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Une réussite démocratique fragile :
Avec la tenue d’élections démocratiques inédites en 1994, le long combat anti-
apartheid accouchait d’un dénouement pacifique aussi surprenant qu’espéré. Une
décennie a passée, et cette libération vaut toujours une moralité d’estime à l’Afrique du
Sud. Il faut dire que, depuis, d’incontestables réussites ont visiblement affranchit la
nation des heures les plus sombres de son histoire. La révolution institutionnelle a été
brillamment menée. De fait, la démocratie sud-africaine apparaît tout à fait
performante sur ce plan. Elle dispose notamment d’une Constitution qu’on cite
fréquemment comme l’une des plus avancées au monde. D’inspiration
marshallienne
,
cette dernière garantit aux citoyens un large éventail de droits (politiques, civiques,
sociaux). Au-delà de ce bilan formel globalement positif, c’est aussi la manière qui
suscite l’enthousiasme. La nécessité d’éviter un éclatement imminent ayant dicté la
volonté d’impliquer la population dans son ensemble, c’est d’un véritable « atelier
démocratique » qu’a émergé la « nouvelle » Afrique du Sud. Les fruits de cette
approche novatrice s’exportent d’ailleurs largement. Les réformateurs peuvent en
effet s’enorgueillir du fait que nombre des stratégies utilisées pour susciter le débat de
la transition post-apartheid fassent désormais autorité de par le monde. Qu’on ne s’y
méprenne pas néanmoins. L’ampleur du défi proposé à la jeune démocratie disqualifie
l’optimisme à ce stade. Les attentes sont fortes et les chantiers nombreux.
La lutte qui a traversé le vingtième siècle sud-africain stigmatisait un système
oligarchique qui dénigrait le droit à la représentation politique de 80% de la population.
L’obtention du droit de vote représentait alors le préalable fondamental sans lequel les
aspirations de la majorité ne pouvaient être satisfaites. Il est logique, dès lors, que cet
aspect civique ait longtemps préempté tout autre demande. La conquête du suffrage
universel, en revanche, permit de libérer une deuxième génération de revendications –
d’ordres socioéconomiques notamment. De fait, les attentes de progression sociale de
la population étaient déjà grandes à la libération et sans doute sont-elles allées encore
croissantes depuis. Il faut dire à ce sujet que la transformation, bien que remarquable
sous de nombreux rapports, s’est cantonnée en grande partie au registre d’une
« révolution formelle ». Malgré des efforts indéniables, le pays a jusqu’ici peiné à
donner corps à sa vision en général, et à son volet social en particulier. Dans ce
contexte post-apartheid qui a vu les inégalités socioéconomiques croître au niveau
national, il paraît ainsi raisonnable de postuler la montée d’une certaine frustration
dans les couches populaires.
Dans quelle mesure une telle impatience démocratique saperait-elle les
fondements de la « nation arc-en-ciel » ? L’exemple du voisin zimbabwéen est là pour
rappeler, s’il le fallait, la fragilité d’une construction démocratique. Surtout, certains
éléments poussent à réinterpréter l’enthousiasme initialement manifesté par les sud-
africains à l’égard du projet démocratique. En 2006, le limogeage d’un haut dirigeant
soupçonné de corruption a certes offert des gages de la capacité des institutions à
pérenniser la « bonne gouvernance » nécessaire à l’exercice démocratique… gages
immédiatement invalidés puisque ledit dirigeant a depuis réintégré les plus hautes
sphères du pouvoir politique et semble promis à un bel avenir. Moins que ce retour en
grâce, c’est surtout le mécontentement populaire qu’avait suscité le limogeage qui
peut inquiéter au plus haut point. Cette réaction suggère en effet que l’attachement
des sud-africains à leur démocratie s’est peut être moins structuré autour des
principes que de ses incarnations – ce qui laisserait présager d’une marge de
manœuvre considérable pour les dirigeants. Cette situation n’est évidemment pas
souhaitable dans un cadre démocratique. Elle l’est d’autant moins en réalité que, si l’on