-t-on des bijoux faits en canines de cerfs dans certaines sépultures ?
Pourquoi y a-t-il d’autres sépultures avec des outils en bois de cerf ?
Pourquoi y a-t-il tant de mentions de cervidés dans la mythologie grecque ?
Pourquoi avons-nous des représentations celtes et gallo-romaines avec des dieux à bois ?
Pourquoi certains notables ont été ensevelis cousus dans des peaux de cerf ?
Par quels mystérieux mécanismes l’Eglise catholique a-t-elle promu le cerf comme animal
emblématique de la « Bonne Conduite », grâce à St Eustache et St Hubert ?
Y a-t-il parfois des cerfs néfastes ?
Nous avons tenté de présenter et de faire prendre conscience des symboles élémentaires
qu’a représenté le cerf, tout au long des trente derniers millénaires, en sachant fort que bon
nombre de réponses manquent…. Mais que, au fur et à mesure des découvertes
archéologiques, les pièces du puzzle, - les réponses – se mettent en place, éclairant notre
présent à partir des lumières du passé.
Introduction
Dans l'exceptionnel panel de grottes ornées, les représentations animalières abondent, principalement
les chevaux, les cervidés, les grands carnassiers, le gibier de montagne (Chauvet), et nombre
d'espèces disparues de notre pays, pour cause de changement de climat : félins, rhinocéros laineux à
narines cloisonnées, rennes et mammouths. Le cerf occupe une place médiane parmi les
représentations :
- Grotte Chauvet, 32000 BP, découverte voici une dizaine d'années,
- Grotte Cosquer, découverte en 1985, -18500/19000 BP avec la particularité d'être enfouie
sous 37 m d'eau de mer,
- Lascaux, dite "la Sixtine de l'art pariétal" -17000 BP, découverte dans les années 40, plus,
Niaux, les Ezies, Font de Gaume, Gargas, ainsi que 3 ou 400 autres, moins spectaculaires.
Toutes ces peintures rupestres sont très probablement "autre chose" que de la "Décoration" pure et
simple, alors, "Qu'est ce que cela signifie" ? ou en d'autres termes : "Quelle est la symbolique de ces
fresques" ?
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Fresque des cerfs nageant à Lascaux
Mythologie grecque
Dans le monde Grec, entre -900 et -600 avant J.C, une tradition orale puis écrite relate la multiple
présence des cervidés. Ces récits sont empreints de significations cachées.
Artémis et Apollon
Le cerf est l'animal emblématique d'Artémis et d'Apollon.
Artémis est vierge, vierge éternelle. Paradoxalement, elle est la protectrice des femmes et des
enfants. Artémis est coléreuse. Elle est susceptible comme un homme, elle est prude et rancunière.
Son véhicule est un bige tracté par quatre biches aux bois d'or.
Je vous entends déjà "BICHES aux BOIS d'OR". Oui, cette confusion des sexes est assez fréquente
chez les Grecs, c'est ainsi que la vache sacrée Io est parfois dénommée "Taureau", et représentée
avec tous les attributs que cela comporte. Zeus lui même n'hésite pas à changer de sexe, pour
séduire l'une ou l'un... Cyparissos par exemple...
Donc, les biches aux bois d'or tractent le bige d'Artémis.
Hercule, montagne de muscle au cerveau d'Amibe, après un défi lancé par le roi Eurysthée, blessera
ou tuera, les textes divergent - après un an de poursuite-, une de ces biches aux bois d'Or. Hercule se
récoltera une engueulade "Maison " de la part d'Artémis et d'Apollon.
Iphigénie
Fresque de Pompéi. Iphigénie, fille d' Agamemnon, qui s'est vanté d'avoir, à la chasse, tué un cerf
mieux que ne l'aurait fait Artémis, se voit contraint par cette dernière, de devoir sacrifier sa fille, pour
assurer la victoire de l'expédition contre Troie. Ulysse traîne Iphigénie vers le lieu de sacrifice,
Agamemnon, le père, est très embêté, mais il ne s'oppose pas.
Alors Artémis, protectrice de la femme et des enfants, envoie à Iphigénie une "Biche de secours" et
l'accueille dans le petit nuage ou elle réside.
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Cyparissos.
Ce jeune homme, avait de curieuses manières et son Dieu "Protecteur/Amoureux», Zeus, avait aussi
des mœurs bizarres. On est en Grèce !!!
Un matin, Cyparissos, pas réveillé, tue par mégarde la biche apprivoisée que la communauté lui
connaissait (comment peut-on tuer "Par mégarde" un animal, d'un coup de lance ?). Navré,
Cyparissos demande à Zeus, son protecteur, de porter le deuil éternellement. Zeus le transforme
alors en Cyprès, arbres des cimetières et du deuil éternel. (Cyprès / Cupressus / Cyparissos = même
mot)
Artémis et Actéon.
Là, Artémis joue la vieille fille prude. Vue nue dans son bain, ce que nous voyons à des centaines
d'exemplaires l'été sur nos plages, Artémis pique une colère terrible et transforme Actéon en cerf et le
fait dévorer par sa propre meute !
Hercule et Télèphe.
Séparé de son fils, abandonné sur une montagne, Hercule le retrouve quelques mois plus tard, nourri
par une biche.
Chez les gallo romains
Cernunos. Cernunos /Esus : Les rares représentations que nous avons de lui, (à Reims, stèle du
musée St Rémi) le montrent avec une ramure de cerf. Il est parfois associé en permutation, avec
Esus, en tant que personnalité double. (Idem Janus, dieu aux deux visages). C'est le dieu de la
fécondité agraire et du renouveau de la nature au printemps.
D'autres figurations de Cernunos existent, la plus célèbre étant le chaudron de métal repoussé dit de
Gündestrup, Danemark (cliché ci dessous).
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En dernier lieu, citons la sculpture du Pilier des Nautes (Paris 15ème siècle)
Chronique des ensevelissements des nobles veneurs
Dans la vallée de l' Aisne, vers Soissons, on a trouvé un squelette orné d'une parure composée de 17
canines de cerf. Etait-ce uniquement décoratif, ou était-ce la valorisation d'un chasseur remarquable.
Y avait-il une possibilité que ce soit un "Passeport vers un autre monde???? (Guère possible, étant
donné que la sépulture date de 6500/ 7000 avant JC.)
En limite des départements de l'Aube, de la Marne, et de la Seine et Marne au lieu dit "La Saulsotte",
les archéologues ont découvert un ensemble de 4 tombes où les squelettes humains sont
accompagnés de bois de cerf, qui comportent des mors en métaux ferreux, ce qui signifie la
"domestication" des cervidés. Troublant, non? Aurait dit Pierre Desproges,
Encore plus troublant, la présence d' une tombe humaine entourée de bois de cerf, dans la minuscule
île de Hoëdic, proche de Houat et de Belle -Île en Mer. Deux anglais, arrivent devant l'île de Houat.
L'un interroge l'autre : "What's that ?" l'autre répond "That's Houat"
Qu' est-ce que cela peut bien vouloir signifier ?
Bas moyen- age
* Dans la chanson de Roland, il nous est raconté que les cadavres des preux francs morts à
Roncevaux furent ensevelis cousus dans des peaux de cerf. (Vers l' an 790)
**
Le corps de Charles de Flandre, assassiné en 1127, fut cousu dans une peau de cerf, avant
d'être mis en bière. (Galbert, Vie de Charles le Bon.)
***
Begon de Belin est aussi inhumé dans une peau de cerf et les honneurs lui sont rendus par
Fromont de Lens.
"Les corps lavèrent d'eau et de vin / le comte même ses blanches mains y mit,
d'un fil de soie le retransit et cousit / en cuir de cerf font le Baron couvrir,
font une bière et le vassal y ont mis..."
**** Idem pour le pape Clément VI.
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Peut être l'idée que l'emballage en peau de cerf facilitera le passage dans le pays des chasses
éternelles ??? Peut être déjà l'idée de la "Renaissance" éternelle des corps comme les bois de
cerfs resurgissent tous les ans ?
Saint Eustache et Saint Hubert
Furent successivement les patrons des chasseurs. Placidus, Haut officier romain sous Trajan, voit le
cerf crucifère. Se convertit et est baptisé sous le nom d'Eustache. Moult aventures, séparé de femme
et enfants, emmenés par des pirates en Egypte, tout le monde se retrouve, mais un des fils est
emporté par un lion et l'autre par un loup des deux côtés du Nil, tout le monde se retrouve une fois
encore, mais le vilain empereur qui commence à persécuter les Chrétiens les fait frire pendant 3 jours
dans un chaudron d'airain en forme de bœuf. Echec total. Manuscrit de J. de Voragine, " la légende
Dorée". Bibliothèque de Dijon (cliché ci dessous)
St Hubert. Document de 744 à Valenciennes. Evêque de Maastricht, qui abandonna la chasse d'un
seul coup après qu' un cerf crucifère à clignotant lui ai dit "Pourquoi me poursuis-tu Hubert" ?
Excellent coup de propagande pour l'Eglise qui doit lutter en ce moment là avec les restes des
croyances "Païennes" Celtes et Gallo Romaines, La Déesse Arduina et le Dieu Cernunos entre
autres.
St Hubert est présenté comme un sauveur chrétien mais aussi comme un sauveteur humain.
Lutte contre la rage avec un commerce juteux autour de Pratiques "Magico-religieuses du saint qui a
des accointances parfois "commerciales" avec le "Ciel". (Commerce de chiens, de fils de l' Etole
magique" et de clés de St Hubert)
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La religion catholique et le cerf
La réalité du cerf qui perd puis renouvelle ses bois chaque année permit d'exploiter à fond le mythe du
renouveau, de la résurrection. Thème repris à satiété, surexploité, dans les bestiaires, les livres
d'heures, tous manuscrits du XIIème siècle au XVIème siècle.
Lutte de l'Eglise catholique contre les animaux de chasse "noirs" : ours, sangliers, loups.
Voir Michel Pastoureau, "Histoire de la dévalorisation de la chasse au sanglier", Sismel, 2000 et
"L'Ours, histoire d'un roi déchu" Seuil, jan 2007.
Les cerfs néfastes.
En 1142, dans "L'Ecclésiaste de Orderic Vital", apparaît le thème de poursuites infernales, de défilés
d'ombres et de revenants, de chasses sauvages sans fin à la poursuite d'un cerf ailé blanc.
Dans les pays Germains, on parle de "Wutende Heer" ou "wilde Jagd"
Ces chasses sauvages, souvent derrière un cerf blanc, sont faites par une armée de poursuivants,
chevaliers noirs, vieilles femmes dénudées, nains et géants, monstres, fossoyeurs maléfiques, etc. ;
Le sujet fut repris en France dans le thème de la "MESNIE HELLEQUIN" (voir les écrits du
médiéviste Jacques le Goff) (cliché ci dessous).
Le cheval maléfique Fauvel, emporte Hellequin dans des chasses sans fin. Gervais de Bus.
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Essai de conclusion
Que veulent dire toutes ces historiettes ?
Quel est le message transmis ?
Quelle est la SYMBOLIQUE ?
1) Pas de message/signification décelable dans l'art pariétal, sauf que cela ne saurait
être de la "Décoration" pure et simple. Invocation, Remerciement ???
2) Le cerf est un animal infatigable, insaisissable, très puissant et très rapide idem
Artémis.
3) C'est un animal messager, nourricier, miséricordieux et sauveteur. Télèphe, Iphigénie
4) C'est l'animal du renouveau agraire, de la renaissance du cycle de la vie de la nature.
Cernunos
5) Le cerf est un animal sacré, bon, raisonnable capable de vous ramener dans le droit
chemin de la pratique du catholicisme sans faute.
6) Animal christologique de la re-Naissance, de la pureté, de la résurrection, C'est
encore plus sûr lorsque votre cadavre est emballé dans une peau du noble animal.
7) Mais aussi animal ambivalent, parfois néfaste, celui des chasses infernales sans fin...
Bibliographie.
Le CERF, G. BONNET et F. KLEIN, Hatier, Faune sauvage. 1991
ANTHOLOGIE du CERF, J-P. GROSSIN et A. REILLE, Hatier, 1992
Le CERF, Héraldique. B. MARILLER, Ed. Cheminements, 2007
LASCAUX. G. BATAILLE, Ed Skira, 1994
La grotte COSQUER, Jean CLOTTES, 1995
HEROS et MERVEILLES du MOYEN-AGE, J. le GOFF, Ed. Seuil, 2005
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