32L'été Tribune de Genève | Mardi 31 juillet - mercredi 1er août 2012 Malgré la crise, ils créent leur entreprise GeNeuro (2/4) Virus en état de siège Il contribue au développement d’un remède révolutionnaire contre la sclérose en plaques sur le succès du traitement contre la SEP et ne laisse pas la crise actuelle avoir raison de ses espoirs: «En sciences, il faut savoir garder un certain sens de l’humour pour ne pas se décourager», admet-il. «Nous n’avons jamais manqué d’argent, car notre produit est novateur et sait convaincre les investisseurs.» GeNeuro, une entreprise qui ne connaît pas la crise. Ou presque. «La situation économique actuelle implique forcément une petite diminution des fonds, mais comme notre produit est très prometteur, les soutiens sont toujours là.» Notamment grâce à ses investisseurs, qui renflouent régulièrement les caisses et pourront se féliciter d’avoir cru en GeNeuro si le médicament parvient à passer la rampe des essais cliniques. «Ce traitement a l’avantage de bloquer la réactivation du rétrovi- Géraldine Wenger Pierre Abensur Photos R egard franc, sourire charmant, François Curtin sait se vendre. Heureuse coïncidence, puisque convaincre est la mission quasi quotidienne du directeur général de GeNeuro, laboratoire de recherches en biotechnologies fondé en 2006 et basé à Plan-les-Ouates. Son sobre bureau rempli de piles de dossiers, de rangées de classeurs et d’objets à fonction utilitaire le prouve: le mythe du scientifique rationnel, libre de toute attache sentimentale est bien vivant. À la tête d’une équipe de sept chercheurs spécialisés dans l’avancée des traitements pour la sclérose en plaques (SEP), cet ancien directeur médical de Merck Serono doit convaincre compagnies pharmaceutiques et hôpitaux de tous horizons de l’importance de la nouvelle découverte de son entreprise. La trouvaille: un anticorps ciblant le rétrovirus à l’origine de la maladie, capable d’exercer une régression des lésions, potentiellement jusqu’à leur totale disparition de l’organisme. Objectif 2012: tester le traitement sur les patients atteints afin d’observer ses effets sur la maladie. Si les résultats sont probants, GeNeuro pourra envisager l’introduction du produit sur le marché. La percée serait remarquable dans le monde de la biotechnologie, puisque aucun médicament actuellement sur le marché n’offre la possibilité de vaincre la SEP. 2006 7 12 millions Date de création de GeNeuro Nombre d’employés actuels Capital de départ Maladie ancestrale Mais avant de mener ce médicament vers les sommets radieux de la commercialisation, plus de vingt ans de recherches ont été nécessaires à son développement. L’aventure commence à Lyon. En 1989, le jeune doctorant en médecine Hervé Perron rédige sa thèse sur le postulat que la sclérose en plaques, maladie neurologique auto-immune chronique, est d’origine virale. Diplômé, il développe ses recherches à l’institut de médecine lyonnais bioMérieux et établit que la cause de la maladie est en fait un rétrovirus, autrement dit un virus vieux de plusieurs millions d’années, «endormi» au fil de l’évolution mais toujours présent dans l’ADN de l’homme moderne. Seul problème, ce rétrovirus peut être réactivé au contact d’un autre agent viral aussi banal que la varicelle ou l’herpès labial. Persuadé d’être sur une piste, le virologue cherche des fonds pour créer une filiale dédiée à la recherche sur la sclérose en plaques. En 2006, son vœu se concrétise. Il fonde GeNeuro avec le soutien de bioMérieux et de la structure suisse d’accompagnement de projets d’entreprises Eclosion, qui lui permet de s’installer à Plan-les-Ouates et devient son principal actionnaire. Budget attribué: 12 millions de francs. L’avantage de la différentiation C’est trois ans plus tard que François Curtin, docteur en médecine et détenteur d’une maîtrise en administration des affaires, rejoint l’équipe en tant que directeur général de l’entreprise. Un choix qu’il ne regrette pas: «Je n’ai jamais souhaité exercer la pratique médicale à proprement parler, affirme le Genevois. Mon but était de faire de la recherche. C’est un domaine extrêmement intéressant et stimulant quant à ce que l’on peut apporter aux patients.» Très loquace quant à son domaine professionnel, il se montre relativement réservé dès qu’il s’agit de se dévoiler, et revient très vite sur le terrain plus neutre de la recherche scientifique. À 48 ans, ce père de jumeaux mise tout Contrôle qualité rus à l’origine de la sclérose en plaques sans les effets secondaires des autres produits sur le marché. Les solutions actuelles diminuent l’action du système immunitaire, permettant aux infections et à certains cancers d’infiltrer l’organisme du patient. C’est un gros désavantage», explique François Curtin. La route est longue Transformation François Curtin a troqué la blouse blanche et le labo contre le costume et le bureau. «Si tout se passe comme nous l’espérons, dans cinq à six ans il existera un traitement pour guérir complètement les personnes atteintes de sclérose en plaques» François Curtin Directeur général de GeNeuro L’objet qui compte U Encore loin de la zone industrielle de Plan-les-Ouates, François Curtin étoffait entre 1997 et 2000 son parcours médical à l’Ecole d’hygiène et de médecine tropicale de Londres, et obtenait un master en business à l’Université de Warwick (nord-ouest de Londres) en 2006. De son voyage, il a gardé son Petit Robert français-anglais, dont il ne saurait plus se passer: «J’ai parlé anglais pendant tellement d’années que je pense souvent dans cette langue et il m’arrive de ne plus pouvoir exprimer certains mots en français. Mon dictionnaire m’a suivi partout, du Collège de Candolle à GeNeuro. C’est d’ailleurs avec lui que j’ai passé ma matu», sourit le Genevois, un brin nostalgique. G. W. Mais avant de crier victoire, le traitement devra passer diverses étapes de validation: «Après les essais cliniques sur des souris, il faut évaluer la qualité et la sécurité du traitement sur des patients sains pour s’assurer de leur tolérance à l’anticorps. Dans notre cas, cette étape s’est très bien déroulée, se réjouit François Curtin. Elle nous permettra de lancer la phase suivante: examiner la réaction de l’antivirus sur les patients atteints de SEP.» Si les résultats sont probants, le produit sera soumis à Swissmedic, autorité sanitaire en charge de l’analyse des produits thérapeutiques vendus et prodigués en Suisse. Le traitement consiste en une injection intramusculaire mensuelle, jusqu’à la fin de la vie du patient. Un tel concentré de technologies a un prix, mais François Curtin ne se risque pas à chiffrer le traitement: «Le coût final n’est pas encore calculable, car le produit n’est pas au bout de son processus d’élaboration.» Le directeur général admet toutefois que les traitements de pointe, dont la conception est très longue et complexe, peuvent facilement coûter de 25 000 à 50 000 francs par personne et par an. Actuellement, la sclérose en plaques touche environ 100 000 personnes en Suisse. Prochain défi pour l’équipe de GeNeuro: commercialiser le traitement afin d’obtenir des fonds pour une autre piste de recherche. «Nous avons établi que le rétrovirus présent chez les patients souffrant de la sclérose en plaques l’est aussi chez 40% des schizophrènes. Cela implique que le type d’expression du virus est similaire d’une maladie à l’autre et nous aimerions découvrir pourquoi.» Voilà encore une autre paire de manches.