Publicité pour l`alcool et Internet : le Jury de déontologie publicitaire

COLLECTION GUIDE-ANNUAIRE 2014 DÉCIDEURS : STRATÉGIE FINANCE DROIT COLLECTION GUIDE-ANNUAIRE 2014 DÉCIDEURS : STRATÉGIE FINANCE DROIT
132 133
MARKETING, INTERNET & DISTRIBUTION COMPLÉMENT D'ENQUÊTE & EXPERTISES Par Jean-Louis Fourgoux, avocat. Cabinet Fourgoux & Associés
La Cour d’appel validait ainsi une
série de publicités représentant des
professionnels de la lière viticole,
souriants et détendus, présentant
diérents vins de Bordeaux.
De même, le juge des référés du TGI
de Paris, saisi de l’appréciation de la
validité d’une publicité pour une
bière, a conrmé que la représenta-
tion stylisée des agrumes, participant
à l’aromatisation de cette bière, était
licite puisque relative à sa composi-
tion et à ses qualités gustatives (TGI
Paris, 20 février 2014, n°13/59661).
A contrario, le Jury de déontologie
publicitaire a, par une série de trois
décisions rendues presque coup sur
coup, déclaré illicites des publicités
pour le Martini royale, la vodka Grey
Goose et la bière La Goudale (déci-
sions du 27 janvier et 2 avril 2014).
Le Jury, interprétant de façon par-
ticulièrement restrictive les disposi-
tions du code de la santé publique,
a en effet estimé pêle-mêle que le
slogan « fly beyond » (« s’envoler
au-delà ») « induit nécessairement
une association à l’idée de voyage et,
plus encore, à celle de dépassement de
limites, qu’elles soient physiques, sen-
sorielles ou psychologiques » incitant
donc à une consommation exces-
sive d’alcool, que le terme « royale »
associée à la marque Martini « est de
nature à conduire le consommateur à
imaginer qu’acheter, orir ou boire le
Martini royale pourrait lui permettre
d’accéder à une forme de supériorité
sociale » et enn que le slogan « de
l’amitié à partager » était illicite car
ne se rapportant à aucune des men-
tions autorisées par le Code de la
santé publique.
Force est alors de constater que la
pratique décisionnelle du Jury de
déontologie publicitaire semble
encore plus rigoureuse que celle déjà
restrictive des tribunaux.
Le Jury de déontologie publicitaire
dispose de pouvoirs non négligeables
puisqu’il peut recommander aux
membres de l’ARPP de cesser ou
modier une campagne publicitaire
ou empêcher qu’elle soit à nouveau
diusée. Ainsi, loin d’être purement
consultatif, le Jury de déontologie
publicitaire jouit d’une réelle auto-
rité vis-à-vis des annonceurs, des
supports et des agences.
Il s’agit donc pour les plaignants
d’un recours alternatif aux tribunaux
permettant d’obtenir une décision
au terme d’une procédure particu-
lièrement rapide pour laquelle les
garanties procédurales pourraient
être améliorées, la décision n’étant
notamment pas susceptible de
recours.
On ne saurait exclure que l’ap-
préciation très restrictive de la
réglementation par le Jury de déon-
tologie publicitaire aboutisse à une
autocensure encore plus rigoureuse,
préjudiciable aux entreprises.
Ne conviendrait-il pas de s’inter-
roger sur les pouvoirs et la pro-
cédure du Jury de déontologie
publicitaire afin que celui-ci ne
devienne pas le véritable juge de
la communication en matière de
boissons alcoolisées, notamment
sur internet, susceptible de res-
treindre la concurrence par médias
interposés dans le secteur ?
LES POINTS CLÉS
La publicité pour l’alcool est autorisée mais strictement encadrée notamment sur Internet.
Le jury de déontologie publicitaire et les tribunaux ont des approches divergentes de la licéité
des publicités en faveur de boissons alcoolisées.
Ces divergences d’interprétation défavorables aux annonceurs ont été récemment exploitées
par les associations de protection contre l’alcoolisme, au détriment des actions devant le juge judiciaire.
Le Jury de déontologie publicitaire peut ainsi devenir le nouveau juge de la communication.
Publicité pour l’alcool et Internet :
le Jury de déontologie publicitaire,
nouveau juge de la communication ?
Sur un marché fortement concurrentiel comme celui des boissons alcoolisées, la publicité constitue
l’un des principaux vecteurs de concurrence entre entreprises. En conséquence, la question des
modalités du contrôle par le Jury de déontologie publicitaire de la licéité des publicités diffusées
constitue un enjeu majeur pour ce secteur.
Par plusieurs décisions
récentes, le Jury de déontolo-
gie publicitaire a sanctionné
des fournisseurs de boissons alcooli-
sées pour avoir diusé des publicités
diffusées notamment sur internet
alors que, dans le même temps, les
juridictions judiciaires validaient la
communication pour des boissons
alcoolisées sur les réseaux sociaux.
L’encadrement de la publicité
en faveur de l’alcool
La publicité pour les boissons alcoo-
lisées fait l’objet d’une réglementa-
tion très spécique et donne lieu à un
contentieux nourri devant les tribu-
naux, très souvent saisis en référé par
L’Association nationale de préven-
tion en alcoologie et addictologie.
Récemment, le Jury de déontologie
publicitaire, instance de l’Autorité
de régulation professionnelle de la
publicité (ARPP) en charge de l’au-
torégulation du secteur a, à son tour,
été saisi de plusieurs publicités qu’il a
déclarées non conformes à ses règles
déontologiques.
On rappellera que si la publicité
pour les boissons alcoolisées n’est pas
interdite, elle doit toutefois se limiter
strictement aux mentions autorisées
par l’article L.3323-4 du Code de
la santé publique. Cette disposition
prévoit ainsi que seules des men-
tions relatives notamment à l’ori-
gine, la composition ou les qualités
gustatives d’un produit peuvent être
admises dans une communication
en faveur d’une boisson alcoolisée,
ainsi que l’indication de son mode
de consommation ou de commer-
cialisation.
Toute mention ou illustration ne se
rapportant pas à l’un de ces éléments
limitativement énumérés entraîne
ainsi l’illicéité de la communication
et, par voie de conséquence, le retrait
de la publicité.
De même, le législateur a souhaité
limiter les supports sur lesquels pou-
vaient être diusées des publicités
en faveur de boissons alcoolisées en
énumérant limitativement ceux-ci à
l’article L.3323-2 du code de la santé
publique. Celui-ci, modié en 2008,
prévoit désormais qu’Internet est un
support de communication autorisé,
à l’exception des sites internet prin-
cipalement destinés à la jeunesse et à
condition que la publicité ne soit ni
intrusive, ni interstitielle.
Des décisions divergentes
entre le JDP et le juge judiciaire
Très récemment, le juge judiciaire
a eu l’occasion d’apporter d’impor-
tantes précisions sur l’application de
ces dispositions et a fait preuve d’une
interprétation souple de la loi.
S’agissant des mentions et des illus-
trations accompagnant les publici-
tés pour des boissons alcoolisées,
la Cour d’appel de Versailles a,
sur renvoi de la Cour de cassation,
estimé que « la présentation du pro-
duit à promouvoir suppose donc que
ce dernier, et sa consommation, soient
présentés sous un jour favorable et de
façon attractive » puisque, selon elle,
« par nature, toute publicité ne peut
avoir comme objectif que de modier
le comportement de son destinataire
en provoquant l’achat du produit
présenté, soit en provoquant le désir
d’acheter et de consommer » (CA Ver-
sailles, 3 avril 2014, n°12/02102,
ANPAA c/CIVB).
Jean-Louis Fourgoux, avocat
SUR L’AUTEUR
Avocat au Barreau de Paris et de Bruxelles,
Jean-Louis Fourgoux est spécialiste en droit
de la concurrence et de la consommation.
Il intervient à ce titre tant en conseil qu'en
contentieux. Le cabinet Fourgoux & Associés
regroupe des experts du droit économique
(concurrence, distribution, consommation).
Il est classé incontournable parmi les équipes
en droit de la distribution.
« Le Jury de déontologie
publicitaire peut mettre
fin à une publicité
non conforme »
JANVIER FÉVRIER MARS AVRIL MAI
2014
27 janvier 2014 :
par deux décisions rendues le même jour, le Jury
de déontologie publicitaire sanctionne les publicités
pour le Martini royale et la Vodka Grey Goose en
se fondant sur l’aspect incitatif à la consommation
d’alcool des slogans utilisés : « fly beyond »
et « Martini royale ».
2 avril 2014 :
le Jury de déontologie publicitaire
censure le slogan d’une publicité
faisant mention du terme « amitié »
du fait de son caractère incitatif.
3 avril 2014 :
la Cour d’appel de Versailles rappelle que la publicité
peut présenter les boissons alcoolisées sous un jour
favorable et de façon attractive pour provoquer le désir
de consommation chez le consommateur.
20 février 2014 :
le TGI de Paris rejette les demandes d’interdiction
des publicités diffusées sur les réseaux sociaux en
estimant que celles-ci se rapportent uniquement aux
caractéristiques de la boisson alcoolisée en cause.
1 / 1 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !