Séminaire SHSRECHERCHE : Décisions, normes et éthique dans le cancer FÉDÉRER LA ET L’INNOVATION MÉDICALE EN CANCÉROLOGIE Vendredi 2 octobre 2015 Emmanuel Picavet université Paris 1 Panthéon-Sorbonne UFR 10 et UMR 8103 Décision rationnelle et décision structurée. Séminaire SHS : Décisions, normes et éthique dans le cancer 2 octobre 2015 Introduction: actions et conséquences La définition des états du monde, des actions et des conséquences doit être cohérente ; c’est une tâche rationnelle que de vérifier cette cohérence. C’est aussi l’occasion de structurer la décision et de reconnaître les raisons d’agir pertinentes. Herbert Simon: une étape procédurale Rosenhead & Mingers: des méthodes pour aborder les problèmes difficiles • Dans la stratégie classique: énumération des cas possibles concernant les états du monde ou les événements extérieurs, bilan des moyens, description exhaustive des stratégies possibles. Séminaire SHS : Décisions, normes et éthique dans le cancer Vendredi 2 octobre 2015 L’écart par rapport aux formulations courantes • Des "conséquences", qui ne sont pas forcément des "résultats" spécifiquement associés à l'action. Jamais d' "inaction" qui permettrait d'apprécier, par différence, les « résultats » de l'action (seulement des actions à comparer) • Les conséquences résultent simultanément de l'action de l'agent, des événements naturels et, si l'agent n'est pas seul, des actions des autres. Dans le cas général, ce ne sont donc pas seulement les “conséquences de l’action”. Séminaire SHS : Décisions, normes et éthique dans le cancer Vendredi 2 octobre 2015 La construction simultanée des actions et des conséquences • L’action n’est pas considérée du point de vue de la théorie de la décision, n'est pas définie indépendamment des conséquences. • La définition des états du monde, des actions et des conséquences doit être cohérente ; les uns et les autres sont à construire ensemble. • La synthèse des raisons concernant les actions et leurs conséquences (au-delà de leur reconnaissance) est une exigence de rationalité. Elle passe par l’articulation des valeurs et des croyances. Vendredi 2 octobre 2015 Séminaire SHS : Décisions, normes et éthique dans le cancer Concepts corrélés • En théorie de la décision, l’action est précisément la correspondance qui s'établit entre des événements possibles et les conséquences que l'on peut énumérer; • Les actions ainsi définies sont habituellement identifiées avec des actions au sens ordinaire (des intentions et initiatives des agents suivies de gestes de ces agents dans le monde physique). Séminaire SHS : Décisions, normes et éthique dans le cancer Vendredi 2 octobre 2015 Objectifs et rationalité instrumentale • Face à l’incertitude, les objectifs poursuivis par les agents sont des objectifs composites. Ils éloignent la d’un schéma instrumental simple de type moyen-fin (John Skorupski [2001]). L’adéquation moyens-fins ne recouvre pas vraiment la rationalité et l’optimisation enveloppe des pondérations ou priorisations qui ne sont pas de type moyen-fin). • De fait, la manière d’arbitrer entre les différentes choses auxquelles on attribue de la valeur ne relève pas ellemême de la rationalité instrumentale. Séminaire SHS : Décisions, normes et éthique dans le cancer Vendredi 2 octobre 2015 L’incertain et le préférable • De plus: dès que l'on introduit de l'incertitude, dès qu'il y a une certaine distance entre l'objet du choix et l'objet ultime des préférences, il n'est plus possible d'interpréter immédiatement les choix comme l’instrument de l’obtention de « ce qui est préférable ; on ne peut faire abstraction des opérations d'agrégation des conséquences possibles de chacune des actions possibles. • Le choix fondé sur l’espérance d’utilité, en particulier, n’est optimisateur que relativement à une fonctionobjectif; le résultat peut être difficile à assumer. Séminaire SHS : Décisions, normes et éthique dans le cancer Vendredi 2 octobre 2015 Ethique et incertitude • La théorie de la décision considère dans ce cas une sélection du préférable qui met en scène les actions. Ces dernières sont généralement considérées comme désirables ou non au vu du profil de leurs conséquences assorti des probabilités ou d’autres estimations de la crédibilité. • Et pourtant, en pratique: la motivation peut aussi concerner les aspects procéduraux de l’action, comme l’atteste l’importance des références éthiques dans la délimitation des pratiques et des motifs. • Sont-elles alors seulement des contraintes latérales? Ne s’expriment-elles pas aussi à travers la manière de prendre en compte les conséquences possibles et le probable: faire preuve de prudence (éviter le pire), tenir compte des irréversibilités, s’attacher aux espoirs raisonnables… Séminaire SHS : Décisions, normes et éthique dans le cancer Vendredi 2 octobre 2015 L’incomplétude des préférences liée à l’apparition de cas nouveaux Il y a une véritable construction de la coordination sociale en présence de cas nouveaux qui se présentent de manière imprévue, dont la description mobilise d’une manière souvent créative les ressources du langage, et qui, parfois, « font jurisprudence ». Cf. David Kreps [1990]. Limites de la théorie classiques du choix rationnel: elles tiennent notamment à l’énumération préalable des finalités (ou valeurs) et des possibles. Approches par la « rationalité située »: indexer les étapes par un « contexte » spécifique (ayant un caractère de nouveauté pour les acteurs) et chercher à comprendre la manière dont se constitue un répertoire culturel des agents, un « point focal » (T. Schelling) de la coordination, par une liaison intertemporelle. Séminaire SHS : Décisions, normes et éthique dans le cancer Vendredi 2 octobre 2015 Méthodologies de la concertation Le propos: aider à concevoir des méthodes rationnelles de structuration des problèmes (forme, enjeux, articulation à d’autres problèmes…) et de recherche collective de solutions, passant par le dialogue. • Une frontière actuelle: l’étude des positions et capacités respectives des parties prenantes dans les tâches collectives d’interprétation des normes. Séminaire SHS : Décisions, normes et éthique dans le cancer Vendredi 2 octobre 2015 Structuration de la décision de groupe • certaines des méthodes qui sont d’ores et déjà développées et utilisées intègrent explicitement des éléments complexes fortement liés aux apports du dialogue dans la délibération. • C’est le cas pour le traitement des perspectives éthiques et politiques contrastées (systèmes ETHEXPERT, PEST) et de la diversité des points de vue (Strategic Options Development and Analysis [SODA], Soft System Méthodology [SSM]). Séminaire SHS : Décisions, normes et éthique dans le cancer Vendredi 2 octobre 2015 Structuration, conseil et facilitation Dans les méthodes dites de « facilitation dynamique » de la décision de groupe, la complexité du conseil tient aussi au souci de la stabilité des institutions ou organisations auxquelles le conseil s’adresse. Dans chaque cas, la représentation des problèmes de décision, qui comporte inévitablement des choix descriptifs (ontologiques) précis, affecte l’analyse ainsi que pour le conseil et la pratique. Par exemple, SODA est une méthodologie pour concevoir des interventions orientées vers la résolution de problèmes de groupe, utilisant des techniques de modélisation telles que la cartographie cognitive, qui conduit à représenter les problèmes par une série interconnectée de schémas de causalité. Cela peut être un support de dialogue, conduisant de la structuration au conseil et à la facilitation de la décision. Séminaire SHS : Décisions, normes et éthique dans le cancer Vendredi 2 octobre 2015 Structuration, conseil et facilitation On peut aujourd’hui espérer que les méthodologies de ce genre s’enrichissent grâce aux apports des travaux sur la prise en charge, dans les décisions de groupe, de différents types de normativité (normes tirées de bilans coûts-avantages, normes juridiques, principes déontologiques des professions, jugement éthique critique, principes reconnus par les institutions, normes épistémologique dans la sélection des connaissances de référence qui orientent l’action… Autre tendance de la recherche qui retient l’attention: l’insertion de l’architecture du dialogue au sein des méthodes de structuration ou de facilitation de la décision. Exemple: la méthodologie DSD (Decision structuring dialogue). Séminaire SHS : Décisions, normes et éthique dans le cancer Vendredi 2 octobre 2015 Confiance, espoir et structure de l’action • L’espoir est-il seulement l’anticipation raisonnable? Vraisemblablement: également un type d’anticipation essentiellement lié à l’action de l’agent lui-même, comme la confiance. • Ph. Pettit: le modèle de l’espoir comme anticipation ou prévision sur la base d’un désir (et de croyances) comporte des éléments importants, mais reste insuffisant (“Hope and Its Place in Mind”, Annals of the Am. Acad. of Pol. and Soc. Sci., 2004). • Parallèlement: effort notable des psychologues pour situer l’espoir entre la motivation et la cognition : exemple de la genèse de la « théorie de l’espoir » (cf. « Hope Theory: Rainbows in the Mind », par C. R. Snyder, Psychological Inquiry, 2002. Séminaire SHS : Décisions, normes et éthique dans le cancer Vendredi 2 octobre 2015 Apports psychologiques et économiques • Dans cette veine: on pourra dire que l’espoir est un état motivationnel qui renvoie essentiellement à la confiance de l’agent: – dans sa capacité d’agent, – dans son interaction avec autrui, – dans son identification de chemins vers ce qu’il vise. • Dans une perspective économique : on a fait ressortir le lien essentiel entre l’espoir (ou la confiance dans l’avenir) et l’articulation entre les différentes valeurs pratiques d’un agent. Cf. Rowena Pecchenino « Abandon Hope… », Rev. de Philos. Econ.). Séminaire SHS : Décisions, normes et éthique dans le cancer Vendredi 2 octobre 2015 L’espoir comme poursuite résolue Pecchenino: la probabilité de succès des actions au regard d’une pluralité de buts pertinents fait partie des paramètres du choix des actions et de l’attention sélective à certains buts plutôt que d’autres. La perspective développée a vocation à exprimer l'idée d'une certaine fixité téléologique: l'agent qui est animé par l'espoir est un agent qui "filtre" l'information concernant certaines opportunités d'action profitable, de manière à rester concentré sur le but ou ensemble de buts qu'il poursuit en premier lieu en maintenant la cohérence de ses choix. Tout cela doit intervenir sur la toile de fond de valeurs d’arrièreplan plus générales que les buts qui guident l’action. Séminaire SHS : Décisions, normes et éthique dans le cancer Vendredi 2 octobre 2015 Complémentarités axiologiques • L'appui réciproque parmi les buts est alors une donnée qui favorise alors le maintien de chacun de ses buts dans le dispositif d’orientation pratique de l'agent. • L' "espoir" recouvre essentiellement la disposition à rester concentré sur des buts sans pour autant renoncer à trop de choses. Une vertu qui dispose à rester attentif aux bilans coût-avantages mais qui détourne des renoncements opportunistes trop rapides. Séminaire SHS : Décisions, normes et éthique dans le cancer Vendredi 2 octobre 2015 La confiance: une prise en compte de l’interaction qui découle de l’espoir? • Proposition: l’agent confiant et à qui l’on fait confiance (l’agent dans une interaction de confiance): – se prépare à faire ce qui est attendu de lui (en vertu de la confiance que l’on place en lui) • (et symétriquement, s’attend à ce qu’autrui fasse ce qu’il attend d’autrui en vertu de la confiance qu’il place en autrui) – se prépare à le faire sans renoncer à ce qui lui est essentiel par ailleurs (par ex . sans trahir une autre attente qu’il reconnaît comme légitime) à moins (1) qu’il n’endosse lui-mêmespontanément une clé de pondération entre les valeurs ou engagements concernés, ou (2) qu’il ne reconnaisse lui-même la nécessité, dans les circonstances, d’un arbitrage raisonné comportant de tels sacrifices (hiérarchisation, adoption d’un ordre de priorité…) • (symétriquement, il s’attend à ce qu’autrui puisse le faire sans renoncer à ce qui est essentiel à autrui par ailleurs, à moins qu’autrui n’endosse une clé de pondération ou la conviction d’un comportant des sacrifices raisonnés nécessaires Séminaire SHSarbitrage : Décisions, normes et éthique dans le cancer Vendredi 2 octobre 2015 comme en (1) ou (2). Application Exemple: une personne a comme système d’objectifs l’assistance correcte à une personne dépendante dans son entourage, la présence attentive et personnelle auprès de ce proche et, par ailleurs, le fait de continuer à exercer une activité professionnelle. Le fait d’ « avoir de l’espoir » ou d’ « avoir confiance » peut se marquer, dans la perspective qui est retenue, dans la disposition simultanée à : • • • conserver tous ces objectifs en ligne de mire [sans sacrifice indéterminé d’objectifs éventuellement essentiels] rester concentré sur leur promotion (au prix d’un effort d’imagination concernant les solutions pratiques à développer) sélectionner (ou « filtrer ») en conséquence les autres finalités éventuelles (par exemple, ponctuelles dans le temps) qui peuvent venir se surajouter aux buts de base (et qui risquent de perturber la recherche de l’obtention de ces buts). Séminaire SHS : Décisions, normes et éthique dans le cancer Vendredi 2 octobre 2015 Le sentiment de succès dans l’orientation de l’action : un facteur de couplage renforcé entre espoir et confiance Snyder (et al.): l’espoir, état motivationnel fondé sur un sentiment (dérivé de l'interaction sociale) de succès dans l'orientation des capacités de l'agent vers ses buts et dans la définition de chemins qui y mènent, à travers une planification des étapes menant aux buts. Le concept d’espoir se rapproche alors de la confiance en soi dans l’action finalisée par des buts désirés. Ni simple projection dans l’avenir, ni pure anticipation d’un certain avenir. Séminaire SHS : Décisions, normes et éthique dans le cancer Vendredi 2 octobre 2015 Le sentiment de succès dans l’orientation de l’action : un facteur de couplage renforcé entre espoir et confiance • Le type pertinent de confiance en soi concerne les probabilités de l'obtention de différents buts (ou de niveaux de succès correspondants) dans des chemins d’action. • Mais il faut alors, pour saisir sur cette base l’espoir dans l’avenir, (comme le met en valeur l’approche de R. Pecchenino) considérer les perspectives d’obtention simultanée des objectifs auxquels on tient (ou symétriquement, les sacrifices, les compromis malheureux). Séminaire SHS : Décisions, normes et éthique dans le cancer Vendredi 2 octobre 2015 Risques potentiels pour l’intégrité de l’agent • Certaines renonciations rendent difficile une délibération structurée, dans laquelle l’agent peut compter sur ses propres dispositions stables dans l’action. • Cette préoccupation peut être rapprochée de thèses de Ph. Pettit (2004) : l’espoir aurait un lien essentiel avec le souci de l’agent de stabiliser ses buts, face aux éléments encourageants ou décourageants reçus des témoignages de l’expérience. Séminaire SHS : Décisions, normes et éthique dans le cancer Vendredi 2 octobre 2015 Conclusion • L’émergence des méthodologies d’aide à la décision, spécialement au stade de la structuration des décisions transforme les modalités de la décision de groupe dans la vie sociale. Séminaire SHS : Décisions, normes et éthique dans le cancer Vendredi 2 octobre 2015