
Autant dire que la méditation sur l’élection et ses conséquences est, pour nos deux interlocuteurs, le
cœur du dialogue judéo-chrétien, l’origine à partir de laquelle tout commence et se développe. Il faut
dire que Mgr d’Ornellas avait déjà attiré l’attention des Chrétiens, il y a plusieurs années, sur cette
réalité fondamentale de la Révélation qu’est l’élection, et surtout sur cette donnée selon laquelle la
foi chrétienne ne peut se vivre que greffée sur l’élection d’Israël. Il insistait aussi sur l’indissociabilité
entre Élection et Révélation, car c’est précisément en faisant élection avec un Peuple (Israël), que
Dieu se révèle pour l’ensemble des Nations. Cet enseignement, il l’avait donné en juillet 2012 dans
le cadre des Sessions « Découvrir le Judaïsme : les Chrétiens à l’écoute », des diocèses de l’Ouest, à
La Hublais (Rennes) avec ce titre significatif, L’élection d’Israël, une bonne nouvelle pour les
Chrétiens[5], intitulé qui définit déjà tout un programme.
Dans le présent livre, Mgr d’Ornellas insiste sur la conviction biblique selon laquelle « l’humanité ne
constitue pas une masse uniforme et, d’une certaine manière, indifférente » (p. 155). Si la Bible et
ses prophètes partaient de l’universel indifférencié, on aboutirait aux multiples totalitarismes que
l’humanité a connus à travers son histoire. Au contraire, Dieu élit toujours une personne singulière
pour élargir ensuite vers l’universel : « La lecture de la Bible, hébraïque et chrétienne, nous
renseigne sur la place singulière du ‘‘fils préféré’’. Celui-ci est aussi un fils aimé, un fils choisi. Dieu
procède par élection, c’est-à-dire par choix libre et gratuit. Ce principe d’élection inspire cette parole
extraordinaire : ‘‘Tu as du prix à mes yeux’’ (Ésaïe 43, 4). Dieu parle à l’élu qu’il chérit ! Pour Dieu,
ce fils préféré, lui qui a du prix à ses yeux, est bien évidemment ‘‘Israël’’. Voilà ce que pense le
peuple de la Bible et ce qu’il médite aujourd’hui avec les chrétiens ! » (p. 156).
Et Jean-François Bensahel[6], profondément enraciné dans son Judaïsme, éveillé à la relation avec les
Chrétiens — notamment par Olivier Clément, Chrétien orthodoxe, son professeur d’histoire au lycée
Louis-le-Grand, qui fut pour lui un exemple et une inspiration —, lui répond : « Il est le Dieu de tous
en se révélant comme le Dieu d’Israël, comme le Dieu révélé à Israël » (p. 157). En parfaite
consonance avec Mgr d’Ornellas, il insiste sur l’idée d’une élection en partage, dont témoigne toute
l’histoire du peuple de la Bible : « En méditant sur l’élection, Israël comprend que la reine de Saba,
et les nations, viendront un jour à Jérusalem reconnaître le Dieu révélé à Israël et qu’Israël révère
comme l’unique Dieu. Le peuple juif sait très bien que si Dieu a choisi Isaac, il a aussi béni Ismaël.
C’est écrit en toutes lettres au chapitre XVII de la Genèse. Mieux encore, il est parfaitement
conscient que toutes les nations auront part à la bénédiction d’Abraham. Si le Dieu d’Israël se révèle
ainsi, c’est pour dévoiler qu’il est aussi Dieu des autres nations, et qu’il veut entretenir avec elles
une profonde relation d’amour » (p. 157). Dès lors, c’est toute personne créée qui a un prix infini
pour le Dieu de la Bible. L’Élection est donc bien le noyau central de ce livre ; l’Alliance (Berit) de
Dieu avec son peuple, renouvelée en Christ, procède du même dynamisme : d’un peuple choisi à
l’univers entier.
Une fois donnée cette clef de lecture, tout devient cohérent dans leur entretien : La bénédiction
mutuelle (chapitre IV), et les convictions des deux amis qui ouvrent ce dialogue : Mgr d’Ornellas : «
Moi, catholique, ma dette est immense » (pp. 33-54) ; J.F. Bensahel : « Pour moi, juif, l’existence des
chrétiens relève du mystère de Dieu » (p. 55-75).
Forts de ces convictions de foi, c’est tout naturellement que tous deux nous livrent Six
Propositions qui sont autant de tâches à relever par les Juifs et les Chrétiens, autant de défis
exaltants pour les cinquante années à venir, après un premier bilan puisque nous fêtons en 2015 les
cinquante ans de la Déclaration Nostra Ætate. Les deux auteurs s’en expliquent : « Pour favoriser
cette rencontre, nous proposons six chemins de réflexion comme des avenues ouvertes par nos
rêves, mais solidement fondées sur nos textes sacrés. Puissent-elles offrir un espace jubilaire
pendant lequel juifs et catholiques renforceront leur lien d’amitié ! Alors, ce jubilé sera le temps
favorable que Dieu nous offre pour nous guider sur les chemins de la fraternité de telle sorte que le
message porté par la religion monothéiste — Israël et le christianisme, lui qui adhère au Dieu d’Israël
— apparaisse à la face du monde comme une parole de paix et de fraternité » (p. 244).
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