Introduction
1
I. Introduction
I.1 Choix du modèle animal : le xénope
Dans le cadre de cette thèse, nous utilisons le modèle Xenopus laevis (Daudin,
1802) également appelé "grenouille à griffes" et "claw-toed frog" en anglais (cf.
Fig.1). Originaire d'Afrique australe, cette espèce appartient à la famille des Pipidae
et à l'ordre des anoures.
Les embryons de cet amphibien offrent notamment des avantages
complémentaires aux autres modèles de vertébrés utilisés en laboratoire. Ces
embryons sont de grandes tailles (1 à 2mm), disponibles en grand nombre (300 à
1000 œufs par femelle) et se développent en milieu externe ce qui permet une
observation macroscopique des diverses étapes de l'embryogenèse et facilite leur
manipulation. Ces embryons peuvent être obtenus toute l'année en stimulant les
femelles par de l'hormone chorionique gonadotropine humaine (HGC). Les œufs ainsi
obtenus peuvent être fécondés in vitro et donc se développer de manière synchronisée.
Nombre de techniques sont utilisées afin d'étudier l'expression, la fonction et
la régulation des gènes. Par exemple, la micro-injection d'ARN messager codant pour
des protéines sauvages, chimériques, inductibles par dexaméthasone permet de
réaliser des expériences de gain de fonction. Parallèlement, la micro-injection
d'ARNm codant pour des dominants négatifs, des oligonucléotides antisens de type
morpholinos permet de réaliser des expériences de perte de fonction. Ces expériences
de surexpression et de sous-expression de gènes peuvent également être réalisées par
électroporation (Haas et al., 2001) ou par lipofection (Holt et al., 1990). Des
hybridations in situ sur embryons complets ou sur des calottes animales permettent de
visualiser le profil d'expression de gènes. Des expériences de criblage différentiel de
bibliothèques d'ADNc permettent d'identifier divers gènes régulés par un gène
d'intérêt. La technique de transgenèse qui consiste à incorporer in vitro de l ’ADN
dans des noyaux de spermatozoïdes et à injecter ces noyaux dans des oeufs non
fécondés (Kroll and Amaya, 1996). Récemment, une nouvelle technique de
Introduction
2
transgenèse a été mise au point et consiste en l'injection dans un œuf fécondé d'une
solution contenant la méganucléase I-SceI et l'ADN plasmidique linéarisé par cette
méganucléase (Pan et al., 2005). Les embryons de xénope permettent aussi
d'effectuer des expériences de micromanipulations telles que dissections et greffes.
Ce modèle animal dispose d'outils génomiques tels que des banques d'EST
(Expressed Sequence Tagged) et de biopuces à ADN.
Xenopus laevis comporte certains désavantages à savoir son génome, constitué
de 36 chromosomes, qui est tétraploïde et son long temps de génération (1 à 2 ans)
freinant ainsi les approches génétiques. Ces deux aspects sont contournés grâce à
l'utilisation du Xenopus tropicalis. Cette espèce, originaire d'Afrique occidentale, a un
temps de génération plus court (inférieur à 6 mois) et est diploïde (Hirsch et al., 2002).
Son génome, constitué de 20 chromosomes, a été récemment séquencé et est
disponible sur www.ensembl.org. De plus, la femelle pond entre 1000 et 3000 œufs
mais de plus petite taille (0,7 à 0,8mm).
I.2 Embryogenèse – Aperçu général
Les œufs des vertébrés sont classés en deux catégories. Ceux de grande taille
riches en réserves nutritives (amphibiens, poissons et oiseaux) et ceux de petite taille
dépourvus de réserves nutritives (mammifères). Après fécondation, leur
développement précoce diffère fortement notamment au niveau de la formation des
axes. Mais tous les vertébrés se développent à travers un stade commun phylotypique
dans lequel se distinguent la tête, le tube neural le long de la ligne dorso-médiane et la
notochorde flanquée de chaque côté de somites (cf. Fig.2).
Chez Xenopus laevis, l'œuf est radialement sytrique et possède un pôle
animal riche en pigments et un pôle végétal riche en réserves nutritives. Suite à la
fécondation, le cortex (couche située en dessous de la membrane cellulaire) effectue
une rotation corticale de 30° aussi appelée rotation de symétrisation (cf. Fig.3). La
rotation corticale est l'événement fondateur dans l'acquisition de la polarité dorso-
ventrale. Environ 1 heure après la pénétration du spermatozoïde, la calotte
Introduction
3
pigmentaire de l'hémisphère animal se contracte vers le point d'entrée du
spermatozoïde. Il en résulte la formation d'une zone plus claire située à l'opposé du
point d'entrée du spermatozoïde, appelée "croissant dépigmenté" ou "croissant gris".
Cette structure marque la future face dorsale de l'embryon. Cette rotation permet la
formation d'un centre de signalisation appelé "centre de Nieuwkoop".
Le zygote subit une série de clivages jusqu'à former la blastula. S'en suit la
gastrulation où l'on assiste à une migration cellulaire permettant la mise en place de
trois feuillets embryonnaires primordiaux : l'ectoderme, le mésoderme et l'endoderme.
Ces trois feuillets donnent respectivement naissance à l'épiderme et au tissu nerveux;
au tissu conjonctif, squelette, muscles et certains organes (cœur, reins); au système
digestif et autres organes (foie, poumons). Au stade gastrula, le neurectoderme est
situé dans la partie dorsale de l'embryon, au-dessus de la notochorde. Il est induit par
le mésoderme dorsal et constitue l'ébauche du tissu neural.
Au stade neurula, l’ectoderme s’épaissit et se constitue de deux tissus distincts.
Le premier, décrit au stade gastrula, est constitué de cellules précurseurs neurales
(neuroblastes) et formera le système nerveux. Le second est constitué de cellules
précurseurs épidermiques (épiblastes) et formera la peau. Dans la partie dorsale de
l'embryon apparaît une zone en forme de poire, la plaque neurale. En grandissant, elle
se rallonge et prend l’apparence d’une raquette. La plaque neurale est d’abord
largement ouverte puis elle s’enfonce en gouttière délimitée par deux bourrelets.
Ceux-ci constituent, au niveau de leur partie antérieure, les crêtes neurales et se
rapprochent peu à peu de part et d’autre de la ligne dorsale. Ils finissent par se souder
en donnant naissance au tube neural. Celui-ci se recouvre d’épiderme et finit par
disparaître à l’intérieur de l’embryon (cf. Fig.4). La suite du développement
embryonnaire va permettre la création de la colonne vertébrale, de la moelle épinière
et de la partie antérieure qui après diverses transformations devient le cerveau. Les
crêtes neurales seront en partie à l'origine du système nerveux périphérique.
L'embryon forme par la suite un têtard où s'opère l'organogenèse. Suivie d'un
stade de métamorphose, on assiste au développement des membres antéro-postérieurs
et à la résorption de la queue afin de former une grenouille adulte (cf. Fig.5).
Introduction
4
I.3 Induction neurale
La formation du système nerveux, qui commence au stade neurula, est initiée
par un événement appelé l'induction neurale. Des expériences de transplantations ont
démontré que des signaux induisent la plaque neurale durant la gastrulation et que
l'origine de ces signaux provient du "centre organisateur" ou "organisateur de
Spemann" situé dans le mésoderme dorsal. La greffe de cet organisateur au stade
gastrula précoce provoque la formation d'une structure antérieure complète constituée
d'un axe secondaire et d'un tube neural (Spemann et Mangold, 1924; cf. Fig.6).
Conjointement, l'excision de cet organisateur au stade blastula tardif empêche la
formation de la plaque neurale (Stevart and Gerhart, 1990). On retrouve cette même
fonction exercée par l'organisateur de Spemann parmi les autres modèles de
laboratoire à savoir "le bouclier" chez le poisson zèbre (Shih and Fraser, 1996), "le
nœud d'Hensen" chez le poulet (Storey et al., 1992) et "le nœud" chez la souris
(Beddington et al.,1994).
Les mécanismes moléculaires qui entrent en jeu sont multiples. D'une part, la
famille des Bone morphogenetic protein (BMP), appartenant à la super-famille des
Transforming Growth Factor-β (TGF-β), induit la différenciation de l'ectoderme en
épiderme et ventralise le mésoderme. Des expériences de surexpression de dominants
négatifs de récepteurs BMP induisent le développement neural (Cowan et al., 1995).
D'autre part, des molécules neuralisantes produites par l'organisateur de Spemann
telles que Noggin, Chordin et Follistatin agissent comme antagonistes des BMP.
Cette dernière fonction peut être directe. Par exemple, Noggin se lie aux ligands
BMP2 et BMP4 les empêchant ainsi de se fixer à leurs récepteurs (Zimmerman et al.,
1996). L'inhibition de l'expression des BMP se fait également par d'autres
mécanismes tels que l'inhibition de la transcription du gène BMP lui-même et
l'inhibition de la signalisation intracellulaire des protéines Smad (Munoz-Sanjuan et
al., 2002; De Robertis and Kuroda, 2004; Linker and Stern, 2004; Stern, 2005; van
Grunsven et al., 2006 en soumission).
Afin d'expliquer les mécanismes d'induction neurale, un modèle appelé
"induction/modèle par défaut" a été établi. Ce modèle soutient l'idée selon laquelle les
Introduction
5
cellules issues de la calotte animale de l'embryon adoptent par défaut une destinée
neurale. En effet, l'expérience montre qu'en les cultivant plusieurs heures en milieu
dépourvu de calcium et magnésium, ce qui dissocie les cellules et leur fait donc
perdre leurs connexions, elles forment du tissu neural. Inversement, elles forment du
tissu épidermique si elles ne sont pas dissociées ou si elles sont réagrégées
immédiatement après dissociation (Grunz and Tacke, 1989).
Le modèle par défaut reste une approche incomplète. Les cellules situées en-
dehors des territoires neuraux peuvent aussi adopter une identité neurale suggérant
l'intervention de facteurs neuralisants (Streit and Stern, 1999). L'organisateur de
Spemann n'engendre pas d'induction neurale si l'activité du récepteur Fibroblast
growth factor (FGFR) est bloquée même si la greffe exprime correctement Chordin
(Streit et al., 2000). FGFR est essentiel dans le devenir neural postérieur de l'embryon
(Munoz-Sanjuan and Brivanlu, 2002). Des cellules BMP-déficientes et qui
surexpriment faiblement le facteur de croissance FGF, deviennent des précurseurs
neuraux ce qui montre la nécessité des deux événements pour leur développement
neural (Delaune et al., 2005). La voie de signalisation Wnt est également impliquée
dans les processus d'induction neurale (Parr and McMahon, 1994). Des recherches en
embryons de xénope ont montré que la voie de signalisation Wnt est capable de
réprimer l'expression du gène BMP4 et qu'elle serait également nécessaire à
l'expression des antagonistes des BMP (Noggin, Chordin et follistatin) au stade
blastula précoce dans les cellules progénitrices du neurectoderme (Baker et al., 1999).
Sur base de l’ensemble de ces données, un nouveau modèle d’induction neurale chez
le xénope a été proposé, réconciliant les voies de signalisation BMP, FGF et Wnt
(Delaune et al., 2005; cf. Fig.7). Selon ce modèle, la polarité dorso-ventrale établie au
moment de la fécondation de l’oeuf suite à l’établissement d’un gradient de β-
caténine, un médiateur essentiel de la voie de signalisation Wnt, décroît du côté
dorsal vers le côté ventral. Le facteur de transcription maternel VegT localisé au pôle
végétal de l’oeuf active l’expression à la mid blastula transition (MBT; stade 7) de
plusieurs membres de la famille des TGF-ß, y compris ceux codant pour les protéines
apparentées au facteur nodal, ainsi que de membres des FGF. Il apparaît ainsi à la
MBT un gradient de concentration de nodal avec un maximum au pôle végétal qui
détermine la position des cellules progénitrices de l’endoderme, du mésoderme et de
1 / 25 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !