JC Relations - Jewish

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Jewish-Christian Relations
Insights and Issues in the ongoing Jewish-Christian Dialogue
JUIFS ET CHRÉTIENS, FRÈRES À L’ÉVIDENCE
Recension de livre
Bruno Charmet* | 01.04.2016
Pierre d'Ornellas et Jean-François Bensahel, Juifs et chrétiens, frères à l’évidence – La
paix des religions.
Paris, Éd. Odile Jacob, 2015, 281 p. ISBN 978-2-7381-6480-2. 23,90 €
Cet ouvrage vient à la suite d’autres livres d’entretiens entre responsables juifs et chrétiens publiés
aussi bien en France qu’à l’étranger ces dernières décennies. Il est intéressant d’emblée de montrer
en quoi celui-ci s’en distingue.
En 2010, le Cardinal J. Bergoglio et son ami Rabbin, A. Skorka, publièrent un livre d’entretiens paru
en Argentine, et traduit en 2013 en français sous le titre : Sur la terre comme au ciel[1]. On est là
dans ce que j’appellerais une théologie en actes ; nous sommes entraînés dans un mouvement qui
veut rejoindre, au nom de la Torah et des Évangiles, avant tout le frère, qu’il soit juif, chrétien ou
autre. Et j’ajouterai qu’avec des actes et des gestes concrets, le pontificat de François n’est venu
que confirmer et amplifier ce qu’ils avaient déjà posé ensemble à Buenos Aires comme amis et
complices.
En ce qui concerne la France, au moins trois livres témoignent déjà d’un dialogue quasi
institutionnel. Dès 1977, Pierre Pierrard, qui deviendra plus tard Président de l’A.J.-C.F., à l’époque
Professeur d’histoire contemporaine à l’Institut Catholique de Paris, mena un dialogue effectivement
d’historien avec le Grand Rabbin de France, Jacob Kaplan[2]. Ensuite, nous avons tous en mémoire
l’ouvrage intitulé Le Rabbin et le Cardinal, qui mettait en confrontation amicale le Grand Rabbin
Bernheim et le Cardinal Barbarin[3]. Plus récemment, il faut encore mentionner les entretiens du
Pasteur Clavairoly (aujourd’hui Président de la Fédération Protestante de France) avec le Grand
Rabbin Korsia (actuel Grand Rabbin de France)[4].
Dans le présent livre de dialogue entre Mgr Pierre d’Ornellas, Archevêque de Rennes et Jean-François
Bensahel, Président de l’Union libérale israélite de la synagogue de la rue Copernic (Paris), ce qui
frappe d’emblée c’est la prise en compte, comme réalité fondamentale, de l’élection d’Israël, cœur
du Judaïsme, élection en partage, foyer central qui irradie vers les Nations, vers le Christianisme, fils
cadet de la Promesse.
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Autant dire que la méditation sur l’élection et ses conséquences est, pour nos deux interlocuteurs, le
cœur du dialogue judéo-chrétien, l’origine à partir de laquelle tout commence et se développe. Il faut
dire que Mgr d’Ornellas avait déjà attiré l’attention des Chrétiens, il y a plusieurs années, sur cette
réalité fondamentale de la Révélation qu’est l’élection, et surtout sur cette donnée selon laquelle la
foi chrétienne ne peut se vivre que greffée sur l’élection d’Israël. Il insistait aussi sur l’indissociabilité
entre Élection et Révélation, car c’est précisément en faisant élection avec un Peuple (Israël), que
Dieu se révèle pour l’ensemble des Nations. Cet enseignement, il l’avait donné en juillet 2012 dans
le cadre des Sessions « Découvrir le Judaïsme : les Chrétiens à l’écoute », des diocèses de l’Ouest, à
La Hublais (Rennes) avec ce titre significatif, L’élection d’Israël, une bonne nouvelle pour les
Chrétiens[5], intitulé qui définit déjà tout un programme.
Dans le présent livre, Mgr d’Ornellas insiste sur la conviction biblique selon laquelle « l’humanité ne
constitue pas une masse uniforme et, d’une certaine manière, indifférente » (p. 155). Si la Bible et
ses prophètes partaient de l’universel indifférencié, on aboutirait aux multiples totalitarismes que
l’humanité a connus à travers son histoire. Au contraire, Dieu élit toujours une personne singulière
pour élargir ensuite vers l’universel : « La lecture de la Bible, hébraïque et chrétienne, nous
renseigne sur la place singulière du ‘‘fils préféré’’. Celui-ci est aussi un fils aimé, un fils choisi. Dieu
procède par élection, c’est-à-dire par choix libre et gratuit. Ce principe d’élection inspire cette parole
extraordinaire : ‘‘Tu as du prix à mes yeux’’ (Ésaïe 43, 4). Dieu parle à l’élu qu’il chérit ! Pour Dieu,
ce fils préféré, lui qui a du prix à ses yeux, est bien évidemment ‘‘Israël’’. Voilà ce que pense le
peuple de la Bible et ce qu’il médite aujourd’hui avec les chrétiens ! » (p. 156).
Et Jean-François Bensahel[6], profondément enraciné dans son Judaïsme, éveillé à la relation avec les
Chrétiens — notamment par Olivier Clément, Chrétien orthodoxe, son professeur d’histoire au lycée
Louis-le-Grand, qui fut pour lui un exemple et une inspiration —, lui répond : « Il est le Dieu de tous
en se révélant comme le Dieu d’Israël, comme le Dieu révélé à Israël » (p. 157). En parfaite
consonance avec Mgr d’Ornellas, il insiste sur l’idée d’une élection en partage, dont témoigne toute
l’histoire du peuple de la Bible : « En méditant sur l’élection, Israël comprend que la reine de Saba,
et les nations, viendront un jour à Jérusalem reconnaître le Dieu révélé à Israël et qu’Israël révère
comme l’unique Dieu. Le peuple juif sait très bien que si Dieu a choisi Isaac, il a aussi béni Ismaël.
C’est écrit en toutes lettres au chapitre XVII de la Genèse. Mieux encore, il est parfaitement
conscient que toutes les nations auront part à la bénédiction d’Abraham. Si le Dieu d’Israël se révèle
ainsi, c’est pour dévoiler qu’il est aussi Dieu des autres nations, et qu’il veut entretenir avec elles
une profonde relation d’amour » (p. 157). Dès lors, c’est toute personne créée qui a un prix infini
pour le Dieu de la Bible. L’Élection est donc bien le noyau central de ce livre ; l’Alliance (Berit) de
Dieu avec son peuple, renouvelée en Christ, procède du même dynamisme : d’un peuple choisi à
l’univers entier.
Une fois donnée cette clef de lecture, tout devient cohérent dans leur entretien : La bénédiction
mutuelle (chapitre IV), et les convictions des deux amis qui ouvrent ce dialogue : Mgr d’Ornellas : «
Moi, catholique, ma dette est immense » (pp. 33-54) ; J.F. Bensahel : « Pour moi, juif, l’existence des
chrétiens relève du mystère de Dieu » (p. 55-75).
Forts de ces convictions de foi, c’est tout naturellement que tous deux nous livrent Six
Propositions qui sont autant de tâches à relever par les Juifs et les Chrétiens, autant de défis
exaltants pour les cinquante années à venir, après un premier bilan puisque nous fêtons en 2015 les
cinquante ans de la Déclaration Nostra Ætate. Les deux auteurs s’en expliquent : « Pour favoriser
cette rencontre, nous proposons six chemins de réflexion comme des avenues ouvertes par nos
rêves, mais solidement fondées sur nos textes sacrés. Puissent-elles offrir un espace jubilaire
pendant lequel juifs et catholiques renforceront leur lien d’amitié ! Alors, ce jubilé sera le temps
favorable que Dieu nous offre pour nous guider sur les chemins de la fraternité de telle sorte que le
message porté par la religion monothéiste — Israël et le christianisme, lui qui adhère au Dieu d’Israël
— apparaisse à la face du monde comme une parole de paix et de fraternité » (p. 244).
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Ces six propositions méritent d’être énoncées car elles pourraient constituer autant de pistes
concrètes à étudier par les délégués diocésains pour les relations avec le Judaïsme et leurs équipes,
ainsi que pour les groupes locaux de l’A.J.-C.F. :
1)
2)
3)
4)
5)
6)
Changer le terme ‘‘Ancien’’ dans l’expression ‘‘Ancien Testament’’ ;
Mettre un terme à l’obsession de la conversion des juifs par les chrétiens ;
Lire et relire ensemble les textes pour un bénéfice mutuel ;
Associer des paroisses et des synagogues ;
Voyage en commun, juifs et chrétiens, en Israël ;
Un observatoire de la fraternité entre juifs et chrétiens.
Un livre qui témoigne de la fécondité unique du dialogue judéo-chrétien dès lors que l’histoire des
deux traditions religieuses est reconnue et assumée par les partenaires en présence, pour un avenir
fait de promesses dépassant même les plus folles espérances humaines.
Notes
[1] J. Bergoglio et A. Skorka, Sur la terre comme au ciel, éd. R. Laffont, 2013 (voir Sens, no 382,
septembre-octobre 2013, p. 717-720].
[2] Le Grand Rabbin Kaplan, justice pour la foi juive. Pierre Pierrard interroge, éd. Le Centurion,
1977 ; rééd. Le Cerf, 1995 (voir Sens, no 198, mai 1995, p. 226-227).
[3] Le rabbin et le cardinal. Un dialogue judéo-chrétien d'aujourd'hui, éd. Stock, 2008 (voir Sens no
336, mars 2009, p. 175-183).
[4] François Clavairoly et Haïm Korsia, Paroles d'Alliance. Dialogue entre un pasteur et un rabbin sur
la société française, Préface du Cardinal Roger Etchegaray, éd. François Bourin, 2010 (voir Sens, no
362, septembre-octobre 2011, p. 680-681).
[5] Mgr P. d'Ornellas, “L'élection d'Israël, une bonne nouvelle pour les Chrétiens”, dans Sens, no 382,
(septembre-octobre 2013), p. 657-672. Déjà, en juillet 2010, lors de la première session des diocèses
de l'Ouest, à l'abbaye N-D. de Melleray (diocèse de Nantes), il avait centré sa conférence sur “Le
Mystère de l'Élection” (voir Sens, no 370, juin 2012, p. 446-448).
[6] J. F. Bensahel a été l'une des personnalités juives (avec le Rabbin Philippe Haddad, le Rabbin
Rivon Krygier, Raphy Marciano et Franklin Rausky) à signer la « Déclaration pour le jubilé de
fraternité à venir – Nouvelle vision juive des relations judéo-chrétiennes » qui se veut une réponse
juive au 50ème anniversaire de la Déclaration conciliaire Nostra Ætate. L'événement eut lieu à Paris,
au Collège des Bernardins, le 23 novembre 2015, et la Déclaration fut remise par le Grand Rabbin de
France, Haïm Korsia, au Cardinal André Vingt-Trois, Archevêque de Paris (voir Sens, no 405, marsavril 2016, p. 99-101).
Remarques de l’éditeur
* Source : Revue Sens no 405 (mars-avril 2016), p. 173-175 (voir http://ajcf.fr/sens-no-405-marsavril-2016-nouveaux-textes.html)
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