Le point de vue du pharmacien d`officine

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DOSSIER
Que penser
des génériques ?
Le point de vue
du pharmacien d’officine
The pharmacist’s point of view
I. Bodinier*
Informations. Les maladies cardiovasculaires représentent
la première consommation de soins et de biens de santé
(CSBM) en France, soit 12,6 % (DRESS-IRDES). Dans le total
des médicaments consommés, cette classe représente 16 %
en unités standardisées et 22 % en dépenses.
D
ans son rapport du 24 octobre 2012 (1), l’Académie nationale de pharmacie explore les
enjeux du médicament générique, à travers :
➤➤ sa définition : différenciation avec les médicaments biosimilaires ;
➤➤ sa procédure d’autorisation de mise sur le
marché, avec un focus sur la présence des impuretés
dans la substance active ;
➤➤ sa garantie apportée en termes de qualité pharmaceutique et de matières premières utilisées ;
➤➤ son approche en termes de bioéquivalence et
d’efficacité clinique ;
➤➤ son approche des objectifs recherchés par le
résumé des caractéristiques du produit et du contenu
de la notice ;
➤➤ ses spécificités en matière de pharmacovigilance ;
➤➤ sa problématique en matière de substitution.
* Pharmacienne, Paris.
Puis l’Académie se positionne comme suit, en
résumé :
➤➤ Les médicaments génériques sont des médicaments aux qualités identiques à celles des médicaments princeps.
➤➤ Les médicaments génériques ont fait la preuve de
leur bioéquivalence, ce qui garantit la même qualité
de traitement et donc d’efficacité thérapeutique.
➤➤ Les médicaments génériques ne présentent ni
plus ni moins d’effets indésirables ou de réactions
“allergiques” que les médicaments princeps.
28 | La Lettre du Cardiologue • n° 470-471 - décembre 2013-janvier 2014
➤➤ Les autorités de santé évaluent la qualité des
médicaments génériques dans le cadre d’un vrai
dossier d’autorisation de mise sur le marché.
➤➤ Les médicaments génériques permettent de
réaliser des économies substantielles en matière
de dépenses de santé, ce qui est un facteur favorisant l’accès aux soins du plus grand nombre à un
moment de grande difficulté pour le financement
des dépenses de santé.
➤➤ Les médicaments génériques ne sont, en rien,
un obstacle à la recherche pharmaceutique et à
l’innovation.
La synthèse insiste sur le fait que cette substitution
générique doit être mieux comprise et acceptée par
tous les acteurs concernés, prescripteurs, dispensateurs, patients, et que toutes les explications nécessaires doivent être données, en particulier lors de la
dispensation. Fondée scientifiquement, la substitution
générique s’inscrit plus généralement dans le cadre
du bon usage du médicament. À ce sujet, il convient
de souligner le rôle essentiel que les pharmaciens
et les médecins doivent jouer pour favoriser ce bon
usage de la substitution. II est également important
de souligner la nécessité d’une responsabilisation des
patients dans la prise de leurs médicaments. Une
attention particulière devra être portée à la mise en
place de la substitution chez les sujets âgés dont la
complexité du traitement, dans le cadre de fréquentes
polypathologies, peut conduire à des erreurs.
À noter : Dans son rapport, l’Académie de pharmacie
aborde le cas des médicaments cardiovasculaires : à
travers une méta-analyse, rapportée par l’Académie
nationale de pharmacie et suivie d’autres études
menées dans 5 domaines différents.
Points forts
»» Les contrôles et les conditions de mise sur le marché sont identiques pour tous les médicaments, quels
qu’ils soient.
»» La substitution est la règle générale, sauf opposition manuscrite du prescripteur.
Malgré cela, pourquoi certaines
substitutions se révèlent-elles
délicates ?
La substitution “réussie” dépend d’un trio d’acteurs : le patient, le médecin et le pharmacien.
Leurs observations contribuent à faire émerger des
contextes de substitution délicate.
D’abord à cause de la pathologie traitée : dans le
cas de l’épilepsie, le dépassement d’un certain seuil
d’excitation neuronale est synonyme d’un déséquilibre, potentiellement générateur d’une crise convulsive, avec des conséquences non négligeables sur le
plan médical.
C’est aussi le cas en présence d’antithyroïdiens de
synthèse, qui sont des médicaments à marge thérapeutique étroite, avec un équilibre thyroïdien du
patient qui est, quant à lui, individuel et sensible à
de très faibles variations de doses.
Ensuite, en raison de contextes spécifiques :
➤➤ chez les enfants, la substitution peut être un
frein en cas de modification du goût et de la forme
pharmaceutique ;
➤➤ chez la personne âgée, il faut faire attention à
la confusion et à la prise simultanée du princeps
et du générique, quand elle a les 2 boîtes dans la
pharmacie familiale ;
➤➤ dans le cas des médicaments anti-rejets d’organes,
le dispositif de substitution est absolument exclu.
En dehors de ces cas, le passage aux génériques
ou encore l’appel à leur utilisation dès le début du
traitement ne posent pas de problème.
Le médicament générique est un médicament
avec une AMM.
L’Académie de pharmacie a fait le point sur les effets
indésirables des médicaments génériques. Elle remarque
que “les effets indésirables sont dans la majorité des cas
identiques à ceux du produit princeps. Ils sont dans ce
cas attribuables comme pour le princeps à la molécule
concernée...” Les différences d’incidence constatées
sans que le profil qualitatif de tolérance soit différenciable entre princeps et médicament générique sont
explicables par des phénomènes de type effet “nocebo”
portant sur des signes fonctionnels souvent bénins,
liés à l’inquiétude du patient face à un changement.
L’effet “nocebo” peut donc concerner tous les
Mots-clés
Dialogue
médecin-pharmacien
Éducation
thérapeutique
du patient
médicaments. De même que la substitution, quel
qu’en soit le sens, peut en elle-même augmenter
le risque d’erreur de prise et un risque iatrogène
potentiel.
Position du pharmacien
La prescription est, comme le diagnostic, une des
prérogatives du médecin. La dispensation est celle
du pharmacien. Et en tant que pharmacien, notre
engagement auprès de nos prescripteurs est d’être
la dernière étape de sécurisation, avant la prise du
médicament, pour la bonne observance thérapeutique.
La conception d’une spécialité générique n’est pas
chose aisée. Certes, le générique est une “copie”
de médicament, mais entre le moment du choix de
la molécule princeps à développer et la commercialisation du générique proprement dit, il peut se
passer 6 à 8 ans.
Toutes les contraintes et formalités qui s’ajoutent
aux nombreuses études de stabilité, de pharmacotoxicologie ou de bioéquivalence garantissent la
qualité du médicament générique, sans empêcher
la critique.
Le patient ne dispose pas toujours de toutes les clés
pour bien comprendre le médicament et son univers,
ce qui explique l’émergence de freins face au médicament générique. La raison principale réside dans le
fait que le prix des médicaments génériques est mal
compris et que, pour bon nombre de patients, ce qui
est moins “cher” est supposé être “moins bien”. Il
revient donc au pharmacien d’instaurer la confiance
en expliquant que le prix est inférieur parce qu’il
ne prend pas en compte les coûts de recherche et
d’études cliniques. Ce sont autant d’économies réalisées par l’Assurance maladie pour prendre en charge
de nouveaux médicaments issus de la recherche et
améliorer la prise en charge de certaines maladies.
La pharmacie est un lieu de réponse accessible et un
espace de dialogue, avec un objectif commun pour
tous (pharmacien, médecin, patient) : la bonne
observance des traitements.
Le rôle du pharmacien est de bien écouter le
patient afin d’établir une relation de confiance et
de ne jamais renoncer au dialogue, même face à un
La Lettre du Cardiologue • n° 470-471 - décembre 2013-janvier 2014 | 29 DOSSIER
Que penser
des génériques ?
Le point de vue du pharmacien d’officine
patient ou à un médecin réticent, tout en respectant
sa décision, afin de :
➤➤ favoriser une substitution de qualité et une meilleure observance ;
➤➤ développer une collaboration plus forte avec les
prescripteurs dans l’intérêt des patients, sachant le
renforcement du rôle des pharmaciens en termes
de conseil et d’éducation thérapeutique du patient.
La relation entre le médecin et le pharmacien est
essentielle, car une meilleure collaboration est une
garantie pour assurer la qualité de la prise en charge
des patients et la continuité des soins.
Relation médecin-pharmacien :
contexte de la délivrance
À la suite de l’avenant n° 6 à l’accord national sur la
délivrance des médicaments génériques signé entre
les syndicats des pharmaciens et l’Assurance maladie,
il y a eu un renforcement du dispositif “tiers payant
contre génériques” sur tout le territoire.
La dispense d’avance des frais ne peut être accordée
(sauf exceptions) qu’aux seuls patients qui acceptent
la substitution d’un médicament de marque par un
générique équivalent quand il existe.
Respect de la mention
“non substituable” par les médecins
Avis personnel
Dans le cas des médicaments à marge thérapeutique étroite
 Ne pas les substituer ou les prescrire dès l’instauration du traitement pour qu’il y ait le moins
possible d’effets indésirables, sachant la sensibilité
de ces médicaments, que ce soit pour la thyroïde,
l’épilepsie ou les médicaments anti-rejets dans les
transplantations d’organes.
La plupart des médicaments génériques du système
cardiovasculaire sont assez bien tolérés par les
patients. Dans mon officine, le renouvellement
mensuel me permet d’évaluer avec les patients les
effets de leur traitement. Et de changer le médicament générique si un excipient à effet notoire est
mal toléré. Mais ce sont des situations rares.
Seul un avis contraire du médecin, signifié sur
l’ordonnance par la mention “non substituable”
manuscrite en toutes lettres et reportée en face du
médicament concerné, peut justifier qu’un princeps
soit délivré en tiers payant.
La loi autorise le pharmacien à faire de même dans
le cas où la substitution peut poser des problèmes
particuliers au patient.
Toutefois, la délivrance d’un princeps du mycophénolate mofétil, de la lévothyroxine ainsi que des médicaments antiépileptiques, pour lesquels l’Agence
nationale de sécurité du médicament (ANSM) a
publié des recommandations particulières, peut
donner lieu au bénéfice du tiers payant sans cette
mention.
■
Pour en savoir plus…
• P ratiques DCI, mai 2013.
•R
apport de l’IGAS. Évaluation de la politique française des médicaments génériques.
Septembre 2012.
•R
apport de l’ANSM. Les médicaments génériques : des médicaments à part entière.
Décembre 2012.
30 | La Lettre du Cardiologue • n° 470-471 - décembre 2013-janvier 2014
•R
apport de l’Académie de pharmacie de décembre 2012 : médicaments génériques.
•R
ésumé de l’enquête de l’UE sur la concurrence dans le domaine pharmaceutique.
• R apport de l’Académie de médecine. Place des génériques dans la prescription.
Février 2012.
•A
NSM. Médicaments génériques : lever l’opacité. Décembre 2012.
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