Archives départementales du Cher
La Seconde Guerre mondiale
dans le Cher
Archives des juridictions spéciales
(1941-1948)
section spéciale de la cour d'appel
tribunal spécial
cour de justice et chambres civiques
(Cher,
Nièvre et Indre)
Versement 3 W
Répertoire numérique détaillé
établi par Didier Arnold
sous la direction de Xavier Laurent
conservateur du patrimoine
directeur des Archives départementales et du Patrimoine
et de
Christophe Vaillant
attaché de conservation du patrimoine
chef de service Traitement des archives
Bourges
Conseil général du Cher
2013
(version mise à jour mai 2016)
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INTRODUCTION
Procès des Templiers, de Jeanne d'Arc, grands procès de Moscou, procès de Nüremberg et de nos jours procès
des dirigeants Khmers rouges à Phnom Penh, la Justice est tout au long de l'histoire un enjeu fondamental pour
les gouvernements. Justice aux ordres sous les régimes totalitaires ou théoriquement indépendante du pouvoir
politique dans les démocraties, les tribunaux sont en fait le reflet de la société qui les crée.
L'État français
L'État français, plus connu sous l'appellation de Gouvernement de Vichy, en lutte contre les juifs, les
communistes, les francs-maçons, les étrangers, les gaullistes et les "bandits", (plus tard renommés "terroristes")
élabore tout un arsenal juridique afin de réprimer ces adversaires de la Révolution nationale. La riode s'étalant
de 1940 à 1944 va ainsi être celle de "la justice des années sombres" (Pierre Truche).
Dès le 11 juillet 1940, par l'acte constitutionnel n° 2, le chef de l'État français s'arroge tout pouvoir en matière de
justice. Il exerce le pouvoir législatif, promulgue les lois et assure leur exécution. Il a le droit de grâce et
d'amnistie. L'année suivante, l'acte constitutionnel 9 du 14 août 1941 oblige les magistrats à prêter serment de
fidélité au chef de l'État.
Les difficultés et les résistances auxquelles se heurte le Gouvernement de Vichy appellent de sa part une
abondance de juridictions spéciales plus à même de mener à bien la répression judiciaire voulue par ce régime
autoritaire. Par ordre chronologique, sont ainsi créées les institutions suivantes :
une cour suprême de justice (acte constitutionnel 5 du 30 juillet 1940), chargée de juger "les
ministres, les anciens ministres ou leurs subordonnés immédiats, civils ou militaires, accusés d'avoir
commis des crimes ou délits dans l'exercice ou à l'occasion de leurs fonctions, ou d'avoir trahi les
devoirs de leur charge". Est aussi concernée "toute personne accusée d'attentat contre la sûreté de
l'État et de crimes et délits connexes". Cette cour siègera à Riom ;
une cour martiale (loi du 24 septembre 1940), qui siège à Gannat (Allier), pour juger les "crimes et
manœuvres commis contre l’unité et la sauvegarde de la patrie" ;
une cour criminelle spéciale (loi du 21 mars 1941), pour lutter contre le marché noir ;
un tribunal spécial siégeant près la cour d'appel (loi du 14 avril 1941), juge les auteurs d'agressions
nocturnes ;
des sections spéciales (loi du 14 août 1941), chargées de réprimer l'activité communiste ou anarchiste.
Une section spéciale est organisée auprès des tribunaux militaires (en zone libre) ou des cours d’appel
(en zone occupée) ;
un tribunal d'État (loi du 7 septembre 1941). "Le conseil des ministres peut déférer au tribunal d’Etat
les auteurs, coauteurs ou complices de tous actes, menées ou activités qui, quels que soient la
qualification, l’intention ou l’objet, ont été de nature à troubler l’ordre, la paix intérieure, la
tranquillité publique, les relations internationales ou, d’une manière générale, à nuire au peuple
français." Alors que les tribunaux d'exception précédemment créés avaient à chaque fois une "cible"
bien définie, ce tribunal d'État a une compétence très élargie ;
des cours martiales (lois du 20 janvier et du 11 février 1944), qui visent expressément les "terroristes"
(les Résistants dans le langage vichyssois). Vichy atteint alors le summum en matière de justice
expéditive puisque le "coupable" peut être immédiatement passé par les armes à l'issue du jugement.
Une des caractéristiques de toutes ces juridictions spéciales
est qu'aucun recours, même en cassation, n'est admis.
CFLN et GPRF
De son côté, le Comité français de libération nationale (CFLN) se préoccupe très t de "châtier les traîtres" lors
de la libération de la France. Dès le 18 août 1943, une ordonnance officialise la création d'une Commission
d’épuration, présidée par François de Menthon. Elle sera chargée de "traduire en justice, dès que les
circonstances le permettront, le maréchal Pétain et ses ministres, ceux qui avaient capitulé ou porté atteinte à la
Constitution, ceux qui ont collaboré avec l’ennemi".
Le 3 juin 1944 est substitué au nom de Comité français de la Libération nationale celui de Gouvernement
provisoire de la République française (GPRF). Une série d'ordonnances va alors préciser le cadre de la future
épuration. Dès le 26 juin 1944, une première ordonnance relative à la répression des faits de collaboration
prévoit la création des cours de justice. Puis, l'ordonnance du 26 août 1944 définit le crime d'indignité nationale
(confer chapitre concernant les chambres civiques) et prévoit la création de sections spéciales qui, sans doute
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pour éviter toute confusion avec celles de Vichy, seront renommées par la suite chambres civiques. Deux autres
ordonnances viendront préciser et compléter la définition du crime d'indignité nationale (30 septembre et 17
octobre 1944). Le 18 novembre 1944 est instituée une haute cour de justice pour juger tous les membres du
gouvernement de l'État français et les hauts fonctionnaires (elle remplace la commission d'épuration
précédemment évoquée). Le 28 novembre 1944, un nouveau texte portant modification et codification des textes
relatifs à la répression des faits de collaboration est promulgué. Ce sera désormais le texte de référence pour le
fonctionnement des cours de justice. Enfin, le 26 décembre 1944, une cinquième ordonnance portant
modification et codification des textes relatifs à l'indignité nationale entérine la création des chambres civiques.
Une pléthore de notes et de circulaires du Garde des Sceaux préciseront par la suite le fonctionnement de ces
tribunaux.
Il faut noter que contrairement aux juridictions spéciales de Vichy, le législateur républicain a permis le pourvoi
en cassation et le recours en grâce, hormis pour la haute cour de justice où seul le recours en grâce est possible.
Pour connaître l'activité judiciaire concernant l'épuration, la version du code pénal annotée et publiée en 1952
sous la direction d’Émile Garçon contient un bilan des cours de justice et chambres civiques arrêté au 31 janvier
1951. Les dossiers ouverts par ces juridictions civiles sont au nombre de 311 263, dont 183 512 (soit 59%) ont
été classés. Le total des individus jugés s’élève à 124 613.
Tribunaux d'exception dans le Cher sous l'État français
Section spéciale de la cour d'appel de Bourges
La section spéciale de la cour d'appel de Bourges est créée suite à la loi du 14 août 1941 réprimant l'activité
communiste et anarchiste. Bourges étant située en zone occupée, cette section est rattachée à la cour d'appel
puisqu’il n'y a pas de tribunal militaire ou maritime à proximité (art. 1 de la loi). Elle est alors composée d'un
président de chambre, de deux conseillers et de deux membres du tribunal de première instance, signés par
ordonnance du premier président. Les membres du ministère public sont désignés par arrêts du procureur général
(art.2 de la loi).
La section spéciale de Bourges n'a prononcé aucune peine de mort, seulement des peines d'emprisonnement et de
travaux forcés. Toutes les audiences portent sur des préventions de communisme ou d'anarchie, si ce n'est la
dernière du 20 mai 1944 qui porte sur un recel de tickets d'alimentation.
La section spéciale de la cour d'appel de Bourges tient sa première audience le 4 septembre 1941 et siège pour la
dernière fois le 20 mai 1944.
Tribunal spécial
La loi du 24 avril 1941 modifiée par la loi du 3 août 1943 porte sur la création d'un tribunal spécial pour juger les
auteurs d'agressions nocturnes.
La loi prévoit l'application de la peine de mort en cas de vols nocturnes avec violence ou de port d'armes.
Cependant, dans les arrêts il est fait preuve de plus de mansuétude. Par exemple, la peine de mort n'a jamais été
prononcée, malgré la présence d'armes et de violence, ce qui vient à l'encontre de l'article 1.
Le tribunal spécial de Bourges tient sa première audience le 17 mars 1944 et siège pour la dernière fois le
7 octobre 1944.
Tribunaux d'exception dans le Cher sous le GPRF
Il faut avant tout mettre en exergue une spécificité des cours de justice et des chambres civiques.
Traditionnellement, c'est le parquet qui apprécie s'il y a lieu ou non de mettre en mouvement l'action publique. Le
commissaire du gouvernement (l'équivalent du procureur) conserve bien cette prérogative de classer certaines
affaires sans suites. Mais en plus, à l'issue d'une information menée par le juge d'instruction, il est de sa seule
compétence d'apprécier les suites à donner (art. 21
de l’ordonnance du 28 novembre 1944). Il peut ainsi
prononcer un non-lieu (arrêt des poursuites pour des motifs de droit) ou un renvoi devant la cour.
Des directives données aux juges d'instruction leur rappellent cette particularité : "Ces magistrats ne doivent
d'ailleurs pas perdre de vue le caractère particulier de l'instruction préparatoire en matière de faits de
collaboration ; il s'agit en effet bien plus d'une enquête judiciaire que d'une information à proprement parler
puisque la décision définitive sur l'instruction n'appartient pas au juge, mais au commissaire du gouvernement.
Je crois nécessaire d'insister sur ce point."
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Cour de justice
Les cours de justice sont instituées par l'ordonnance du 28 novembre 1944 (ordonnance du 28 novembre 1944
portant modification et codification des textes relatifs à la répression des faits de collaboration, parue au Journal
officiel 136 du 29 novembre 1944), complétée par celle du 9 janvier 1945. Au fur et à mesure de la libération
du territoire métropolitain, au chef-lieu de chaque ressort de cour d'appel, une cour de justice est créée.
Cette cour statue sur les faits révélant "l'intention de leurs auteurs de favoriser les entreprises de toute nature de
l'ennemi, et cela, nonobstant toute gislation en vigueur". La peine prononcée peut aller jusqu'à l'exécution
capitale.
La période pendant laquelle s'exerce la compétence de la cour de justice est précisée le 26 octobre 1945 par une
instruction du Garde des Sceaux. La cour de justice ne peut être saisie que des faits ayant motivé l'ouverture
d'une information avant l'expiration d'un délai de 6 mois à compter de la libération totale du territoire. Un décret
du 23 août 1945 a fixé ce point de départ au 10 mai 1945. A partir du 10 novembre 1945, aucune information
nouvelle ne pourra donc être engagée, sauf dans le cas de co-auteurs ou des complices d'individus faisant l'objet
d'une information précédemment ouverte devant la cour de justice. Ce sont alors les tribunaux militaires qui
recouvrent leur compétence normale en matière de crimes et délits contre la sûreté extérieure de l'État.
Par une circulaire du 19 avril 1948, le Garde des Sceaux rappelle d'ailleurs aux parquets des cours de justice que
la purge d'un arrêt prononcé par contumace par une cour de justice contre des individus arrêtés ultérieurement au
10 novembre 1945 ne peut intervenir que devant la même cour de justice ou, au cas de rattachement, devant la
cour de justice qui a repris ses attributions.
La cour de justice dépend du ressort de la cour d'appel de Bourges. Cette cour de justice comprend trois sections
départementales dans le Cher, la Nièvre et l'Indre. Deux rapports datés de décembre 1944 nous renseignent sur la
situation de ces trois sections.
Cher
La cour de justice, section départementale du Cher, est créée le 16 octobre 1944. Elle est installée dans les
anciens locaux du tribunal et du parquet de Bourges, occupés par les Allemands jusqu'à la Libération. Au 5
décembre 1944, elle comporte un président, un commissaire du gouvernement, un juge d'instruction et son
greffier. Le service du greffe de la cour est assuré par un greffier de la cour d'appel.
La cour de justice du Cher a tenu sa première audience le 28 novembre 1944, la dernière le 8 juillet 1948.
Il est à noter que de la libération du département à l'établissement de la cour de justice, aucune cour martiale,
régulière ou non, pas plus qu'aucun tribunal militaire n'a fonctionné. Le tribunal militaire d'Orléans s'était saisi de
quelques rares affaires dont il s'est ensuite dessaisi.
Le 1
er
septembre 1945 est créée à Bourges une sous-section de la section départementale. Cette sous-section a
compétence sur le territoire des départements du Cher, de la Nièvre et de l'Indre. En effet, à cette date, les
sections départementales de la Nièvre et de l'Indre ont été supprimées.
Par la loi du 7 septembre 1948, la cour de justice du Cher est rattachée à celle du Rhône installée à Lyon.
Nièvre
La cour de justice, section départementale de la Nièvre, est créée le 8 novembre 1944. Elle est installée dans un
immeuble réquisitionné par la Préfecture, 17 rue Adam Billaud à Nevers. Au 12 décembre 1944, elle comporte
un président, un commissaire du gouvernement, un commissaire adjoint et deux juges d'instruction et leurs
greffiers. Pour assurer le fonctionnement de cette juridiction, le tribunal de Clamecy a été supprimé.
La cour de justice de la Nièvre a tenu sa première audience le 29 novembre 1944, la dernière le 30 août 1945.
Elle est rattachée à la cour de justice du Cher à dater du 1
er
septembre 1945 (arrêté du 3 août 1945, paru au
Journal officiel du 8 août).
Comme pour le Cher, de la libération du département à l'établissement de la cour de justice, aucune cour
martiale, régulière ou non, pas plus qu'aucun tribunal militaire n'a fonctionné.
Indre
L'installation de la cour de justice, section départementale de l'Indre, a lieu le 23 octobre 1944. Elle aménage au
palais de justice de Châteauroux. Au 12 décembre 1944, elle comporte un président, un commissaire du
gouvernement, un juge d'instruction, un juge d'instruction adjoint, trois greffiers, un secrétaire et trois
sténodactylos. Le tribunal de La Châtre a été supprimé pour assurer le fonctionnement de cette juridiction.
La cour de justice de l'Indre a tenu sa première audience le 18 décembre 1944, la dernière le 31 mai 1945. Elle
est ensuite rattachée à la cour de justice du Cher.
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Un tribunal militaire constiten cour martiale a siégé les 18 et 21 octobre 1944. Quatre condamnations, dont
trois capitales et une à cinq ans d'emprisonnement, ont été prononcées. Les trois condamnés à mort ont bénéficié
d'une commutation de peine.
Chambres civiques
Les chambres civiques sont instituées auprès des sections des cours de justice par l'ordonnance du 26 décembre
1944 (portant modification et codification des textes relatifs à l'indignité nationale, parue au Journal officiel
159 des 25, 26 et 27 décembre 1944), complétée par l'ordonnance du 9 février 1945. Elles ont pour vocation
première de juger les cas relevant de l'indignité nationale, qui est punie de la dégradation nationale : "Est
coupable d'indignité nationale […] tout Français qui aura, postérieurement au 16 juin 1940, soit sciemment
apporté en France ou à l'étranger une aide directe ou indirecte à l'Allemagne ou à ses alliés, soit porté atteinte
à l'unité de la Nation ou à la liberté des Français ou à l'égalité entre ces derniers".
Les chambres civiques peuvent aussi prononcer la confiscation de tout ou partie des biens du condamné.
Tout comme les cours de justice, elles ne peuvent plus être saisies de nouvelles affaires après le 10 novembre
1945. Toutefois, une ordonnance du 26 octobre 1945 viendra rectifier cette "date limite". L'exposé des motifs
indique ainsi : "En effet, il est apparu qu la suite d'une instruction judiciaire ouverte devant une cour de
justice, l'information démontre que le prévenu n'est coupable que d'indignité nationale. A ce moment, si le lai
limitant dans le temps l'activité des chambres civiques est expiré, aucune citation n'ayant été délivrée ni aucune
requête déposée dans les délais devant cette juridiction, il ne serait plus possible de la saisir valablement, et le
coupable échapperait de ce fait au châtiment destiné à sanctionner ses agissements. La présente ordonnance a
pour but de pallier cet inconvénient."
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