PARADOxE : UNE PAIx DURABlE ESt-EllE SOUHAItABlE ? Dossier

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PARADOXE : UNE PAIX DURABLE
ESTELLE SOUHAITABLE ?
Dossier complémentaire
Jean Paul CHARNAY*
re q u i e s c a n t i n P a c e « Qu’ils reposent en paix ». Sombre formule liturgique par
laquelle l’Eglise honore les défunts. La paix « durable » (le mot est à la mode « dé-
veloppement durable… ») n’est-elle que la paix des cimetières ? Mais les cimetières
sont profanés et sont insoutenables, les charniers aux cadavres humiliés. Poignants
sont les grands cimetières militaires ou rangés à perte de vue-à perte de vie, gés
pour une ultime parade des milliers de jeunes hommes exilés de leur terre natale,
de leurs tombes familiales. Autre acception pour une paix durable : le néant de
l’au- delà ? Ou la paix éternelle du paradis des croyants ? Mais l’enfer leur est guerre
éternelle. La mort donc ne peut orir une paix durable ; ou l’on n’existe plus; ou se
poursuit l’opposition entre la justice de Dieu et la colère des hommes.
Aussi bien la notion de « durable » renvoie à une vision étriquée la théorie
grise de Hegel, immobilisée dans des plans rationnels sans l’imagination de la vie,
se heurte à l’aporie fondamentale : le monde est changement, le monde est souci, le
processus de génération / dissolution emporte les personnes et les idées, les nations
et les espèces, et celles-ci disparaissent après avoir alternés sans une trêve les âges, de
paix, d’ouverture, de culture, et les âges de fer, de guerre, de destruction.
Or la paix est reconnaissance de l’Autre au double sens : admission du fait qu’il
existe, et souhait qu’il continue à exister. A l’inverse la guerre est négation de l’autre,
mais aussi affirmation de son identité, de sa propre persévérance dans l’être. Car
après les massacres nationalistes engendrés par la grande guerre manufacturière et
les révolutions idéologiques, après les génocides ethnocidaires ou sociaux (liqui-
dation de classes sociales, Koulaks ; Khmers rouges…) l’humanité fatiguée rêve
de transcender le passager, d’atteindre à la continuité, à une paix universelle dans
le temps et l’espace. C’est la paix céleste pour les croyants, la paix avenir pour des
millénaires, la paix perpétuelle pour les utopistes, la paix planétaire dans un monde
ni pour les humanistes post- modernes.
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Mais sur quel fondement ?
Aux limites du cynique et de l’absurde, la paix par le génocide. Quand l’Autre
n’existe plus, il n’y a plus d’ennemi. Limite de la stratégie réaliste ; la guerre préven-
tive : les causes du conflit sont liquidées avant qu’elles s’exacerbent.
Aux limites des affirmations géopolitiques la paix par le magistère impérial : pax
romana mongolica, soviatica, américana… Au prix d’évidentes contraintes militaires
et policières, scales et bureautiques culturelles et linguistiques, un pouvoir non
central mais supérieur fait régner la paix entre les composants de l’empire et assure
leur protection à l’encontre de l’extérieur. Le risque demeurant l’unilatéralisme po-
litique et idéologique de l’ethnie, de la classe dominantes.
Aux limites de la candeur militaire : la paix par le désarmement (Limitation
s en volume, en nature, sur zones…) des armements : « arrière les mitrailleuses ». Ce
sont les éventuelles propositions sur la primauté des armes défensives, sur l’interdic-
tion de fabrication des armes de destruction massive (résolution du conseil de sécu-
rité 15-40 de 2005, sur la prohibition des mines anti-personnel, des armes à sous
munition, sur la non prolifération du commerce des armes légères… Propositions
en partie fallacieuses, car en tactique toute arme peut être oensive ou défensive,
et leur judicieuse répartition sur le terrain (éloignement des armes lourdes, comme
sur le Golan entre la Syrie et Israël) peut diminuer les risques de déclenchement de
nouvelles hostilités.
Aux limites de l’obligation normative : la paix par le droit, c’est-a-dire l’éta-
blissement de règle antérieures prévoyant un système de solution des conflits. Mais
il se heurte à la force vitale des Etats en devenir. Qui à la suprématie a tendance à
l’exercer sans penser en abuser : « Ego nominor leo découle de saltus populi suprema
lex et débouche sur Wrongor right, my Country. Le droit s’en lit dans l’aporie pas-
calienne si l’en ne peut faire que le juste soit fort, il faut que le fort soit juste mais
comment ?
Aux limites de la diplomatie : la paix par l’équilibre des puissances, par la
balance des forces. Renonçant à la neutralité et à l’indiérentisme se référant à une
sorte de démocratie internationale de parlementarisme transnational, un groupe de
puissances se constitue en un directoire compensant les insultes et les prétentions,
répartissant avec plus ou moins d’équité les influences et les richesses. Le directoire
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collégial repose soit sur la proportionnalité relative des forces et la prise en compte
des intérêts vitaux en présence : C’est du XVII au XVIIIe siècle la « balance des
puissance » : Grand Dessein de Henri IV et Sully en ses économies royales (1631),
la guerre de la France contre l’Espagne aurait permis d’établir en Europe quelques
puissances principales qui eussent maintenues l’ordre entre les puissances secon-
daire et auraient fait front commun contre le Turc. Le couteau de Ravaillac (fut-il
téléguidé ?) détruisit ce projet de guerre réorganisatrice sur cette balance des puis-
sances reposait aussi le Projet de paix perpétuelle entre les potentats de l’Europe (1713)
de l’abbé de Saint-Pierre prévoyant une cour d’arbitrage jouant à la fois comme une
assurance mutuelle et une dissuasion réciproque, projet dont se gaussa Voltaire dans
son poème sur la Tactique (1773).
Au XIVe siècle, en convergence idéologique se structure, le « concert des na-
tions » pouvant atteindre à la rénovation spirituelle, la pentarchie chrétienne rê-
vée par Alexandre Ier et Chateaubriant, la Société des Nations solidaires de Léon
Bourgeois, la Déclaration universelle des droits de l’homme (René Cassin) de l’Or-
ganisation des nations unies. Mais auparavant les grandes religions avaient élaborés
leur mode de pacication : Empire du Milieu pour la Chine, pax Christiana pour
le chrétien bousculé par la querelle du temporel et du spirituel (le Sacerdoce et
l’Empire ; le césaro papisme…), la pax islamica de la Umma. L’inconvénient majeur
étant d’aviver la diérence avec l’allogène, l’indèle.
Aux limites des élaborations de l’histoire : la paix par les (ré) interpréta-
tions adoucissant les amertumes des anciens ennemis. C’est le jeu des repentances
cultivant les anachronismes
Aux limites de la biologie, de l’éthologie, et de la psychologie : la paix par
la maîtrise de la nature humaine toujours encline à raviver l’ardeur combattante.
Contre les saignées des guerres industrielles, les féministes radicales avaient prêché
la grève des ventres… En fait l’accroissement démographique nit par l’emporter
sur la technique des armes : ainsi pour la décolonisation hier, pour les Palestiniens
aujourd’hui. Et quel que soit l’état des combattants, le combat se reconduit. En
1928 le pacte Brian Kellog déclare la guerre hors la loi. En 1935, dans la guerre de
Troie n’aura pas lieu Hector le héros troyen qui rêve de paix constate sans joie « Si
toutes les mères coupent l’index droit de leur ls, les armées de l’univers se feront la
guerre sans index-Et si elles leur coupent la jambe droite, les armées seront unijam-
bistes… Et si elles leurs crèvent les yeux, les armées seront aveugles, mais il y aura
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des armées, et dans la mêlée, elles se chercheront le défaut de l’aine, ou la gorge, à
tâtons (I,3).
Ironie de l’histoire ? Après 1991 en dépit de dizaines de milliers de morts ira-
kiens, le philosophe Jean Baudrillard évalue : La guerre d’Irak n’a pas eu lieu. Elle
devait avoir vraiment lieu en 2002. Mais de quelle essence fut-elle, action de police
menée par une force internationale à l’encontre d’un dirigeant délinquant « voyou »,
ou guerre menée contre un Etat souverain par une coalition ?
La paix par une juste guerre
Doctrinaire d’une guerre limitée ultra mécanisée, Liddell Hart estime que l’idée
de mettre la guerre « hors la loi » en la traitant comme « un mal isolé» nie le fait
qu’elle « n’est que le stade éruptif auquel aboutit une maladie de la paix .Elle est
la èvre non le microbe »-D’ou sa condamnation de la formule clausewitzienne
« la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens » ; car c’est une
folie d’employer un tel instrument alors que personne n’est capable de le manier
intelligemment
1
.
En dialectique Mazarin avait déjà répondu ; de bello pax : « de la guerre sort
la paix ». Mais laquelle ? Paix de compromis ou diktat du vainqueur ? Condition
impérative : le maintien de la paix ne peut être assuré que par la menace dissua-
sive d’une guerre « juste », ou l’eectivité d’une guerre rétablissant un équilibre
« juste » : traité de Paris, 1259, par lequel Saint Louis victorieux rend à Henri III
d’Angleterre certaines provinces reconquises.
En Occident la notion de guerre juste mise en rapport avec la condition hu-
maine se précise avec le stoïcisme universalisant de l’Antiquité tardive. Elle avait
commencée à s’affirmer avec Cicéron. (Jus gentium, jus naturale) dans la chaleur
des guerres civiles marquant le passage de la république sénatoriale et consulaire
à l’institution du principat impérial, mais se heurta à une nouvelle contradiction
lorsque le christianisme se répondit dans les couches populaires puis devint religion
officielle, soulevant un problème politique et moral : pour la défense de l’Empire,
le chrétien peut-il porter les armes, a fortiori se rendre « coupable »d’homicide en
tuant un ennemi ? Au Ie /IIe siècle même les plus radicaux des premiers grands
théologiens cantonnent au plan personnel et éthique la « non violence » absolue du
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Sermon sur la montagne (« si l’on te frappe sur une joue… ») en considération du
maintien de l’ordre social.
Tertullien le montaniste souhaite que le soldat chrétien apprécie les ordres se-
lon sa conscience (De corona). Origène l’émasculé estime que pour la défense de
l’empire le chrétien doit être un « combattant spirituel » (Contre Celse). Ces esprits
extrêmes furent considérés comme non orthodoxes, mais au IVe siècle encore re-
connu père et docteur de l’Eglise, Saint Basile de Césarée admet la légitimité du
service militaire mais refoule pour trois ans l’admission de son exécutant au sacrice
de l’Eucharistie (la Communion).
La poussée des Barbares se poursuit à la charnière des IVe et Ve siècles : le « doc-
teur de la grâce » Saint Augustin, énonce les principes classiques de la guerre juste.
En 398 dans son « Contre Faustum », manichéen reconnaissant la puissance du
Prince des ténèbres, il affirme l’existence dans la Bible et la nécessité historique des
« genres de Iaveh », Roi auctore, Dieu agissant. La Cité de Dieu parait en 422 après
la prise de Rome (410) par les Goths d’Alaric arien, mais dont Augustin reconnaît
quand même la relative modération par rapport à certains épisodes inhumains de
l’histoire romaine.
Les conditions de la guerre juste sont telles : Que la cause soit légitime, que la
violence soit proportionnée au dommage subi, que la contrainte soit eectuée par
une autorité légale, que la violence exercée ne soit pas supérieure à celle subie. D’où
la double conséquence : les croisades seront argumentées comme une légitime re-
conquête, et au XIIIe siècle Saint omas d’Aquin « le docteur angélique » énonce
ses opinions sur la guerre dans son traité sur la vertu théogale, la charité, qui estime
le châtiment infligé à l’Autre pour son propre bien comme une sorte de correction
fraternelle.
Alors surgissent les ambigüités de la guerre juste. Les Grecs déjà, Platon comme
Aristote avaient distingué entre la guerre « policée », ordonnée opposant des cités
hellènes, et les guerres déréglées contre les Barbares. En d’autres termes les pratiques
et les lois de la guerre varient selon l’appartenance ou non à telle système de
civilisation. La distinction réapparait au l des siècles pour certains d’entre eux an-
ciens soldats des guerres de la révolution et de l’empire, les généraux de la conquête
de l’Algérie (Bugeaud, Randon, Valée…) reconnurent l’impossibilité de maintenir
des règles du droit de la guerre et du droit des gens européens contre les guerres des
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