La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXIV - n° 4 - juillet-août 2009 | 135
patiente a des antécédents d’infection à répétition, notamment
d’angines sévères avec phlegmons. Le bilan immunitaire révèle
l’existence d’une hypogammaglobulinémie (IgG totales = 4,97 g/l),
d’une lymphopénie T CD4+ sans inversion du rapport CD4/CD8
(CD4+ = 481/mm3 ; CD8+ = 329/mm3, le 4 août). Le bilan viro-
logique est complété de sérologies et de recherches par biologie
moléculaire de la présence d’autres virus. Les sérologies du virus
de l’immunodéficience humaine (VIH), du virus de l’hépatite B
(VHB) et du VHC sont négatives. Le statut sérologique vis-à-vis
des herpès virus est le suivant : EBV IgM négatives et IgG 52 U/ml ;
CMV IgM négatives et IgG 22 UA/ml ; HSV IgM négatives et IgG <
6 UA ; VZV IgM négatives et IgG 189 mUI/ml. Les recherches en
biologie moléculaire des virus EBV, CMV et HHV6 se sont révélées
négatives dans le sang total. Sur les prélèvements respiratoires,
aucun autre virus n’a pu être mis en évidence (HSV, VZV, adéno-
virus et VRS). L’analyse bactériologique de divers prélèvements
respiratoires (crachats, liquide broncho-alvéolaires, sécrétions) n’a
pas démontré de surinfection bactérienne. Le 6 août, la patiente
est toujours sous ECMO ; un œdème lésionnel alvéolaire majeur
est mis en évidence à la radiographie pulmonaire (figure 2), et
un petit épanchement pleural bilatéral à l’échographie thora-
cique. Cet état nécessite la mise en place d’une hémofiltration
rénale afin de réduire sa masse hydrique. Le 7 août, il est décidé
de tenter de stimuler ses défenses immunitaires en administrant
des immunoglobulines polyvalentes (160 g) et de l’interféron-α
à la dose de 3 millions d’unités 3 fois par semaine. L’état de la
patiente s’améliore ensuite quotidiennement sur le plan respi-
ratoire, comme en témoignent les radiographies pulmonaires
(figure 2), et l’ECMO est retirée après 10 jours d’utilisation. Le
lendemain, la patiente est réveillée, consciente et orientée. Deux
jours après, elle commencera à respirer de manière spontanée. La
lymphopénie T se corrige (CD4+ = 961/mm3, CD8+ = 583/mm3,
le 12 août). Aucune phase de virémie du virus grippal n’a pu être
mise en évidence chez la patiente, cette recherche ayant pour but
d’objectiver une éventuelle dissémination virale. Au total, le virus
A/H1N1 2009 est détecté quotidiennement dans les prélèvements
respiratoires profonds pendant 21 jours malgré le traitement par
oseltamivir. Il est important de signaler que cette souche était
sensible à l’oseltamivir. En effet, le séquençage du gène de la
neuraminidase N1 ne fait pas apparaître la mutation H274Y (4).
Cas 2
Le patient 2, âgé de 51 ans, contrôleur à la Sécurité sociale, n’a
aucun antécédent médical connu. Le 25 juillet 2009, il a présenté
un début de syndrome grippal typique avec fièvre à 40 °C, frissons
et myalgies motivant une consultation chez son médecin traitant.
Il n’a eu aucun contact avec un sujet porteur de la grippe porcine
avéré et n’a pas voyagé à l’étranger les mois précédents. En l’ab-
sence de signes de gravité, il rentre chez lui avec un traitement
symptomatique par paracétamol (Doliprane
®
) et des consignes
de repos mais également de mesures d’isolement. Le patient ne
présente aucun facteur de risque cardio-vasculaire hormis un
IMC à 32 (1,74 m, 97 kg), témoin d’une obésité modérée. Il ne
fume pas. Sept jours après le début des symptômes, une toux
sèche et un syndrome respiratoire s’ajoutent au tableau clinique,
ainsi qu’une dyspnée mineure, présente notamment à l’effort. La
suspicion d’une surinfection bactérienne entraîne la mise sous
antibiothérapie par amoxicilline-acide clavulanique (Augmentin
®
)
puis par ceftriaxone (Rocéphine®) après 48 heures. Le 3 août,
le patient est admis aux urgences de l’hôpital Saint-André du
CHU de Bordeaux pour cause d’une altération de l’état général
avec une aggravation de la dyspnée et une asthénie importante.
L’examen d’entrée montre une fièvre élevée à 40 °C et des signes
de détresse respiratoire. La radiographie thoracique fait apparaître
des opacités alvéolaires bilatérales diffuses, compatibles avec
un œdème pulmonaire. Le patient ne présente aucun trouble
cardiaque associé. L’échographie cardiaque montre une fonction
ventriculaire gauche normale (fraction d’éjection de 60 %). L’hy-
poxie est sévère et résistante à l’oxygénothérapie seule (PaO2 =
41,3 mmHg sous air ambiant). Le patient est alors transféré dans le
service de réanimation du même hôpital, 6 heures après son arrivée
aux urgences. Il est intubé et placé sous ventilation mécanique. Le
4 août, devant ce tableau de SDRA et dans un contexte de suspi-
cion de grippe, un écouvillonnage naso-pharyngé est réalisé. La
présence d’une souche A/H1N1 2009 est détectée au laboratoire
de virologie du CHU de Bordeaux. Eu égard au poids du patient
et à la gravité du tableau clinique, un traitement par oseltamivir
(Tamiflu®) à double dose (150 mg x 2/j) est instauré. Un traitement
antibiotique par ceftriaxone (Rocéphine®) et spiramycine (Rova-
mycine®) est instauré de façon probabiliste. Le bilan biologique
relevait une lymphopénie T (CD4+ = 675/ mm
3
, CD8+ = 81/mm
3
,
le 4 août ; CD4+ = 793/mm3, CD8+ = 110/mm3, le 7 août ; CD4+
= 1154/mm3, CD8+ = 164/mm3, le 11 août), un bilan hépatique
légèrement perturbé (ASAT = 69 UI/l, ALAT = 60 UI/l, PAL = 37 UI/l,
GGT = 95 UI/l), une rhabdomyolyse (CPK = 739 UI/l) et un taux
de LDH élevé à 340 UI/l. La CRP atteint 265 mg/l le 5 août et la
PCT est à 0,38 µg/l. Il n’a pas été observé de virémie grippale (PCR
A/ H1N1 2009 négative sur sang total recueilli sur EDTA). Les séro-
logies virales des hépatites B et C et du VIH sont négatives. Sur sang
total, la PCR CMV est négative, alors que la charge virale EBV est
de 12 100 copies/ ml le 5 août, puis de 2 330 copies/ml le 14 août.
Le traitement par oseltamivir est poursuivi jusqu’à la négativation
des prélèvements respiratoires, le 10 août. Le génotypage de la
souche par biologie moléculaire permet de confirmer l’efficacité
clinique de l’oseltamivir, puisque la souche A/H1N1 2009 isolée est
sensible à ce médicament (absence de mutation en position 274
de la neuraminidase N1) [4]. L’amélioration clinique est franche
et l’état du patient se stabilise. Une suspicion de phlébite évoquée
devant une jambe rouge et gonflée est rapidement confirmée par
un doppler des membres inférieurs. Un angioscanner thoracique
réalisé le 11 août révèle une embolie pulmonaire sous-segmentaire
droite et des plages de verre dépoli diffuses en rapport avec un
SDRA diffus. L’étude d’un LBA non hématique met en évidence une
alvéolite constituée de lymphocytes T CD8+ (56 % des lympho-
cytes du LBA) dans les poumons. Le 12 août, une fièvre élevée fait
suspecter une infection bactérienne nosocomiale. L’instauration
d’une antibiothérapie probabiliste par céfépime (Axepim®) et
amikacine (Amiklin
®
) permet une régression des symptômes et
la diminution du syndrome inflammatoire. L’évolution est ensuite
favorable, permettant de débuter un sevrage respiratoire.
CAS CLINIQUE