L’Information psychiatrique 2008 ; 84 : 427-33 HISTOIRE DE LA PSYCHIATRIE Rubrique dirigée par E. Mahieu et J. Postel Penser les troubles de l’existence avec Roland Kuhn Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. Jean-Claude Marceau RÉSUMÉ L’article se propose de donner un aperçu des écrits en français de Roland Kuhn consacrés à l’analyse existentielle. Ce psychiatre helvétique, récemment décédé, considéré par Ludwig Binswanger comme son fils spirituel, s’est notamment illustré par ses recherches en psychopharmacologie, qui le conduisirent, en 1957, à la découverte des premiers antidépresseurs. Nous montrons, à partir de la question de la dépression, le rôle essentiel que tient dans son œuvre la phénoménologie, absolument indissociable de ses recherches cliniques. Ami de Gaston Bachelard, Michel Foucault et Henri Maldiney, Roland Kuhn conçoit la philosophie comme cette interrogation sur l’existence propre à replacer la question du sujet au cœur de toute recherche en psychopathologie. Mots clés : Roland Kuhn, psychopathologie, philosophie, existence, savoir ABSTRACT Thinking through existential disorders with Roland Kuhn. The article aims to give an overview of Roland Kuhn’s French writings on existential analysis. This Swiss psychiatrist, who recently passed away, was considered by Ludwig Binswanger as his spiritual son. His research in psychopharmacology led him to the discovery, in 1957, of the first anti-depressant. Based on an examination of the issue of depression, we emphasize the substantial role in his work of phenomenology, which is inseparable from his clinical studies. Counting philosophers such as Gaston Bachelard, Michel Foucault and Henri Maldiney among his friends, Roland Kuhn considered philosophy as an interrogation on existence, capable of placing the question of the subject back at the heart of all psychopathological research. Key words : Roland Kuhn, psychopathology, philosophy, existence, knowledge RESUMEN Pensar los trastornos de la existencia con Roland Kuhn. El artículo propone un resumen de la obra escrita en francés de Roland Kuhn consagrada al análisis existencial. Este psiquiatra helvético, fallecido recientemente, considerado por Ludwig Binswanger como su hijo espiritual, se ilustró sobre todo por sus trabajos en psicofarmacología que le condujeron, en 1957, al descubrimiento de los primeros antidepresivos. El autor muestra, a partir de la cuestión de la depresión, el rol esencial de la fenomenología en su obra, absolutamente indisociable de sus investigaciones clínicas. Amigo de Gaston Bachelard, Michel Foucault y Henri Maldiney, Roland Kuhn concibe la filosofía como una interrogación sobre la existencia que le lleva a situar la cuestión del sujeto en el centro de toda investigación psicopatológica. Palabras claves : Roland Kuhn, psicopatología, filosofía, existencia, saber 10, rue Hussenet, 93110 Rosny-sous-Bois <[email protected]> L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 84, N° 5 - MAI 2008 jleipe00571_cor1.indd 427 427 6/17/2008 5:08:19 PM J.-C. Marceau Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. « Il convient plutôt de s’attacher à ce que signifie être un homme. » (Sören Kierkegaard) Né en 1912, Roland Kuhn, qui nous a quittés en octobre 2005, fut une figure éminente de la psychopathologie helvétique dans la deuxième moitié du XXe siècle. Psychiatre de formation, celui qui était considéré par Ludwig Binswanger comme son fils spirituel a mené en tant que clinicien, enseignant et chercheur, des travaux de tout premier plan placés sous le signe d’une pensée majeure, la Daseinsanalyse, illustrant la puissance et la fécondité de cette méthode d’investigation des troubles mentaux dans l’ensemble du champ clinique, y compris le domaine de la psychopharmacologie. Dans un article autobiographique rédigé peu avant sa mort, Roland Kuhn [15] souligne combien la pensée phénoménologique constitue cette idée directrice qui l’a guidé tout au long de ses recherches en assurant une vision unifiée de son œuvre par-delà ses divers champs thématiques : psychologique, pharmacologique ou esthétique. Toute celle-ci s’est en effet nourrie d’une discussion avec les pensées d’un certain nombre de philosophes contemporains et non des moindres, qu’il s’agisse de Michel Foucault, Hans Georg Gadamer, Gaston Bachelard, Henri Maldiney ou Pierre Fédida. Ayant fait sien ce propos de Kierkegaard, « il convient plutôt de s’attacher à ce que signifie être un homme », qu’aimait à citer son maître, Binswanger, Roland Kuhn n’a cessé d’interroger l’homme psychiquement souffrant dans son existence, tant il était convaincu que ladite maladie mentale demandait à être comprise comme un trouble de l’ex-sister, comme une flexion particulière de l’être du patient dans son ouverture au monde et à autrui. L’originalité première de la pensée de Roland Kuhn est ainsi de reconduire au cas par cas, pour chaque patient, une interrogation sur la question de l’être-homme comme condition de possibilité d’une pensée et d’une pratique psychiatrique authentique, démarche singulière par laquelle son œuvre se révèle riche d’enseignements pour la psychopathologie contemporaine, en lui rappelant combien la question du sujet doit demeurer au cœur de sa réflexion. Fils et petit fils de libraire, ayant acquis très tôt le goût pour les lettres au fil des lectures glanées dans l’échoppe paternelle, Roland Kuhn apporte toujours grand soin à la rédaction de ses cas cliniques, empreints d’une savante sobriété. Dès lors que le langage participe, par excellence, de ce phénomène de monde qu’il contribue à déclore, le bien-dire, chez lui, est consubstantiel à la précision même du penser. Par-delà la question de l’écriture, Roland Kuhn accorde ainsi un rôle primordial au langage, comme en fait foi du reste l’un de ses premiers travaux, l’abondante préface qu’il a rédigée pour la Contribution à la conception des aphasies [5] de Sigmund Freud, dans laquelle il se révèle un fin connaisseur de la psychanalyse, non seulement de l’œuvre freudienne mais encore de ses commen- 428 jleipe00571_cor1.indd 428 tateurs contemporains, tel Jacques Nassif, même s’il s’en tient pour sa part, tout comme son maître Binswanger, à une psychanalyse avant tout conçue comme science de l’interprétation. L’œuvre de Roland Kuhn est considérable – quelque trois cents publications et conférences qui s’étagent sur près de cinquante années d’enseignement, dont une bonne centaine inédites –, elle reste encore en grande partie à défricher. Plus modestement, cet article se voudrait une invitation à la lecture, à un retour aux choses mêmes et tout d’abord aux écrits de Roland Kuhn, pour faire découvrir ou redécouvrir à tout un chacun quelques textes majeurs d’une pensée forte qui, se jouant des phénomènes de mode, pousse à un très haut degré l’exigence du penser comme condition première de toute efficacité d’une action thérapeutique. Existence et folie Roland Kuhn a mené des travaux en psychopharmacologie internationalement reconnus qui le conduisirent en 1957 à la découverte du premier antidépresseur : l’imipramine. Cependant, il n’a jamais considéré que la signification d’une pathologie, quand bien même ses symptômes les plus marquants sont susceptibles d’être abrasés sous l’effet d’une substance naturelle ou artificielle, puisse être englobée dans la seule perspective de la science biologique. Comme l’écrit Michel Foucault dans Maladie mentale et folie : « Le médecin n’est pas du côté de la santé qui détient tout savoir sur la maladie ; et le malade n’est pas du côté de la maladie qui ignore toute chose sur elle-même jusqu’à sa propre existence [4]. » Même si un tel pharmakon peut contribuer momentanément, de façon pragmatique, à soulager la souffrance d’un sujet, c’est bien plutôt sur cet étrange statut de la folie, sur cette « maladie mentale » irréductible à toute maladie, qu’il convient de nous interroger pour ressaisir la psychopathologie comme fait de civilisation et œuvre de culture. La méthode directrice dont se réclame Roland Kuhn est d’ordre philosophique, et plus particulièrement phénoménologique : la Daseinsanalyse, fondée par son maître Ludwig Binswanger, qui s’efforce d’établir une synthèse entre la psychanalyse freudienne, la phénoménologie husserlienne et l’analytique existentiale heideggérienne. Dans la préface à l’Introduction à l’analyse existentielle [1] de Ludwig Binswanger, qu’il rédige en collaboration avec Henri Maldiney, Roland Kuhn nous explique comment dans le prolongement de l’œuvre husserlienne, le dessein du projet binswangérien consiste tout à la fois dans une tentative de « s’expliquer avec soi-même à travers les choses », et de « s’expliquer avec les choses à travers soi » [1], instaurant par là même l’instance d’un soi décentré qui ne puise sa substance que dans son rapport premier au monde et à autrui. L’expérience du corps joue ici un rôle essentiel, qu’elle soit conçue avec L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 84, N° 5 - MAI 2008 6/17/2008 5:08:20 PM Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. Penser les troubles de l’existence avec Roland Kuhn Husserl comme ce qui relève du propre ou, en référence à Heidegger, comme un mode de l’habiter. Le corps vécu est en effet ce phénomène primordial par lequel nous entrons en contact avec le monde de façon pré-réflexive, c’est-àdire encore non intentionnelle, et par lequel s’instaure la confiance primaire qui nous unit à lui, ce socle premier qui constitue le soubassement de tout notre développement affectif, social et cognitif. À travers la corporéité advient, au sens propre, cette co-naissance du moi et du monde, forme première de notre ex-sister. Comme le remarquent Jean Naudin et al. : « Pour la phénoménologie, la vie de la conscience ne se résume pas à la vie de l’ego, elle est existence (ek-sistence) en ce sens où elle se situe bien plus dans ce qui tend le moi vers le monde et ce en quoi aussi le monde se donne passivement au moi que dans la vie d’un sujet simplement conscient de lui-même et de ses motivations… La corporéité vécue est au fondement de notre style existentiel. Sur le plan des structures existentielles, la corporéité vécue est à la fois structure d’action et structure réceptive, elle est simultanément se mouvoir, percevoir et sentir. Mon corps n’est pas simplement un objet dans le monde, une machine, un outil parmi d’autres. Il est aussi ce qui me permet de saisir les objets dans le monde : c’est ma main qui me permet d’utiliser les outils que je rencontre dans le monde, c’est avec elle aussi que je peux toucher et caresser le corps de l’autre [17]. » Mareike Wolf, dans Théorie de l’action psychothérapique [19], avait déjà souligné combien « l’inconscient freudien est pensé positivement, chez Binswanger, sous forme de la corporéité », en insistant sur cette idée que « le recours binswangérien à l’ontologie ouvre à une problématique du langage qui, en un sens, fait défaut chez Freud » [19]. Aux yeux de Roland Kuhn en effet, le langage est bien chez Freud comme chez Binswanger ce lieu primordial qui recèle en lui un savoir relatif à l’existence : « L’objet de la psychologie, écrit-il, n’est pas un état de chose ou un étant, ni non plus un objet, mais un existant qui apporte avec lui ses propres mesures et une mobilité qui déplace les problèmes. Pour tous deux, l’homme est un être qui se signifie même là où il se masque ou semble absent de soi. D’où l’intérêt majeur qu’ils portent au langage, aux troubles organiques du langage, aux problèmes linguistiques. La parole en fonctionnement, qu’elle soit droite ou oblique, cohérente ou dissociée, déplacée, condensée, liée ou libre, leur est plus révélatrice des structures de l’existence que toutes les données immédiates de la conscience. C’est justement parce qu’il est un langage – sémantique chez Freud, stylistique chez Binswanger – que le rêve exprime l’existence, est une forme ce celle-ci [1]. » Ainsi, selon l’expression de Binswanger, « la langue commune est ce qui pour nous fonde et pense » [1], avant le poète et le penseur. Dans L’œuvre de Ludwig Binswanger, son origine et sa signification pour l’avenir [11], Roland Kuhn évoque encore comment la rencontre du patient et du thérapeute s’opère à partir d’un dévoilement des structures fondamentales de l’existence humaine, à la fois spatiales et temporelles, qui participent d’un monde commun. Les mouvements expressifs, corporels et verbaux, suscitent en effet une dynamique commune, un climat affectif et esthétique par lequel les hommes entrent en relation et se comprennent, fût-ce au prix même de s’opposer. Et la parole, comme le remarque Binswanger dans Langage et pensée, ne surgit que sur un fond d’écoute et de silence : « L’écoute, le silence éloquent dans l’accueil et l’accomplissement des pensées du partenaire, est déjà une forme de réponse, un mode et une façon de se rencontrer dans la parole [11]. » Ainsi, dans le faire silence réside la condition de possibilité même d’un échange possible, au sens où la transcendance de la rencontre avec l’autre dessine pour la parole propre une liberté capable de fonder. D’une certaine façon, nous ne parlons jamais vraiment qu’à briser ce silence premier et la parole ne se déploie tout à fait qu’à confiner au silence, dans un certain voisinage avec la poésie, comme Heidegger l’évoque à propos de Hölderlin en un aphorisme souvent commenté, tiré de Andenken : « Was bleibt aber, stiften die Dichter. » (« Mais ce qui demeure, les poètes le fondent. ») Ainsi, les rythmes, les scansions et les achoppements de la parole sont-ils constitutifs du dire et demandent à être entendus dans leur plénitude, précisément parce que la parole ne saurait être réduite à une quelconque communication qui ne véhiculerait que message et information, faisant fi du transfert qui s’amorce dans toute rencontre avec l’Unheimlich que suscite en soi la présence même de l’autre. Comme le remarque Roland Kuhn, « la rencontre de Binswanger avec son malade, avec l’autre, l’homme vivant devant lui, ou avec la rencontre de l’œuvre d’un homme, sur le plan soit artistique, soit psychopathologique, est tout d’abord une rencontre avec l’inconnu, inconnu par sa nature biologique et pulsionnelle et inconnu par sa façon d’exister dans cette nature, d’y acquiescer avec elle. Ce que Binswanger sait d’avance, c’est qu’il doit se laisser faire par le mouvement existentiel qui se manifeste par la liberté de sa relation avec son malade ; celle-ci devient alors une rencontre ouverte » [11]. L’ouvert, comme l’a montré Kierkegaard, est ce qui du sein de l’existence se refuse à faire système. Et c’est bien parce que le processus de subjectivation ne saurait se subsumer sous une doctrine, ni se laisser enfermer dans un protocole, que Kuhn se montre toujours fort circonspect vis-à-vis des interprétations préétablies qui apparaissent arbitraires au patient. Dès lors, la prescription première qu’il adresse au psychothérapeute est-elle celle qu’il emprunte au Méphisto du Faust de Goethe : « Grau, teurer Freund, ist alle Theorie, und grün des Lebens goldner Baum. » (« Grise, cher ami, est toute théorie, et vert l’arbre doré de la vie. ») Citant Binswanger, « l’être psychiatre ne peut se comprendre sans la compréhension de la transcendance comme liberté de donner un fondement » [11], L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 84, N° 5 - MAI 2008 jleipe00571_cor1.indd 429 429 6/17/2008 5:08:20 PM J.-C. Marceau Roland Kuhn insiste sur la capacité d’accueil sans préjugé, cette Freiheit zum Grund (« liberté de fonder »), notion empruntée à Heidegger dans Vom Wesen des Grundes (« De l’essence du fondement ») qui « concerne le fondement d’un entretien authentique entre le patient et le thérapeute, où chacun est engagé en propre, et qui ne peut pas se fonder sur une situation prédéterminée » [11], cette liberté de fonder qui emporte tout à la fois la signification d’inaugurer une situation inédite, de susciter une création poétique et de permettre un libre déploiement de la créativité. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. Clinique de l’exister Roland Kuhn élabore ainsi toute une clinique de l’exister attentive, dans leur ténuité même, aux menus faits de la vie quotidienne qui constituent une source inépuisable pour les analyses phénoménologiques. Dans L’Errance comme problème psychopathologique ou déménager [8], il évoque ainsi la « dépression de déménagement », cette affection assez banale qui survient parfois à la suite d’un changement de domicile. Dans ce type de dépression se dénonce par excellence une structure essentielle que la psychopathologie classique, en s’en tenant à la description de symptômes isolés, ne parvient pas à élucider. C’est pour lui l’occasion de souligner combien l’habiter désigne une structure complexe de la présence et renvoie chez l’homme à un mode primitif de sa relation au monde. L’espace dans lequel celle-ci se déploie n’est pas celui, mathématique, de la géométrie, mais ce lieu conçu, en référence à Viktor Von Weizäcker, comme « l’unité du mouvement vivant et du monde perçu » [8]. À travers lui se dessine tout un ensemble d’habitus, que rythment les activités quotidiennes et la répétition des saisons, et où s’originent de puissants mouvements affectifs d’attachements et de rejets. Âgée de 74 ans, Mme S. avait une mère dépressive et une nièce souffrant de dépression endogène. Dans sa jeunesse, elle avait déjà elle-même connu une dépression à l’occasion d’un précédent déménagement et était sujette à une variation saisonnière de l’humeur infraclinique. Bien que le nouvel appartement avec une terrasse bien ensoleillée et une vue beaucoup plus belle ne présentât que des avantages par rapport au précédent, le déménagement fut une épreuve pour cette femme : « Elle dut se séparer de chaque pièce, de la disposition de ses meubles, des tapis, des gravures, de chaque chose une à une. Elle ressentit l’intrusion de déménageurs chez elle comme particulièrement brutale [8]. » Elle développa à l’issue de celui-ci une dépression endogène accompagnée d’un sentiment d’oppression qui fut sensiblement amélioré par un traitement antidépresseur intensif d’un an, bien que la patiente demeurât encore dépendante des médicaments. Comment comprendre cette dépression ? La distinction classique entre dépression réactionnelle et endo- 430 jleipe00571_cor1.indd 430 gène montre ses limites comme le souligne Kuhn : « La maladie présente des moments réactifs et endogènes ; d’une part, son apparition est manifestement provoquée par la situation extérieure, mais, d’autre part, l’hérédité, les symptômes et le succès de la médication attestent son caractère endogène [8]. » Le recours à un modèle « multifactoriel » n’épuiserait pas l’analyse et ne serait somme toute qu’une façon élégante d’éluder cette question sous-jacente : « Quelle est la relation entre ces deux aspects ? », s’interroge Kuhn. « Il ne suffit pas de la qualifier “d’endoréactive” pour la comprendre [8]. » L’originalité de la démarche de Kuhn consiste précisément à questionner différemment, à faire se déplacer le questionnement initial induit par l’opposition théorique réactionnelle/endogène : « Que révèle un tel symptôme, se demande Kuhn, de l’essence du trouble dépressif [8] ? » Le travail de pensée requis pour surmonter la dichotomie théorique – qui repose sur des bases objectivables : l’événement déclenchant peut être situé dans le temps et la récurrence des épisodes dépressifs retrouvée par l’anamnèse – n’est pas de l’ordre du raisonnement hypothético-déductif, qui laisse dans l’ombre la signification que revêt l’événement dans le monde de la malade – laquelle ne se réduit pas du reste au sens immédiat qu’elle peut, ou non, lui reconnaître dans sa parole. Cette compréhension en profondeur nécessite une pensée méditante, celle-là même qui est, pour Heidegger, le propre de la pensée philosophique et qu’il oppose à la pensée technique caractéristique du penser scientifique. Et, très « logiquement », Kuhn va emprunter ce chemin de pensée – proche de la pensée associative – pour expliciter ce que c’est qu’habiter, parcours au terme duquel il n’aura pas individualisé la cause des troubles de sa patiente, mais resitué leur mode d’être dans son êtreau-monde, non point pour isoler des signes de déficience mais pour dessiner ce chemin qu’il lui faut emprunter dans la psychothérapie pour recouvrer un rapport harmonieux en son sein et s’affranchir autant qu’il est possible de l’addiction médicamenteuse qui lui a été temporairement nécessaire. Kuhn sollicite alors les multiples ressources de l’esthétique – l’art de l’architecture – et de la philosophie – en particulier de la phénoménologie – pour penser ce qu’est l’habiter, en se référant notamment à Heidegger dans Bâtir, habiter, penser [6], non pas comme à un maître à l’œuvre intangible, mais comme à ce guide qui vous accompagne dans votre propre chemin de penser : « Quand nous faisons, comme on dit, retour sur nous-mêmes, écrit Heidegger, nous revenons vers nous à partir des choses sans pour autant abandonner notre séjour auprès d’elles. Même la perte du rapport aux choses, que l’on observe dans les états de dépression, ne serait aucunement possible si un état de ce genre ne demeurait pas, lui aussi, ce qu’il est en tant qu’état humain, à savoir un séjour auprès des choses. C’est seulement lorsque ce séjour détermine déjà l’êtrehomme que les choses auprès desquelles nous sommes L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 84, N° 5 - MAI 2008 6/17/2008 5:08:20 PM Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. Penser les troubles de l’existence avec Roland Kuhn peuvent ne plus rien nous dire, ne plus nous toucher. Le rapport de l’homme à des lieux et, par ces lieux, à des espaces réside dans l’habiter. Le rapport de l’homme et de l’espace n’est rien d’autre que l’habiter pensé dans son être [6]. » Comme le remarque Caroline Gros-Azorin, « la prédominance accordée à la configuration de la spatialisation du monde du malade est un des thèmes mobilisateurs récurrents autour duquel s’est constituée l’analyse existentielle… La spatialité est un fil conducteur qui introduit à la compréhension de “l’essence du trouble” sans rien présumer de son origine cérébrale, physiologique ou plus spécifiquement psychopathologique » [2]. La dépression dont souffre Mme S. survient précisément lorsque, par suite du bouleversement que provoque son changement de résidence, elle ne parvient plus pendant un certain temps à trouver séjour auprès des choses : « Après son déménagement, écrit Kuhn, elle demeure auprès de son ancienne habitation, auprès des choses telles qu’elle les y avait disposées, auprès du jardin qu’elle avait entretenu là-bas ». Dès lors, « Mme S. ne trouve pas de rapport avec les choses dans sa nouvelle habitation, elle ne parvient pas à s’y installer, comme elle le dit elle-même [8]. » Ainsi son expérience mélancolique est-elle marquée, selon l’expression de Binswanger, du « style de la perte ». C’est ce « je-ne-sais-quoi » et ce « presque-rien » que s’attache à retracer Roland Kuhn dans le vécu de sa patiente comme ce qui est source de son malaise, ce « je-ne-sais-quoi » qui, comme l’écrit Vladimir Jankélévitch, « entretient en nous cette espèce d’inconfort intellectuel et de mauvaise conscience, ce malaise né de l’incomplétude que Platon appelait aporia et qui est bien, à sa manière, une nostalgie érotique » [7], ce désir des choses perdues au charme douloureux. Cette profonde originalité de pensée marque tout autant le renouvellement des méthodes de recherche en psychopharmacologie, domaine où Roland Kuhn s’est illustré avec sa découverte de l’imipramine. En 1986, il fait paraître dans Psychanalyse à l’université un article intitulé « Clinique et expérimentation en psychopharmacologie » [10], dans lequel il retrace les conditions historiques et méthodologiques de la recherche qui le conduisirent à la découverte des effets antidépresseurs de l’imipramine. Roland Kuhn y insiste sur le fait que la démarche du chercheur clinicien en psychopharmacologie ne se limite point à la découverte des effets d’une molécule mais consiste tout aussi bien à « inventer l’entité morbide pour laquelle une substance peut être un médicament spécifique » [10]. L’intuition qui oriente la pratique du clinicien n’a pourtant rien d’arbitraire : « C’est une intuition fondée sur les structures élémentaires et originelles de l’existence humaine. On ne connaît pas une telle structure en faisant de la pharmacologie, on ne l’apprend pas non plus par la psychopathologie généralisante qui se sert de l’induction pour trouver les règles qui mènent à décrire et à comprendre l’existence de personnes psychiquement malades. Seule une formation philosophique permet de connaître les directions fondamentales de réflexions qui conduisent à une expérience authentique aussi bien de l’existence humaine normale que pathologique [10]. » C’est du reste à une leçon de modestie et d’humanité que nous invitent les écrits de ce « petit psychiatre de campagne suisse » [10], – comme se plut à le qualifier fort imprudemment un historien français de la médecine – lorsqu’il analyse, avec des accents parfois proches de la sociologie de Pierre Bourdieu, sa pratique quotidienne sans esquiver la construction sociale de la recherche en psychopharmacologie dans son rapport aux dispositifs technicoscientifiques d’évaluation standardisés et à la logique de marché, ou les mauvaises querelles qui lui furent faites lors de sa découverte de l’imipramine en raison d’une incompréhension – clinique – des indications auxquelles elle s’adressait. Dans Psychopharmacologie et analyse existentielle [12], Roland Kuhn établit une ligne de démarcation très nette entre la méthode phénoménologique qu’il utilise comme outil dans ses investigations cliniques et les instruments dont use la psychiatrie naturaliste. L’enjeu tourne ici autour de la question du sujet : « On pourrait dire qu’à l’inverse des efforts de la science naturelle, elle récupère le malade de l’oubli où il était tombé. Cela est juste mais il y a d’autres méthodes qui aspirent également à ce même propos, la psychanalyse en fait partie, dans ses différents développements, qui approchent ce but à des degrés divers [12]. » Dans son dernier ouvrage, Des bienfaits de la dépression. Éloge de la psychothérapie [3], Pierre Fédida souligne la portée critique de la démarche de Kuhn à l’endroit des procédures expérimentales qui, ne procédant que par échelles et questionnaires, court-circuitent et ignorent la démarche clinique, et il avance dans le prolongement de cette pensée l’idée d’une « réserve thérapeutique » d’une substance pharmacologique – spécifiquement clinique – que seule peut mobiliser la relation thérapeutique : « En un mot, ces procédures ne s’intéressent qu’aux effets des produits et négligent délibérément la réserve thérapeutique de ceux-ci, lorsqu’ils sont utilisés cliniquement comme médicament. Or, la réserve thérapeutique d’une substance est d’autant plus accrue que la psychothérapie sait la recevoir et en guider l’usage. Paradoxalement, ce qui est donc espéré de la pharmacologie, c’est qu’en devenant plus psychothérapique, elle acquiert une efficacité mieux adaptée. Les procédures expérimentales par questionnaires et échelles valident un produit pour ses effets standard, selon le principe du placebo contre vérificateur ; elles reposent sur une séméiologie sommaire et pseudo-médicale ; elles visent surtout à une a-clinicité de la prescription, c’est-à-dire à “l’administration” du médicament sur une base commodément signalétique qui réduit la plainte à une demande de réponse automatique [3]. » L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 84, N° 5 - MAI 2008 jleipe00571_cor1.indd 431 431 6/17/2008 5:08:20 PM J.-C. Marceau Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. Philosophie, désir de savoir et existence La phénoménologie, telle que Kuhn la pratique, est chez lui – de façon indissociable – un mode d’être (sa fréquentation de la pensée philosophique) et un outil dont il use dans ses recherches proprement cliniques. Précurseur d’une forme inédite d’épistémologie des affects, Kuhn pratique à sa façon cet « art d’aimer la science », dont Pascal Nouvel [18] a montré les motivations passionnelles jusque dans les domaines les plus arides des sciences de la nature. Ainsi le ressort de ses découvertes – cette passion de savoir qui l’anime – échappe-t-il pour partie au champ disciplinaire qui est le sien, la psychiatrie, pour puiser au meilleur de la réflexion philosophique. Dans Le Psychiatre devant l’œuvre de Gaston Bachelard [9], Roland Kuhn souligne l’affinité qui unit leurs œuvres respectives. Ce qui retient en effet son attention, tout autant que le versant épistémologique de l’œuvre bachelardienne, c’est ici sa description proprement littéraire de l’activité onirique de l’imagination : « Les recherches de Bachelard sur la rêverie poétique et l’imagination matérielle des quatre éléments traditionnels du feu, de l’eau, de l’air et de la terre, nous rendent attentifs à des aspects de l’activité de la vie psychique spontanée, non thématisée et par là, dans un certain sens “inconsciente” [9]. » Ce sont les ressorts mêmes de la poésie bachelardienne qu’il s’efforce d’interroger : « Le langage de la vie courante se sert des anciens éléments dans des expressions métaphoriques. De nos jours, nos paroles ont en grande partie perdu la puissance de telles expressions métaphoriques. Mais il y a encore des hommes doués qui portent en eux une vie cachée qui se trahit dans les rêves de leur sommeil et souvent aussi dans leurs rêveries du jour [9]. » Ainsi la pensée de Bachelard, tout comme la sienne propre, ne sont-elles pas étrangères à l’influence de la psychanalyse : « Bachelard a découvert la parenté et les rêveries préscientifiques avec l’imagination poétique. Puisque les auteurs de ces rêveries, les alchimistes ou poètes, ne sont pas présents pour fournir les “associations libres” que le psychanalyste demande à ses patients, Bachelard a dû se servir d’une autre méthode pour cerner le sens de ces rêveries. Cette méthode indépendante de l’auteur de la rêverie est la description phénoménologique [9]. » C’est également Bachelard qui préface son ouvrage sur la Phénoménologie du masque à travers le test de Rorschach [13], qui n’est autre que sa thèse d’habilitation. Dans sa postface, Roland Kuhn nous rappelle comment la découverte de ce test vient s’inscrire dans le mouvement intellectuel et artistique du « Cavalier Bleu » qui s’était organisé autour de Kandinsky dans les années 1905-1914 et allait ouvrir la voie au post-impressionnisme allemand : « Les thèses de doctorat soutenues à cette époque en psychiatrie se ressentent de cette influence du “Cavalier Bleu”, en particulier pour celle de Rorschach dont plusieurs traces révèlent qu’il ne fut pas insensible à la 432 jleipe00571_cor1.indd 432 mouvance des idées et des réalisations artistiques de cette époque précise. L’étude minutieuse des textes de Rorschach nous permet d’affirmer que son œuvre n’aurait pas été la même si elle n’avait pas subi l’influence du “Cavalier Bleu” [13]. » Nous avons montré pour notre part, dans un article consacré à la naissance de l’art abstrait, combien de Worringer à Kandinsky, l’avènement du « modèle intérieur » [16] participait de cette esthétique de l’Einfühlung qui se développe à l’époque en étroite résonance avec la notion freudienne de régression. À travers le test de Rorschach, c’est toute cette dimension esthétique que Roland Kuhn découvre comme étant au fondement de l’existence et qui touche au cœur même de l’homme, à sa personnalité profonde. À propos de la question de l’esthétique et du pathique, les réflexions de Roland Kuhn rencontrent encore celles d’un autre philosophe, Henri Maldiney, auquel il rend hommage dans un article intitulé « L’importance de la philosophie d’Henri Maldiney pour la psychiatrie contemporaine » [14]. D’une certaine façon, nous pourrions dire que l’œuvre d’Henri Maldiney tient vis-à-vis de la pensée de Roland Kuhn un rôle analogue à celui qu’a joué la philosophie de Wilhem Szilasi dans celle de Ludwig Binswanger. L’originalité d’Henri Maldiney est d’avoir conjugué ses travaux sur l’esthétique à une réflexion sur la psychopathologie, et plus particulièrement sur la psychiatrie. Il a consacré notamment des analyses aux psychoses de Hölderlin, Nietzsche et Van Gogh, qui furent, chacun à sa façon, de grands créateurs. Dans sa réflexion sur la question de la folie, Maldiney use surtout des concepts qu’il emprunte à l’analytique existentiale de Heidegger, mais il propose aussi des concepts originaux, notamment ceux de transpossibilité et transpassibilité, qui permettent d’éclairer sous un autre jour les intuitions fondamentales que les cliniciens psychanalystes regroupent sous le terme d’inconscient. Or cette ouverture à l’autre et au monde qui caractérise la transpassibilité, et qui précisément est en échec dans la psychose, est ce qui constitue pour Roland Kuhn un élément tout à fait crucial de la pratique clinique. Car si, de par sa formation, le médecin dispose de connaissances structurées dans des systèmes théoriques, la tentation est grande dès lors pour lui de rejeter les dires du malade qui n’entrent pas en concordance avec eux : « De ce fait, la surprise qui jaillit de l’inattendu est, si l’on n’y prend garde, facilement étouffée. Or, c’est précisément là que se manifeste l’authenticité du malade, dans sa transpossibilité et sa transpassibilité. Pour respecter cette authenticité, le médecin doit pouvoir être en mesure de quitter le système qui, d’autre part, lui est indispensable. Ceci lui permet d’accéder à une connaissance immédiate du malade psychique qui lui resterait caché s’il restait verrouillé dans ses conceptions scientifiques [14]. » La phénoménologie, aux yeux de Roland Kuhn, apparaît ainsi pour la psychopathologie comme ce supplément L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 84, N° 5 - MAI 2008 6/17/2008 5:08:20 PM Penser les troubles de l’existence avec Roland Kuhn nécessaire pour réfléchir une pratique clinique qui, à s’interroger sur les fondements de son action, ne peut qu’y gagner sur le plan de son efficacité thérapeutique. La philosophie participe dès lors d’un désir de savoir quant à l’existence, savoir jamais achevé et toujours à remettre sur l’ouvrage, qui replace la question du sujet au centre de toute recherche. Puisse mon propos avoir suffisamment aiguisé la curiosité du lecteur pour qu’il aille y voir par lui-même et se fraye son propre chemin au sein de cette pensée limpide et d’une exceptionnelle richesse, qui conjoint à un degré rarement atteint passion de savoir et compréhension de l’autre. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. Références 9. KUHN R. Le psychiatre devant l’œuvre de Gaston Bachelard. Revue de littérature comparée 1984 ; 2 : 235-242. 10. KUHN R. Clinique et expérimentation en psychopharmacologie. Psychanalyse à l’Université 1986 ; 41 : 105-116. 11. KUHN R. L’Œuvre de Ludwig Binswanger, son origine et sa signification pour l’avenir. Phénoménologie, psychiatrie, psychanalyse. Paris : Greupp, 1986, p. 29-39. 12. KUHN R. Psychopharmacologie et analyse existentielle. Revue internationale de Psychopathologie 1990 ; 1 : 43-67. 13. KUHN R. Phénoménologie du masque à travers le Test de Rorschach. Paris : Desclée de Brouwer, 1992. 1. BINSWANGER L. Introduction à l’analyse existentielle. Paris : Éditions de Minuit, 1971. 14. KUHN R. L’Importance de la philosophie d’Henri Maldiney pour la psychiatrie contemporaine. Existence, crise et création. La Versanne : Encre Marine, 2001, p. 45-55. 2. BINSWANGER L. Le Problème de l’espace en psychopathologie. Toulouse : Presses Universitaires du Mirail, 1998. 15. KUHN R. Écrits sur l’analyse existentielle. Paris : L’Harmattan, 2007. 3. FÉDIDA P. Des bienfaits de la dépression. Éloge de la psychothérapie. Paris : Odile Jacob, 2001. 4. FOUCAULT M. Maladie mentale et psychologie. Paris : PUF, 1995. 5. FREUD S. Contribution à la conception des aphasies. Paris : PUF, 1983. 6. HEIDEGGER M. Bâtir, habiter, penser. Essais et conférences. Paris : Gallimard, 1995, p. 170-193. 7. JANKÉLÉVITCH V. Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien. Paris : Seuil, 1980. 8. KUHN R. L’Errance comme problème psychopathologique ou Déménager. Présent à Henri Maldiney. 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