La protodémocratie
On entend par protodémocratie un régime politique qui pré-
sente certains traits démocratiques et la probabilité de s’acheminer,
dans un avenir plus ou moins prévisible, vers des formes sensible-
ment plus démocratiques. Les critères les plus pertinents pour
l’accès à la protodémocratie sont un espace politique de plus en plus
influencé par le vote populaire, des institutions qui donnent au suf-
frage universel un poids important dans les processus politiques, la
constitution de nouvelles élites cherchant leur légitimité non pas
dans les hiérarchies traditionnelles ou bureaucratiques, mais dans
leur capacité d’agrégation des voix populaires en relation au verdict
des urnes, la marginalisation progressive des élites antidémocrati-
ques, la constitution d’un espace public de plus en plus articulé et
l’apparition, dans la société, d’un état d’esprit fait de tolérance et de
définition non substantive de la vérité1. Cette définition suppose
d’une part, la présence d’importantes caractéristiques démocratiques
(comme la possibilité d’exprimer par son vote son point de vue
politique), la probabilité escomptée d’un surplus de démocratie dans
l’avenir et surtout, la présence d’acteurs ou de sujets qui poussent
vers la démocratisation de la société.
On peut envisager une échelle à trois degrés, selon que les sys-
tèmes politiques sont démocratiques, protodémocratiques ou non
démocratiques. Selon cette conception, de nombreux systèmes
politiques au monde et notamment dans le monde musulman sont
non seulement dénués de dimension démocratique, mais aussi, pro-
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1. Dans le cas iranien, comme on le verra, nombre de ces ingrédients sont pré-
sents, nombre d’autres n’étant pas suffisamment développés. Il en est ainsi des insti-
tutions démocratiques. Le Parlement et le président de la République sont élus au
suffrage universel et représentent le pôle démocratique des institutions politiques en
Iran. Mais d’un autre côté, il existe des institutions majeures non démocratiques,
voire antidémocratiques, comme le Conseil des gardiens (qui doit confirmer
l’islamité des lois votées au Parlement), le Conseil du discernement des intérêts
supérieurs (qui doit trancher, en cas de litige, entre le Parlement et le Conseil des
gardiens), l’office du Guide de la révolution ainsi que l’appareil judiciaire, qui limi-
tent de manière très restrictive la portée des deux institutions démocratiques men-
tionnées. Quant à la tolérance, dans les nouvelles générations et chez les groupes
d’intellectuels réformateurs, elle est présente, mais pas dans l’élite politique des
groupes conservateurs. Enfin, on assiste à une marginalisation des nouvelles élites
politiques « protodémocratiques » par les groupes conservateurs qui accentuent ainsi
les faiblesses des institutions démocratiques de la société face aux appareils et les
structures institutionnelles non démocratiques léguées par la révolution. Par ailleurs,
les conservateurs s’appuient sur une définition substantive de l’islam (univocité du
droit et de la vérité, application de la shari’a et sa légitimation par le Vélâyat faghih
(souveraineté du docteur de la loi islamique), alors que les réformateurs entendent
mettre la « vérité » dans le champ social et ne pas l’imposer au nom du sacré à
l’ensemble de la société.